L’État arbitre des prix alimentaires

2022/10/26 | Par Jean-Paul Faniel

L’auteur est Directeur général de la Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain.
 

La situation économique des ménages à faible revenu, même ceux bénéficiant d’un salaire, est devenue de plus en plus alarmante. En effet, malgré une 3e baisse du taux d ’inflation en un mois, la facture d’épicerie, elle, n’a jamais été aussi élevée depuis plus de 40 ans. On observe ainsi des hausses de prix sur un an de 11,8% pour les fruits et légumes, de 14,8% pour les produits de boulangerie (pain, etc.), de 9,7% pour les produits laitiers et de 7,6% pour la viande, pour une hausse totale de 11,4% pour le panier d’épicerie (Le Devoir, 20 octobre 2022).

Au point où le Parlement fédéral vient de déclencher une enquête sur ce phénomène dramatique en ciblant particulièrement les profits des grandes chaines d’épicerie et les moyens permettant aux acteurs de la chaine d’approvisionnement alimentaire de diminuer les coûts des aliments (La Presse, 20 octobre 2022). Il s’agit d’un signe encourageant démontrant que notre demande d’intervention de l’État a été entendue.

Sentant la soupe chaude, deux grands distributeurs, Loblaws et Métro, ont d’ailleurs décidé de geler les prix de certains produits pendant la période des Fêtes. Qualifiant ces décisions de coup publicitaire, deux spécialistes, Maryse Côté-Duhamel, professeur adjointe en science de la consommation à l’Université Laval, et Jo Anne Labrecque, professeur en marketing au HEC Montréal, soulignent que ces prix sont déjà inflationnistes et que leur gel n’améliorera pas leur accessibilité pour les plus pauvres d’entre nous. (Le devoir, 18 octobre 2022).

Or, dès juin 2022, témoignages de ménages affectés à l’appui, nous intervenions publiquement pour dénoncer cette situation scandaleuse et demander à l’État, au nom du bien commun, de freiner cette hausse excessive de certains produits de première nécessité comme les produits cités en début d’article. La réaction actuelle d’Ottawa est certes un premier pas en ce sens, mais, au terme révélateur de cette enquête, l’État ne pourra pas faire l’économie d’une intervention législative pour tempérer la gourmandise des grandes chaines d’alimentation.

D’autant que, si l’on se fie aux perspectives du chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), le pire est encore à venir au chapitre de l’inflation. Il s’agit des perspectives économiques les plus moroses en plus de vingt ans. (Le Devoir, 12 octobre 2022). Cette intervention de l’État pour réguler les prix alimentaires apparait donc de plus en plus comme une nécessité urgente, les gens subissant pendant ce temps le fardeau quotidien de cette boulimie capitaliste. Cette mesure gouvernementale pour protéger les consommateurs face à une hausse trop importante des tarifs alimentaires fait d’ailleurs l’objet de vifs débats en France.

En fait, comme nous le soulignions déjà en juin dernier, cette situation met en lumière l’incongruité voulant que les grandes chaines alimentaires soient les seules à déterminer l’accessibilité économique ou non des produits alimentaires de première nécessité. Tout comme pour d’autres besoins essentiels, l’État, seul garant du bien commun, doit pouvoir arbitrer le partage des intérêts en présence et ce, espérons-le, au profit du plus grand nombre.