Un bouclier tarifaire pour manger à sa faim, enfin

2022/09/28 | Par Jean-Paul Faniel

L’auteur est directeur général de la Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain 514 387-7997
 

Les nouveaux chiffres de l’Indice des prix à la consommation confirment ce que nous disions en juin dernier, que malgré la timide baisse relative de l’inflation, les prix des aliments continuent de grimper jusqu’à 10.8 % sur 12 mois en août 2022, un sommet depuis 41 ans. De plus, aux dires des économistes, ces prix alimentaires continueront de grimper dans les prochains mois. Les produits les plus en hausse depuis un an sont les huiles (27,7 %), le pain (15,4 %), les fruits frais (13,2 %), les pâtes et les céréales (14,5 %), les œufs (10,9 %), les légumes (9,3 %), les poissons (8,7 %), les produits laitiers (7 %), etc. Des produits de base.

Les revenus des gens ne comblent pas ce manque à gagner au point où, selon l’Institut national de la paie, plusieurs en sont rendus à emprunter pour payer l’épicerie. C’est la classe moyenne à faible revenu qui souffre le plus dans cette équation. Un nombre grandissant d’entre eux en sont même rendus à demander un panier aux banques alimentaire. Celles-ci, d’ailleurs, confirment que plus de 19 % de leurs dons alimentaires le sont pour des familles salariées qui ne peuvent plus joindre les deux bouts. Pire, Moisson Montréal n’arrive plus à répondre qu’à 80 % des demandes et fait maintenant appel aux groupes communautaires qu’il dessert pour leur demander de trouver de nouveaux fournisseurs.

Face à cette débâcle économique de la classe moyenne à faible revenu, (que dire des difficultés des plus pauvres d’entre nous), nos partis politiques ne trouvent rien de mieux à promettre en campagne électorale que de nouveaux chèques court terme, nourrissant ainsi l’inflation, aux dires de nombreux économistes, plutôt que de la combattre. On les comprend : les grandes chaines d’alimentation sont mortes de rire : elles peuvent continuer à augmenter leurs prix sachant que l’État donne aux gens les moyens, pour un temps, de les payer.

Si les partis politiques voulaient vraiment aider les gens touchés par cette inflation qui les désarçonne, ils donneraient plutôt cet argent qu’ils ont en trop aux groupes communautaires. Ceux-ci réclament de fait 475 millions de dollars pour soutenir les gens dans leur processus de sortie de la pauvreté. Ils s’empresseraient de plus d’actualiser le cadre de référence gouvernemental en sécurité alimentaire qui date de 2008 pour qu’il réponde mieux aux besoins actuels.

Mais la solution de fond et à long terme que nous proposons aux partis politiques et au futur gouvernement pour freiner cette boulimie des grandes chaines d’alimentation (40 % de surprofit de Loblaw en un an), c’est de réguler ces prix inflationnistes par des mesures, comme le bouclier tarifaire (par exemple 4 %) imposé dans d’autres pays sur des produits contrôlés par le privé. Ces règles gouvernementales anti-inflationnistes cibleraient des produits de première nécessité comme les fruits et légumes, le pain, les légumes racines et les produits laitiers, etc. Évidemment, l’État compenserait certains opérateurs comme les agriculteurs pour leur garantir un revenu décent, comme il le fait avec la gestion de l’offre.

En fait, l’enjeu ici qu’aucun parti n’ose nommer, c’est le choix entre le sacrosaint droit de faire des profits, même excessifs, versus le droit fondamental de la population de pouvoir s’alimenter normalement. Si l’État, seul gardien du bien commun, ne met pas des règles restrictives pour limiter l’appétit gargantuesque des actionnaires de ces grandes compagnies et permettre aux familles du peuple de mieux s’alimenter, qui le fera ? Il est temps d’avoir un débat de société sur cette anomalie d’un secteur privé basé sur l’accumulation de profits qui a le monopole et contrôle, seul, l’accès à un besoin essentiel, voire vital, comme l’alimentation. Pour tous les autres besoins essentiels, on fait pourtant appel à l’État pour qu’il décide des règles du jeu, en principe pour le bien du plus grand nombre. À quand un État arbitre réellement entre les intérêts du bien commun et ceux de quelques-uns ?