De Bourassa à Legault : Le poids politique du Québec dans le Canada

2022/09/02 | Par Anne Michèle Meggs

François Legault réclame une majorité encore plus forte de sièges à l’Assemblée nationale « pour arracher des concessions au gouvernement fédéral, notamment en matière d’immigration » (Le Devoir, 27 août 2022)

Il va peut-être augmenter sa part de sièges, mais quelle part est la plus importante dans les négociations avec le gouvernement fédéral? :

• La part des sièges du parti au pouvoir dans la législature provinciale du Québec?

• La part de la population québécoise qui a voté pour le parti gagnant dans les élections provinciales ? (La différence risque d’être grande cette fois-ci, surtout parce que Legault est revenu sur sa promesse de mettre en place une forme de représentation proportionnelle.)

• Ou la part de la population québécoise au sein du Canada ? C’est-à-dire le nombre de personnes que le gouvernement du Québec représente dans ses négociations avec le gouvernement canadien par rapport à la population canadienne ?

La réalité est que le poids démographique du Québec est en déclin depuis des décennies. La plupart des projections mettent ce poids à moins de 20 % d’ici vingt ans. Pourtant, il s’agit d’une mesure très importante dans la politique canadienne.
 

Poids démographique = poids politique

Selon l’article 52 de la Constitution de 1867, la proportion de la population des provinces détermine leur part des sièges à la Chambre des communes. Cet article peut être modifié, comme la plupart des articles, par un vote majoritaire au Parlement canadien et un vote majoritaire des législatures de deux tiers des provinces représentant au moins 50 % de la population. Le Québec a perdu son veto constitutionnel non seulement par une décision de la Cour suprême, mais également par la baisse de sa population par rapport à la population canadienne.

On constate aussi que le nombre de sièges fédéraux sert parfois de calcul dans la sélection des chefs de partis canadiens fédéralistes. Le poids démographique des provinces joue souvent dans les négociations relatives aux transferts fédéraux. On a vu, lors des élections fédérales en 2011, que le Parti Conservateur a pu se faire élire avec une majorité confortable avec seulement cinq sièges au Québec.

Le Parlement a modifié la Constitution au mois de juin pour s’assurer que chaque province n’aura jamais moins de sièges qu’elle a aujourd’hui, c’est-à-dire 78 sièges pour le Québec sur 338. Mais la règle de proportionnalité est maintenue. Les intérêts du Québec prendront de moins en moins de place dans les politiques et des programmes des partis pancanadiens et les débats politiques fédéraux au fur et à mesure que la part électorale québécoise baisse.
 

Seul facteur de croissance : l’immigration

Le seul facteur de croissance des populations canadienne et québécoise est l’immigration internationale. Avec les politiques d’immigration actuelles des deux ordres de gouvernement, la population canadienne hors Québec continuera à augmenter beaucoup plus vite que celle du Québec.

Il est intéressant d’examiner l’histoire de cet enjeu dans la politique d’immigration québécoise. Il n’y a aucune mention de nombres ou de seuils dans l’Entente Couture-Cullen signée entre les gouvernements Lévesque et Trudeau (père) en 1978.

On y trouve dans son préambule des considérations relatives à « l’établissement de ressortissants étrangers au Québec contribuant à l’enrichissement socioculturel du Québec compte tenu de sa spécificité française », ainsi qu’à « une sélection cohérente et harmonieuse des immigrants et des travailleurs temporaires en fonction des capacités d’accueil économiques, démographiques et socioculturelles des régions de destination. »

Selon Jean Dorion, ancien attaché politique de Jacques Couture, le gouvernement Lévesque était conscient que le Québec n’accueillait pas sa part de l’immigration canadienne, mais ce n’était pas une préoccupation politique.

L’accent était mis sur la place du français au Québec. La Charte de la langue française, adoptée l’année précédente, faisait en sorte que tous les enfants au Québec (sauf ceux dont un des parents avait reçu son enseignement primaire en anglais au Québec), incluant donc tous les enfants des nouvelles familles immigrantes, recevraient leur éducation primaire et secondaire dans les écoles francophones. La même orientation s’appliquait à l’Entente signée en 1978. Le Québec ferait la sélection des personnes immigrantes s’établissant sur son territoire en fonction de sa « spécificité française ».

C’est après la défaite de l’option souverainiste en 1980 et la perte du veto du Québec sur les modifications constitutionnelles par une décision de la Cour suprême qu’on trouve le poids démographique lié au dossier de l’immigration pour la première fois. D’abord dans l’Accord du lac Meech (1987) et ensuite dans l’Accord Canada-Québec sur l’immigration signé entre les gouvernements Mulroney et Bourassa après l’échec de Meech (1991). De toute évidence, le poids démographique du Québec au sein du Canada était considéré comme étant un facteur de l’influence du gouvernement du Québec aussi critique que le veto, la reconnaissance de la société distincte et le nombre de juges à la Cour suprême.

Selon les témoignages de certaines personnes actives dans le dossier de l’immigration dans les années 1970 et 1980, Robert Bourassa tenait beaucoup à inclure dans ces accords le droit du Québec de maintenir son poids démographique, notamment par le moyen de l’immigration. L’Accord de 1991 précise donc que le Québec établira ses propres volumes d’immigration et tendra vers l’objectif d’accueillir sa part de l’immigration canadienne. Il ajoute également que le Canada se retirera des services d’intégration des personnes immigrantes au Québec, laissant le champ entièrement au Québec et assurant une compensation financière à ces fins.

Pourquoi le gouvernement Lévesque n’avait-il pas la préoccupation du poids démographique dans ses négociations en 1978 ? N’oublions pas qu’il s’agissait d’un gouvernement souverainiste. Selon Jean Dorion, « assumer de nouvelles responsabilités en immigration, c’était se préparer à être un pays indépendant pour lequel le poids au sein du Canada ne serait plus un sujet pertinent ».
 

L’immigration francophone se fait rare

Le Québec n’a jamais admis un volume de personnes immigrantes équivalent à sa part de l’immigration canadienne et ne sera sûrement jamais capable de le faire sans sacrifier tout critère de connaissance du français.

Le bassin de recrutement de personnes qui parlent l’anglais dans le monde, évalué à 1,268 milliards d’individus, est sans commune mesure avec celui de personnes qui parlent français, établi à 276,6 millions. Selon les données en date de la fin du mois de février 2022 du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, parmi les 81 343 personnes ayant déclaré un intérêt à immigrer au Québec, 15 537 (19,1 %) avaient obtenu des résultats à un test indiquant une connaissance intermédiaire du français oral. Impossible de savoir combien de ce quinze mille détenaient d’autres caractéristiques recherchées par le Québec, par exemple, une formation professionnelle demandée, une expérience de travail pertinente.

Les seuils d’immigration francophone ne sont pas si faciles à atteindre, comme le gouvernement fédéral s’en rend compte avec l’échec de ses objectifs d’immigration francophone hors Québec. Pour tenter d’atteindre ses cibles, il cherche à attirer dans d’autres provinces les personnes immigrantes francophones temporaires présentes au Québec.

Le nombre de personnes immigrantes accueillies par le Québec devrait correspondre, comme précisé dans le préambule de l’Entente Couture-Cullen, aux besoins et aux capacités d’accueil économiques, démographiques et socioculturelles du Québec. Il ne devrait pas être influencé par les politiques de volumes d’immigration du Canada.

Cela étant dit, la population du Québec a deux fois choisi de rester au sein du Canada et nous nous apprêtons, semble-t-il, à élire pour un deuxième mandat un gouvernement convaincu que le nombre de sièges qu’il occupe à l’Assemblée nationale a plus de poids politique au sein du Canada que le nombre de Québécoises et Québécois qu’il représente.