80 milliards $ disponibles à Ottawa

2023/03/17 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois
 

Dans une fédération, il y a déséquilibre fiscal lorsqu’un niveau de gouvernement perçoit plus d’impôts que ce dont il a besoin pour assumer ses responsabilités, alors que l’autre niveau n’arrive pas à financer les siennes d’une manière autonome. Au Canada, il y a un grave déséquilibre fiscal au détriment du Québec et des provinces.

Le déséquilibre fiscal cause des dysfonctionnements importants qui limitent la capacité de l’État de faire face aux défis auxquels il est confronté. Et ils sont nombreux. Ces dysfonctionnements sont de trois ordres.
 

Trois ordres de dysfonctionnements

Premièrement, percevant plus de revenus que nécessaire pour répondre à ses obligations, Ottawa ne fait pas l’effort de gérer de manière efficace son administration. L’État fédéral est notoirement inefficace. Tout coûte plus cher qu’il ne le devrait.

Deux exemples nous donnent un ordre de grandeur de l’écart. À Ottawa, traiter un dossier d’assurance-emploi coûte deux fois et demie plus cher que traiter un dossier d’assistance sociale à Québec. Délivrer un passeport coûte quatre fois plus cher à Ottawa que l’émission d’un permis de conduire à Québec.

Deuxièmement, Ottawa utilise sa marge de manœuvre financière pour s’ingérer dans les domaines qui relèvent constitutionnellement du Québec et des provinces. Ces immixtions brouillent le partage des pouvoirs, le rendent moins rationnel, tout en minant notre autonomie. Les doublons juridictionnels n’ont aucune vertu d’efficacité. Ils ne font que favoriser la centralisation vers Ottawa. C’est le cas, par exemple, avec la nouvelle assurance dentaire pour enfants. Il y a un pur dédoublement. C’est aussi le cas avec les deux rapports d’impôt.

Finalement, Ottawa tenant indirectement les cordons de la bourse du gouvernement du Québec et de ceux des autres provinces canadiennes, la capacité du gouvernement du Québec à assumer pleinement ses responsabilités s’en trouve diminuée. Le constat du Directeur parlementaire du budget est sans appel : si la tendance se maintient, à terme, les gouvernements des provinces ne seront carrément plus viables. L’implosion les menace, alors que le gouvernement fédéral verra sa marge de manœuvre augmenter considérablement.
 

Une marge de manœuvre sans précédent

Au moment où il choisit de verser six fois moins pour les soins de santé que ce que le Québec et les provinces demandent pour réparer le système, Ottawa jouit d’une marge de manœuvre financière jamais vue, qui dépasse les 80 milliards $, soit trois fois plus que les demandes en santé.

De plus en plus, Ottawa budgète et vote des crédits qu’il ne dépense pas. L’an dernier, 41 milliards $ sont restés sur la table. À ce montant, s’ajoute une marge de manœuvre supplémentaire de 40 milliards $, selon le Directeur parlementaire du budget. Si le fédéral voulait maintenir son ratio dette-PIB, il pourrait augmenter ses dépenses ou réduire ses revenus à la hauteur de ce montant.

En d’autres mots, à moins d’infléchir la tendance, nous assistons à une centralisation sans précédent des pouvoirs entre les mains d’Ottawa, retirant au peuple québécois la capacité de se développer selon ses besoins, ses forces, ses particularités et ses désirs.

Cette centralisation est une tendance qui remonte aux débuts de la confédération. Il ne faut pas oublier qu’en 1867, le compromis accepté par notre nation pour faire partie du Canada a été l’adoption d’un modèle fédéral avec deux ordres de gouvernement, égaux et aussi souverains l’un que l’autre dans leurs domaines respectifs.

Depuis, chaque gouvernement à Ottawa s’emploie à transformer la fédération en union législative, où Ottawa règnerait en maître sur les provinces. Depuis que je siège à Ottawa, je n’y ai jamais rencontré un élu anglophone qui soit «fédéraliste», c’est-à-dire qui reconnaît que les provinces ne sont pas subordonnées à Ottawa. Libéraux, conservateurs, néodémocrates et même les deux députés verts veulent centraliser le pouvoir à Ottawa au détriment du Québec.
 

Le cul-de-sac de la voie autonomiste

Le seul contrepoids à cet affaiblissement de notre nation est le mouvement souverainiste. Sa faiblesse actuelle permet au fédéral de réaliser d’importants gains. Ottawa se moque des autonomistes. Les entreprises au Québec sous juridiction fédérale, comme les banques et les compagnies aériennes, n’ont pas à imposer le français et Ottawa continue à financer l’anglicisation du Québec.

Octroyer six fois moins d’argent pour la santé que requis ne mène à aucune conséquence. Ottawa se permet même de retrancher de l’argent alloué pour le non-respect de ses conditions dans les champs de compétence du Québec. Les 21 demandes autonomistes de la CAQ, comme le rapport d’impôt unique, ont toutes, sans exception, été refusées, encore une fois sans aucune conséquence.

Au Canada, le statu quo n’existe pas. Entre notre souveraineté et notre assimilation, la troisième voie autonomiste où le Québec serait respecté est constamment attaquée par le fédéral, tous partis confondus. Dans les faits, le statu quo est un affaiblissement de notre Assemblée nationale au profit d’Ottawa.

Or, le contexte actuel d’incertitudes et de crises devrait exiger le règlement du déséquilibre fiscal. Les crises multiples entraînent de nombreux défis à relever. Nous pouvons en sortir grandis ou affaiblis. Avec le refus d’Ottawa de se pencher sur le déséquilibre fiscal, la conjoncture est inquiétante.

Les crises à répétition vécues depuis trois ans ont révélé bien des problèmes. D’abord, la COVID a démontré que notre système de santé avait été fragilisé par le sous-financement chronique du fédéral, tandis que les graves lacunes du régime d’assurance-emploi ont forcé l’adoption d’une série de programmes coûteux conçus sur un coin de table.

La réouverture soudaine de l’économie a exposé d’autres problèmes: manque de logements, pénurie de main-d’œuvre, accentuée par le vieillissement de la population, et grande fragilité de notre secteur manufacturier. Et voilà que l’agression russe contre l’Ukraine frappe nos agriculteurs, qui doivent payer le prix fort pour leurs engrais, ce qui chamboule tout le secteur agroalimentaire, en plus de nous rappeler l’urgence de se sortir de notre dépendance au pétrole. Le gouvernement n’a pris au sérieux aucun de ces enjeux fondamentaux.

Avec sa récente annonce en santé, Justin Trudeau s’est contenté d’arrêter de couper. Dans dix ans, Ottawa couvrira 24 % des coûts en santé, soit exactement ce qui prévalait lorsqu’il est arrivé au pouvoir et qui a mené à la crise qu’on connaît. Il est temps d’entreprendre une discussion sérieuse sur le déséquilibre fiscal au Canada. Ottawa doit contribuer à hauteur de 35 % des coûts de santé si on veut rebâtir le système.

C’est la même chose pour le pouvoir d’achat des aînés. Depuis des années, nous savons que la génération du baby-boom approche de l’âge de la retraite et qu’une forte baisse de son pouvoir d’achat risque de plomber l’économie. Mais Ottawa est incapable de voir venir.

Le Québec a une vision très claire des mesures à mettre en œuvre pour faire face efficacement aux défis actuels. La solution est simple et passe par davantage de moyens financiers pour le Québec. Le gouvernement Trudeau doit s’attaquer au déséquilibre fiscal en rehaussant les transferts fédéraux pour en assurer une redistribution plus équitable et plus juste. L’avenir se prépare en tablant sur les forces du Québec, qui sont justement celles qui gagneront en importance dans l’économie de demain.