Le nouveau « Nous » contre le vieux « Nous » canadien-français de la survivance

2022/11/16 | Par Pierre Dubuc

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« Nous sommes des Québécois ». C’est par ces mots que René Lévesque débute le chapitre intitulé « Nous autres » dans son livre Option Québec, paru en 1968. Il fait référence à cette « personnalité qui dure depuis trois siècles et demi » dans le but de la distinguer « de ces autres Nord-Américains en particu­lier, avec qui nous avons sur tout le reste tant de choses en commun ». Le « Nous » québécois de Lévesque s’inscrivait dans le contexte des États généraux du Canada français (1966 à 1969) qui marquaient la rupture avec le « Nous » canadien-français.

La réaffirmation du « Nous ethnique » fut de nouveau nécessaire au début des années 2 000, lorsque de soi-disant « modernistes » avec à leur tête André Boisclair ont déclenché une offensive contre le « nationalisme ethnique » dans un Manifeste publié dans Le Devoir du 9 janvier 2001 qui faisait la promotion d’un « nationalisme nouveau », rapidement qualifié par les médias de « nationalisme civique et inclusif ».

Reposant sur la « volonté des individus de la collectivité plutôt que sur les déterminants ethniques » et permettant de « de ne plus être prisonnier de la question identitaire », leur nationalisme reposait « avant tout sur la Charte des droits et libertés de la personne du Québec », affirmaient ses auteurs. Il permettrait, selon eux, un « dialogue ouvert » de tous les citoyens, « peu importe leur origine », de « dé-ethniser » le débat en mettant de côté « l’attitude de victime et chasser l’intolérance » envers les autres Québécois.

Cette approche a coloré les travaux de la Commission Larose sur la langue. Les commissaires proposaient au peuple québécois « de ne plus percevoir la langue anglaise comme un objet de concurrence, mais comme un mode d’accès à une composante majeure de son identité ».

Les commissaires décidèrent même de ne même pas aborder le « domaine de la statistique » et liquidèrent d’entrée de jeu la question cruciale des transferts linguistiques sous le fallacieux prétexte du danger de « dérives sociales majeures, tel le cloisonnement de la société québécoise en trois catégories : les francophones, les anglophones et les allophones ».

Depuis la question linguistique est heureusement revenue à l’avant-scène. Mais elle est souvent enrobée dans un discours identitaire où le « Nous » est celui du vieux « Nous » canadien-français de la survivance. Nous n’en donnerons qu’un exemple en lien avec la question noire qui fait l’objet de ce dossier.
 

Mathieu Bock-Côté et la candidature de Shirley Dorismond

Lors de l’élection partielle dans la circonscription de Marie-Victorin d’avril 2022, la CAQ a présenté une candidate d’origine haïtienne, Shirley Dorismond, ancienne vice-présidente de la Fédération des infirmières du Québec.

Dans deux chroniques du Journal de Montréal (1er et 8 février 2022), Mathieu Bock-Côté a remis en question ce choix parce que, contrairement à la CAQ, Shirley Dorismond avait reconnu la présence du racisme systémique au Québec. Bock-Côté voyait deux explications possibles à cette candidature. La CAQ l’avait recrutée « sans se rendre compte des engagements de cette dame, qui manifestement, se présente à la CAQ sous le signe de l’opportunisme ou de l’entrisme ».

Selon lui, Mme Dorismond est « objectivement, en opposition idéologique avec son parti sur des questions fondamentales, comme la théorie du racisme systémique ». Il enjoint la CAQ à ne « pas se contenter d’une phrase (de la dame) comme : la lutte contre le racisme menée par Benoit Charrette m’impressionne. Il faudra la questionner ouvertement, clairement. Il devrait y avoir des limites au double discours ». 

Mais, à ses yeux, il y a pire ! Peut-être que « la CAQ sait ce qu’elle fait » et qu’elle se sert de cette candidature « comme un laboratoire pour redéfinir son identité politique, et renier, progressivement, son engagement contre la théorie du racisme systémique ». Dans cette hypothèse, la CAQ ne serait plus alors « une coalition nationaliste, mais un fourre-tout ».

Par contre, pour Bock-Côté, les indépendantistes, y compris les ex-ministres du PQ, qui adhèrent à la CAQ, ne se présentent pas « à la CAQ sous le signe de l’opportunisme ou de l’entrisme ». Malgré le rejet de l’indépendance par Legault, ils ne sont pas « objectivement, en opposition idéologique avec leur parti sur des questions fondamentales ». Ils ne pratiquent pas un « double discours ». Non ! Ils font du « positionnement » politique ! Leur « entrisme » est un entrisme de bon aloi ! Nous laissons nos lectrices et nos lecteurs qualifier ce « deux poids, deux mesures ».
 

Le nouveau « Nous »

Dans sa chronique de La Presse (17 octobre 2022), Maxime Pedneaud-Jobin soulignait à juste titre que 22 % des élus à l’Assemblée nationale sont d’origine autre que française ou britannique, soit sensiblement leur poids dans la population totale. Si l’on prend uniquement les députés issus des minorités visibles, ils sont 12 % à siéger à l’Assemblée, une proportion similaire à leur présence dans la population (12,6 %). Alors que les minorités visibles représentent un peu moins du tiers de la population de Montréal, elles représentent maintenant 37 % des élus de la métropole à l’Assemblée nationale. Parmi les 880 candidatures inscrites à Élections Québec, 143 provenaient de la diversité, soit plus de 16 % de toutes les candidatures.

Le paysage démographique du Québec a bien évolué depuis le « Nous autres » de René Lévesque. Les indépendantistes doivent en tenir compte. Les membres des minorités visibles s’intéressent à la politique. À nous de nous convaincre et de les convaincre que nos combats doivent se fondre en un seul combat pour l’émancipation sociale et nationale du Québec et favoriser parmi eux l’émergence d’un leadership indépendantiste.