Des guichets pour le public, des médecins pour le privé

2023/04/14 | Par Sylvain Martin

L’auteur est syndicaliste

Le dépôt du projet de loi 15, qui instaurera une Xième réforme du système public de santé, m’amène à me questionner sur les changements en santé intervenus depuis l’arrivée de la CAQ au pouvoir. 

Souvenons-nous que la CAQ, en 2018, nous avait promis que, durant son premier mandat, nous aurions tous un médecin de famille. Quatre ans plus tard, on nous promettait à tous un accès à un professionnel de la santé. Cette nouvelle promesse ne découlait pas du fait que celle de 2018 avait été réalisée. Bien au contraire !

La situation n’avait guère changé en 2022. Pratiquement autant de Québécoises et de Québécois étaient sans médecin de famille qu’en 2018. Avec à peine un soupçon d’ironie, je pourrais dire que, selon la CAQ, la faute en incombe à la pandémie ou aux syndicats, ou à un peu des deux. Mais ce n’est surement pas au gouvernement Legault.

Pas de médecins, mais des guichets

Nous avons également assisté à l’instauration de différents guichets pour un accès à un professionnel de la santé. Nous avons, notamment, le guichet d’accès à un médecin de famille (GAMF). On s’y inscrit avec l’espoir d’être un jour pris en charge par un médecin de famille. 

En attendant d’être l’heureux élu, nous pouvons, si nous avons un problème de santé, contacter un guichet d’accès à la première ligne (GAP), mais – attention ! – ce n’est pour tous les problèmes de santé. Sur le site Internet d’un CIUSSS, nous pouvons lire qu’avant d’appeler au GAP, il faut vérifier si nous appelons au GAP de notre territoire, que notre problème de santé est ponctuel (exemple : des symptômes d’une infection urinaire) ou que le problème est non urgent (exemple : une demande pour remplir un formulaire médical) ou encore que notre problème est semi-urgent (exemple : le renouvellement d’une prescription venue à échéance non renouvelable par votre pharmacien). 

Pour les problèmes de santé qui ne rentrent pas dans la case de ceux admis au GAP, il y a Clic santé, un portail qui sert à obtenir un rendez-vous pour, entre autres, une prise de sang, un vaccin ou un rendez-vous avec un médecin qui est disponible en clinique « sans rendez-vous ».

Il y a quelques jours, j’ai eu l’occasion d’expérimenter ce système. Ça fonctionne. J’ai pu obtenir un rendez-vous avec un médecin dans les sept jours de ma demande. Le seul hic est que le rendez-vous était à Montréal et que j’habite à près de 100 km de Montréal.

Tous ces guichets et portails sont destinés, bien entendu, aux travailleuses et aux travailleurs. Pour les mieux nantis, il y a le réseau privé où tout est au beau fixe. Si vous pouvez payer, vous aurez droit à des soins de qualité et rapidement.

Mais il ne faut pas paniquer. Le ministre de la Santé nous demande de ne pas perdre espoir. Un an après avoir présenté son « Plan santé », qui prendra de son propre aveu 5 à 10 ans pour se réaliser, M. Dubé a déposé un projet de loi mammouth. Un document de plus de 300 pages, qui compte 1180 articles et qui modifiera 35 lois. Quand on dit que le diable se cache dans les détails, imaginez le nombre de petits diables qui peuvent s’y cacher.

À moins que la CAQ utilise le bâillon pour accélérer le processus, un projet de loi de cette envergure prendra plusieurs mois pour passer à travers le processus législatif et quelques années avant d’être implanté. Au final, après deux mandats, il y a fort à parier que la CAQ n’aura réussi qu’à faire des changements de structures dans notre système public de santé. 

Une attitude cavalière

Quand est-il pour les travailleuses et travailleurs de la santé ? Ce sont tout de même eux qui vivront au quotidien tous ces changements. Je crains, malheureusement, que ça n’augure rien de bon. L'attitude cavalière qu’ont le premier ministre, le ministre de la Santé et la présidente du Conseil du Trésor à leur égard est inquiétante.

Par exemple, nous avons la ministre Sonia Lebel, qui démontre un manque total de respect envers les syndicats en voulant établir une nouvelle façon de négocier sans leur consentement. Les forums de discussion que la ministre a tenté d’implanter équivalaient ni plus ni moins qu’à imposer sa façon de faire à la partie syndicale. Tous ceux qui ont un tant soit peu négocié savent qu’une des règles de base pour arriver à une entente est le respect de l’autre partie.

Quant au projet de loi du ministre de la Santé Christian Dubé, il prévoit, entre autres, une fusion des conventions collectives – qui passeraient de 136 à 4 –, un changement d’employeur, en créant une nouvelle société d’État, et l’instauration d’une ancienneté nationale pour les infirmières. Tout cela au beau milieu du processus de renouvellement des conventions collectives !

Les syndicats, comme la FIQ, ne doivent plus savoir sur quel pied danser. D’un côté, vous avez la présidente du conseil du Trésor, qui se dit pressé de négocier, et de l’autre, le ministre de la Santé qui annonce des changements majeurs qui vont affecter les conventions collectives, qui ne sont même pas encore négociées. 

Finalement, nous avons le premier ministre François Legault, qui tweete à qui mieux mieux que tout est de la faute des syndicats. Il les invite à faire partie de la solution en concédant plus de flexibilité dans les conventions collectives. Cela me rappelle les discours patronaux que j’entendais aux tables de négociation.

Quand un employeur demandait plus de flexibilité, il fallait entendre qu’il voulait faire ce qu’il voulait avec sa main-d'œuvre, avec le moins de contraintes possible. Quand on avait l’audace de dire « non » à de telles demandes, on nous accusait d’être négatifs, réfractaires aux changements, ou encore de ne pas vouloir faire partie de la solution. Si M. Legault était encore dans le secteur privé, il menacerait sûrement de fermer la ‘‘shop’’.

Il est tout de même malheureux que les travailleuses et les travailleurs du système de santé soient passés, en l’espace d’une pandémie, du statut d’anges gardiens à celui d’employés non respectés.

Un gouvernement à la dérive

À mon avis, nous assistons à la dérive d’un gouvernement qui se croit tout permis parce qu'il a 90 députés à l’Assemblée nationale. Ce gouvernement fait malheureusement fi du fait qu’il n’a été élu que par 40 % de la population, qu’une super majorité à l’Assemblée nationale ne lui donne pas la science infuse, mais plutôt l’obligation d’être très vigilant pour ne pas aller à la dérive. 

Tout le monde s’entend sur le fait que notre système public de santé est mis à rude épreuve depuis plusieurs années et que de grands défis se dressent devant nous pour le maintenir public, accessible et avec une grande qualité de soins. Ces défis peuvent et doivent être relevés avec la participation de tous les acteurs du milieu, c’est-à-dire, entre autres, les travailleuses et travailleurs et leurs représentants.