Ukraine : L'anglosphère à l’offensive

2022/04/08 | Par Pierre Dubuc

Intéressante entrevue avec Volodymyr Zelensky dans The Economist (2-8 avril 2022). Le président ukrainien divise l'OTAN en 5 camps.

1. Ceux qui se foutent que la guerre dure longtemps parce que cela contribue à épuiser la Russie, même si cela se fait aux dépens de l'Ukraine et implique un énorme coût en vies ukrainiennes.

2. Ceux qui veulent une fin rapide parce que le marché russe est important pour eux et que leurs entreprises en souffrent.

3. Différents groupes de pays qui reconnaissent la présence du nazisme en Russie et qui veulent la victoire de l'Ukraine.

4. Un petit nombre de pays libéraux qui veulent la fin rapide de la guerre parce qu'ils pensent que les vies humaines passent avant tout.

5. Les pays embarrassés qui veulent la paix immédiatement parce qu'ils sont les représentants de la Fédération de la Russie en Europe.

Les deux premières catégories sont les plus importantes. Dans la deuxième, il est facile de reconnaître la présence de l'Allemagne, mais aussi de la France. Mais la plus significative, pour nous, est la première catégorie où on divine la présence des pays de l'anglosphère: États-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne.

À son habitude, The Economist se fait le porte-parole de ce dernier groupe avec un titre sans équivoque sur sa page frontispice: « Why Ukraine must win ». Selon le magazine des milieux d'affaires britanniques, pas question de négocier avant une « victoire décisive » qui permettrait de « résister à tout compromis qui pourrait empoisonner la paix ». The Economist s'en prend aux positions « trop timorées » de l'Allemagne – sur les sanctions économiques (hydrocarbures) – et de la France. Il marque son désaccord avec l'affirmation de Macron selon laquelle l'envoi de blindés et d'avions en Ukraine constituerait une « ligne rouge » à ne pas franchir et ferait de l'OTAN un cobelligérant.
 

Zélenski se démarque

Dans l'entrevue accordée à The Economist, Zélenski se démarque de la position du premier groupe de l'OTAN et de l’éditorial du magazine. Lorsqu'on lui demande quelle serait, pour lui, la définition d’une victoire, il répond : «La victoire, c'est d'être en mesure de sauver le plus de vies possibles... parce que, sans cela, le reste n'a aucun sens. Notre terre est importante, mais, ultimement, c'est seulement un territoire.»

Il concède, selon le journaliste qui l'a interviewé, que protéger tout le monde et défendre les intérêts de tous, tout en protégeant le peuple et sans céder de territoire est une tâche impossible. À remarquer qu'il a déjà fait une concession majeure en renonçant à sa position initiale d'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN.

Dans une de ses chroniques (Lexington: The Reverse Roosevelt Doctrine), The Economist affirme que «plusieurs Ukrainiens croient que Biden veut laisser trainer en longueur le conflit pour épuiser la Russie au prix du sang de plusieurs Ukrainiens».

Une position que semble partager la doublure de Biden, soit le secrétaire de l’OTAN. En effet, selon M. Stoltenberg, le monde doit, en tout cas, se préparer à « une guerre de longue durée, sur plusieurs semaines, voire des mois ou des années ».
 

Les gagnants sont…

Les États-Unis sont jusqu'à présent les principaux gagnants du conflit. Les sanctions leur permettent de vendre du pétrole, du gaz naturel et du charbon à l'Europe. Mais aussi et surtout des armes au pays de l'OTAN. L'Allemagne et le Canada viennent de passer de juteuses commandes pour l'achat de F-35.

La Grande-Bretagne et le Canada vont aussi profiter des répercussions de l'embargo sur les hydrocarbures russes pour vendre du pétrole de la Mer du Nord et des sables bitumineux.

Au plan stratégique, les États-Unis sont en voie de réaliser leur plan de découplage de l'Europe de la Russie et, éventuellement, de la Chine qui est le premier partenaire économique de l'Allemagne.

The Economist considère qu'une victoire de l'Ukraine permettrait aux États-Unis « d'avoir les coudées plus franches dans leur rivalité croissante avec la Chine ».
 

Vu de Pékin

Ailleurs dans ses pages, The Economist nous présente le point de vue de Pékin sur ce conflit. Les officiels chinois, raconte le magazine, se font un plaisir d'expliquer à leurs vis-à-vis occidentaux que l'Ouest sortira perdant du conflit.

Ils prédisent que l'Union européenne se divisera entre ses anciens et nouveaux membres. Ils ajoutent que l'unité transatlantique entre les États-Unis et l'Europe s'écroulera, que les sanctions ne réussiront pas à briser la Russie et que les électeurs européens protesteront contre la hausse des prix de l'énergie et du flux de réfugiés ukrainiens.

Un point de vue difficilement envisageable de ce côté-ci de l'Atlantique, où se dégage une quasi-unanimité pour appuyer la guerre. Après tout, le théâtre de la guerre est loin et le Canada pourra vendre plus de pétrole, de blé, d'engrais, de bois d'oeuvre, etc.

Mais la situation est différente en Europe. La Norvège vient d’exprimer son désaccord avec la proposition d’interdire aux bateaux russes l’accès à ses ports. La Hongrie fait bande à part en s’opposant à la livraison d’armes à l’Ukraine. Seulement 44% des partisans du président Victor Orban, qui vient d’être réélu avec une solide majorité, considéraient que la Russie était l’agresseur.

En France, Éric Zemmour, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont tous trois condamné l’invasion de l’Ukraine, mais ils ont longtemps pointé la responsabilité de l’OTAN qui pouvait justifier l’agressivité russe. Si on additionne leurs intentions de vote, on atteint un pourcentage de 47,5 %, précise le journaliste Alain Salles dans l'édition du 8 avril du journal Le Monde.

À l’échelle mondiale, Jocelyn Coulon rappelle que de nombreux pays qui représentent une majorité de la population mondiale refusent de suivre l'anglosphère dans cette guerre. Une cinquantaine de pays ont voté contre les sanctions à l'ONU.