Le « C’est pas nous ! » de l’équipe Legault

2022/09/07 | Par Sylvain Martin

Nous sommes au début d’une nouvelle campagne électorale québécoise qui revêt un caractère particulier. À moins d’un revirement exceptionnel, la CAQ formera le prochain gouvernement. La question n’est pas tellement de savoir si M. Legault sera le prochain premier ministre, mais de quelle majorité il bénéficiera. Certains sondeurs lui prédisent une indécente majorité avec près de 100 sièges et un appui de 42 % des électrices et électeurs du Québec. L’indécence ne vient pas tant de la centaine de sièges, mais de les obtenir avec seulement 42 % d’appuis !

Autrement dit, M. Legault pourrait détenir 80 % des sièges à l’Assemblée nationale avec seulement 42 % des suffrages exprimés. Pour ceux qui se demandent pourquoi M. Legault a abandonné la réforme du mode de scrutin, après l’avoir promise à plusieurs reprises et s’y être même engagé par écrit, vous avez un bon indice de la réponse. Après avoir gouverné sans réelle opposition, en partie à cause de la pandémie, M. Legault risque de gouverner pendant un deuxième mandat, encore une fois sans réelle opposition, mais cette fois à cause du mode de scrutin. Tout ça me donne le goût de dire à M. Legault : « Aller vous acheter un 6/49 ».

 

L’exemple de Doug Ford

Même si, depuis quelques semaines, l’équipe de communication de la CAQ joue parfaitement son rôle en cachant le premier ministre avec, entre autres, des annonces de candidatures et de promesses électorales sans véritable mêlée de presse ou en refusant de participer à des débats, comme celui organisé par l’Institut du Nouveau Monde (INM) et celui sur l’environnement du collectif « Vire au vert ».

Il faut dire que cette recette fonctionne. Doug Ford en a fait la démonstration, lors de la dernière élection en Ontario. Une campagne électorale courte, en tenant profil bas tout au long de la campagne, et le tour est joué ! Vous n’aurez pas à défendre votre bilan.

 

C’est pas nous !

L’autre ingrédient de la recette de l’équipe de communication de la CAQ est le « C’est pas nous ! » Les problèmes dans le secteur de la santé ne sont pas réglés ? « C’est pas nous ! » C’est la faute à la réforme Barette ou aux syndicats qui ne veulent pas collaborer. Problème dans les résidences de personnes âgées ? « C’est pas nous ! » C’est la faute aux directions locales. « Nous allons envoyer un inspecteur ». Problème de qualité d’air à Rouyn-Noranda ? « C’est pas nous ! » Nous ne faisons que suivre les recommandations du directeur de la santé publique. (Faut-il rappeler que le directeur de la santé publique est également sous-ministre à la santé ?) Problème de structure au pont Pierre-Laporte ? « C’est pas nous ! » Ce sont les ingénieurs du gouvernement qui sont en moyens de pression. « On n’avait jamais entendu parler de ce rapport avant aujourd’hui. »

En fait, on nous sert un discours de première année de mandat d’un nouveau gouvernement. Le problème est que nous sommes en fin de mandat ! Et, surtout, que nous sommes en droit de nous attendre à beaucoup plus de notre gouvernement.

Ne soyons pas défaitistes, tout n’est quand même pas joué. Chaque campagne électorale révèle son lot de surprises. M. Legault et son équipe ne sont pas à l’abri de déclarations malheureuses ou d’une contre-performance. Les journalistes politiques devraient effectuer leur travail et faire ressortir le véritable bilan de la CAQ. Et les autres partis pourraient jouer les trouble-fête.

 

Une opposition fractionnée, mais écoutée

Selon un récent sondage Léger, les quatre autres partis récoltent plus ou près de 10 % d’appuis : Libéral 17 %; Québec solidaire : 15 %; Parti conservateur : 14 % et Parti Québécois 9 %. Ils ont donc tous une relative bonne écoute auprès de la population. Le même sondage nous apprend que 38 % de l’électorat n’aurait pas fait de choix définitif. Ce qui fait en sorte que tout peut changer pour déterminer le parti qui formera l’Opposition officielle. Au débat des chefs, même si M. Legault sera le seul à avoir l’expérience d’un tel débat, il n’est pas à l’abri d’une contre-performance ou d’une performance inattendue d’un des autres chefs.

Les dés sont donc jetés, mais en soulevant plus de questions que de réponses. Avec quelle majorité la CAQ va-t-elle l’emporter ? Qui formera l’Opposition officielle ? Si Dominique Anglade ne fait pas mieux que son prédécesseur, quel sera son avenir politique ? On le sait, les libéraux n’aiment pas les perdants. Est-ce que Paul St-Pierre-Plamondon réussira à sauver le PQ ? Plusieurs analystes politiques prédisent que seul Pascal Bérubé dans Matane-Matapédia a de réelles chances d’être élu. Si cette prédiction se concrétise, est-ce que nous allons assister à la mort du PQ ?

Est-ce que Gabriel Nadeau-Dubois saura tirer son épingle du jeu durant la campagne et surtout lors du débat des chefs, comme Manon Massé avait réussi à le faire ? Le seul chef qui ne joue pas son avenir politique et qui est assuré de sortir gagnant de cette campagne est Éric Duhaime. En fait, il a déjà gagné en faisant passer l’appui au PCQ de 1 % à 13 %. Même s’il ne réussit pas à faire élire de candidats, ses militantes et militants vont continuer à le soutenir. En fait, la question est : est-ce qu’il va réussir à transformer cet appui en sièges à l’Assemblée nationale ?

 

Quel rôle pour les centrales syndicales ?

Le résultat de cette élection semble en partie prévisible et le paysage politique risque de complètement changer le 3 octobre au soir. Les conséquences pour les travailleuses et les travailleurs risquent d’être peu réjouissantes. Si le scénario de près d’une centaine de députés pour la CAQ se concrétise, nous aurons en place un gouvernement qui se croira tout permis et qui répètera ad nauseam qu’il a raison de faire ce qu’il fait parce qu’il a l’appui de presque toute la population. Même si ce sera faux ! En fait, il n’aura l’appui que de 42 % de la population, ce qui loin de la majorité.

Pour les centrales syndicales, le test de l’intransigeance du gouvernement sera le renouvellement des conventions collectives du secteur public. La pénurie de main-d’œuvre les favorisera quelque peu dans leur rapport de force, mais un gouvernement qui se croit tout permis sera tenté d’imposer sa volonté. Le gouvernement Legault en a déjà fait la démonstration.

Les centrales syndicales auront, à mon avis, à se poser la question du rôle qu’elles veulent jouer dans le paysage politique. Actuellement, elles exécutent parfaitement leur rôle sur le plan de l’action politique avec leur présence en commission parlementaire, dans les débats publics et dans la représentation des travailleuses et travailleurs auprès des politiciens. Dans le nouveau paysage politique que l’on risque d’avoir, il faudrait qu’elles se questionnent sur le rôle qu’elles devraient jouer sur le plan de la politique électorale.

L’auteur est syndicaliste.