Miguel Angel Estrella, artiste pour la paix

2022/04/14 | Par Pierre Jasmin

Ce n’est pas par un impérialisme puéril que nous qualifions le pianiste argentin ainsi : car tel Mikis Theodorakis, ce musicien aussi invité au Canada par l’infatigable Maryvonne Kendergian pour l’organisme ATD Quart-Monde, a inspiré la création même des Artistes pour la paix. Récipiendaire du prix international de la paix des Nations unies, Estrella est un génie musical, dont la grandeur émane de la conviction que nous ne pouvons être créateurs d’art que dans une humanité de partage…UNESCO 3 novembre 2000.
 

Il fonde Musique Espérance pour une paix universelle

Notre admiration est totale face à ce musicien aux convictions humanistes qui l’amènent à élargir son auditoire au-delà des salles de concert, en jouant pour le public des milieux populaires : bidonvilles, prisons, maisons de retraite, écoles, usines, étables même, afin de donner accès à la musique à ceux qui en sont privés du fait de leur situation ou condition sociale. Fils d’un père poète et d’une mère institutrice d’ascendance métissée, son exemple essaimera au Venezuela avec el sistema.

En 1977, suspect de sympathie socialisante, il est arrêté par les militaires en Uruguay et devient un « disparu », torturé par un traitement spécial appliqué à ses mains, dont il retrouvera l’usage par un patient réapprentissage. Grâce à une vaste campagne de solidarité par les musiciens du monde entier, dont Yehudi Menuhin et Henri Dutilleux, et par de grandes organisations comme l’UNESCO, il est libéré en 1980 et accueilli en France avec sa famille. Estrella met définitivement de côté l’aspect commercial de la musique au profit d’un engagement humanitaire profond. En 1982, il fonde l’association Musique Espérance qui a pour vocation de mettre la musique au service « des droits humains, de la paix et de la jeunesse ».

Son répertoire est éclectique : il interprète dans un même concert Mozart, Bach, Chopin ou Beethoven, qui se mêlent aux partitions de compositeurs contemporains, en particulier ceux d’Amérique Latine, comme Piazzola ou Aguirre.
 

Voici trois critiques qui ont accueilli sa musique :

Ce serait peu dire qu’il s’agissait du plus beau concert de l’année. La rencontre du célèbre pianiste argentin M. A. Estrella avec le public montréalais fut un rare moment de communion musicale. (...) Faire surgir la musique du silence, (...) voilà le colossal et merveilleux défi de l’un des plus grands interprètes de notre temps : M.A. Estrella. Il le relève avec une incommensurable modestie. Carol Bergeron, Le Devoir.

Le piano d’Estrella, c’est toujours l’épopée de l’homme aux mains nues! Jacques Longchampt, Le Monde, Paris.

Estrella fait partie d’une catégorie particulière d’artistes, de ceux dont il n’y a qu’un ou deux par génération : les musiciens de l’intérieur, les musiciens de l’âme. (...) Chez Estrella, il y a ce juste dosage d’affirmation, de jubilation, de grandeur et d’autorité. Grégory Thomas, Le Monde de la musique, Paris.
 

Solidarités à la cause palestinienne

J’ai retrouvé deux courriels échangés en 2010 sur la situation désespérée palestinienne :

Miguel,

merci de ton mot encourageant dans cette situation très difficile, comme tu peux mieux que moi l'imaginer. Même dans notre mouvement, il faut toujours revenir à la charge pour que chacun accepte la prise de position à laquelle nous sommes arrivés après mûres réflexions.

Lundi il y a une semaine, j'ai invité à manger le président de l'Université palestinienne de Bir-Zeit, M. Gaby Baramki et sa femme Haïfa. Ils m'ont longuement expliqué pourquoi ils croyaient en les vertus d'un boycott total (BDS) et m'ont même invité à donner un concert à Ramallah, mais je leur ai répondu par courriel que la liberté des artistes d'exprimer la dimension humaine qui n'est ni blanche ni noire devait primer, selon nous [l’appartenance à un organisme plus politique qu’artistique].

Heureusement, nous avons reçu l'appui entier de l'écrivaine canadienne la plus connue au monde (Booker prize, doctorats honorifiques d'une douzaine d'universités à travers le monde) madame Margaret Atwood, vice-présidente de PEN international, avec qui j'ai échangé sur ce sujet deux cents pages de mails depuis trois mois.

Inclure ton nom, comme tu l'as saisi, ne signifiait nullement que tu endossais notre position, mais je l'ai fait pour saluer ta détermination légendaire et ton courage politique et culturel !

Mes hommages respectueux,

d'un admirateur depuis bientôt près d'un demi-siècle

Pierre

PS Je ne me souviens pas si je t'ai envoyé l'annexe datée du 28 mai (rapport à l'ONU), trois jours avant l'arraisonnement de la flottille humanitaire. Peut-être aurais-je dû l'envoyer à l'UNESCO ? ______________

De: Estrella, Miguel Angel [m.estrella.ar@unesco-delegations.org]
Date: mer. 2010-07-07 06:57
À: Jasmin, Pierre
Objet : Nouvelles de Buenos Aires

Mon très cher Pierre,

Ton mail sur la position des Artistes pour la Paix concernant le boycottage culturel m’émeut, comme tu peux l’imaginer. Tu as bien fait d’inclure mon nom.

En ce moment je suis en Argentine pour les événements du Bicentenaire.

Je pense souvent à toi car nous ne sommes pas des tonnes dans notre métier à nous occuper de la marche du monde et à lui apporter le meilleur de nous-mêmes.

J’espère fermement que nos chemins se croiseront dans l’avenir prochain. Inch’Allah !
Mon cher Pierre, embrasse tous les tiens, je sais comme tu les aimes, d’un amour réciproque. Près de vous,

Miguel Angel  

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Avec Margaret Atwood et PEN Club international, les Artistes pour la Paix sont d’avis que le boycott culturel contre les artistes israéliens peut être contreproductif, vu que l’artiste est par essence subversif (l’art est facteur de pacification!). Quant aux artistes qui choisissent de boycotter Israël, on les appuie, sans toutefois condamner ceux ou celles qui optent pour le dialogue. Car nous avions été choqués des accusations injurieuses contre le chanteur Leonard Cohen par le BDS, alors que ses chansons ne peuvent à nos yeux qu’ouvrir ceux qui manquent d’humanité (on lira les traductions de Michel Garneau de ce poète). Nous réitérons notre appui entier à Music in ME (music in Middle-East du hollandais Franz Wolfkamp), aux chefs d’orchestre israélo-palestinien Daniel Barenboim avec son West-Divan Orchestra et Miguel Angel Estrella qui crée aussi en 2002 l’Orchestre symphonique international pour la paix au Proche-Orient, regroupant de jeunes musiciens de 18 à 30 ans d’origines palestinienne, arabe et israélienne afin de coopérer au processus de paix du Moyen-Orient. Ils luttent tous trois pour la paix en Israël et pour la justice envers les Palestiniens. Par cette énumération, il est bien clair qu’il ne s’agit pas de former une liste d’exceptions au boycott, mais bien de lancer des réserves face au boycott des idées, des intellectuels ou des artistes en général avec une intransigeance qui peut parfois nuire à la cause complexe de la paix. Nous comprenons très bien que cette intransigeance puisse être hélas nourrie par le mépris de certains alliés autoproclamés d’Israël et de son gouvernement d’extrême-droite. Constatons comment le gouvernement Harper n’a pas hésité à démolir dans le dernier budget fédéral le Centre Droits et Démocraties. Nous avions manifesté devant ses bureaux rue Maisonneuve en 2010 suite à la mort troublante de Rémy Beauregard, accusé par les sbires nommés au C.A. par les Conservateurs d’être trop partial face aux Palestiniens dont il n’encourageait pourtant que l’expression démocratique par les urnes. Paix à son âme. 

(tiré d’une publication APLP 2010).