Budget fédéral : L’écoblanchiment du mot « vert »

2023/04/19 | Par Monique Pauzé

L’autrice est députée du Bloc Québécois.

Le 28 mars dernier, le gouvernement Trudeau a déposé son budget et c’est sans surprises que les analyses ont déferlé et que les fleurs et les pots ont été lancés. En complément des positions exprimées par le Bloc Québécois, il m’apparaît nécessaire de dénoncer certains éléments passés sous le radar.

Est-ce un budget « propre », est-ce un budget « vert »? Il faut se poser la question, car le choix des mots compte lorsque l’État parle. Dans les minutes et les heures qui ont suivi ce 28 mars, les médias interchangeaient ces deux mots tels des synonymes, comme le fait le gouvernement. Si on veut mettre un terme à l’écoblanchiment, on choisira « vert » avec prudence, s’assurant qu’il qualifie le renouvelable, non-émetteur de GES, comportant peu de risques environnementaux et au cycle de vie optimal.

Dans le discours gouvernemental, quand il manque de rigueur, le vert devient si propre qu’il est écoblanchi. Ainsi, par l’entremise de différents programmes qui ont tous des lacunes au niveau de la transparence, le secteur pétrogazier canadien bénéficiera de la part démesurée des plusieurs dizaines de milliards annoncés, car il est considéré comme propre.

Le captage et le stockage du carbone

Je ne rappellerai pas ici en quoi consiste cette technologie, considérée justement comme propre par le gouvernement. L’Institut international du développement durable (IISD) a publié en février une étude très claire à ce sujet. En quelques mots, cette technologie  est extrêmement coûteuse, inefficace, énergivore et impossible à déployer en temps opportun.

Un exemple éloquent : les dirigeants et lobbys présentaient le projet Quest de Shell – subventionné à la hauteur de 654 millions $ – avec un potentiel de capture de 90 %. Finalement, une analyse indépendante a plutôt conclu qu’après 5 ans, l’installation aura capté 4,8Mt de GES et émis…7,7Mt de GES!

Dans le budget de cette année, il peut paraître maigre ce montant de 516 millions $ sur 5 ans, mais il perpétue les subventions, toutes aussi inefficaces les unes que les autres, octroyées au secteur pétrogazier, ce secteur qui croule sous un record de profits pour 2022 de plus de 38 milliards $.

Si les compagnies veulent investir, grand bien leur fasse. Elles en ont largement les moyens.  Mais l’argent public doit aller dans ce qu’on sait qui fonctionne et non pas dans la colonne des profits des grands actionnaires pétroliers. Il y a urgence climatique oui ou non?

Tandis que les six géants du secteur ne comptent consacrer que 0,5 % de leurs profits pour la réduction de leurs émissions, il est plus pertinent que jamais d’imposer une réglementation, qui les obligerait à financer leurs propres réductions d’émissions.

 Mais le gouvernement ne prendra pas cette direction, malgré les arguments scientifiques de plus de 400 signataires d’une lettre à Mme Freeland, lui demandant de ne pas céder devant cette fausse solution.

Avec la baisse impressionnante des coûts des énergies solaire et éolienne et l’urgence d’agir, pourquoi le gouvernement tombe-t-il dans le panneau du programme Captage, utilisation et stockage du CO2?

Le budget précise et je cite : « À l'heure actuelle, seuls le stockage géologique dédié et le stockage dans le béton sont proposés comme utilisations admissibles. » Or, les autres caractéristiques de ce crédit à l’investissement spécifique révèlent que les entreprises pourront accéder à ces privilèges fiscaux, même si des activités non admissibles ont lieu.

Aucun audit ne sera effectué pour assurer que les crédits obtenus le seront à partir de dépenses éligibles avant un horizon de 5 à 10 ans. Ajoutez à cela l’exemption qui suit – et qui, pour nous du Bloc, est carrément irrecevable : les entreprises dont les projets prévoient des dépenses admissibles de moins de 20 millions $ au cours de la durée du projet seraient exemptées de produire un rapport sur la divulgation des risques environnementaux. Le gouvernement leur propose une belle porte de sortie.

La vérité, le démarchage et l’écoblanchiment

En juin dernier, le Financial Times rapportait les propos de Martha Hall-Findlay, responsable du développement durable pour Suncor et ancienne ministre libérale, concernant les objectifs canadiens de réduction d’émissions de GES (je traduis) : « Nous avons été très clairs, ces chiffres pour notre industrie pour 2030, il n’y aucun moyen de les atteindre. » Je considère que cette déclaration a le mérite d’être claire et honnête.

Or, les propos de Mme Hall-Findlay sont enterrés par L’Alliance Nouvelles Voies, formée des six plus grandes sociétés pétrolières du Canada. Ficelée à l’été 2022, elle incarne le nouveau dicton : « L’Union fait la force de l’écoblanchiment ».

Un site web rempli de faussetés, des publicités sur toutes les plateformes faisant l’apologie de l’industrie, et j’en passe. Leur campagne pour influencer l’opinion publique est condamnable et franchement dangereuse. Le Bureau de la concurrence du Canada étudiera, à ce sujet, une plainte déposée  le 16 mars dernier.

En tant qu’ancienne enseignante, les mots me manquent pour décrire mon indignation devant la récente démarche de l’organisation auprès de l’Alberta Teachers Association (ATA). Au dernier congrès annuel de l’ATA, l’Alliance s’est invitée pour prononcer une conférence intitulée (je traduis) : « Un avenir prometteur pour le pétrole et le gaz ».

Voyez-vous, plusieurs centaines de rencontres en 24 mois par un lobby sectoriel puissant, déterminé, avec des coffres remplis… Ça exige des résultats et le pétro-État du Canada les leur offre sur un plateau d’argent. Rempli de votre argent.