Entretien avec Sylviane Cossette, présidente du Syndicat de la BanQ

2023/03/22 | Par Orian Dorais

Sur le plan symbolique, 2023 est une année importante pour Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), car cela va faire exactement vingt-cinq ans que le projet originel de cette société d'État a été lancé. En effet, c'est en 1998 que le gouvernement péquiste prend la décision de doter Montréal d'une Grande Bibliothèque, qui sera plus tard chargée d'accueillir les collections et les archives de la Bibliothèque nationale.

Lucien Bouchard confie la gestion de cet imposant chantier à la journaliste Lise Bissonnette, qui relate ses années à la tête de BAnQ dans un livre d'entretiens paru chez Boréal en janvier dernier. L'ancienne rédactrice en chef du Devoir raconte à quel point la genèse de la Grande Bibliothèque a été difficile, plusieurs acteurs politiques et intellectuels la critiquant pour des motifs souvent discutables. Néanmoins, Bissonnette résume ainsi l'importance d'une institution comme BAnQ : « Une bibliothèque est d'abord un lieu de culture, elle incarne la transmission du savoir dans toutes les disciplines accessibles par la lecture, elle a soutenu le développement des démocraties et, ailleurs, incarné la résistance aux obscurités. »

Aujourd'hui, la Grande Bibliothèque demeure aussi aimée du public qu'à son ouverture et, plus largement, la société d'État joue un rôle névralgique dans le milieu culturel et institutionnel, mais également dans plusieurs autres sphères de la société. BAnQ remplit plusieurs mandats et peu de personnes viendraient aujourd'hui remettre en question la vision qu'a Bissonnette de son importance. Même les gouvernements de Charest et Couillard avaient un minimum de respect pour cette institution.

Par contre, la CAQ se montre beaucoup moins intéressée par BAnQ et les gens qui y travaillent, tant et si bien que les membres du Syndicat des Travailleurs et Travailleuses Unies de BANQ (STTUBANQ-CSN) sont maintenant sans convention depuis trois ans ! Un conflit de travail préoccupant, où l'intransigeance gouvernementale nuit à la rétention d'un personnel pourtant très qualifié, ce qui pourrait à terme faire du tort à cette institution, symbole du Québec moderne, dont Lise Bissonnette explique si bien l'importance.

Orian : Alors, Mme Cossette, que revendique le syndicat ?

Sylviane Cossette : Notre convention collective est échue depuis le 31 mars 2020 et nous sommes en négociations depuis octobre 2021. Notre principal enjeu, c'est certainement le salaire, parce que, si on se compare à des bibliothèques municipales ou universitaires, les salaires offerts par BAnQ sont pas à la hauteur. En fait, c'est ironique, ces mêmes bibliothèques nous contactent souvent pour profiter de notre expertise dans plusieurs domaines.

Donc, on est reconnu à travers tout le réseau comme étant plus qualifiés... mais on est moins bien payés que les collègues qui sollicitent notre expertise. Où est la logique ? Nos membres demandent la formule 2-2-2 – donc 2 % pour 2020, pour 2021, puis 2022 – et un autre 3 % pour contrer l'inflation. C'est généralement ce qui est attendu dans la fonction publique, mais, chez BAnQ, on dit souvent que c'est la structure de la fonction publique sans le salaire.
J'ajoute aussi que l'employeur veut nous offrir une convention sur six ans plutôt que trois ans, ce qui n'est pas optimal. Je précise que les gens s’imaginent  que tous les fonctionnaires sont des « gras durs »,  ce qui était peut-être vrai à une certaine époque, mais plus aujourd'hui.

O. : Vous n'êtes vraiment pas la première syndicaliste à me dire ça !
 
S. C. : Voilà ! Sinon, il a aussi fallu qu'on se batte pour garder notre nombre actuel de congés. Le syndicat demande en plus que l'employeur triple sa participation aux assurances collectives et qu'il reconnaisse, dans la convention, la structure et l'autorité du comité STT-paritaire.

Je précise que c'est un comité – sur lequel je siège – qui est chargé d'assurer la santé, la sécurité et la parité au travail. C'est ce comité qui gère à l'interne les enjeux de santé mentale et de harcèlement, en plus de faire des recommandations à l'employeur. Si la direction ne prend pas en compte les avis de ce comité, il y a des recours. Mais il faut officialiser tout ça dans la convention. Et, puisqu'on parle d'un comité sur la parité, je rappelle que les membres du STTUBANQ, c'est à 60 % des femmes. Le monde des bibliothèques, c'est un milieu traditionnellement – et dans notre cas majoritairement – féminin. En fait, on revendique que la CAQ injecte de l'argent dans le travail des femmes, mais connaissant ses positions passées, c'est pas réjouissant.

O. : Je voudrais justement vous amener sur le dossier de la solidarité féminine, en quelque sorte... De manière un peu controversée, la CAQ a nommé Marie Grégoire comme PDG de BAnQ. Plus récemment, Sonia Lebel, présidente du Conseil du Trésor, a été critiquée par les syndicats pour ses tactiques en négociation. Avez-vous senti une volonté d'écoute ou d'entraide de la part de ces femmes-là en position d'autorité ?

S. C. : Bien, Mme Grégoire est quand même intervenu auprès du Conseil du Trésor pour essayer d'accélérer les pourparlers. Je pense qu'elle en fait pour nous et qu'elle intercède en notre faveur. C'est pas un enjeu pour notre syndicat de faire la vie dure à Mme Grégoire (rires). Par contre, je dois dire qu'on s'attendait à plus d'ouverture et de flexibilité au Conseil du Trésor. Ils sont très arrêtés dans leurs demandes. Tu sais, BAnQ n'a pas un budget indexé, donc à chaque année, il faut essayer d'aller chercher un financement qui a du bon sens. Pour une institution nationale comme celle-là, c'est assez dommage.

On commence à avoir des problèmes d'attractivité et de renouvèlement de l'expertise, c'est préoccupant pour le futur. Et les membres qui restent, en ce moment, le font plus par passion, parce qu'on aime BAnQ et les services publics. Moi-même, je suis technicienne en muséologie, je suis en charge de la préservation du patrimoine écrit. Je pourrais pas faire ailleurs ce que je fais mais, un moment donné, la passion, ça paie pas le loyer ou l'épicerie. Il faut que le gouvernement rajuste le tir et écoute nos demandes, qui sont pas déraisonnables. C'est pas nous qui voulons un salaire dans les six chiffres, c'est Mme Grégoire qui a ça, à la direction.

O. : Êtes-vous inquiète pour le futur de BAnQ ?

S. C. : Non, j'ai pas peur pour la pérennité de la Grande Bibliothèque, parce qu'elle est tellement importante pour Montréal et pour le Québec, que je sais qu'elle est là pour rester. Par contre, je crains que la conscience populaire de l'importance de BAnQ, elle, soit en danger. Les gens peuvent difficilement réaliser à quel point notre institution est importante quand les dirigeants ne montrent pas l'exemple. C'est pour ça qu'il faut des voix fortes, comme celle de Lise Bissonnette... ou de Marie Grégoire, pour crier l'importance de BAnQ.

Il faut que les médias, les usagers et les usagères comprennent notre rôle à la grandeur du Québec. Nos services et nos installations sont pas seulement à Montréal, la préservation du patrimoine, c'est partout. Mais j'ai confiance. Depuis le début du conflit de travail, on a eu une bonne couverture médiatique, une forte solidarité de notre centrale – la CSN – et des réactions positives de la clientèle. On dirait que le fait qu'on préserve le patrimoine, ç'a frappé fort dans la conscience collective. Le gouvernement doit comprendre qu'on ne doit pas diminuer les services de BAnQ. Aussi, on a fait cinq jours de grève à la mi-février et on est prêt à en faire cinq autres au printemps, si les négociations n'avancent pas. C'est à l'employeur de prendre acte.