Tournée d’unité irlandaise

2022/06/10 | Par Sean O’Donoghue

Les élections législatives nord-irlandaises de 2022 ont eu lieu le 5 mai 2022 afin de renouveler l'Assemblée d'Irlande du Nord qui siège au Palais de Stormont, Belfast. Le résultat fut historique car, pour la première fois, un parti républicain, le Sinn Féin, a obtenu le plus de votes entre tous les partis. Il a comme objectif la réunification du Nord et du Sud pour former une seule Irlande.

Nous avons rencontré, à Montréal, la députée du Sinn Féin pour le comté de West Tyrone en Irlande du Nord Órfhlaith Begley lors de sa tournée au Québec du 26 au 30 mai. Elle s’est aussi rendue à Québec où elle a rencontré des élus de l’Assemblée nationale et participé à des événements publics. Cette visite est la première d’une série sous le nom Tournée d’unité irlandaise organisée par les Amis du Sinn Féin.

Mme Begley a été élue pour la première fois lors d’une élection partielle de 2018, réélue en 2019 et encore lors de l’élection historique du 5 mai dernier.

Ces visites sont d’une importance capitale pour le parti et l’avenir de l’Irlande. Elles visent à expliquer le processus qui devra mener à un référendum sur l’unification de leur île, partitionnée depuis 1921, l’année de l’indépendance de l’Irlande, et pour obtenir les appuis et d’assurer le respect de l’Accord du Vendredi saint et du processus référendaire.

Suite à la partition de l’île en 1921, l’Irlande du Nord est devenue un État orangiste qui, par des lois successives, a créé deux catégories de citoyens, d’une part les Unionistes protestants jouissant de tous les privilèges en emploi, éducation et vie politique et, de l’autre, les catholiques relégués citoyens de seconde zone. Dans les années soixante, il y a eu le mouvement des droits civiques dont les confrontations violentes, les emprisonnements politiques et les grèves de la faim ont défrayé l’actualité partout à travers le monde. Pour mettre fin à cette période pendant laquelle il y a eu plus de 3 000 morts, les parties en cause ont signé l’Accord du Vendredi saint. Mme Begley, née en 1991, a grandi dans une société dans laquelle elle a pu jouir de ses droits, mais elle est consciente que l’Accord doit être protégé.

Elle nous a expliqué qu’un des résultats significatifs de l’Accord du Vendredi saint est que l’Irlande s’est dotée d’un système d’élections de type proportionnel, pour créer une Assemblée du partage du pouvoir (Power Sharing Assembly), une initiative surprenante surtout pour le Nord qui fait partie de la Grande-Bretagne où règne le système uninominal à un tour. C’est que depuis 1921, il se pratiquait le charcutage électoral et autres limitations du droit de vote qui touchaient les catholiques et qui favorisaient toujours les Unionistes. L’Accord stipule donc que le parti qui obtient le plus de votes nomme le premier ministre, le deuxième nommera le ou la deuxième ministre et ainsi de suite. Avant l’élection de 2022, l’exécutif était divisé entre cinq partis, ce qui reflétait la volonté populaire tout en tenant compte des particularités de l’Irlande du Nord.

Pour la première fois, un parti républicain, le Sinn Féin, est celui ayant recueilli le plus de votes et il a donc nommé Michelle O’Neill comme première ministre, mais le processus est bloqué, car le parti unioniste, le DUP (Democratic Unionist Party) refuse de nommer un second ministre. Ceci est dénoncé par le Sinn Féin comme un manque de respect de la volonté populaire exprimée lors des élections. La députée Begley a expliqué que le DUP unioniste jouit de la complicité du gouvernement du Royaume-Uni de Boris Johnson.

Le DUP s’objecte à former un gouvernement à cause du Protocol, une entente qui découle de l’Accord du Vendredi saint pour maintenir ouverte la frontière entre le Nord et le Sud et donne donc accès du Nord à l’Union européenne malgré la victoire du référendum sur le Brexit en 2016 par lequel la Grande-Bretagne s’en est retirée. Le Protocol dit aussi qu’en cas de réunification de l’île, l’Irlande entière sera automatiquement intégrée dans l’Union européenne.  Mme Begley nous a confié qu’il est important de savoir que tant au Nord qu’au Sud, la majorité ne voulait pas du Brexit et encore moins d’une frontière dure sur l’Île et qu’utiliser le Protocol comme excuse pour ne pas former le gouvernement va à l’encontre de la volonté populaire. L’impasse risque de durer des mois, car Johnson souligne « son problème » en Irlande pour gagner des points dans ses négociations de sortie de l’Union européenne.

Regardant vers le futur, le Sinn Féin souhaite et travaille pour qu’il y ait un dialogue social dans toute l’île ce qui mènera au référendum d’unification auquel participeront le Nord et le Sud. La tenue du référendum est aussi une des clauses de l’Accord du Vendredi saint. Lors du référendum sur le Brexit, beaucoup de gens ne savaient pas pour quoi ils votaient et le Sinn Féin veut s’assurer que ça ne se répète pas avec le référendum d’unification. Le parti veut une assemblée constituante pour favoriser le dialogue et la compréhension et pousse pour que le gouvernement du Sud en fasse la promotion, mais celui-ci ne bouge pas suffisamment. Cependant, l’idée progresse beaucoup dans la société civile. Par exemple, le gouvernement municipal de Dublin a adopté une motion en sa faveur à l’unanimité. Au Sud, le Sinn Féin, avec 24,5 % des suffrages exprimés, est le parti ayant récolté le plus de votes, mais il ne forme pas le gouvernement, les autres partis ayant formé une coalition.

L’Irlande vit une période effervescente et le Sinn Féin se positionne comme le parti de tous les citoyens. Le parti veut être à l’écoute de tous, incluant les Unionistes et les indécis, et prend en considération leurs appréhensions. Les Unionistes seront protégés et leur identité et leurs droits assurés et l’assemblée constituante citoyenne viserait à les rassurer.

Órfhlaith Begley a expliqué l’importance de la tournée pour le présent et l’avenir de l’Irlande et a remercié les députés d’Ottawa présents à la soirée publique dans un pub, soit Stéphane Bergeron et Xavier Barsalou-Duval du Bloc québécois et Alexandre Boulerice du Nouveau parti démocratique. Ceux-ci avaient déjà rencontré la députée Begley en privé. Ils étaient à la réunion publique pour réitérer leur appui et leur volonté d’assurer que le gouvernement canadien soit attentif à ce que la volonté des Irlandais et des Irlandaises soit respectée, même en mettant cela comme condition dans les pourparlers avec la Grande-Bretagne pour le futur traité de libre-échange avec le Royaume-Uni.

D’autres députés du Sinn Féin viendront à Ottawa en septembre, c’est à suivre.