Les sans-papiers : Enjeu critique pour la nouvelle ministre de l’Immigration

2022/10/28 | Par Anne Michèle Meggs

Autrefois, le dossier de l’immigration était relativement simple. L’objectif essentiel du ou de la ministre était de ne pas attirer trop l’attention. Entrent en scène les accommodements raisonnables et le déclin de la langue française, les deux associés intrinsèquement, selon plusieurs, à l’immigration. Le sujet a été l’objet de plusieurs débats et de commentaires qu’on va gentiment qualifier de malheureux qui ont peint l’immigration comme constituant une menace pour la société québécoise, voire à la nation même! Et ce, même si le sujet n’était pas une grande préoccupation au sein de l’électorat.

La ministre Christine Fréchette aura un travail important à faire pour corriger le tir, mettre de côté ce discours mesquin et électoraliste et aller au-delà des idées reçues pour en saisir les multiples enjeux critiques.
 

Un mandat de régularisation des sans-papiers au niveau fédéral

Un des enjeux qui risque de surgir assez tôt est celui du sort des personnes non documentées sur le territoire du Québec.

Pourquoi maintenant? Parce que le ministre fédéral de l’Immigration, Sean Fraser, a reçu le mandat du premier ministre Trudeau, en décembre dernier, de « prendre appui sur les programmes pilotes existants pour poursuivre l’exploration de moyens de régulariser le statut des travailleurs sans-papiers qui contribuent aux communautés canadiennes. » Les consultations privées ont démarré.

Pourquoi ce programme concerne-t-il madame Fréchette? Parce que les personnes qui seront régularisées seront admises dans la catégorie d’immigration économique, qui relève clairement de la responsabilité du Québec. La pression sera forte sur le Québec pour qu’il mette en place son propre programme.
 

L’ampleur du problème inconnue

Combien y a-t-il de ces sans-papiers? Une étude publiée cet automne intitulée « L'état des connaissances sur la population irrégulière du Canada » affirme une évidence : « Les gouvernements canadiens successifs ont cherché en vain une estimation de la population irrégulière depuis le début des années 1970. Des estimations datées (et probablement prudentes) suggèrent une population entre 80 000 à 500 000 personnes. Ces chiffres continuent d'être largement cités depuis plus d'une décennie. » (Notre traduction)

Ce problème d’absence de données fiables sera peut-être partiellement réglé par le nouveau programme fédéral des entrées et des sorties. Il s’agit d’une initiative conjointe du Canada et des États-Unis fondée sur un plan d’action relevant de la Sécurité publique. Une vérification de documents effectuée lors des entrées et sorties à tous les postes frontaliers terrestres et sur tous les vols internationaux permettra, à partir de novembre 2022, d’identifier le statut des individus.

On verra si les données seront rendues publiques lorsqu’elles seront disponibles ou si elles ne serviront qu’à mieux atteindre les cibles d’expulsion. Le peu d’information publique disponible sur le sujet laisse croire que les taux d’expulsion sont très bas, notamment à cause d’obstacles comme l’obtention des documents de voyage et de nationalité, le manque de coopération des pays d'origine, l'impossibilité de localiser les individus et le coût élevé des déportations.
 

En cause, la hausse de l’immigration temporaire et un système improvisé

Soyons clairs. Être sans statut est la pire situation pour une personne immigrante. Elle se trouve sans le droit de travailler légalement, même si l’employeur voudrait la garder, sans accès aux services de santé et aux services publics. La grande majorité des personnes irrégulières au Canada sont arrivées légalement et ont vu leur permis de séjour temporaire expirer, sans faute de diligence de la personne immigrante. Les systèmes d’immigration temporaire et permanent sont devenus trop complexes, changent trop rapidement et sont trop débordés. Cela étant dit, l’augmentation importante des demandeurs d’asile ne va qu’empirer la situation.

Pourtant, des recherches ont révélé que les craintes de retourner dans leur pays d'origine l'emportent sur les réalités de l'accès limité aux services, de l'insécurité liée aux conditions de travail et de la précarité juridique et économique.
 

Une population qui contribue, un potentiel raté

La plupart des travailleurs sans-papiers sont engagés dans des travaux manuels « peu qualifiés », tels que les travaux de construction, travaux d'usine, peinture, paysagisme, nettoyage, cuisine, vaisselle, vestiaire, serveuse, et garde d'enfants.

Dans une certaine proportion, les populations de sans-papiers au Canada sont bien éduquées malgré un travail « peu qualifié » et précaire, et sont contraintes à ce travail par leur statut irrégulier. De même, les impacts économiques de la précarité persistent souvent même si ces personnes finissent par obtenir un statut permanent.
 

Un projet pilote qui n’a pas encore fait ses preuves

Monter un programme de régularisation des sans-papiers n’est pas une mince affaire. Le gouvernement canadien a mis en place un projet pilote en janvier 2020 dans l’industrie de la construction à Toronto en partenariat avec le Congrès de travail du Canada. Il s’agit d’un programme très pointu et très contingenté.

Il vise des personnes qui ont déjà eu un permis de travail valide au Canada, qui sont au pays depuis au moins cinq ans, ont travaillé l’équivalent de trois ans à temps plein dans le secteur de la construction dans la région du Grand Toronto à des postes désignés. Elles doivent également avoir un membre de leur famille qui réside au Canada et qui est un citoyen ou un résident permanent ou avoir un époux ou des enfants au Canada.

Le plafond, fixé à 500 demandes pour ce programme a été, semble-t-il, à peine atteint après plus de deux ans. En date du 31 décembre 2021, « 195 dossiers avaient été reçus par IRCC; 87 requérants principaux et 120 personnes à charge ont été admis au Canada comme résidents permanents. »
 

La barrière de la langue, même à Toronto

Un fait important à noter pour le Québec : lorsque le projet pilote a été renouvelé l’année dernière, une des conditions retirées était l’exigence d’une connaissance au niveau débutant d’une des deux langues officielles. Il semblerait qu’il s’agissait du plus gros obstacle à l’admissibilité au projet. Le fédéral est en train de ce fait d’offrir la résidence permanente à des travailleurs qui ne parlent ni le français ni l’anglais.

Il y a donc des personnes vivant dans la région de Toronto depuis 5 ans qui n’ont pas besoin de connaître l’anglais pour travailler. Ce sont des personnes qui sont coincées dans un emploi sans porte de sortie, puisqu’elles ne connaissent pas la langue du pays, et qui sont ainsi forcées de demeurer dans des enclaves de personnes partageant la même langue d’origine.

Convaincre ces personnes, assujetties à des ordres d’expulsion, de sortir de l’ombre pour faire une demande de résidence permanente et assembler l’ensemble des documents nécessaires représentent d’importants défis. Le fait que la réception initiale de la demande, l’évaluation de sa complétude et la transmission au gouvernement soient confiées à une partie tierce réduit le risque d’être découvert par les autorités et déporté, mais ne l’élimine pas.
 

Des expériences de régularisation dans d’autres pays

Le fédéral examine également des expériences mises en place dans d’autres pays, comme l’Irlande, l’Italie, et l’Espagne. Ce sont tous des programmes d’une durée déterminée et contingentés. Le programme irlandais, en place les six premiers mois de cette année, était le plus ouvert. Il faut essentiellement démontrer avoir vécu sans papiers dans le pays de manière continue pendant quatre ans. Les résultats ne sont pas encore publics. De plus, malgré les conditions assez favorables, plusieurs sans-papiers ne sont pas éligibles et d’autres hésitent à se présenter ou n’ont pas les moyens pour payer les frais.
 

Finissons avec les diachylons, la solution est en amont

Les programmes de régularisation seront toujours insuffisants et inéquitables tant pour les personnes non admissibles que pour les personnes qui suivent le chemin régulier pour obtenir la résidence permanente. De plus, ils seront toujours à refaire si on ne fournit pas un effort en amont pour éviter le problème des personnes qui tombent dans l’illégalité et le flux grandissant de demandeurs d’asile.

Il faudra revenir à un système d’immigration qui favorise l’obtention de la résidence permanente avant l’arrivée. Il est foncièrement malhonnête, injuste et illogique de séduire des personnes à venir travailler dans des emplois permanents ou étudier et ensuite leur dire qu’elles doivent rentrer chez elles parce qu’elles ne satisfont pas les critères pour rester chez nous.