L’engagement féministe historique de Simone Veil

2023/01/06 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est artiste pour la paix

Simone Veil – le voyage du siècle, film d’Olivier Dahan1, un mois et demi après avoir été présenté en première au Québec au festival Cinémania, sera enfin à l’affiche vendredi le 23 décembre, alors qu’il a déjà dépassé deux millions d’entrées en France. On doit le film à l’insistance auprès du réalisateur par l’actrice Elsa Zyberstein, gagnante d’un César du second rôle pour Mina Tannenbaum, qui abordait en 1994 un sujet connexe.

Courez voir ce nouveau film où elle brille ! Les grands événements de la vie de Simone revivent, en suivant une audacieuse démarche non chronologique, grâce à un montage si intelligent qui malgré la multiplication des flashbacks nous tient en haleine en deux heures et vingt minutes d’intensité. Des apparences hagiographes en agaceront certains plus que certaines, mais il était temps que le monde redécouvre une véritable héroïne française, enterrée au Panthéon, que l’historien syndicaliste et anticolonialiste Jacques Julliard a décrite en une célèbre et juste phrase lapidaire : « Simone Veil ne nous tire ni vers la gauche ni vers la droite : elle nous tire vers le haut. » N’est-ce pas aussi le propre de nos femmes engagées du Québec telles Simonne Monet-Chartrand, Antonine Maillet, Françoise David, Véronique Hivon, Guylaine Maroist, Léa Clermont-Dion et nos Artistes pour la Paix ?

Née Simone Jacob en 1927 à Nice et morte en juin 2017 à Paris, Simone Veil, magistrate et femme d’État française, est déportée durant la Shoah à l'âge de 16 ans à Auschwitz, où elle perd son père, son frère et sa mère. La recréation de scènes situées en camp de concentration (elle a aussi subi l’incarcération à Bergen-Belsen et à Bobreck) représente le point culminant du film, réalistement cauchemardesque, contrairement aux scènes du film romantique à l’eau de rose trop encensé par une société désireuse d’oublier la dureté de la Shoah, La vie est belle, de Benigni.

Pour Elsa Zyberstein, Simone Veil est un monument français : « Simone Veil représente un exemple et un modèle de résilience, de courage, de force, d’humanité. J’ai eu envie que les jeunes générations la rencontrent, parce qu’elle est un tel exemple de femme engagée, moderne et unique… je crois qu’elle parle à tout le monde ».

Si ces mots vous donnent le goût de vous déplacer, voici en plus quelques actions audacieuses de Simone, que j’ai tenté de placer chronologiquement :

1942 : En vacances sur la Côte d’Azur (à la vraie ville du cinéma d’où vient Dahan, La Ciotat, j’y ai mes meilleurs souvenirs de vacances), elle chante l’Internationale ce qui lui vaut six mois de taule à 15 ans, souvenir qu’elle avoue à ses enfants excités par mai 68.

1946-1952 : Elle épouse Antoine Veil issu d’une famille patriote attachée à la laïcité et à une république dont on n’avait pu prévoir la trahison des principes (Vichy). Après lui avoir donné trois enfants (selon l’expression machiste consacrée), elle passera outre à ses vives objections et réussira ses études de droit. En Allemagne où elle a suivi son mari magistrat, partisan comme elle de l’amitié franco-allemande, elle défend Debussy à l’écoute de la nature, plus que Mahler le postromantique juif.

1959 : Elle travaille à réformer les prisons moyenâgeuses françaises, remplies de membres du FLN algérien, notamment des femmes qu’on torture à l’électricité et son rapport qui scandalise la haute société compare ces « terroristes » avec ce qu’a subi sa sœur pendant la guerre aux mains des Allemands parce qu’elle était résistante française. Devant ses journées passées en visites de prisons insalubres infectées de tuberculose qu’on reproche à une fonctionnaire qui devrait plutôt rester en son bureau, elle rétorque : « Je préfère être dans l’inconfort que dans le mensonge. Je défends l’humanité pas parce que c’est mon travail, mais parce que c’est ma vocation. »

1970 : Visite de son fils qui apprend l’hébreu dans un kibboutz juif en Israël où l’agnostique se voit invitée à venir participer, mais elle décline, son combat étant ailleurs.

1974 : Devenue ministre, en débattant contre des élus machistes qui l’accusent de s’adonner à « un truc de bonnes femmes » voire un « encouragement à la prostitution », elle s’écrie que l’avortement qu’elle veut légaliser est « un drame pour toutes les femmes, surtout celles en détresse, les filles-mères qui interrompent leurs grossesses par des moyens anarchiques et dangereux qui peuvent les rendre stériles » (tant mieux, s’écrie un député de droite !) : la loi Veil sera adoptée, peut-être grâce à la dernière intervention par un catholique de droite, Claudius Petit, croix de guerre 1939-45, qui déclare sa foi au service de celles qui sont le plus humiliées, telle Marie-Madeleine.

1977 : Comme ministre de la Santé, elle s’attaque à la toxicomanie marginalisée parce que « les gens ont peur de la douleur des autres », ce qu’elle a vécu comme survivante de la Shoah, et va vers les sidéens pour la même raison : émouvantes images de rencontres humaines qu’on lui a évidemment déconseillées, avec des drogués et des sidéens.

1979 : Élue à la majorité présidente du Premier Parlement européen « permettant une avancée des femmes dans un bastion de liberté et de démocratie pour résister au retour du totalitarisme », représenté par Le Pen père et aujourd’hui par les Pologne, Hongrie et Italie.

1992 : L’Europe de la démocratie est confrontée aux camps serbo-bosniaques aux prisonniers émaciés. « L’attention à la souffrance des autres définit mon identité opposée à la xénophobie et le racisme contre lesquels il nous appartient de faire échec. »

1. Dahan nous avait donné La vie en rose film sur la môme Édith Piaf qui a procuré l’Oscar de la Meilleure Actrice à Marion Cotillard et qui selon ses dires a changé sa perception de la vie.

Bande annonce : https://www.youtube.com/watch?v=JLEFDd_dRSc