Travail des enfants : un retour au 19e siècle ?

2023/03/15 | Par Sylvain Martin

L’auteur est syndicaliste

Le ministre du travail Jean Boulet a annoncé qu’il comptait bientôt déposer un projet de loi concernant le travail des enfants. Quand j’ai entendu cette nouvelle, j’ai été surpris. Pourquoi a-t-on besoin de légiférer sur le travail des enfants dans une société comme la nôtre ? Je comprends qu’il faille légiférer pour protéger les enfants dans les pays en voie de développement ou aux prises avec un régime totalitaire, mais pas chez nous au Québec.

J’étais persuadé que le travail des enfants dans notre société était anecdotique, que c’était surtout le fait des étudiantes et étudiants de la fin du secondaire et des niveaux postsecondaires qui travaillaient pour payer leurs études. Vous vous souvenez, en 2012, de ces jeunes portant un carré rouge qui sonnaient l’alarme à propos de frais de scolarité trop élevés, qui obligeaient plusieurs d’entre eux à travailler, souvent à temps plein, pour payer leurs études. Situation qui perdure.

Un retour au 19e siècle

Malheureusement, il semble que les besoins de certains employeurs les amènent à être continuellement à la recherche de nouvelles sources de main-d’œuvre. Il y a les travailleuses et les travailleurs immigrants, surtout les temporaires, une main-d'œuvre flexible et docile. Il y a les personnes retraitées, une main-d’œuvre moins attrayante car, le plus souvent, elles ne veulent pas d’un travail à temps plein. Maintenant, on lorgne du côté des enfants. Wow ! Toute une évolution de notre monde du travail !

Est-ce que nous serions en train de retourner doucement vers le monde du travail de la fin du 19e siècle et du début 20e, alors qu’il y avait légion d’enfants dans les milieux de travail.

Certains faits, j’en ai peur, tendent à démontrer un certain glissement dans ce sens. D’abord, il y a les statistiques des réclamations en santé-sécurité au travail. Les données de la CNESST démontrent une hausse importante du nombre des accidents de travail acceptés. Ici, le mot « accepté » prend tout son sens.

Les statistiques de la CNESST ne tiennent évidemment pas compte des accidents non déclarés et on peut raisonnablement croire qu’il y en a beaucoup, entre autres, parce que les enfants ne sont pas vraiment au courant de leurs droits et que, souvent, lorsque nous sommes jeunes, on ne fait pas grand cas d’un mal de dos ou d’épaule soudain, qui nous rattrapera dans quelques années. Sans faire ma langue sale, il y a probablement quelques employeurs qui ne déclarent pas tous les accidents de travail.

Importante hausse des accidents de travail

Je vous soumets un extrait de l’avis concernant le travail des enfants que le Conseil consultatif du travail et de la main-d'œuvre (CCTM) a soumis au ministre du Travail en décembre dernier, qui illustre bien mon propos.

« En matière de santé et de sécurité du travail, une hausse importante des accidents du travail acceptés a été observée de 2012 à 2021 auprès des jeunes. En effet, celle-ci est de 392 % pour les 14 ans et moins, de 221 % pour les 15 ans et de 17 % pour les jeunes de 16 ans.

« De plus, 5 décès résultants du travail et impliquant un jeune de moins de 19 ans ont été dénombrés depuis 2014.

« La commission indique également que très peu de recours sont déposés par et pour des jeunes de moins de 18 ans en vertu de la Loi sur les normes du travail. En effet, au 30 septembre 2022, cela représentait seulement 1,3 % de l’ensemble des recours traités par le secteur des normes du travail. »

Ces chiffres parlent d’eux-mêmes, il y a de plus en plus d’enfants au travail. Ils sont de plus en plus jeunes, ont souvent moins de 14 ans, et on se soucie peu de leurs droits.

D’autres faits démontrent un recul de notre monde du travail afin de laisser plus de place aux enfants. Lors de l’annonce de son intention de légiférer sur le travail des enfants, le ministre du Travail Jean Boulet a fait référence à l’avis du CCTM, qui lui recommandait d’interdire le travail aux moins de 14 ans, sauf exception, et de limiter le nombre d’heures qu’un enfant peut travailler par semaine.

À la suite à cette déclaration du ministre, le président de l’Association des restaurateurs du Québec a cru bon de réclamer au ministre de légiférer sur le nombre d’heures travaillées par un enfant, mais pas sur leur âge. Allons-nous bientôt voir des enfants de 10-12 ans travailler dans des restaurants ? La prochaine étape sera peut-être de réclamer un salaire pour enfants autre que l'actuel salaire minimum.

Pour l’épanouissement des enfants

D’autres employeurs auraient déclaré que ce serait mieux de voir un enfant au travail plutôt que de coller devant un écran. D’arrêter un enfant de passer plusieurs heures devant un écran pour lui faire passer plusieurs heures au travail, c’est remplacer un mal par un autre. Dans les deux cas, il n’y a rien de bon pour l’enfant. La seule différence, c’est de savoir qui se remplit les poches avec les enfants.

Il est plus que temps que le travail des enfants soit encadré au Québec. Monsieur le Ministre, nous avons besoin d’une loi qui protège nos enfants et non pas qui légitime leur utilisation comme force de travail. Nous avons besoin d’une loi qui affirme que le bien-être de nos enfants doit être prioritaire sur tout, une loi qui affirme que le réel « travail » des enfants, c’est de s’amuser, de socialiser, d’apprendre, entre autres, à travers l’art, les sciences, la philosophie, le sport.

Les enfants doivent pouvoir – peu importe la richesse et le statut social de leurs parents – fréquenter un établissement scolaire public, qui leur permettra de s’épanouir comme individu et de devenir des citoyennes et citoyens, qui se préoccupent du bien-être d’autrui et de l’environnement dans lequel ils vivent.

Monsieur le Ministre, vous avez demandé un avis au Conseil consultatif du travail et de la main-d'œuvre concernant le travail des enfants, c’est une bonne chose. Je vous suggère également de consulter rapidement pour trouver une réponse à la question suivante : Comment se fait-il que, dans une société riche comme la nôtre, on ait besoin de faire travailler des enfants ? Peut-être allez-vous constater que, plutôt que de baisser les impôts pour favoriser les plus riches comme votre gouvernement s’apprête à le faire, vous devriez solidifier notre filet social pour aider les moins bien nantis.

Vous allez peut-être également réaliser que de vouloir absolument remplacer tous les baby-boomers qui prennent une retraite bien méritée par un nombre égal de nouveaux travailleurs et travailleuses est voué à l’échec. Que l’immigration, le retour au travail des personnes retraitées, ou retarder le moment de leur retraite sont des mesures à courte vue. Que le travail des enfants n’est pas une solution.

Que la solution réside peut-être dans notre façon de produire et de consommer.