Margaret Atwood, John Steinbeck à l’index dans des écoles américaines

2022/09/07 | Par Luc Allaire

2500 personnes déléguées, représentant 1,7 million de membres, adoptent à l’unanimité une résolution défendant le droit d'enseigner une histoire américaine honnête, authentique et inclusive.

 

« On voit la paille dans l’œil de son voisin, mais pas la poutre dans le sien. » Ce proverbe s’applique parfaitement à l’attitude du Parti républicain aux États-Unis qui n’hésite pas à vilipender quiconque ose dénoncer l’usage de propos jugés offensants contre les Noirs, les Autochtones ou les musulmans, les traitant de wokes ou pire encore au nom de la liberté d’expression.

Pourtant, lorsqu’il est au pouvoir, le Parti républicain n’hésite pas à interdire des centaines de livres dans les écoles et à éliminer certains programmes scolaires. Les restrictions sur l'enseignement en classe ont explosé dans les États républicains depuis 2021. Au moins treize États contrôlés par les républicains ont approuvé des lois censurant la façon dont les enseignants parlent de « concepts de division », tels que l'inégalité raciale systématique. Cinq autres États avec des gouverneurs du Parti républicain ont imposé des limites administratives à ces enseignements par le biais de conseils d'État sur l'éducation ou d'autres organismes.

Parmi les livres interdits, on retrouve des romans comme La Servante écarlate de Margaret Atwood, Des souris et des hommes de John Steinbeck et Out of Darkness, de Ashley Hope Pérez, trois romans qui dénoncent le racisme aux États-Unis.

 

L’AFT dénonce ces atteintes à la liberté

Ces atteintes à la liberté d’enseignement ont fait l’objet de débats animés lors du congrès de l’American Federation of Teachers (AFT) qui s’est tenu à Boston du 13 au 17 juillet dernier.

Les quelque 2500 personnes déléguées ont adopté à l’unanimité une résolution afin de défendre le droit le droit des éducateurs d'enseigner une histoire américaine honnête, authentique et inclusive.

Lors d’interventions très passionnées, plusieurs congressistes se sont dits déterminés à lutter contre les législations et les politiques des conseils scolaires qui visent à interdire des livres et à éliminer des programmes scolaires, dont les contenus permettent aux étudiants d’examiner l’histoire des États-Unis de manière critique sans nier les manifestations de la suprématie blanche et du racisme systémique.

Ils demandent que les classes de la maternelle à la 12e année adoptent un cadre antiraciste qui reconnaisse les identités croisées des élèves (race, classe, sexualité, sexe, statut de citoyenneté, capacités différentes, langue principale, etc.), situe ces identités dans des systèmes d'iniquité et de résistance, et valorise ces expériences de vie comme des atouts en classe.

 

La droite panique face à la théorie critique de la race

« La droite panique à propos de la critical race theory, affirme la présidente de l’AFT, Randi Weingarten. En quelques mois seulement, les législateurs d'au moins vingt-six États ont proposé des projets de loi visant à restreindre l'enseignement de la théorie critique de la race ou à limiter la manière dont les enseignants peuvent discuter du racisme et du sexisme. Des experts ont appelé les enseignants à porter des caméras corporelles pour ‘‘superviser’’ ce qu'ils enseignent. »

Dans un district scolaire du Tennessee, on tente d'interdire un livre pour enfants sur l'intégration scolaire intitulé Ruby Bridges Goes to School. En 1960, Bridges, alors âgé de 6 ans, a été le premier enfant noir à déségréguer une école primaire entièrement blanche en Louisiane.

Une nouvelle loi au Texas interdit d’enseigner le concept selon lequel « l’esclavage et le racisme sont des manquements aux principes fondateurs des États-Unis ». Comment alors les enseignants pourront-ils enseigner la guerre civile et la proclamation d’émancipation ?

Un autre projet de loi au Texas supprimerait les mentions dans le programme d’études sociales des militants des droits civiques comme Cesar Chavez et Dolores Huerta, ainsi que les écrits de Susan B. Anthony, Frederick Douglass et Martin Luther King Jr, et enlèverait une exigence en classe d’enseigner que le KKK est moralement répréhensible.

« Au cours de mes années d'enseignement de l'histoire et de l'éducation civique, j'ai mené mes étudiants dans des discussions et des débats sur le passé et le présent de l'Amérique, affirme Randi Weingarten. Nous avons couvert à la fois ce que nous célébrons et ce que nous abhorrons, explorant des sujets tels que l'esclavage et ses effets, si les industriels étaient des barons voleurs ou des capitaines d'industrie, si les États-Unis auraient dû utiliser des bombes atomiques pour mettre fin à la Seconde Guerre mondiale. »

« Les partisans de ces nouvelles lois tentent de bâillonner et d'effrayer les enseignants pour les empêcher de respecter leur obligation professionnelle d'enseigner l'histoire honnête aux élèves. Ils veulent priver les étudiants d'une solide compréhension de notre histoire commune, poursuit-elle. Cela désavantagera les étudiants en faisant un gros trou dans leur compréhension de notre pays et du monde. »

 

Enseigner une histoire honnête

Lors de son congrès, l'American Federation of Teachers s’est engagée à défendre tout membre qui aura des ennuis pour avoir enseigné une histoire honnête grâce à un fonds de défense juridique. Enseigner la vérité n'est ni radical ni faux. Déformer l'histoire et menacer les éducateurs pour avoir enseigné la vérité est ce qui est vraiment radical et faux. Une ligne dangereuse est franchie lorsque les législateurs tentent d'effacer l'histoire. Et cela nuit aux efforts de l’AFT pour rendre les écoles sûres et accueillantes pour tous nos enfants.

« Les enseignants doivent avoir la liberté d'enseigner de manière à atteindre chaque élève et à valoriser leurs expériences vécues, insiste Randi Weingarten. Parce que peu importe notre couleur, nos antécédents ou notre code postal, nous voulons élever des jeunes qui peuvent s'engager et comprendre les faits, examiner diverses perspectives et tirer leurs propres conclusions - en d'autres termes, qui peuvent penser de manière critique. »

La présidente de l’AFT conclut ainsi : « Il y a un dicton qui dit ‘‘Quand tu sais mieux, tu fais mieux’’. En tant que pays, nous devons connaître la vérité sans fard sur notre histoire afin de pouvoir faire mieux. Ces vérités ne sont pas imprégnées de magie - elles doivent être enseignées et apprises. Les enseignants le savent. Nous avons la responsabilité d'enseigner des informations exactes et véridiques. Et pour enseigner l'histoire, pas la haine. »