Lacunes et limites de la politique québécoise

2022/12/02 | Par Anne Michèle Meggs

Le gouvernement Legault ne cesse de parler de l’importance de l’immigration francophone. On ne peut qu’applaudir une telle priorité. Il y a deux côtés à considérer : la langue parlée avant l’arrivée et la francisation des non francophones après l’arrivée.
 

Les personnes immigrantes qui utilisent déjà le français

Il faut d’abord s’entendre sur ce qu’on veut dire par immigration francophone. On n’abordera pas ici toutes les différentes façons de comptabiliser ce phénomène.

Présumons qu’on veut dire qu’il est souhaitable que les personnes qui arrivent au Québec de l’étranger utilisent déjà le français, soit parce que c’est leur langue maternelle, soit – s’il s’agit des non francophones – parce qu’elles ont déjà adopté le français comme langue d’usage à la maison. Selon une étude de l’Office québécois de la langue française publié en 2013, 62 % des allophones de langue d’usage français au Québec avaient effectué leur transfert linguistique avant leur arrivée. (L’étude exclut les résidents non permanents.)

Outre l’avantage évident d’une intégration socioéconomique et socioculturelle rapide, il y a évidemment d’autres bonnes raisons pour favoriser l’accueil des gens qui utilisent déjà le français. Ça coûte en principe moins cher en services de francisation. On sait aussi que les personnes immigrantes qui déclarent pouvoir communiquer en français au moment de faire leur demande de résidence permanente sont plus nombreuses à rester au Québec que les autres.

Il n’est pourtant pas si simple d’attirer les francophones de l’étranger. En fait, le Québec fait face à plusieurs défis en matière d’immigration francophone, certains inévitables, certains liés à la concurrence du fédéral, et d’autres auto-imposés.

 

Plus d’anglophones que de francophones dans le monde

Prenons le bassin international potentiel. Il y a beaucoup plus de parlants anglais (1,3G) dans le monde que de parlants français (277M). Ce sont logiquement les deux pays les plus populeux du monde qui génèrent le plus de migrants mondiaux, soit la Chine et l’Inde.

Ces personnes connaissent généralement l’anglais avant d’arriver. Leur présence gonfle donc le nombre de personnes comptabilisées dans la « communauté d’expression anglaise » du Québec et renforce ainsi les arguments pour l’offre de services en anglais en général.

Le pourcentage des admissions en provenance de l’Asie au Québec a augmenté de 10 points de pourcentage entre les recensements de 2016 et 2021, aux dépens des admissions provenant de l’Europe et des Amériques.

Il est également pertinent de noter que, bon an mal an, dans le système Arrima du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), il y a une moyenne de 80 000 noms de personnes qui ont fait une déclaration d’intérêt (DI) d’immigrer au Québec. Parmi celles qui sont invitées à faire une demande d’immigration, à peu près les trois quarts répondent. (Il n’y a pas de plafond sur le nombre de DI que le système peut accueillir.)

 

Concurrence du gouvernement fédéral

Autre défi : l’objectif du gouvernement fédéral d’augmenter l’immigration francophone hors Québec entre en concurrence directe avec le Québec.

L’immigration temporaire est utilisée par le fédéral de diverses façons pour atteindre ses cibles, parfois au détriment du Québec.

Par exemple, les employeurs hors Québec profitent d’un processus hautement simplifié pour l’embauche des travailleurs étrangers temporaires francophones. Ce processus n’est pas offert aux employeurs du Québec. Une telle pratique augmenterait le bassin de personnes francophones à statut temporaire admissibles aux programmes de sélection permanente du Québec.

Le fédéral a mis en place des programmes de régularisation de personnes à statut temporaire hors Québec, qui ont pu avoir comme effet d’attirer les personnes immigrantes francophones déjà établies ici avec un permis temporaire vers les autres provinces pour obtenir plus rapidement leur résidence permanente, notamment les étudiantes et les étudiants internationaux.

 

L’absence de critères linguistiques gouvernementaux pour les permis de séjour temporaire

L’immigration temporaire, la source principale de l’immigration permanente, devient aussi un enjeu pour le Québec parce que les règles fédérales pour les permis de séjour temporaire n’incluent pas de critères linguistiques.

Les critères linguistiques de ces personnes sont déterminés par le programme d’études ou l’établissement d’enseignement, si la personne arrive grâce à un permis d’études, et par l’employeur si elle a un permis de travail.

Puisque la très grande majorité des personnes arrivant au Québec ont un statut temporaire, le Québec devrait ajouter, afin de favoriser l’arrivée de francophones, des exigences de connaissance du français à son consentement à ces permis.

Il pourrait aussi exiger des employeurs qui embauchent des non-francophones dans le cadre du Programme de travailleurs étrangers temporaires d’offrir la francisation en milieu de travail, mais il ne fait pas.

Cette exigence ne sera pas bien accueillie par certains porte-parole du milieu d’affaires. Il est clair, si on consulte leurs mémoires présentés à la Commission parlementaire étudiant le projet de loi 96, qu’ils considèrent que toute restriction linguistique à l’embauche minerait la concurrence, l’attraction de talents globaux et la compétitivité. La Chambre de commerce du Montréal métropolitain déclare : « Si la connaissance de la langue locale est toujours un atout précieux, faire des affaires à l’international, et incidemment dans le reste du Canada, exige une connaissance avancée de l’anglais dans plusieurs domaines. »

La réforme de la Charte de la langue française ajoute néanmoins l’obligation de justifier toute exigence d’une langue autre que le français, mais n’insiste pas sur l’importance d’exiger une connaissance du français !

 

Nombre élevé d’anglophones dans les études internationales

Au 31 décembre 2019, il y avait 87 280 jeunes avec un permis d’étude sur le territoire du Québec. 46 % ont déclaré ne pas pouvoir communiquer en français et, face au choix entre le français et l’anglais, 45 % ont déclaré ne pouvoir communiquer qu’en anglais.

Puisque le chemin le plus important vers la résidence permanente passe maintenant largement par les études internationales, le Québec pourrait décider de plafonner le nombre d’étudiantes et d’étudiants étrangers qu’il acceptera et cela même par réseau linguistique.

Pourquoi hésitera-t-il à le faire ? Parce que ces jeunes sont très payants pour la société d’accueil, peu importe leur langue. Si on réduisait leur nombre, il faudrait compenser les établissements postsecondaires pour la perte des frais de scolarité exorbitants exigés.

De plus, ces jeunes sont devenus une source importante de main-d’œuvre à bas salaire. La preuve : le fédéral vient de lever, jusqu’à la fin de 2023, toute restriction sur le nombre d’heures que ces jeunes peuvent travailler pendant la session. Jusqu’à cette annonce, il y avait une limite de 20 heures de travail hors campus par semaine pendant la session, mais pas de limite pendant les congés.

Enfin, cette clientèle contribue énormément à l’économie. Le gouvernement canadien a annoncé fièrement, au mois d’août 2019, que les jeunes venus étudier au Canada « ont une plus grande incidence sur l’économie canadienne que les exportations de pièces d’automobile, de bois d’œuvre ou d’aéronefs ».

Il est clair que l’économie est sourde à la langue utilisée pour dépenser.

 

Décisions fédérales qui nuisent à l’arrivée de jeunes francophones

Même quand on réussit à identifier les francophones à l’étranger qui veulent s’établir au Québec, le fédéral peut décider de refuser leur permis. Le taux de refus par le fédéral des permis d’études émanant de l’Afrique, incluant l’Afrique francophone, est extrêmement élevé. En conséquence, les futurs Boucar Diouf qui ont été acceptés par un établissement postsecondaire en région et qui ont reçu un consentement du ministère de l’Immigration du Québec voient leur permis d’études refusé par le fédéral.

Avec toutes ces conditions pour s’assurer que les personnes qui arrivent au Québec parlent déjà le français, il est clair qu’il y aura toujours un besoin de cours de francisation pour celles qui ne le parlent pas.