Pierre-Olivier Pineau : Le Loup persiste et signe

2022/08/24 | Par Clément Fontaine

L’auteur est journaliste indépendant, résident du Saguenay et membre du Regroupement Des Universitaires
 

Le présent article s'inscrit dans la foulée de deux autres que j'ai consacrés à Pierre-Olivier Pineau et qui ont été publiés dans ce même journal, Le Loup dans la bergerie et Le Loup a frappé de nouveau.

L'émission de la rentrée de la Première chaîne de Radio-Canada Les Faits d'abord animée par Alain Gravel a présenté un débat entre Pierre-Olivier Pineau, professeur titulaire à la chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC Montréal, et Éric Tétrault, président de l'Association de l'énergie du Québec, un organisme essentiellement voué à la promotion des hydrocarbures.

La discussion portait sur la possibilité pour le Canada d'exporter du gaz naturel et de l'hydrogène vert à la demande de l'Allemagne afin d'assurer la sécurité de son approvisionnement en énergie, compromis depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie. On sait que Vladimir Poutine menace de fermer complètement le robinet du gaz en guise de représailles envers l'Occident, devenu partie prenante au conflit avec ses sanctions économiques et ses envois de matériel militaire.

Ce fut en réalité un faux débat radiophonique parce que les deux invités se sont avérés être du même avis à quelques nuances près. Je m'attendais à cela. Le professeur Pineau a toujours été partisan du développement des hydrocarbures au Québec, en dépit du fait qu'il plaide en même temps pour une réduction de la taille du parc automobile chez nous comme ailleurs.

Le professeur déplore notamment le fait que le gouvernement provincial actuel, pour lequel il agit pourtant comme conseiller, n'a pas eu le courage d'adopter des mesures coercitives, telle l'instauration d'une taxe dissuasive, dans le but de décourager l'achat des véhicules énergivores.
 

Le spectre de GNL Québec refait surface

Pierre-Olivier Pineau a répété en ondes être toujours favorable au projet de GNL Québec au Saguenay. Il souhaite le relancer, estimant que son acceptabilité serait meilleure dans la conjoncture géopolitique actuelle. Il croit cependant que c'est là une solution à moyen terme pour l'Allemagne puisque les infrastructures nécessaires à cette opération ne seraient pas prêtes avant plusieurs années.

Éric Tétrault se montre plus optimiste quant aux délais de livraison du GNL et sur ce point – ce point-là seulement – j'ai tendance à lui donner raison. Autrement, le chancelier Olaf Scholz ne se donnerait pas la peine de venir nous rendre visite ces jours-ci.

Les deux intervenants semblent croire que la guerre en Ukraine est appelée à perdurer. Il est pourtant permis d'espérer que l'offensive de Poutine se terminera dans un proche avenir avec la reddition des deux provinces pro-russes qu'il convoite. Les Allemands seraient alors tentés de reprendre les importations de gaz conventionnel russe acheminé par oléoduc, sachant qu'il est plus économique et moins émetteur de GES que celui issu de la fracturation hydraulique en provenance du Canada et des États-Unis.

Cette moindre valeur écologique du GNL en provenance de l'Alberta n'a pas été abordée par les deux invités durant l'émission et l'animateur n'a malheureusement pas soulevé cet aspect important dans le contexte de la lutte au réchauffement climatique.

Éric Tétrault a peut-être devancé les questions embarrassantes en insistant sur le fait que l'industrie canadienne mise beaucoup sur des innovations technologiques pour réduire l'empreinte carbone de son gaz naturel.

Il n'a pas précisé que le coût exorbitant de ces nouveaux procédés, qui sont encore au stade expérimental, devrait être en bonne partie défrayés par les contribuables dans le cadre de programmes de subventions gouvernementales pour la transition énergétique.

Dans ces conditions, est-ce que le jeu en vaut vraiment la chandelle?
 

Du bon usage de l'énergie canadienne

Examinons de plus près les besoins que nos exportations de gaz et d'hydrogène seraient appelées à combler.

Selon les données de l'Agence internationale de l'énergie concernant l'Allemagne en 2020, le secteur des ménages représentait 28,3% de la demande, les transports 28,4%, les industries 27,9% et les services 13,5%. L'agriculture et la pêche ne totalisent à eux un modeste 1,8%.

Même avec une baisse du niveau de ses importations en gaz et en pétrole russes, on peut supposer que l'Allemagne, grâce à ses réserves d'énergies et le GNL en provenance de la Norvège, peut répondre aux besoins de sa population en ce qui a trait aux services et des ménages (alimentation, logement, chauffage). D'autant plus que le gouvernement vient de mettre en place des mesures de rationnement d'énergie en prévision de l'hiver.

Par contre, le secteur des transports et celui des industries requièrent 56% des besoins en énergie.

Comme les transports carburent surtout au pétrole, cela signifie que le gaz naturel et l'hydrogène que le Canada pourrait vendre à l'Allemagne seraient en majeure partie destinés à son secteur industriel.

Or, les trois plus importantes entreprises en Allemagne sont des constructeurs automobiles. À commencer par Volkswagen qui domine le marché mondial avec ses modèles grand public et ses marques de prestige comme Audi, Porsche, Lamborghini et Bentley. Vient ensuite la société Daimler, qui produit notamment la Mercedes-Benz. BMW figure en troisième place.

En France, un autre pays de l'UE fortement industrialisé qui aimerait bénéficier des exportations d'hydrocarbures canadien en remplacement du nucléaire, la situation est analogue. Exception faite d'Électricité de France, ses entreprises les plus importantes appartiennent aux secteurs de l'automobile et de l'aéronautique : Stellantis (Peugeot, Citroën, groupe Fiat Chrysler), Airbus, Renault.
 

Un discours paradoxal

En somme, l'exportation du GNL et de l'hydrogène canadiens servirait surtout à maintenir les activités du grand capital industriel européen et plus particulièrement les chaînes de production de voitures qui, de l'avis même du Pierre-Olivier Pineau, sont déjà en surnombre dans les pays développés.

Le paradoxe aurait de quoi faire sourire si les enjeux n'étaient pas si cruciaux.

Le titulaire de la chaire de l'énergie de HEC Montréal prône du même souffle la relance d'un projet d'exportation de GNL au Saguenay, en sachant pertinemment que celui-ci ne pourrait voir le jour avant quelques années et devrait demeurer opérationnel pendant une vingtaine d'autres pour assurer sa rentabilité.

Ce qui nous mène bien au-delà de l'échéance de 2030 que la plupart de pays développés se sont fixés pour se libérer des énergies fossiles et atteindre leurs modestes objectifs de décarbonisation.

Au grand plaisir d'Éric Tétrault, Alain Gravel a exprimé son étonnement devant cette apparente contradiction, persuadé comme tous ses collègues journalistes, recherchistes et réalisateurs de Radio-Canada que le professeur Pineau est à la fois un expert du marché de l'énergie et un environnementaliste.

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Le monde selon Volkswagen

Le groupe Volkswagen domine toujours le marché mondial de l'automobile malgré le scandale qui a entaché sa réputation en 2014. Des tests réalisés par une ONG américaine sur certains de leurs modèles les plus populaires et les plus prestigieux avaient alors révélé que les émissions polluantes de leur moteur diesel étaient de 5 à 40 fois supérieures à celles déclarées et autorisées par la loi.

Volkswagen avait conçu un logiciel pour limiter la libération de gaz polluant lors des tests réalisés en laboratoire.

Ce « diesel gate » avait entraîné un gigantesque rappel de véhicules et donné lieu à des poursuites au civil et au criminel qui ont coûté des dizaines milliards à l'entreprise.

Volkswagen s'était déjà fait critiquer dans les années 1990 avec une campagne publicitaire agressive vantant la puissance de ses moteurs. Son slogan est resté dans toutes les mémoires des baby boomers : « Tasse-toi, mononcle ! ».

Pour compléter le tableau, les médias viennent de déterrer une sordide affaire d'esclavagisme associée à Volkswagen. La justice brésilienne envisage de poursuivre le constructeur allemand pour avoir infligé de mauvais traitements à des milliers de travailleurs d'une exploitation agricole expérimentale en Amazonie, entre 1974 et 1986. On parle même d'atrocités dignes des camps de concentration...

L'entreprise appartenant au grand constructeur avait l'ambition de créer une race de boeuf adaptée au climat tropical. Le slogan qu'avait trouvé son président établissait la hiérarchie des besoins essentiels de l'humanité selon Volkswagen: « Ce monde n'a pas seulement besoin de voitures, mais aussi de viande. »