Une conjoncture économique inquiétante

2022/09/09 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois
 

La conjoncture économique mondiale montre des signes inquiétants. Les analystes prévoient un fort ralentissement aux États-Unis et en Chine, et la récession semble inévitable en Europe. La situation des pays en développement est encore plus préoccupante.

Tout cela dans un contexte où les banques centrales tentent de combattre l’inflation alors que les États se sont endettés pour soutenir l’économie durant la pandémie. La marge de manœuvre des gouvernements se trouve réduite.
 

L’intervention des banques centrales

Pour les banquiers centraux, ramener l’inflation autour de 2 % sans nuire à l’économie est une tâche difficile. Le président de la Federal Reserve américaine a récemment rappelé que son premier objectif demeure le contrôle des prix, quitte à imposer des conséquences « douloureuses pour les ménages et les entreprises ».

Sans surprise, la Banque du Canada augmente aussi rapidement ses taux. Anticipant le choc négatif sur l’économie, les banques privées ont commencé à augmenter leurs réserves afin de faire face à une hausse des défauts de paiements.

La Fed et la Banque du Canada sont encore traumatisées par l’épisode inflationniste des années 1970 et 1980. L’inflation s’était prolongée dans le temps et avait été difficile à contrôler. Le retour au calme a exigé des taux d’intérêts très élevés qui ont contribué à la récession du début des années 1980 et à celle du début des années 1990. Nombreux sont ceux qui se souviennent encore de taux d’intérêts sur leur hypothèque qui oscillaient entre 12 et 18 %.

Les banquiers centraux semblent s’être dit « plus jamais ». Au début des années 1990, pour assurer la stabilité de l’économie, ils ont délaissé les politiques de plein emploi ou de réduction du chômage pour se concentrer essentiellement sur le contrôle de l’inflation, qui devait dorénavant osciller entre 1 % et 3 %, d’où la fameuse cible des 2 %.

Aujourd’hui, se disant qu’il faut agir plus tôt que tard, les banques centrales envoient des signaux fort de lutte contre l’inflation. Il n’y a pas de chance à prendre, affirment-elles. Ce qu’elles craignent le plus, c’est l’effet psychologique de l’inflation. Une fois que les attentes d’une inflation plus élevée sont en place dans l’économie, chacun essaie d’ajuster ses prix à la hausse pour y faire face. Ça génère un effet boule-de-neige. Dit autrement, les attentes inflationnistes génèrent l’inflation.
 

La Grande démission

La Fed et la Banque du Canada affirment avoir la marge de manœuvre nécessaire pour mener cette lutte sans trop nuire à l’économie parce qu’on serait en situation de plein-emploi. Les salaires augmentent, le taux de chômage est faible et le nombre de postes affichés demeure élevé.

Or, plusieurs économistes, comme l’ancien économiste en chef de la Banque mondiale Kaushik Basu critiquent l’analyse des banques centrales du marché du travail. Celui-ci serait en profonde transformation, en plus d’avoir été solidement chamboulé depuis la pandémie. Une simple analyse cyclique mènerait à une lecture trop optimiste de la situation, sous-estimant les risques de récession.

Avec le vieillissement de la population dans les économies occidentales, la population active diminue. La pénurie de main-d’œuvre était déjà perceptible avant la pandémie, mais le confinement a pu accélérer les départs à la retraite. Plusieurs travailleurs et travailleuses ont aussi choisi de quitter le marché du travail ou de réduire leur nombre d’heures travaillées. Aux États-Unis, on a nommé ce phénomène la Grande démission. À ceci s’ajoute le fait que plusieurs personnes ont carrément changé de domaine. La pénurie d’employés dans les aéroports et le secteur aérien cet été illustre la transformation.

Bref, le marché du travail connaitrait une transformation telle qu’il faut analyser la conjoncture de façon plus prudente que ne le font les banques centrales, si on veut éviter que le remède ne fasse plus de tort que de bien au cheval. Dit autrement, la lutte que mènent les banques centrales à l’inflation risque sérieusement de contribuer au ralentissement de l’économie.
 

L’économie chinoise vacille

Tout ça dans un contexte mondial fragile. Par exemple, l’économie de la Chine stagne. Sa stratégie zéro Covid a entraîné le confinement à tour de rôle de ses grandes villes et mis sur pause l’activité économique. Le chômage de ses jeunes travailleurs dans les villes atteint les 20 % et on craint un immense krach immobilier. Comme le rapporte le journal Le Monde, « de gigantesques immeubles demeurent désespérément vides, faute d’acheteurs ; des faillites de promoteurs immobiliers se multiplient, et beaucoup de chantiers sont laissés à l’abandon ; de nombreux propriétaires, qui avaient acheté leur bien sur plans, mais dont la construction a été arrêtée, se sont lancés dans la grève des remboursements de leurs emprunts ».

On sait que la Chine a été la locomotive de l’économie mondiale depuis les années 2000. Ses problèmes actuels se font ressentir à l’échelle planétaire. Il reste à savoir combien de temps dureront ses difficultés et quelle en sera l’ampleur.
 

Le choc énergétique

De son côté, l’Europe vit un choc énergétique sans précédent. Le prix du gaz a explosé et devrait s’accroître davantage cet automne et cet hiver. Cela mine le pouvoir d’achat des ménages et bouleverse la structure de coût des entreprises.

Plusieurs pays, comme l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie annoncent qu’ils vont taxer les surprofits des entreprises privées qui produisent de l’énergie pour redistribuer cette richesse dans le reste de l’économie. Mais ce ne sera évidemment pas suffisant pour compenser le choc. On estime que le revenu disponible des ménages européen va diminuer de 4 % cette année.

Le choc énergétique force plusieurs industries à cesser leur production, faute de rentabilité. La hausse des taux d’intérêts de la Banque centrale européenne et la marge de manœuvre limitée de la politique budgétaire des États, déjà hypothéquée par la réponse à la pandémie, n’aident en rien la conjoncture.

Toujours selon le Monde, à tout ceci s’ajoute le « Royaume-Uni, probablement déjà en récession, l’Europe centrale, touchée de plein fouet par la guerre en Ukraine, ou encore une pléthore de pays émergents qui traversent une grave crise : Liban, Sri Lanka, Pakistan en quasi-faillite, Turquie balayée par une inflation galopante (80 %). »
 

Situation catastrophique des pays en développement

La situation des pays en développement est carrément catastrophique. En plus de faire face à une pénurie alimentaire, ils doivent composer avec un endettement public élevé, les institutions internationales les ayant encouragés à s’endetter durant la pandémie. La plupart de leurs importations et emprunts sont libellés en dollars américains. Or, dans le contexte d’incertitude mondiale, la valeur du billet vert s’est envolée – servant de valeur refuge – diminuant d’autant le pouvoir d’achat de ces pays. Ils sont aussi touchés par la crise énergétique. Enfin, les difficultés économiques de la Chine réduisent aussi les affaires avec ces pays.

Pour l’économiste Ngaire Woods, les pays riches doivent rapidement se mobiliser pour soutenir ces pays afin d’éviter une cascade de crises dans ces économies émergentes. Or, avec la conjoncture actuelle, il est malheureusement peu probable que les pays plus riches se mobilisent pour soutenir les plus pauvres.

À n’en pas douter, l’impact économique de la pandémie se fait toujours sentir, tant sur l’inflation que sur la production. La lutte à l’inflation risque d’aggraver la situation. La guerre en Ukraine bouleverse aussi l’économie mondiale, tout comme les soubresauts de l’économie chinoise. Reste à évaluer l’ampleur de ces chocs sur l’organisation de nos sociétés et comment nous saurons prendre le virage d’une économie plus verte dans ce contexte difficile.