La Fonderie Horne et le passe-droit règlementaire

2023/03/10 | Par Marc Nantel

Quoi de plus vendeur sur le marché international que de faire la promotion de l’exploitation des métaux stratégiques et critiques (MCS) afin de développer la filière « batterie » au Québec.  Nos promoteurs gouvernementaux caquistes vendent le Québec comme une terre d’accueil pour l’exploration, l’exploitation et même le recyclage.

La Fonderie Horne est citée comme étant déjà bien implantée dans le complexe industriel de la filière de transformation des MCS. Pour ajouter une couche de vert,  on indique avec beaucoup de fierté qu’au Québec, la nouvelle stratégie des MCS est « l’occasion de devenir un chef de file en économie circulaire »; rien de moins. Une promotion en or pour la Fonderie Horne.

Dans notre système économique mondialisé, on tente d’attirer les multinationales en leur offrant des infrastructures modernes, de la main-d’œuvre qualifiée, des subventions généreuses lors de leur implantation et des obligations environnementales peu restrictives.

Mais dans  un monde où l’industrialisation affecte les changements climatiques, les gouvernements cherchent à montrer une image environnementale responsable pour ne pas attirer la grogne des citoyens. On claironne qu’au Québec, on a les lois les plus sévères au monde.  On peinture même l’industrie minière en vert puisqu’elle extrait des minéraux qui rentrent dans la composition de batteries.

Mais comment s’y prend-on pour répondre à ces deux volets opposés et ne pas en payer le prix politique ou causer une décote du Québec dans le domaine minier? Tout est une question de stratégie.

Jacques Parizeau déclarait en entrevue « On a des lois sensationnelles… des lois merveilleuses, mais elles ne sont pas respectées… Les citoyens sont laissés seuls pour se défendre. »

La stratégie est de sous-financer les ministères afin de diminuer le nombre d’inspections, ensuite on s’en remet à l’autogestion des industries pour mesurer les données environnementales exigées et, finalement, on émet des règlements passe-droit s’adressant à des complexes industriels de grande taille.

L’attestation d’assainissement

La Fonderie Horne est un bon exemple d’industrie qui jouit d’un passe-droit qui lui a permis pendant 14 ans de ne pas respecter la règlementation sur les émissions atmosphériques. Ce passe-droit se nomme attestation d’assainissement. Depuis 2017, on a changé le terme pour autorisation ministérielle, mais la procédure d’encadrement des activités et projets industriels demeure sensiblement la même.

Le Programme de réduction des rejets industriels voit le jour en 1988. S’ensuit  en 1993 le Règlement sur les attestations d’assainissement en milieu industriel, d’une durée de 5 ans, qui vise à forcer les entreprises à réduire graduellement leurs émissions hors normes. On donne donc un droit acquis de polluer sans déterminer de limite de temps pour atteindre la norme.

Même si la problématique du déversement d’arsenic dans l’air est bien connue depuis au moins  1979 à Rouyn-Noranda, on voit apparaitre la première attestation d’assainissement à la Fonderie Horne seulement en  2007.

À la suite d'une augmentation majeure d’arsenic dans l’air entre 1993 et 2004, le pic  annuel de l’an 2000 étant de 1041 ng/m3, un premier comité interministériel est formé en 2004. Ce comité presse la fonderie de réduire ses émissions d’arsenic en 18 mois à 10 ng/m3 dans le quartier Notre-Dame. De plus, il demande de présenter un plan d’intervention dans les deux mois,  qui devra comprendre les moyens qui seront mis en œuvre et les échéanciers afin d’atteindre  la norme de 3 ng/m3.

Malgré la recommandation, la cible de la première attestation se négocie à 200 ng/m3 à huis clos entre l’usine et le gouvernement. Lors du renouvellement de 2012, la cible de 100 ng/m3 est discutée; mais, coup de théâtre, la deuxième attestation n’est jamais négociée et la première attestation se prolonge de cinq ans sans changement. Ce n’est qu’en 2017 que la deuxième attestation est finalement signée. La fonderie devra atteindre un maximum de 100 ng/m3 la cinquième année.

Lourds impacts sur la santé

Selon plusieurs études, ce passe-droit aurait de lourds impacts sur la santé de la population.

Dans le cadre de son mandat de protection de la santé de la population, la Direction de la santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue a mené, à l’automne 2018, une étude de bio surveillance auprès des jeunes enfants de neuf mois à moins de six ans résidant dans le quartier Notre-Dame. En 2019, une deuxième étude a été effectuée sur des adultes.  Les études ont été faites à partir de prélèvements d’ongles. Ces prélèvements ont ensuite été comparés avec d’autres échantillons provenant d’Amos, la ville témoin, située 74 km plus loin.

On enregistre, chez les enfants  et les adultes du quartier Notre-Dame, des concentrations quatre fois plus élevées que celles mesurées auprès de la population témoin. Les tests statistiques attestent que cette différence est significative. Contrairement à ce qui circule comme opinion,  le sol ne peut être le seul en cause, les adultes ne jouant pas dans la terre. Le radon est aussi éliminé comme facteur pouvant causer des cancers, car les études démontrent que la ville n’a pas ce problème. De plus, la consommation de cigarettes n’est pas plus élevée que la moyenne québécoise.

L’arsenic est un cancérigène sans seuil qui a un effet immédiat sur le métabolisme. Plus vous êtes exposés à de hautes doses, plus votre santé est affectée. Il est aussi relié à des risques spécifiques chez les femmes enceintes, les fœtus, et les jeunes enfants.  Plus un enfant est exposé jeune, plus il est susceptible de développer ultérieurement, de façon plus précoce et plus fréquente, des cancers ou des maladies secondaires.

On enregistre à Rouyn-Noranda 30 % de plus de cancer du poumon et 50 % de plus de maladies pulmonaires obstructives chroniques que la moyenne québécoise. Il y a aussi 25 % plus de bébés qui naissent avec un faible poids.

La Fonderie Horne expose la population à plusieurs métaux dans l’atmosphère. Certains sont cancérigènes et potentiellement cancérigènes : l’arsenic, le cadmium, le plomb, l’antimoine, le nickel, le mercure, le bismuth… 31 polluants atmosphériques sont mesurés sur le site. Lorsque ces polluants sont combinés, l’effet dommageable est multiplié. Mais le gouvernement ne fait pas d’études sur les effets synergiques.

Pour la prochaine attestation, l’atteinte de 15 ng/m3 dans cinq ans est envisagée.

Le discours proéconomie justifie l’exposition des citoyens à des contaminants dangereux. François Legault claironne « que la compagnie paie de bons salaires ». Il ne faut surtout pas fragiliser l’avenir de l’entreprise.

Tant que nos élu(e)s ne seront pas imputables criminellement des décisions qu’ils prennent en toute connaissance de cause, l’économie sera toujours priorisée.

Nous dédouanons les acteurs politiques lorsque nous déclarons pompeusement que dans un pays démocratique le tribunal du peuple juge les actions du gouvernement aux prochaines élections.