Lentement, mais sûrement, Ottawa abandonne les femmes

2022/05/06 | Par Marie-Claude Girard

L’autrice est retraitée de la Commission canadienne des droits de la personne
 

Par ses prises de position en faveur du « genre », de la marchandisation du corps des femmes et du respect absolu des pratiques religieuses sexistes, Ottawa abandonne lentement, mais sûrement, les droits à l’égalité et à la dignité des femmes. Les mesures annoncées dans son budget 2022 renforcent cet état de fait.
 

Préséance de la notion de « genre » sur celle de « sexe »

En 2017, le gouvernent fédéral a ajouté, avec raison, l’identité et l’expression du genre aux motifs illicites de discrimination dans la Charte canadienne des droits et libertés. Le « genre » (construction sociale) et le « sexe » (notion biologique) sont donc maintenant deux concepts distincts reconnus par nos Chartes. Depuis ce temps, malgré les craintes soulevées par plusieurs, le gouvernement fédéral donne préséance à la notion du « genre », plutôt que de tenir compte de ces deux notions de façon distincte.

Les ministères ont en effet reçu instruction de privilégier l’identifiant de genre des individus plutôt que celui du sexe dans le développement de politiques1. Cette mise à l’écart du référant « sexe » a comme conséquence de désincarner les femmes. On évite ainsi de plus en plus d’utiliser le terme femme pour le remplacer par « personnes enceintes, qui allaitent ou qui menstruent ». L’intégrité physique des femmes n’existe plus et les données sur leur réalité disparaissent.

Le cas des prisons fédérales est frappant. Les criminels et les abuseurs qui choisissent de s’identifier comme femme peuvent maintenant être admis dans des prisons pour femmes2. Les rapports des services pénitenciers ne précisent d’aucune façon s’il s’agit d’une personne qui s’identifie au genre féminin ou s’il s’agit véritablement d’une femme et ce, même dans les cas d’agressions sexuelles ou autres3. Difficile, dans un tel contexte, de trouver des solutions pérennes adaptées aux réalités relatives à chacun des deux groupes visés.

Cette tendance à gommer l’existence des femmes biologiques plutôt que de reconnaître les spécificités propres à chacun des deux groupes est aussi perceptible dans le budget 2022. En effet, le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe a été renommé Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le genre, pour plus d’inclusivité4. Rappelons que les femmes ont dû et continuent de se battre pour éliminer les stéréotypes sexistes. Or, ce sont ces mêmes stéréotypes qui sont utilisés pour définir le « genre ». Remplacer le mot « sexe » par « genre », dans un plan d’action national qui les concerne, constitue un recul évident et un affront de taille pour les femmes. Il aurait été beaucoup plus respectueux d’avoir deux plans d’action distincts.
 

Marchandisation du corps de la femme

En reconnaissant juridiquement le « travail du sexe » et les « mères-porteuses », Ottawa ferme les yeux sur la marchandisation du corps des femmes. On sépare ainsi la femme de son enveloppe charnelle pour en faire une industrie. Le proxénète devient un « entrepreneur » 5 et ceux qui louent l’utérus des femmes, des « parents d’intention ». N’y a-t-il pas là atteinte à la dignité des femmes, pourtant protégée par nos Chartes ? Il est vrai que certaines d’entre elles acceptent volontairement de participer à ces industries très lucratives (pas pour elles, mais pour ces industries), mais on semble faire peu de cas des conditions qui les ont menées à faire ces choix ou de celles qui sont forcées, d’une manière ou d’une autre, à y participer.

Plusieurs se lèvent contre cette exploitation éhontée du corps des femmes, dont la Coalition Internationale pour l’Abolition de la Maternité de Substitution6, mais ils n’ont pas l’oreille d’Ottawa. Pire encore, Ottawa en rajoute et bonifie, dans son budget 2022, le Crédit d’impôt pour frais médicaux à la maternité de substitution et autres frais, favorisant ainsi cette exploitation du corps de la femme. Décidément, les femmes n’ont pas la cote.
 

Multiculturalisme avant droit des femmes à l’égalité

Alors que des féministes ont obtenu, en 1982, l’ajout du droit à l’égalité entre les sexes dans la Constitution canadienne pour contrer les effets possibles du multiculturalisme, Ottawa ne cesse de privilégier la protection des pratiques culturelles ou religieuses sexistes, au détriment des droits des femmes.

Ainsi, depuis 2015, le gouvernement avalise les pratiques religieuses et culturelles sexistes, qui mettent à mal la dignité des femmes, en autorisant l’octroi de la citoyenneté canadienne et le vote aux élections fédérales aux femmes à visage couvert. De plus, en condamnant, sur tous les fronts, la Loi sur la laïcité de l’État dont l’un des principes est l’égalité entre les citoyens et les citoyennes, le fédéral privilégie le respect des symboles religieux sexistes au droit des femmes à l’égalité.

De surcroît, peu sensible aux conflits potentiels entre le multiculturalisme et les droits des femmes, Ottawa a choisi dans son budget 2022, d’augmenter le financement de projets communautaires qui s’avèrent parfois contradictoires aux droits des femmes.

La société évolue et se veut de plus en plus inclusive, mais cela ne doit d’aucune façon se faire au détriment de l’essence même des femmes définies sur leur sexe.