Éducation : Vers une syndicalisation des stagiaires ?

2022/11/25 | Par Orian Dorais

Depuis la mi-octobre 2022, de nombreux étudiantes et étudiants en éducation font la grève des stages. Les futurs profs refusent de prendre part à cette étape obligatoire de leur formation qui s'apparente, plus souvent qu'autrement, à du travail bénévole. Le manque de ressources en santé mentale et les multiples épisodes de harcèlement vécus par les stagiaires sont aussi dénoncés par les grévistes.

Le mouvement de protestation a été lancé par l'Association des étudiantes et étudiants des sciences de l'éducation (ADEESE) de l'UQÀM et a été rejoint par d'autres syndicats étudiants, dont plusieurs membres s'inquiètent de tomber en épuisement professionnel avant même leur entrée en fonction. Pourquoi le gouvernement s'entête-t-il à rendre les conditions intenables dans un milieu – celui de l'éducation – où la pénurie de main-d'oeuvre est déjà criante ? Je m'entretiens à ce sujet avec Danaë Simard, chargée aux communications et à la mobilisation à l'ADEESE.

 

Le fonctionnement des stages

Orian : D'abord, pourriez-vous expliquer à nos lecteurs comment fonctionnent les stages en enseignement ?

Danaë Simard : Alors, le système de stages va varier selon la spécialisation choisie, il y a quelques différences si l'on enseigne au préscolaire, au primaire, au secondaire, en langue seconde et ainsi de suite. Mais le principe reste similaire : il y a des stages chaque année du baccalauréat de quatre ans. Le plus gros stage est le dernier, le fameux stage quatre, où le stagiaire est devant la classe et doit s'occuper de la prise en charge des élèves, de la planification de cours, de la correction, bref de toutes les tâches normales de l'enseignement. Ce stage peut durer d'un à trois mois. Aucun des quatre stages n'est rémunéré.

O. : Même pas le dernier, qui dure plusieurs semaines ! ?

D. S. : Avant, il y avait une bourse de « persévérance » de 3 900 $ qu'on pouvait demander pour avoir un revenu pendant les semaines du stage quatre. C'était déjà pas énorme, surtout quand le stage s'étirait en longueur. Reste que cette bourse-là avait été un gain des moyens de pression de 2016, quand le mouvement pour la salarisation des stages avait pris pas mal d'ampleur.

Mais, le gouvernement caquiste a aboli la bourse à la persévérance et l'a remplacée par une bourse « pour lutter contre la pénurie de main-d'oeuvre »... de 2 500 $. Donc, une perte de plusieurs centaines de dollars, pour les mêmes conditions de stage. Et les stagiaires en ingénierie ou en médecine sont aussi admissibles à cette bourse, parce que leurs milieux sont aussi touchés par la pénurie, sauf que ces stages-là sont rémunérés. Cette bourse-là devrait être un bonus, pas un revenu de survie. Je ne pense pas qu’offrir seulement 2500 $ pour plusieurs semaines de stage aide à lutter contre la pénurie de main-d'oeuvre, même si le gouvernement semble penser que c'est suffisant.

O. : Est-ce qu'il y a d'autres milieux que celui de l'enseignement où les stagiaires doivent travailler quasiment bénévolement ?

D. S. : Oui. C'est comme ça dans plusieurs programmes en éducation. En travail social, en sexologie et en soins infirmiers aussi. Parfois en éducation à l'enfance. Tout ce que ces métiers ont en commun est qu'ils sont traditionnellement et encore majoritairement féminins. Donc, notre grève en ce moment rentre 100 % dans les luttes féministes.

 

Les principales revendications

O. : Justement, à propos de la grève, quelles en sont les principales revendications, outre la salarisation des stages ?

D. S. : Alors, les 13 et 14 octobre 2022, on a fait une grève de deux jours pour la salarisation. Puis, du 17 au 21, une autre grève de cinq jours. Chaque journée avait une thématique bien précise. Le 21, l'ADEESE a voté pour une reconduction de deux semaines. Le 2 novembre, on a voté pour une autre reconduction. Ça va faire plus que cinq semaines qu'on est en grève.

O. : Quelles étaient les cinq thématiques dont tu parlais ?

La première thématique – ou revendication – est l'accommodement des étudiants qui sont aussi des parents. En ce moment, il n'y a aucun système pour traiter les demandes d'accommodements des stagiaires qui ont des enfants. La décision est laissée au superviseur de stage; ça dépend de son bon vouloir. On réclame une application systématique des mêmes arrangements pour tous, ça ne doit pas être laissé au superviseur.

Deuxième thématique : on veut une politique contre le harcèlement. L'UQÀM en a une très détaillée, mais elle ne s'applique qu'entre les murs de l'université, donc pas dans les milieux de stage. Les stagiaires sont laissés à eux-mêmes et sont souvent victimes de harcèlement de la part des professeurs associés ou des superviseurs de stage.

Des futurs profs se font rabaisser devant toute la classe. Des fois, le harcèlement est tellement intense que des membres de l'ADEESE ont dû faire appel à la police ! Et quand un stagiaire se retrouve dans une situation comme ça, il doit soit abandonner le stage – donc retarder sa diplomation d'un an – soit continuer dans des conditions inadmissibles.

La troisième revendication est une égalisation de la charge de travail. Par exemple, certains superviseurs demandent cinq planifications par jour, d'autres en demandent vingt. Où est la cohérence ? Il faut aussi comprendre que, pendant certains stages, des étudiants et des étudiantes ont des cours théoriques. C'est pas d'avance si les futurs profs finissent en épuisement professionnel avant même d'entrer en fonction.

Notre quatrième revendication est la réduction du temps de transport du domicile au milieu de stage. En ce moment, nos membres peuvent se faire assigner un lieu de stage à une heure et demie de transport de leur domicile. On exige que ce soit réduit à une heure, avec un seul transfert, quand les stagiaires doivent prendre les transports en commun. Pour les parents étudiants, on demande que le temps soit calculé à partir du lieu de garde, où les gens déposent les enfants avant de partir.

Enfin, pour notre dernier thème, on demande que la Loi 2, sur la protection des stagiaires, soit scrupuleusement respectée par rapport aux journées d'absence non motivées. Les stagiaires ont droit à dix jours, non négociables. Que ce soit pour des raisons de santé, familiales ou autres, les gens ont droit à leurs congés un point c'est tout.

O. : Est-ce que des grandes centrales syndicales vous ont appuyées dans vos demandes ?

D. S. : L'Alliance des Profs de Montréal (affiliée à la FAE) nous a envoyé une très belle lettre pour exprimer son appui enthousiaste. Sinon, des discussions ont été entamées avec la SÉTUE (Syndicat des étudiant.es employé.es de l’UQAM, affilié à la FTQ) pour aller vers la syndicalisation des stagiaires. Mais on est vraiment au tout début du processus. Je note aussi que l'UQÀM a pris certains engagements par écrit, notamment par rapport à la lutte au harcèlement et au respect de la Loi 2 pour améliorer la situation. En tant qu'étudiante, je suis contente de voir notre faculté se responsabiliser. Par ailleurs, l'ADEESE est en contact avec la ministre de l'Enseignement supérieur, Mme Pascale Déry; on discute de salarisation avec elle. Chose certaine, l'université et le ministère savent que les stagiaires sont prêts à partir en grève pendant des semaines. Ils l'oublieront pas.