Prendre soin des demandeurs d’asile : une responsabilité qui échappe au Québec

2023/02/17 | Par Anne Michèle Meggs

Les histoires se multiplient dans les médias sur le sort trop souvent précaire, parfois inimaginable dans une société développée et moderne comme le Québec, des personnes arrivant de l’étranger, soit dans le cadre d’un programme d’immigration temporaire ou pour demander l’asile au Canada. On entend parler de l’augmentation de leur nombre, de la « capacité d’accueil » débordée des organismes communautaires, qui ont pour mission d’accompagner les personnes nouvellement arrivées dans leurs premières démarches d’installation au Québec et du manque d’espace dans les classes d’accueil dans les écoles.

La promesse électorale de François Legault en matière d’immigration a été d’en prendre moins, mais d’en prendre soin. A-t-il bien compris les enjeux de cet engagement?

Presque l’entière clientèle des organismes communautaires offrant des services d’intégration est maintenant dans une situation précaire temporaire. Aussi, on ne peut que saluer l’annonce, le 6 février dernier, d’un soutien d’urgence gouvernemental de 3,5 M$ aux organismes communautaires « les plus actifs auprès des personnes nouvellement arrivées en situation de précarité du Grand Montréal ». La réaction à l’appel au secours a été rapide et appréciée, mais déjà des organismes estiment que cette aide ponctuelle doit devenir permanente. Ils ont raison; il n’y a pas de fin en vue de cette tendance à l’augmentation de l’arrivée des personnes immigrantes.

Examinons les responsabilités pour les deux types de clientèles précaires. Dans cet article, nous traiterons des personnes qui font une demande d’asile. Dans un prochain article, nous aborderons la situation des personnes détenant un permis de séjour temporaire pour les études ou le travail. Notons que le permis d’étude sert aussi de permis de travail ouvert.

 

La responsabilité d’Ottawa

Les demandes d’asile sont de compétence strictement fédérale. Ce sont les États-nations qui signent des ententes internationales touchant les migrations et qui ont la responsabilité du contrôle de leurs frontières internationales. C’est d’ailleurs le ministère de la Sécurité publique canadien qui est responsable de la stratégie frontalière, pas le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté (IRCC).

Le Canada et les États-Unis ont signé la Convention relative au statut des réfugiés et sont ainsi tenus d’accueillir des personnes qui traversent leurs frontières, de traiter les demandes d’asile et de les protéger en attendant la décision sur leur dossier.

Les États-nations ont quelques outils à leur disposition pour tenter de freiner l’arrivée de ces personnes. Au Canada, pour les voies terrestres, il y a la fameuse Entente sur les pays tiers sûrs avec la faille qu’on connaît. Elle ne s’applique qu’aux points d’entrée officiels, générant ainsi des arrivées par des voies irrégulières comme le chemin Roxham. Les Américains esquivent sans gêne leurs responsabilités en facilitant et en encourageant des personnes migrantes à venir au Canada par ce chemin.

Il y a aussi l’imposition de l’obligation de visa et l’externalisation de la pratique de gestion des frontières. Le Canada privilégie le premier volet, ce qui expliquerait, au moins en partie, les délais dans le traitement de demandes de visa de certains pays considérés comme générateurs des demandes d’asile.

Les visas créent un mur administratif à l’entrée au pays. Le gouvernement Harper a obligé les personnes arrivant du Mexique à détenir un visa. Le gouvernement Trudeau a retiré cette obligation, ce qui a donné lieu à un flux important de personnes du Mexique arrivant à l’aéroport de Montréal, qui font par la suite une demande d’asile.

Les volumes de ce type d’entrées ont changé radicalement dans les dernières années. En 2015, 16 055 demandes d’asile ont été reçues au Canada, dont 3 055 sur le territoire du Québec. En 2022, le nombre de demandes d’asile reçues au Canada avait atteint 92 720, dont 59 205 au Québec. Demandeurs d’asile - Mises à jour mensuelles d’IRCC

Une clause de l’Accord Canada-Québec sur l’immigration pourrait aider le Québec d’être mieux renseigné sur le rythme et le volume des arrivées par la frontière américaine. La clause précise le mandat du Comité mixte qui gère l’application de l’Accord. Le Comité s’assure de « l'échange de renseignements, de documents et d'analyses » concernant le flux migratoire.

Plus de clarté du fédéral sur ces arrivées permettrait aux organismes communautaires de mieux se préparer pour l’accueil de ces personnes. Et qui sait, ces renseignements aideraient peut-être le Québec dans le calcul des coûts des services à ces personnes fournis ou financés par les ministères et organismes québécois en vue de réclamer un remboursement du gouvernement canadien.

Les conventions internationales sur les réfugiés sont claires quant à la responsabilité des « États contractants » de prendre soin des personnes qui se présentent à leurs frontières. C’est le Canada qui est responsable de l’entièreté du dossier des demandes d’asile et de la frontière avec les États-Unis, incluant tous les coûts des services afférents à ces personnes.

Dans le contexte québécois, est-ce la meilleure solution? Dans le prochain article, on défendra l’Idée que, puisque plusieurs de ces personnes finiront par s’établir au Québec, il faut respecter l’esprit de l’Accord-Canada Québec et s’assurer que c’est le Québec qui en prend soin jusqu’à leurs dossiers soient traités par le fédéral, assorti d’une juste compensation d’Ottawa.