Trois raisons pour une réforme du mode de scrutin

2022/10/07 | Par Sylvain Martin

L’auteur est syndicaliste
 

Les jeux sont faits. Sans grande surprise, nous sommes devant un gouvernement caquiste avec une indécente majorité. La Coalition Avenir Québec (CAQ) avec seulement 41 % des voix obtient 72 % des sièges à l’Assemblée nationale. Les Libéraux, Québec solidaire, le Parti Québécois et le Parti conservateur, ayant chacun recueilli près de 15 % des voix ont respectivement 21, 10, 3 et 0 sièges. Toute une distorsion électorale ! Difficile de prétendre que notre système électoral atteint sa cible, c'est-à-dire une représentativité assez juste de l’électorat à l’Assemblée nationale.

 Avec raison, la discussion autour du mode de scrutin refait surface. Certains commentateurs politiques ont tôt fait d’essayer d’éteindre la discussion en martelant que, de toute façon, jamais un gouvernement au pouvoir ne voudra changer un système qui lui réussit. À preuve, selon eux, tous les politiciens qui avaient promis de le faire se sont désistés. Le dernier en lice étant François Legault. Après s’y être engagé par écrit et avoir promis à plusieurs reprises que l’élection de 2018 serait la dernière élection avec le mode de scrutin uninominal à un tour, il a viré capot.

Pour ma part, je crois que la discussion concernant le mode de scrutin et la représentativité des partis politiques à l’Assemblée nationale doit plus que jamais être maintenue. Elle doit être promue non seulement par des partis politiques, mais également par les grandes centrales syndicales ainsi que par tous les acteurs de la société civile, et ce, pour trois bonnes raisons :
 

1. La distorsion va se répéter en 2026

Plusieurs analystes prévoyaient, avant le début de la dernière campagne électorale, une possible mort du Parti Québécois, avec un appui inférieur à 9 % et un seul député. Même prédiction pour le Parti conservateur. La grogne contre les mesures sanitaires de la Covid allait s’estomper, tout comme les appuis à  M. Duhaime. Au final, il ne resterait que la CAQ, les Libéraux et Québec solidaire en liste pour l’élection de 2026. Nous allions revenir à un paysage politique normal.

Force est de constater que ce n’est pas ce qui risque d’arriver. Le PQ et le PCQ, bénéficiant du même pourcentage d’appui populaire que QS et les Libéraux, avec une offre politique différente, ne devraient pas disparaitre. Avec les mêmes partis en liste en 2026, on peut s'attendre à une autre distorsion entre le pourcentage de votes reçu et le nombre de sièges. Déjà, en 2018, la CAQ avait formé un gouvernement avec 37,4 % d’appuis et 60% des sièges.
 

2. Éviter que 60 % de la population constate qu’elle a voté pour rien.

Il est important que les électrices et les électeurs aient le sentiment et puissent réaliser que leur vote compte. Quand le 60 % de la population qui n’a pas voté pour le gouvernement constate que le gouvernement obtient 72 % des sièges avec à peine plus de 40 % des suffrages exprimés mais, surtout, que le parti auquel elle a accordé son vote et qui récolte près de 15 % des suffrages n'est représenté que par 11, 3 ou même 0 députés, il est tout à fait normal et justifié que cette tranche de la population se demande « À quoi ça sert d’aller vote ? »
 

3. Éviter un déni de démocratie

Le troisième fait qui milite en faveur d’une réflexion concernant le mode de scrutin et la représentation des partis à l’Assemblée nationale est le déni de démocratie dans les travaux parlementaires. Dans son discours de victoire électorale, M. Legault a tendu la main aux chefs des autres partis et a affirmé qu’il discuterait avec eux de la manière qu’ils pourront travailler ensemble. Ce sont là de belles et sages paroles de la part d'un premier ministre, le soir de l'élection, mais la réalité risque d’être tout autre.

Selon les règles de l’Assemblée nationale, pour être reconnu comme groupe parlementaire et avoir droit aux privilèges qui s’y rattachent, un parti doit avoir fait élire au moins 12 députés ou avoir obtenu au moins 20 % des voix. En fait, en vertu de ces règles, seul le Parti Libéral se qualifie. C’est donc dire que QS et le PQ, même s’ils ont obtenu plus de voix que les libéraux, tout en faisant élire des députés, ne seront pas reconnus comme groupe parlementaire. Leurs députés n’auront presque aucun droit de parole lors des débats en Chambre et lors des travaux en commission parlementaire.

Les droits de parole sont importants pour les députés. Le droit de parole est l’occasion de livrer son opinion et faire passer son message. C’est à la base de notre système démocratique. Les règles ont été établies pour un système bipartite, c'est-à-dire un gouvernement et une opposition.

Même s’il est arrivé par le passé que plus d’une opposition soit reconnue comme groupe parlementaire, cette reconnaissance d'un tiers parti comme groupe parlementaire se fait toujours au détriment de l’Opposition officielle. C’est l’Opposition officielle qui doit accepter de céder son temps de parole aux autres partis. Le gouvernement lui ne cède rien.

La main tendue de M. Legault aux chefs des oppositions est un cadeau empoisonné pour les Libéraux. Ou bien ils refusent de partager leurs privilèges de groupe parlementaire avec QS et le PQ, deux partis qui obtenus plus de voix qu’eux, au risque de passer pour antidémocratiques. Ou bien ils acceptent de partager leurs privilèges de groupe parlementaire et, du même coup, diluer leur efficacité dans les travaux parlementaires. Dans tous les cas de figure, les perdants sont les partis d’opposition et la CAQ est gagnante.
 

Des États généraux sur le mode de scrutin

À mon avis, ce sont là trois excellentes raisons pour lancer une large discussion sur notre mode de scrutin et la représentation des partis politiques à l’Assemblée nationale. La partie ne sera pas facile. La CAQ et les Libéraux profitent du système actuel. Comme je l’ai déjà mentionné, la CAQ hérite d’une indécente majorité, si on tient compte du nombre de voix obtenues et les Libéraux profitent d'une distorsion, avec la concentration de leur vote à Montréal, en récoltant 21 sièges avec 14 % des suffrages.

Même si QS, le PQ et le PLQ s’unissaient pour revendiquer un changement de mode de scrutin, ils n’auraient pas l’écoute de M. Legault. Selon moi, cette revendication doit émerger des électeurs et des électrices. Elle doit être portée non seulement par les partis politiques qui veulent un changement, mais également par les grandes centrales syndicales et tous les acteurs de la société civile.

Il faut revendiquer la mise sur pied par le gouvernement d’une commission parlementaire sur le mode de scrutin et la représentation des partis politiques à l’Assemblée nationale. Si M. Legault persiste à dire que ce n’est qu’une poigné d’intellectuels qui veulent cette discussion, il faudra que les grandes centrales syndicales prennent acte de ce déni de démocratie de la part de la CAQ et organisent avec les acteurs de la société civile et des partis politiques des états généraux sur le sujet.

L’idée n’est pas tant de tout changer avant les prochaines élections, même si ce serait souhaitable. Il s'agit plutôt de mettre un train sur les rails avec comme objectif de mener de larges discussions sur le mode de scrutin et la représentation des partis politiques à l’Assemblée nationale. Le Québec est mûr pour ce genre de discussion.

Monsieur Legault, plutôt que de ridiculiser les personnes qui proposent de revoir les façons de faire et tendre faussement la main aux partis de l’opposition, vous feriez mieux d’agir en chef d’État. Un chef d’État ne dirige pas un État. L’État n’est pas une entreprise. Un chef d’État gouverne un État. Cela implique de prendre soin de chaque citoyen et citoyenne en s’assurant, entre autres, que ces personnes puissent bénéficier de la meilleure représentation possible à l’Assemblée nationale.