Prochaine régularisation des sans-papiers

2023/03/15 | Par Anne Michèle Meggs

Le journaliste Romain Schué de Radio-Canada, qui rend compte des faits et gestes du gouvernement fédéral en matière d’immigration, nous informe de l’annonce prochaine par le ministre Sean Fraser d’un programme de régularisation des sans-papiers. Un programme « d'une ampleur historique sans précédent », laisse-t-on entendre. Il concernerait les personnes qui ont déjà eu un statut légal au pays.

On ne peut être contre l’idée d’un tel programme. Les personnes sans statut sont parmi les plus vulnérables et les plus exploitées au pays, vivants sans droits et dans la crainte constante d’être renvoyées dans le pays qu’elles ont fui.

Cela étant dit, un programme de régularisation des sans statut n’est pas un geste de compassion ou d’ouverture. Il est à la fois un aveu d’échec et un programme de correctifs. L’ampleur du programme témoignera de l’ampleur de l’échec.

Un aveu d’échec

L’échec est celui du système d’immigration, de la protection des frontières et même des politiques économiques et de main-d’œuvre.

On reconnaît qu’on ne peut pas, ou ne veut pas, faire respecter les règles liées aux visas de visiteurs ni les mesures de renvoi. On avoue qu’on ne réussit pas à renouveler ou à prolonger des permis d’études ou de travail avant la date d’expiration, même quand la demande a été faite dans un délai raisonnable.

On admet que le processus de traitement des demandes d’asile ne fonctionne plus. Les délais sont tellement longs que les personnes ont le temps de s’établir dans leur communauté, créer des réseaux professionnels et d’amis, parfois même avoir des enfants, avant d’apprendre que leur demande a été refusée et tous les recours épuisés.

On confesse avec un tel programme qu’il y a potentiellement des centaines de milliers de personnes victimes de la mauvaise gestion du système d’immigration canadien. La régularisation de leur statut est donc une forme de dédommagement. C’est la moindre des choses puisque, très majoritairement, elles continuent de travailler dans une économie clandestine, contribuant au PIB canadien et québécois, combinant parfois deux ou trois emplois dans un contexte de vulnérabilité et d’exploitation extrême sans droit légal aux services publics, comme la santé, ou même à un permis de conduire.

Les politiques économiques et de main-d’œuvre en cause

On concède que cette économie parallèle existe. Qu’il y a de nombreux employeurs qui ferment les yeux sur le statut des personnes qu’ils embauchent, profitant de leur vulnérabilité.

Dans un drôle de raisonnement, on prétend que la régularisation de ces personnes sans papiers va « aider des employeurs canadiens à combler les importantes pénuries de main-d’œuvre », alors qu’on sait que la plupart travaillent déjà. Elles n’ont pas le choix, puisqu’elles n’ont pas droit à l’assistance sociale.

Est-ce qu’on détient des données sur la formation ou l’expérience de ces personnes, permettant de savoir combien d’entre elles pourraient être dirigées vers les secteurs où la pénurie est la plus criante ? Non ? Dans ce cas, il s’agit d’un aveu d’échec des politiques de main-d’œuvre.

Un statut permanent est préférable

Un programme de régularisation des sans-papiers est la reconnaissance qu’un statut permanent est nettement préférable à un statut précaire. La résidence permanente offre une stabilité et une sécurité; elle permet de planifier son avenir, d’obtenir un prêt pour une voiture ou une hypothèque. Ce statut permet de choisir son employeur et son domaine de travail.

Pourtant, on persiste à favoriser de plus en plus l’immigration temporaire, plutôt que le système qui prévalait jusqu’il y a quelques années. Les personnes qui voulaient s’établir au Canada (ou au Québec) devaient alors faire leur demande de l’étranger et, si elles avaient le profil recherché, la résidence permanente leur était accordée avant même leur arrivée au pays.

Ultimement, un programme « d’ampleur historique » de régularisation des sans statut révèle que les solutions, mises en place pour résoudre les failles dans l’ancien système, ont échoué.

On peut même se demander si le système avec ses catégories d’immigrants est toujours pertinent. Est-ce que toutes les personnes régularisées par ce futur programme seront admises dans la catégorie économique ? Cela permettrait au gouvernement fédéral de se vanter l’année prochaine d’une augmentation de cette catégorie dans l’ensemble de l’immigration totale. Ces régularisations vont certainement contribuer à atteindre les seuils extraordinaires d’admissions annoncés par le gouvernement fédéral.

Quel sort pour les sans statut au Québec ?

Et le Québec dans tout ça ? L’Accord Canada-Québec sur l’immigration ne peut être plus clair. Article 12 (c) : « Le Canada n’admet pas au Québec un immigrant qui ne satisfait pas aux critères de sélection du Québec. »

De plus, article 12 (a) : « Le Québec est seul responsable de la sélection des immigrants à destination de cette province » et, 12 (b) : « Le Canada doit admettre tout immigrant à destination du Québec qui satisfait aux critères de sélection du Québec » (sauf exception pour des raisons surtout de sécurité nationale).

Un programme de régularisation des personnes sans statut du gouvernement canadien ne peut s’appliquer au Québec, s’il ne respecte pas ses critères de sélection. C’est au gouvernement du Québec de décider s’il veut régulariser des personnes sans statut sur son territoire, en déterminant les critères de sélection et la durée du programme. La ministre Fréchette reste muette sur ses intentions, répétant qu’elle est ouverte à examiner la proposition fédérale.

Il y a évidemment des enjeux administratifs et politiques à considérer. N’importe quel nouveau programme exige des étapes législatives ou réglementaires. Des mécanismes et des ressources seront nécessaires pour le traitement des demandes, la formation du personnel, ainsi que des consultations avec les partenaires, les autres ministères et les organismes et municipalités qui pourraient être touchés.

Ces admissions seraient comptabilisées aussi dans les seuils d’immigration permanente établis par le Québec. Elles feraient donc partie de la planification pluriannuelle de cette année.

Les autres provinces n’auront pas ces mêmes préoccupations. Le Québec a négocié en 1990 et a obtenu le pouvoir de sélection. Il a la structure administrative en place pour y faire face.

Il y a néanmoins beaucoup d’inconnus. Ce n’est que lors du traitement des demandes que le ministère recueillerait de l’information sur le profil de ces personnes, notamment la connaissance et le niveau de compétence en français (qui aurait des conséquences potentielles sur les services de francisation), l’âge des adultes et des enfants, le sexe, le niveau de scolarité, le domaine de formation, le niveau d’emploi occupé, le lieu d’habitation, même si la personne a sa propre adresse ou habite avec des amis ou de la parenté. Tous ces renseignements permettent de planifier le recours aux services publics potentiellement concernés.

On ne possède aucune estimation fiable du nombre de personnes sans statut présentes sur le territoire québécois, encore moins du nombre qui satisferait les éventuels critères de sélection. Les organismes communautaires auraient aussi besoin de plus de ressources pour accompagner ces personnes qui sortiraient de l’ombre.

Ce ne sera pas une mince affaire que de monter un tel programme.

Un triste constat à corriger de manière durable

Triste constat que d’avoir au pays un si grand nombre de personnes sans statut. L’annonce d’un programme de régularisation laissera sûrement un goût amer dans la bouche de toutes les personnes qui ont respecté les règles et ont dû quitter le pays en se trouvant, bien malgré elles, victimes des aléas du système, avec un permis expiré, dû à la négligence d’un employeur, aux lenteurs administratives ou à la suite d’une réponse négative tardive à leur demande d’asile.

Je le répète : être sans papiers est le pire statut possible. Reconnaître les échecs des systèmes et dédommager les personnes qui en ont souffert et sont prêtes à tout pour vivre parmi nous et partager notre avenir est un choix politique normal à court terme.

Pourtant, si on ne change pas le système actuel, cette situation va se perpétuer et on se trouvera avec des programmes de régularisation à répétition. Si on reconnaît qu’un statut permanent est préférable, pourquoi ne pas retourner au système d’immigration à une étape, tout en corrigeant les failles et les lacunes identifiées, et restreindre l’immigration temporaire aux emplois réellement d’une courte durée déterminée ?

Espérons que, lors de la conférence de presse, quand le ministre Fraser va annoncer avec grande fierté son nouveau programme « historique » et que les organismes vont encenser l’initiative parce que c’est mieux que rien et qu’il fallait agir, il y aura une ou un journaliste qui posera la question, « Comment en sommes-nous arrivés là ? »