Climat : Ni mentir ni jouer à l’autruche

2022/04/22 | Par Jacques Benoit

L’auteur est membre de GMob (GroupMobilisation)
 

Dans La Tribune du 14 avril dernier, un chroniqueur tente d’excuser l’autorisation du projet Bay du Nord par Steven Guilbeault, en nous assénant, dès ses premiers mots, ce qu’il nomme une « vérité » : on aurait besoin de pétrole et de gaz pour au moins les 30 prochaines années en quantité aussi grande qu’aujourd’hui, et même encore par la suite. S’en suit une liste des usages des fossiles dans la société démontrant qu’abandonner ces énergies serait bien trop exigeant. Puis il accuse les tenants des réductions drastiques de « gauche radicale à la pensée magique », leur opposant une droite radicale qu’il qualifie de négationniste et cupide, afin de conclure que «l’avenir de la planète se situe un peu entre les deux spectres politiques, ni à gauche ni à droite, mais au centre» comme il l’a toujours prôné.

Ça peut sembler rassurant d’avoir un tel positionnement mesuré, loin des extrêmes… Sauf que ce positionnement est surtout très loin des extrêmes météorologiques et climatiques qui nous assaillent déjà d’un bout à l’autre de la planète, et qui vont augmentant et s’aggravant !

Le Royal Institute of International Affairs, plus connu sous le nom de Chatham House, difficilement qualifiable d'extrême gauche, a publié l’automne dernier le rapport « Évaluation des risques liés au changement climatique 2021  ». 

Dans la présentation, on lit que si les pays fortement émetteurs ne s’empressent pas de réduire vigoureusement leurs émissions de GES, « il y a moins de 5 % de chances de maintenir les températures bien en dessous de 2 °C au-dessus des niveaux préindustriels, et moins de 1 % de chances d'atteindre l'objectif de 1,5 °C fixé par l’Accord de Paris de 2015. »

Les auteurs ajoutent qu’à défaut d’agir, beaucoup d’impacts des changements climatiques « deviendront si graves qu'ils dépasseront les limites de ce à quoi les nations peuvent s'adapter [avec des] conséquences physiques et socioéconomiques immédiates [pouvant] affecter des systèmes entiers, y compris les personnes, les infrastructures, l'économie, les systèmes sociétaux et les écosystèmes.»

Le message de l'Agence internationale de l'énergie, dont on dit que l’autorité est très respectée par les gouvernements et l'industrie, avait aussi été clair il y a près d’un an : « Fini de creuser de nouveaux forages pétroliers ou gaziers.  » Pourtant, le 12 avril, Euronews titrait « Sept nouveaux projets pétroliers et gaziers approuvés depuis que le rapport du GIEC appelle à la fin des combustibles fossiles ».

Il y a des trous dans notre chaloupe qui prend l’eau. Qu’est-ce qu’on fait ? On en perce d’autres !

Ni notre chroniqueur, ni Steven Guilbeault, ni les dirigeant.e.s du monde entier, personne ne tient compte de l’état d’urgence de la situation climatique. Comme des médecins dont le patient serait atteint de la bactérie mangeuse de chair qui prendraient tout leur temps à discuter des avantages ou désavantages d’une amputation, plus ou moins grande, plus ou moins rapide, ou de consulter plusieurs autres collègues, ou de la possibilité de l’arrivée d’un vaccin, etc. Au final, la situation se règlerait d’elle-même et rapidement: le patient décéderait ! Parce qu’il y avait urgence.

De la même manière, nous sommes en situation d’urgence. Il y a des processus qui conditionnent l’équilibre du système Terre et climat, des limites planétaires à ne pas franchir. Des points de basculement pour ces limites existent. On peut discuter sur ceux que nous avons ou non déjà franchis, mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’ils sont tous reliés les uns aux autres, pouvant entraîner une cascade, un effet domino entre eux, et qu’une fois franchis, il n’y a pas de retour en arrière.

Notre chroniqueur écrivait aussi, un peu moraliste, que ça prenait « du concret, pas juste de l’indignation.»

C’est ce que propose le Plan de la DUC, un plan d’urgence climatique concret. L’introduction à ce plan, nommé « Last call climatique » indique bien ce qu’il faut faire, et surtout, qu’il n’y a pas de temps à perdre pour le faire.

En résumé : si une crise est un événement brusque et exceptionnel, d’une durée variable, mais qui a une fin et dont on peut se remettre quand elle est terminée, une catastrophe est plutôt une coupure définitive du déroulement normal des choses, et dont les conséquences seront irréparables.

Soyons clairs : ou nous nous contraignons maintenant à effectuer les difficiles, mais nécessaires transformations sociétales, ou nous attendons que la catastrophe climatique s’en occupe pour nous.