Répression antisyndicale à la SQDC

2022/06/10 | Par Orian Dorais

Il y a quelques mois, en novembre 2021, j'ai rédigé un article sur la grève des travailleurs d'entrepôt de la SAQ. J'ai été choqué d'apprendre à quel point leurs conditions de travail sont indignes de celles attendues d'une société d'État. Aujourd'hui, ce sont les syndiqués, affiliés au SCFP, de vingt-deux succursales de la SQDC qui ont voté pour un mandat de grève générale illimitée, et ce jusqu'à la signature d'une entente avec l'employeur. Je les ai trouvés audacieux de prendre cette décision au début de l'été, alors qu'avec les vacances et les nombreuses festivités estivales, la demande en cannabis va augmenter. Mais comment les choses en sont-elles arrivées là ? Il faut croire qu'encore une fois, les conditions dans une société d'État sont moins alléchantes qu'on pourrait le croire. Je m'entretiens donc à ce sujet avec David Clément, président du Syndicat des employé.e.s de la SQDC, affilié au Syndicat canadien de la Fonction publique (SCFP 5454-FTQ).

O. : En commençant, M. Clément, pourriez-vous me faire l'historique de la syndicalisation à la SQDC ? C'est un phénomène plutôt récent.

D.C. : Comme vous savez, les premières succursales de la SQDC ouvrent à l'automne 2018. Dès le début 2019, il commence à y avoir des efforts de syndicalisation. En septembre 2019, on s'est regroupé et on a formé un syndicat uni, dont je suis président et qui représente aujourd'hui 26 succursales. D’autres succursales sont avec la CSN. En tout, c'est presque la moitié des magasins de la SQDC qui sont syndiquées et on continue de grossir les rangs assez rapidement. Je rappelle qu'en 2019, on est passé de deux boutiques en négos pour une convention collective à une trentaine, en l'espace de quelques mois.

Cette première convention, d'une durée de deux ans, a été signée en décembre 2019. Bon, c'est certain que la COVID a provoqué une baisse du recrutement syndical, notamment parce que les mesures sanitaires limitaient les déplacements; donc, c'était difficile, par exemple, pour nos membres d'aller parler de vive voix à leurs collègues non syndiqués, pour les convaincre d'adhérer. Depuis que les mesures sont relâchées, trois nouvelles boutiques se sont jointes à nous. Faut dire que la visibilité qui vient avec les moyens de pression a aidé, je rappelle qu'on est sans convention collective depuis plus de six mois...

O. : Oui, et c'est décevant de la part de la SQDC mais, comme je le disais en introduction, les travailleurs de la SAQ-Entrepôt m'ont appris que ce n'est pas toujours rose de travailler pour une société d'État. Et, de ce que j'en comprends, les conditions sont aussi mauvaises, voire pires, sur certains plans, chez vous...

D.C. : Oui, à la SAQ-entrepôt ils ont réglé avec une entente; bon, ce n’est pas le Klondike, mais ça commence à ressembler à un salaire décent. Nous, on veut suivre leur exemple, on veut aussi une paie à la hauteur du service qu'on fournit. Mais, à chaque fois qu'on se compare à la SAQ, l'employeur nous sort une ligne un peu paternaliste comme quoi, à la SAQ ça fait « 100 ans qu'ils négocient ». Donc, c'est normal qu'ils aient de meilleures conditions et, qu'avec le temps, on va les avoir aussi.

C'est fallacieux comme argument; je veux dire, peu importe, depuis quand on existe, on a le droit à des conditions égales pour un travail similaire. Mais les patrons de la SQDC rêvent de créer la première société d'État gérée entièrement comme une entreprise privée, ce qui se traduit souvent par « on veut le maximum de profits possible, avec moins de syndicats ». Ils voient les employés, non pas comme des professionnels, mais bien comme des commerçants de détail. J'ai des commis qui rentrent, exemple à Rimouski, en se disant qu'ils vont avoir une paie décente, un fonds de pension et des vacances payées, etc.. Mais après deux semaines, ils quittent et deviennent plongeurs chez Normandin. Parce que les salaires sont carrément plus avantageux là-bas ! Au même moment, le président de la SQDC fait 305 000 $ par année. Donc, non, c'est pas joyeux de travailler pour une société d'État dans ce contexte-là.

O. : Donc, vous revendiquez une augmentation de salaire ?

D.C. : Oui, on veut un salaire d'entrée à 23 $ de l'heure, ce qui est au niveau de la SAQ. Et l'échelon le plus élevé à 30 $/l'heure. Mais on veut aussi une meilleure conciliation travail-vie personnelle, notamment avec plus de stabilité. Par exemple, les journées et les heures de travail changent chaque semaine. Une semaine, je peux travailler un mardi soir, la suivante, pouf, mon horaire a changé et je suis libre le mardi soir, mais il faut que je rentre le jeudi matin...

Comment prévoir nos horaires personnels, alors que les journées et les heures de travail ne sont pas constantes de semaine en semaine ? Sinon, le style de la SQDC est vraiment militaire. Sur des journées de presque huit heures, les travailleurs ont deux pauses de quinze minutes. Le reste du temps, il faut travailler, toujours debout et avec beaucoup de déplacements. Bonne chance si tu veux prendre une minute dehors pour souffler. J'ai des gens qui me disent que même chez McDonald ou chez Couche-Tard, c'est moins sévère. Et les préjugés contre les syndicats sont très forts du côté de la part patronale.

O. : Donc, la répression antisyndicale est assez répandue à la Société ?

D.C. : Oui ! D'abord, une de nos revendications est que, lorsqu’il y a un transfert d'employé d'une succursale syndiquée à une non-syndiquée, comme lors d'un déménagement, l'employé transféré puisse demeurer membre du syndicat. Mais les patrons n'aiment pas cette idée, ils ne veulent pas que les employés hors union soient en contact avec nos membres, parce que ça leur montre les avantages d'adhérer à un syndicat. Sinon, dans les derniers mois, certains de nos membres ont carrément reçu des mises en demeure pour avoir parlé du syndicat à des non-membres.

L'employeur veut aussi interdire aux employés de discuter de syndicalisme avec la clientèle. Mais – je m'excuse ! – avec les clients, on a le droit de discuter de sport, de politique... et de nos conditions de travail. Certains gestionnaires menacent de suspendre des employés qui parlent de l'union entre eux. Sinon, en avril 2022, les patrons ont utilisé une manœuvre assez dégueulasse : ils ont pris des revendications que le syndicat a déposées à la table de négociations et les ont offertes aux employés non syndiqués. Ça veut dire que les non-syndiqués ont des droits que les syndiqués n'ont pas encore, parce que notre entente n'est pas signée. Donc l'employeur envoie le message que, pour avoir de bonnes conditions, c'est pas nécessaire de rejoindre l'union... tout en reprenant des propositions qu'on a faites au départ !

O. : Est-ce que les tactiques d'intimidation ont fonctionné ?

D.C. : Au contraire, les membres sont plus mobilisés. Comme je disais, on a signé trois nouvelles succursales. On augmente les moyens de pression, en mettant des macarons de protestation, en faisant signer des pétitions et refusant de porter l'uniforme. En fait, on avait des journées thématiques : certains jours les employés rentraient en pyjama ou habillés en vaches, en fruits, en Fraisinette... D'ailleurs, les patrons sont particulièrement remontés contre le non-respect de l'uniforme. À un moment, ils ont suspendu sans solde des dizaines d'employés, partout à travers la province, parce qu'ils portaient des shorts ou des robes, dans le cadre des moyens de pression. J'ai moi-même subi ce traitement-là.

Officiellement, on a été suspendu « le temps d'une enquête » parce qu'un avis de la CNESST disait que notre tenue était « dangereuse ». On n'a jamais vu cet avis-là et l'enquête n'a jamais eu de suite. C'était clairement une méthode de répression. Nos membres habillés « correctement » étaient tellement fâchés qu'ils faisaient exprès de remonter leurs pantalons au niveau des mollets, pour faire comme s'ils portaient des shorts, en solidarité avec leurs collègues. Les membres qui ont fait ça ont aussi été suspendus aussi, donc ils sont venus faire du piquetage à la porte. C'était quand même brave, parce que les gens ont manqué des heures de travail. J'ai entendu parler que des syndiqués ont vu leur chèque de 950 $ diminuer à 325 $, pour le port de shorts ! Au total, sur 300 membres, 115 ont été suspendus.

O. : J'espère que vous avez déposé un grief !

D.C. : Oui, pis on va le gagner. Et je rappelle que la moyenne d'âge de nos membres est de 30 ans, donc beaucoup d'entre eux ont vécu le Printemps Érable. Ils ont gardé la mentalité contestataire. Ça me donne de l'espoir. Je pense que dans un avenir proche, on va réussir à syndiquer encore plus de succursales et, j'espère, qu’on va réussir à partir en vacances fin juin, avec une entente signée. Mais si l'employeur veut faire traîner les choses, on va continuer à lui mettre de la pression.