Legault veut les pleins pouvoirs en immigration

2022/05/13 | Par Anne Michèle Meggs

Ancienne directrice de la planification et de la reddition de comptes
Ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration

 

Un récent article du Devoir nous rappelait que François Legault veut le plein contrôle de l'immigration au Québec et que le ministre Jean Boulet veut ouvrir et renégocier l'Accord Canada-Québec sur l'immigration de 1991. Justin Trudeau a déjà rejeté l’idée de déléguer davantage de pouvoirs à Québec. Est-ce que le Québec profite pleinement des pouvoirs déjà accordé par l’Accord?

Celui-ci a été négocié en 1989 pendant qu’on attendait l'approbation des législatures provinciales à l'Accord du Lac Meech qui visait à obtenir la signature du Québec sur le rapatriement constitutionnel de 1982. Il a été conçu comme la mise en œuvre du deuxième point de Meech qui portait sur l’immigration et se lisait comme suit :

2.  Dans les meilleurs délais, le gouvernement du Canada conclura avec celui du Québec une entente qui :

          a)  incorporera les principes de l'entente Cullen-Couture en ce qui concerne la sélection à l'étranger et au Canada des immigrants indépendants, des visiteurs admis pour soins médicaux, des étudiants et des travailleurs temporaires, et la sélection des réfugiés à l'étranger ainsi que les critères économiques régissant la réunification des familles et les parents aidés;

        b)  garantira au Québec, sur le total annuel établi par le gouvernement fédéral pour l'ensemble du Canada, un nombre d'immigrants, y compris les réfugiés, proportionnel à sa part de la population canadienne, avec droit de dépasser ce chiffre de cinq pour cent pour des raisons démographiques;

       c)  engagera le Canada à retirer les services - à l'exception de ceux qui sont relatifs à la citoyenneté - de réception et d'intégration, y compris l'intégration linguistique et culturelle, des ressortissants étrangers désireux de s'établir au Québec lorsque des services sont fournis par le Québec, pareil retrait devant s'accompagner d'une juste compensation.
 

Le gouvernement du Canada et celui du Québec prendront ensuite les mesures nécessaires pour donner, conformément au projet de modification, force de loi à l'entente.

À l'époque, il avait été décidé d'aller de l'avant avec l'Accord Canada-Québec sur l'immigration malgré l'échec de Meech en 1990. Il était donc perçu par les deux gouvernements comme un accord quasi constitutionnel, déléguant au Québec tous les pouvoirs dont il aurait besoin pour s'assurer que l'immigration dans la province n'aurait pas d'effets négatifs à long terme sur son caractère de «société distincte».

Le contexte fédéral-provincial a beaucoup changé depuis 1991. L’esprit original a été oublié en grande partie par les deux parties, surtout en ce qui concerne l’immigration temporaire, devenue aujourd’hui un enjeu critique. Entretemps, l'Accord Canada-Québec a fait l'envie des autres provinces, notamment en ce qui concerne la compensation financière. Rappelons que le gouvernement canadien s’engageait à se retirer des services d’accueil et d’intégration linguistique, culturelle et socio-économique offerts aux résidents permanents présents au Québec et d’accorder une juste compensation pour ces services.

La formule utilisée pour calculer le transfert annuel au Québec fixe comme plancher le montant transféré l'année précédente. Le montant du transfert ne baisse donc jamais, même quand le Québec accueille moins d'immigrants. Il ne peut qu’augmenter. C'est la principale raison pour laquelle aucun gouvernement du Québec n'a jamais suggéré de rouvrir l'entente. De plus, contrairement aux ententes fédérales-provinciales administratives signées par la suite, il est d’une durée illimitée. Aucune obligation, par exemple, de le renouveler tous les cinq ans.

L’Accord a été durable en dépit de l’évolution du système d’immigration canadien depuis sa signature. Par exemple, il mentionne un rôle pour le Québec dans le programme des « parents aidés », un programme qui n’existe plus. Les parties «reconnaissent que les demandes de droit d’établissement doivent normalement être déposées et étudiées à l’étranger», même si cette condition a été éliminée il y a plusieurs années. Les demandes d’immigration permanente peuvent se faire sur place.

Il va de soi donc que si un nouveau programme est créé par le gouvernement canadien, il devrait être réputé d’être inclus dans l’Accord. Prenons l’exemple d’immigration temporaire. Il est clair dans l’Entente Cullen-Couture, l’Accord du Lac Meech et dans l’Accord Canada-Québec, que le Québec avait un droit de consentement sur toutes les demandes présentées dans le cadre de tous les programmes existants d’immigration temporaire pour études, pour le travail et pour les cas médicaux. Ce consentement est accordé par la délivrance d’un certificat d’acceptation du Québec (CAQ).

Dans les années 80 et 90, les deux gouvernements s’entendaient pour n'émettre un visa d’emploi à une personne de l’étranger « que si aucun citoyen ou résident permanent du Canada (n’était) disponible localement, ne peut être relocalisé, ou formé pour combler l’emploi offert ». (Annexe I, Cullen-Couture) Ce principe, bien dilué aujourd’hui, s’applique toujours au Programme des travailleurs étranger temporaires, et le Québec délivre un CAQ à chaque personne embauchée dans le cadre de ce programme.

Pourtant, il y a quelques années, le gouvernement fédéral a créé le Programme de mobilité international qui accorde des permis de travail temporaires qui ne sont pas liés aux besoins du marché du travail. Pour une raison inconnue, ce programme n’a pas été pris en compte dans la gestion de l’Accord Canada-Québec. Le Québec ne délivre donc pas de CAQ à ces personnes. Des dizaines de milliers de personnes de l’étranger arrivent au Québec chaque année dans le cadre de ce programme, mais non seulement le Québec ne donne pas son consentement, les données dénominalisées fournies par le fédéral sont incomplètes et donc non fiables, particulièrement en ce qui concerne la langue et la catégorie professionnelle. Il ne devrait pas être nécessaire d’ouvrir l’Accord pour corriger cette situation.

Pourquoi le gouvernement actuel du Québec veut-il les pleins pouvoirs en matière d'immigration? La seule raison invoquée est de pouvoir exiger la connaissance du français des parents parrainés dans le cadre du programme de réunification familiale. Or, il existe bien d'autres façons de faciliter et d'encourager l'apprentissage du français dans cette catégorie sans aller jusqu'à un refus pur et simple, et, disons-le, indigne, de la réunification des conjointes, conjoints ou parents.

Le gouvernement n’a jamais dévoilé ce qu’il ferait avec tous les pouvoirs par exemple en matière d'immigration humanitaire ou même temporaire. Si l’on se fie à ses positions jusqu'à présent sur l'immigration temporaire, il compte peut-être s’y ouvrir encore davantage, même si la langue ne semble pas si importante lorsqu'il s'agit des permis d’études ou des permis de travail fermés.

Il est également impossible de concevoir qu’un gouvernement infranational ait un contrôle total sur l'immigration. Beaucoup trop d’enjeux sont déterminés aux niveaux national et international, y compris les engagements humanitaires, le Pacte sur les migrations, l’ouverture et la fermeture des frontières, les expulsions, la citoyenneté/nationalité, les règles internationales en matière de santé et de sécurité. Au Canada, la Constitution de 1867 va plus loin que d’autres constitutions en permettant aux provinces de légiférer dans ce domaine aux côtés du gouvernement fédéral, mais toute législation provinciale doit être compatible avec les lois fédérales.

Le gouvernement du Québec serait mieux avisé de commencer en occupant pleinement ses pouvoirs actuels, même en matière d'immigration temporaire et d’immigration francophone, dans le cadre et l'esprit de l'Accord de 1991. Il est téméraire de penser qu'il en sortirait gagnant si l'Accord était rouvert.