Mon rôle est d’intervenir sur la place publique

2023/03/01 | Par Pierre Dubuc

Depuis son élection, c’est un feu roulant. Magali Picard, la nouvelle présidente de la FTQ, est sur toutes les tribunes. Lors de sa prestation à l’émission Tout le monde en parle, on a pu constater qu’elle n’avait pas la langue dans sa poche et que celle-ci n’était pas une langue de bois. Sa défense de la FTQ-Construction, tout en condamnant l’indéfendable, démontrait qu’il faudrait se lever de bonne heure pour l’intimider. Les porte-parole patronaux avec lesquels elle s’est colletaillée dans les médias s’en sont rapidement rendu compte.

« Le rôle de la FTQ – et donc de sa présidente – est d’intervenir sur la place publique, nous explique-t-elle dans l’entrevue qu’elle nous a accordée. Sauf pour le Front commun, la FTQ ne négocie pas les contrats de travail. Cela revient à chaque syndicat local. Son rôle est de défendre les travailleuses et les travailleurs, de conscientiser la population pour améliorer notre rapport de force en participant aux débats sur les enjeux de société. » Elle ajoute que la FTQ a aussi un rôle de représentation, de lobbyisme auprès du gouvernement et des associations patronales. 

C’est aussi sa lecture de l’état actuel du monde du travail et du syndicalisme qui l’amène à dire que «la FTQ doit communiquer davantage». Elle reconnaît une «baisse de régime» au cours des dernières années, mais constate que la situation est en train de changer avec l’inflation et les attaques contre les programmes sociaux. « Je vois une recrudescence du militantisme chez nos membres et dans la population. Les travailleurs et les travailleuses ont envie de se défendre, de conserver leurs acquis et d’améliorer leurs conditions. »

Un signe de ce changement d’attitude, selon celle qui a été vice-présidente de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), est l’extraordinaire mobilisation du monde syndical et de la population en Ontario dans un large front commun qui a obligé le gouvernement de Doug Ford à retirer le projet de loi 28, qui visait à interdire la grève du personnel enseignant, tout en invoquant la clause dérogatoire pour se protéger contre de potentiels recours légaux.
 

Le chemin vers le syndicalisme

Magali Picard a raconté avoir pris conscience des injustices dans la société et de la nécessité de l’action collective lorsque sa famille a déménagé à Wendake. Elle avait alors douze ans. Son père, qui était chauffeur d’autobus à Montréal, avait décidé de rejoindre sa communauté huronne. Marié à une non-autochtone, il pouvait résider sur la réserve, alors que ses sœurs mariées à des blancs en étaient exclues. Chaque semaine, elle accompagnait les membres de la communauté à Ottawa pour protester contre ce préjudice et réclamer des changements à la Loi sur les Indiens.

L’action collective, c’est aussi le syndicalisme. Et ça passe par la négociation. Face à un gouvernement qui multiplie les consultations, le plus souvent bidons, Magali montre le chemin à suivre. « Le gouvernement nous invite à venir nous asseoir à un Forum Santé. Nous, on l’invite à s’asseoir à la table des négociations. Pareil pour le projet de diminution du rôle des agences privées du ministre Dubé. Ça passe par la négo. Il faut s’asseoir avec Sonia Lebel, la présidente du Conseil du trésor. »

Sonia Lebel est aussi l’interlocutrice privilégiée pour le Front commun des employés des secteurs public et parapublic. « Le gouvernement offre 9 % d’augmentation sur cinq ans. C’est pas sérieux », de nous dire Magali qui se dit très satisfaite de la collaboration établie entre les trois centrales syndicales. «Nous avons élaboré notre cahier de résolutions ensemble. Nous sommes unanimes sur la définition de nos besoins.»
 

Vers des États généraux du syndicalisme

La présidente de la FTQ est aussi préoccupée par les effets de la transition énergétique sur le monde du travail. « Nous devons nous adapter à une nouvelle réalité. Il faut un renouvellement écoresponsable, de nouvelles pratiques. Il faut que les travailleurs prennent conscience qu’on va travailler différemment. »

Elle donne l’exemple des transformations à venir dans l’industrie de la métallurgie. « Les nouvelles usines seront plus performantes. Elles nécessiteront moins de personnels. Qui va continuer à travailler ? Qui va perdre son emploi? Il faut une transition juste. Donner de la formation en prévention. Il faut s’y préparer dès maintenant. On a encore le temps de le faire. »

Cette question fera sans doute partie des États généraux du mouvement syndical que la FTQ prépare avec la CSN et la CSQ. « Ces États généraux se tiendront dans environ dix-huit mois. Actuellement, des employés des trois centrales travaillent à l’élaboration de cahiers de propositions et d’un échéancier. Notre objectif est d’en arriver à une vision commune. »

C’est dans cette perspective que, lors de son récent congrès, la FTQ a convié les congressistes à une réflexion sur ce que pourrait être la FTQ dans vingt ans, à partir d’une démarche dite « prospective ». Un exercice fort apprécié, selon tous les commentaires entendus depuis.

Une autre préoccupation de Magali, qui s’intègre dans ces préparatifs, est une présence accrue de la FTQ dans toutes les régions du Québec. « Nous voulons que nos responsables régionaux interviennent plus souvent publiquement. Pour souligner l’importance que nous accordons aux régions, nous allons tenir nos conseils généraux, l’instance la plus importante entre les congrès, à tour de rôle dans les différentes régions du Québec. Le prochain conseil général aura lieu sur la Côte-Nord. »

Par toutes ces interventions publiques, les siennes et celles des responsables régionaux, Magali veut transmettre le message suivant : « Démontrer à quoi ça sert un syndicat. Faire reconnaître le travail qui est fait par les syndicats à la fois par leurs membres et par l’ensemble de la population. Et, ainsi, redorer l’image du syndicalisme. »

À la veille de la Journée internationale des femmes, nous ne pouvions nous empêcher de recueillir ses commentaires. « En tant que première femme élue à la tête de la FTQ, c’est une journée particulière. Je veux servir d’inspiration pour que d’autres femmes accèdent à des postes de leadership. »