Nuisances sonores: retour sur les silencieux modifiés

2022/04/12 | Par Clément Fontaine

L’auteur est journaliste indépendant et membre du Regroupement Des Universitaires

DES UNIVERSITAIRES / J'ai fait paraître dernièrement quelques articles traitant de la pollution sonore au Québec, un sujet trop rarement abordé sur la place publique. Les réactions des lecteurs m'ont confirmé que le vacarme récurrent causé par les silencieux de véhicules modifiés demeure l'irritant majeur, au point de reléguer au second plan les autres nuisances sonores présentes dans notre environnement.

Ce fléau est mondial mais il semble occuper une place privilégiée chez nous. Le Code de la sécurité routière est pourtant clair : tout véhicule à moteur en circulation sur un chemin public doit être muni d'un système d'échappement conforme aux normes, et nul ne peut procéder à une modification pour en augmenter le niveau sonore. La limite déjà permissive de 100 db établie pour un véhicule circulant à une vitesse constante ou de 92 db au ralenti est souvent dépassée.

Le montant des amendes pour ces infractions a beau être assez élevé (de 200 $ à 300 $ pour les véhicules sur route), force est de constater qu'elles ne sont pas suffisamment dissuasives.

L'Ontario semble moins affectée par ce phénomène. Son programme d'analyse des émissions pour l'ensemble du parc automobile a longtemps agi comme une mesure de prévention indirecte, la pollution sonore allant ici de pair avec celle de l'air. Ce programme a malheureusement été... modifié en 2019 pour se limiter dorénavant aux camions lourds, comme c'est le cas au Québec.

Nos voisins conservent une longueur d'avance en matière « d'auto-discipline », mais ils ne donnent plus l'exemple, juridiquement parlant. Nous sommes sur la voie du plus bas dénominateur commun. Il faut bien sûr miser davantage sur l'éducation et la sensibilisation aux méfaits du bruit auprès de la population, des jeunes en particulier, mais d'autres mesure s'imposent.
 

Le bouclier de la justice

Que penser des services de police chargés de faire respecter la réglementation? Prennent-ils suffisamment au sérieux les infractions en matière de bruit? Plusieurs citoyens en doutent. Les agents de la paix doivent faire respecter une foule de règlements et leur priorité sur le réseau routier demeure la sécurité des usagers. Le bruit excessif est perçu comme un enjeu de santé publique moins pressant, sinon moins important. Il est plus facile de l'ignorer.

Pour avoir une idée plus claire de la situation, j'ai recueilli le nombre de contraventions émises pour silencieux non conformes par trois corps de police représentatifs de la diversité de notre territoire. Une grande ville, Québec, une autre de moyenne importance, Saguenay, et la Sûreté du Québec, qui dessert 1 039 petites municipalités et territoires répartis dans 86 municipalités régionales de comté (MRC), incluant le réseau autoroutier.

Bien que fragmentaires, les résultats sont révélateurs.
 

Contraventions émises pour un système d'échappement

bruyant

Population du Québec représentée / en %

2019

2020

2021

Total

Québec

839 310 / 9,7%

206

165

186

557

Saguenay

147 361 / 1,7%

88

73

894

1 055

Sûreté du Québec

2 638 090 / 30,6%

3 073

4 172

4 505

11 750

 

La SQ sur la ligne de feu

On constate le rôle prépondérant de la Sûreté du Québec, qui dessert à la fois la plus grande partie du territoire et celle dont la densité de population est la plus faible. C'est logique. Les contrevenants résident un peu partout, y compris dans les agglomérations urbaines, mais dès le printemps venu, ils prennent d'assaut les régions, avides de liberté et de grands espaces.

Il en va de même pour les motoneigistes quand l'hiver bat son plein. Pour cette catégorie de véhicules hors route, les amendes atteignent jusqu'à 500$ depuis décembre dernier!

Le nombre croissant de constats d'infraction administrés ces trois dernières années démontre que les agents de la Sûreté sont proactifs dans les secteurs névralgiques. Depuis 2018, ils sont tous formés et outillés pour faire appliquer la réglementation concernant les nuisances sonores. La plupart des contrevenants interceptés sont d'ailleurs bien au fait de la non-conformité de leur pot d'échappement. Certains récidivistes prévoient même un budget annuel à cet effet tant ils sont accros au rugissement de leur machine, devenu symbole de puissance.

Nombreux sont les motards qui invoquent la nécessité de faire beaucoup de bruit pour pallier leur manque de visibilité sur la route, un argument pourtant contredit par les statistiques sur les accidents impliquant les deux-roues.
 

Saguenay donne le ton

Étant résident au Saguenay, je savais que notre municipalité était très affectée par le problème des silencieux modifiés. J'ignorais cependant l'ampleur des moyens déployés pour y remédier. Selon les données recueillies, il ressort que notre service de police a surpassé, toutes proportions gardées, son homologue provincial avec un bond spectaculaire du nombre de contraventions émises en 2021.

Comme bien d'autres destinations de vacances, Saguenay attire les motards en quête d'évasion. Ils ne sont pas les seuls : on voit dans nos rues un nombre croissant de voitures sport ultra performantes, inspirées des modèles de compétition. À la tombée du jour, les courses qui s'organisent sur certaines artères s'entendent à des kilomètres à la ronde.

De nombreux ados enfourchent également des scooters à échappement libre qui font autant de vacarme qu'un marteau-piqueur. Plutôt que d'intervenir au cas par cas, les policiers municipaux préfèrent aller les cueillir en groupe au sortir de l'école.

La Sûreté du Québec leur prête main-forte en périphérie. L'été dernier, notre journal régional faisait état d'une victoire importante, un juge ayant déclaré coupables sept conducteurs de Harley-Davidson interceptés sur l'autoroute 70 sur la seule base d'une inspection visuelle de leur équipement non conforme. La loi permet de passer outre à la mesure du bruit au moyen d'un sonomètre, mais elle n'avait pas encore été contestée juridiquement. La décision de la Cour du Québec rendue au palais de justice de notre municipalité est de nature à encourager d'autres corps policiers à intervenir.

Opérations sourdine

Pour la majorité de la population qui aspire légitimement à plus de quiétude, les policiers demeurent les meilleurs alliés sur le terrain. Nous n'avons aucune raison de douter de leur bonne volonté.

Mais les corps de police locaux ne sont pas les seules autorités concernées. Les plaintes contre le bruit peuvent être logées auprès des conseillers municipaux, des maires, des préfets de MRC, ainsi que des députés provinciaux. Tous ces décideurs peuvent orienter et soutenir les initiatives policières. Celles-ci devraient prévoir plus de barrages routiers à des fins de vérification mécanique, comme cela se fait pour la consommation de psychotropes au volant, ou le recours aux radars sonores.

Enfin, l'instauration de points d'inaptitude, en plus des amendes salées, contribuerait à refroidir l'ardeur des récidivistes les plus récalcitrants.

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