Pour une présence syndicale dans les partis politiques

2022/10/28 | Par Sylvain Martin

L’auteur est syndicaliste

Notre système électoral uninominal à un tour nous a conduits à une distorsion historique entre le vote exprimé par la population et l’indécente majorité de sièges de la CAQ. Ce déni de démocratie teintera profondément les travaux de l’Assemblée nationale, peu importe que le Parti Québécois et Québec Solidaire soient reconnus ou pas comme groupes parlementaires.

Il saute aux yeux – et cela me fait craindre des jours sombres pour la classe ouvrière - qu’il y a eu un appui clair à la droite aux dernières élections. Si on additionne le vote pour la CAQ (41 %) à celui du PCQ (13 %), nous obtenons près de 54 % de l’électorat qui a appuyé des idées de droite. Certains diront que je pourrais aussi ajouter l’appui au PLQ (14 %) parce qu’il campe à tout le moins au centre droit mais, étant de nature optimiste, j’ai voulu tenir uniquement compte des partis résolument de droite. Vous conviendrez avec moi qu’un appui à 54 % à des idées de droite, ce n’est pas très rassurant pour les travailleuses et travailleurs du Québec.

Je ne sais pas si c’est pour nous rassurer, mais certains analystes politiques, devant l’anémique opposition à la CAQ à l’Assemblée nationale, prédisent que la réelle opposition à la CAQ… sera la CAQ ! Selon eux, avec 90 personnes élues, il est inévitable que la bisbille prenne dans les rangs de la CAQ, et ce, même si papa Legault leur a dit qu’il n’aimait pas la chicane dans la famille.

Ces mêmes analystes politiques s’entendaient aussi pour dire, avant même le déclenchement de l’élection, en voyant poindre le résultat que nous connaissons aujourd’hui, que la véritable opposition au futur gouvernement Legault proviendrait des maires et mairesses nouvellement élus. Valérie Plante à Montréal, Bruno Marchand à Québec ou encore Catherine Fournier à Longueuil et Éveline Beaudin à Sherbrooke pour ne nommer qu’eux. Des élus municipaux de leur trempe, plutôt à gauche, formeraient un contrepoids de taille et efficace au gouvernement Legault.

Pour ma part, même si je suis en partie d’accord avec ces analyses, je ne crois pas qu’il faille se fier à la bisbille intestine de la CAQ ou aux élus municipaux pour voir aux intérêts des travailleurs et travailleuses du Québec.
 

Des promesses de la CAQ

M. Legault et la CAQ ont les coudées franches pour réaliser leurs rêves les plus fous, d’ici 2026. Souvenons-nous de certaines promesses de la CAQ :

. Plus de privé en santé. Même si tout le monde sait que le privé ne règlera pas la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur public. Au contraire, cela risque de l’aggraver.
. Des baisses d’impôt pour aider à contrer l’inflation. Même si tout le monde sait que les baisses d’impôt ne profitent qu’aux plus riches. Ce sont des mesures ciblées qui aident les gens dans le besoin et non pas des mesures pour l’ensemble de la population.

Prenons l’exemple de l’envoi de chèques à tous, en décembre prochain, pour aider à contrer l’inflation. Nous savons tous que cela ne fait pas de sens d’envoyer deux chèques de 600 $ à un couple sans enfant dont les deux membres gagnent chacun 49 900 $, comparativement à un chèque de 600 $ à une personne monoparentale avec deux enfants qui gagne 49 900 $. Et si, par malheur, elle gagne plus de 50 000 $, elle ne recevra que 400 $. On repassera pour l’aide aux plus démunis !
 

Le retour du discours de droite

Nous rentrons dans l’ère post pandémie. Peu à peu, la lumière sera faite sur la gestion par décret du gouvernement Legault pendant la pandémie. Par exemple, les dépenses sans appel d’offres justifiées par la crise sanitaire risquent de refaire surface. Les journalistes ne manqueront pas de les scruter à la loupe et de faire leurs choux gras des dépenses abusives.

Ajouter à cela qu’une crise économique nous pend au bout du nez avec la politique de hausse des taux d’intérêt de la Banque du Canada pour contrer l’inflation. Nous avons les ingrédients pour faire renaitre de ses cendres le bon vieux discours de droite des années 90 :

. Le réseau public dépense notre argent sans compter !
. Le privé gère beaucoup mieux que le public !
. Le privé en santé, c’est la solution !
. Nous n’avons plus les moyens de nous payer tous ces programmes sociaux !
Etc., etc. La liste est longue, on va sans doute aussi se faire dire que nous devrions privatiser la SAQ, la SQDC et, pourquoi pas, Hydro-Québec.

Les ténors de la droite, en disette depuis quelques années, sont sur la ligne de départ prêt à faire feu sur tout ce qu’il y a d’institutions publiques et ils auront, je le crains, une oreille attentive de la CAQ.

L’absence de réelle opposition, des promesses électorales à droite, la postpandémie, la crise économique, le réveil des ténors de la droite, tout cela n’augure rien de bon.
 

Un débat à tenir

Je souhaite être totalement dans l’erreur mais, dans le cas contraire, le seul vrai rempart à cette vague de droite, ce sont les centrales syndicales. Elles font un excellent travail, trop souvent dans l’ombre, et conséquemment méconnu de la population. Cependant, elles devront redoubler d’ardeur pour contrer cette offensive de la droite.

Dans les mois et années à venir, un de leurs grands défis sera de politiser davantage leurs membres. Elles devront trouver une façon de susciter chez le maximum d’entre eux un intérêt pour le débat politique et, en particulier, à la politique électorale.

Je crois également que les centrales syndicales auraient intérêt à se questionner sur la pertinence de leur présence dans les instances des partis politiques. Ici, je ne fais pas référence à de la partisanerie politique ou à l’appui à un parti politique, mais au fait qu’elles pourraient jouer un rôle de porte-voix des travailleurs et travailleuses dans les instances des différents partis politiques.

J’imagine très bien des militantes et des militants syndicaux recevoir une formation sur le fonctionnement des instances des différents partis politiques et y participer, non pas en tant que militants du parti, mais comme représentants des travailleurs et travailleuses.

L’idée que des militantes et militants syndicaux s’impliquent dans des partis politiques n’est pas nouvelle. Plusieurs membres de syndicats ont déjà et/ou sont encore impliqués dans des partis politiques, mais la plupart du temps à titre personnel sans réel mandat de leur syndicat ou de leur centrale syndicale.

Quant aux syndicats et aux centrales syndicales, ils hésitent avec raison, pour la plupart d’entre eux, à s’impliquer sur le terrain des partis politiques, soit parce qu’ils ont été déçus des décisions prises par le passé par les partis politiques qu’ils appuyaient ou parce que leurs membres ne voient pas d’un bon œil cette implication politique.

Le fait d’être présents dans les instances des partis politiques, sans y être comme militants ou en appui aux partis, mais plutôt comme représentants des travailleurs ferait à mon avis toute la différence. Il n’y aurait plus d’ambigüité quant au rôle des centrales; leur loyauté envers leurs membres serait claire et cela constituerait une corde de plus à leur arc dans leur rôle de défense et de représentation de la classe ouvrière à tous les niveaux de la société. Je soumets, humblement, cette idée à la réflexion.