La pertinence d'un nouveau pont sur le Saguenay

2022/08/31 | Par Clément Fontaine

L’auteur est journaliste indépendant et membre du Regroupement Des Universitaires
 

La région de la Côte-Nord attend depuis 60 ans la construction d'un pont reliant les deux rives de la rivière Saguenay à la hauteur de Tadoussac, sublime point de rencontre entre le Saint-Laurent et le Fjord. À l'approche des élections provinciales, la Coalition Union 138, a remis à l'avant-plan ce projet de pont en vantant ses mérites tant auprès de l'ensemble de la population que des candidats des divers partis politiques.

Appuyé par la région voisine, Charlevoix, le regroupement compte parmi ses rangs une forte majorité d'élus municipaux, de représentants du milieu des affaires et du milieu communautaire. Leur slogan de campagne, Mamu un pont entre nous, fait allusion à l'appui essentiel des Innus au projet, mamu signifiant ensemble.

Seul le maire de Tadoussac semble encore réticent à l'idée de perdre une soixantaine d'emplois avec la disparition des traversiers. La desserte pourrait cependant subsister à une échelle plus modeste, pour les deux-roues et les piétons par exemple.

Le concept privilégié

Le ministère des Transports du Québec a lancé de son côté deux nouvelles études, une d'opportunité, portant sur les aspects techniques, l'autre sur l'impact socio-économique. Pour le président de la Société du Pont sur le Saguenay, Marc Gilbert, la balle est maintenant dans le camp du gouvernement. Le PM Legault s'est engagé à aller de l'avant si le résultat de l'étude socio-économique s'avère concluante. La décision est attendue au printemps 2023.

La Société du pont sur le Saguenay propose la construction d'un ouvrage à deux voies assorties d'une voie de desserte pour la sécurité. D'une longueur de 1150 mètres, le pont s'appuierait sur deux piliers situés sur les rives. Son design d'inspiration norvégienne dégage une impression de légèreté, tout en étant conçu pour résister aux pires intempéries.

Afin de minimiser l'impact sur le panorama, Mamu se situerait à sept kilomètres en amont de Tadoussac, sur le site de La Boule, à la hauteur des lignes de transmission d'Hydro-Québec qui surplombent déjà le Fjord. Sur la rive de Charlevoix, le plan d'aménagement pour accéder au pont prévoit une déviation vers le nord de la route 138 avant le village de Baie-Sainte-Catherine.


 

Désenclaver

Selon le porte-parole de la Coalition, Guillaume Tremblay, la Côte-Nord a fourni beaucoup d'électricité à tous les Québécois avec ses grands barrages; il serait temps que ceux-ci lui donnent en retour le moyen de rompre son isolement géographique et social. D'autant plus que les traversiers ne suffisent plus à la tâche.

Les 92 000 résidents de la Côte-Nord sont manifestement prêts à accueillir les nouveaux arrivants et visiteurs, et le reste du Québec aurait intérêt à découvrir cette région au charme sauvage qui représente environ un quart de leur territoire. Une coalition d'organismes régionaux vient d'ailleurs de relancer le projet d'un nouveau parc national dans le secteur du Lac Walker près de Port-Cartier.

Ce pont dont le coût de construction était estimé à 600 M$ en 2015, en incluant les voies d'accès, entre en compétition avec d'autres projets de liens routiers appelés à desservir une population beaucoup plus importante. Dans un contexte de lutte aux changements climatiques et de préservation de la biodiversité, les Nord-Côtiers et Nord-Côtières doivent faire valoir des arguments économiques mais également environnementaux.

Quels avantages peut-on attendre de cette nouvelle infrastructure sur le plan écologique?
 

Les faits saillants

Le retrait des quelque 40 000 passages annuels de grands traversiers contribuerait à la sauvegarde d'espèces de mammifères marins menacées comme le béluga, tout en permettant au trésor public d'économiser plusieurs millions de dollars annuellement.

La suppression à Tadoussac de traversiers propulsés aux énergies fossiles réduirait notre empreinte carbone. Les récents prototypes actuellement en service, qui utilisent le gaz naturel, pourront remplacer ailleurs des modèles plus anciens fonctionnant au diesel.

Les utilisateurs du traversier perdent en moyenne une trentaine de minutes à l'aller comme au retour. En période de grand achalandage, cette attente peut se prolonger jusqu'à provoquer l'exaspération. Si bien que plusieurs automobilistes et camionneurs en provenance des grands centres préfèrent quitter la route 138 à partir de Québec pour emprunter la 175 jusqu'à Chicoutimi. Passé le pont Dubuc, ils empruntent la 172 en direction est jusqu'à Tadoussac.

Ce parcours alternatif ajoute cent-dix kilomètres, mais comme la vitesse permise y est plus élevée, notamment sur la 175, et qu'on évite le traversier, cela permet parfois de gagner du temps. En contrepartie, la plus grande consommation de carburant génère davantage d'émissions de CO2. Pour les véhicules électriques, il y a gaspillage d'une précieuse énergie renouvelable. Un pont réduirait le kilométrage parcouru en incitant les gens à revenir au trajet le plus court.

L'accès par la route 138 faciliterait l'aménagement d'un stationnement incitatif à l'entrée de Tadoussac. Un service de navette électrique permettrait aux visiteurs d'accéder à tous les secteurs d'intérêt ainsi qu'aux points de service. Avec une circulation automobile réduite, le village de quelque 800 habitants permanents serait encore plus attractif pour les piétons et les cyclistes.
 

Feu vert

La préservation du milieu marin et la diminution globale de GES qu'entrainerait le retrait des deux traversiers suffiraient à légitimer la construction d'un pont à l'embouchure du Saguenay. Considérant que la durée de vie d'une telle structure est d'environ cent ans, Mamu pourrait rapidement devenir carboneutre.

Certains feront remarquer que la circulation routière va augmenter vers la Côte-Nord. C'est précisément le but recherché et il s'agirait en l'occurrence d'une redirection du flot des véhicules existants plutôt que d'une augmentation de leur nombre.

À l'inverse, un projet pharaonique comme celui du troisième lien souterrain entre les villes de Québec et Lévis risque de favoriser l'accroissement du parc automobile tout autant que l'utilisation du transport en commun, provoquant un étalement urbain au lieu de la densification souhaitée.