À la SQDC : On vend moins, mais plus cher, à une clientèle aisée

2023/04/19 | Par Orian Dorais

Début juin 2022, je consacrais un article aux membres du Syndicat des employé.e.s de la SQDC (SCFP 5454-FTQ), qui s'étaient doté d'un mandat de grève générale illimitée. Le président du syndicat, David Clément, me confiait alors qu'il espérait conclure une entente de principe avant la Saint-Jean. Avec le mandat de grève toujours en vigueur, le moins que l'on puisse dire, c'est que ses attentes – pourtant bien raisonnables – n'ont pas été satisfaites. Au contraire, presque un an plus tard, les employés de la Société québécoise du cannabis (SQDC) n'ont toujours pas d'accord avec le gouvernement ! Et la fin du conflit de travail ne semble pas être en vue car, en février 2023, les syndiqués dénonçaient des « négociations dans l'impasse ». Compte rendu de cette situation avec David Clément.

Orian :  Alors, David, il y a quelques jours, quand je t'ai appelé pour planifier notre entretien, tu me disais être en train de « décorer » un local d'Éric Girard, ministre des Finances. Peux-tu nous en dire plus sur cette protestation ?

David Clément : (Rires) Bien, quelques membres du syndicat et moi, on s'est rendu au bureau de comté du ministre Girard, qui n'était pas présent, même pas disponible pour un appel selon son équipe. Donc, on lui a laissé quelques collants et quelques dessins dans les vitres, pour lui rappeler qu'étant un des responsables de la SQDC, il devrait contribuer à la sortie de crise, plutôt que de rien faire comme le reste du gouvernement. En mars, le syndicat a aussi visité les bureaux du ministre Lionel Carmant.

O. : Pourquoi viser Carmant ?

D.C. : C'est que M. Carmant est le « superviseur de la mission sociale de la SQDC » au sein du cabinet. Au syndicat, on croit en effet que la SQDC a une mission sociale, on croit qu'on doit offrir un produit de qualité, à un prix raisonnable, en conseillant bien la clientèle. Le but, c'est d'éloigner les gens du marché noir et de ses produits nocifs. Mais cette mission sociale est en péril, parce que la SQDC a pas mal augmenté ses prix – évidemment sans remettre l'excédent de profits aux fournisseurs – sous prétexte que nos magasins chargeaient des prix trop inférieurs à ceux du marché noir, ce qui inciterait à la consommation. Je ne sais pas où ils ont trouvé leurs chiffres, mais la SQDC n'a jamais, je répète, n'a jamais vendu ses produits moins chers que dans la rue.

Déjà qu'en 2021, l'instauration du passeport vaccinal a ralenti l'achalandage à la SQDC, la hausse de prix excessive en 2022 a fini d'aliéner toute une clientèle moins fortunée et plus vulnérable, qui ne vient plus dans nos boutiques. Autrement dit, des dizaines de millions de dollars retournent dans les poches du crime organisé, plutôt que dans les coffres de l'État. Pour camoufler cette mauvaise gestion, la direction souligne que la SQDC fait encore des profits. Oui, étant donné que les produits sont très chers, il y a encore un profit relatif, mais le nombre total de ventes diminue. On vend moins, mais plus cher, de plus en plus à une clientèle aisée. Ça c'est un échec sur le plan social, ce qui devrait inquiéter M. Carmant, et ça pourrait devenir délicat sur le plan économique, ce qui devrait inquiéter M. Girard.

O. : Avec des tarifs si élevés, on aurait pu croire que la SQDC aurait au moins les moyens de mieux vous payer, non?

D.C. : Notre position, au syndicat, c'est que, si l'employeur mettait un million de plus sur la table, ce serait suffisant pour aller vers une sortie de crise. Bon an, mal an, c'est une fraction du chiffre d'affaires. Mais, on fait face à l'entêtement idéologique du gouvernement Legault, à la fois contre le cannabis et les syndicats. Le mot d'ordre, c'est de ne pas faire de concessions à notre syndicat, pour ne pas encourager d'autres succursales à nous rejoindre. L'employeur est dans une mentalité de siège, il ne négocie pas sérieusement et espère qu'on va se désespérer.

La dernière offre patronale remonte à décembre 2022, et elle était si insultante qu'elle a été rejetée à 94 %, dix-sept succursales se sont prononcées contre à l'unanimité. Il n'y a pas encore eu d'offres en 2023. Mais il y a eu plusieurs stratagèmes pour essayer de casser le syndicat. Dans l'année 2022, le syndicat a reçu un record de 106 griefs patronaux, en plus d'injonctions de la cour pour nous empêcher de dessiner sur les vitrines ou pour nous forcer à nous tenir à une certaine distance des locaux de la SQDC.

O. : La SQDC tolère les moyens de pression... mais il ne faut pas que ça mette trop de pression.

D.C. : Oui, la SQDC a même demandé à un tribunal d'interdire tout bruit autre que la parole humaine devant ses boutiques. Donc, on voulait nous forcer à manifester comme des poteaux. Le juge leur a refusé ça. Par contre, on a dû débattre devant un tribunal du nombre de collants qui serait acceptable de coller sur les entrées des SQDC. On s'est fait imposer une limite de 25 collants par devanture, mais on imprime des 11x17 pour compenser.

Reste que la partie patronale nous a trainés en cour pour des collants plutôt que de négocier de bonne foi... J'ajoute qu'on a également demandé deux enquêtes sur l'utilisation de scabs par certains magasins. Et il y a encore des mauvais mots, pour le dire euphémiquement, contre le syndicat dans les succursales non affiliées. Vraiment, avec les campagnes de peur et la judiciarisation abusive, on est dans une optique antisyndicale qui rappelle l'ère duplessiste.

O. : Avec tout ça, depuis combien de temps êtes-vous sans convention ?

D.C. : Depuis décembre 2021, on approche d'un an et demi. Je sais pas quand ça va finir, mais on refuse de signer toute convention qui nous donnerait le statut de cheap labour des sociétés d'État. D'ailleurs, je mentionne que le PDG de la SQDC a fait une sortie pour dire qu'on est moins bien payés que dans les autres sociétés d'État, parce que l'acceptabilité sociale du cannabis est moindre.

D'abord, son salaire dans les six chiffres est comparable aux salaires des autres dirigeants de sociétés d'État. Donc, ça insinue que lui aurait droit à une rémunération égale à celle de ses collègues, mais nous non. C'est drôle, quand il est question de sa rémunération, l'argument de l'acceptabilité sociale disparait. De toute façon, c'est une vieille idée que le cannabis est mal vu dans la société. On a fait des études qui laissent voir que jusqu'à 75% de la population serait favorable à la légalisation.

O. : Depuis la dernière fois qu'on s'est parlé, le coût de la vie a beaucoup augmenté. Avez-vous ajusté vos revendications salariales en conséquence?

D.C. : En 2022, on demandait à ce que le salaire d'entrée soit de 21$. Là, ce qu'on entend sur les lignes de piquetage, c'est que c'est loin d'être suffisant. C'est aussi un message qu'on veut envoyer au gouvernement : plus le temps passe, plus l'inflation augmente, plus nos exigences vont suivre en conséquence. Mais faut pas se faire d'illusions, quelqu'un qui travaille à la SQDC est à la limite entre la basse classe moyenne et la classe défavorisée.

Nos membres les plus « riches » font à peine 40 000 $ par année. Quand le premier ministre dit que les salaires de 55 000 $ devraient être la norme au Québec, on l'inviterait à regarder du côté de ses propres sociétés d'État. Travailler pour le gouvernement ne garantit pas une vie de classe moyenne, comme je pouvais me l'imaginer en écoutant mes bonhommes y a trente ans. À peu près personne, parmi nos membres, pourrait espérer avoir accès à la propriété.

O. : Avez-vous recruté de nouvelles succursales récemment?

D.C. : En 2022, on a signé Repentigny, Aylmer, Neuchâtel et Rouyn-Noranda, la petite dernière. Les employés de Rouyn se sont rendu compte qu'un salaire de 19 $ de l'heure, c'est pas assez; donc, ils nous ont rejoints. Pour être honnête, c'est l'enthousiasme de nos membres et la solidarité intersyndicale – la FTQ nous a accueillis en triomphe à son dernier congrès – qui nous permettent de continuer la grève, après plusieurs mois.

Notre force, c'est qu'on fait notre métier par passion. Moi, quand j'étais jeune, je devais me cacher de la police pour fumer un joint, j'avais peur de me retrouver avec un dossier criminel à vie; aujourd'hui, je conseille du pot à des policiers. C'est cette passion-là qui nous amène à dire que, contrairement à ce que pense le gouvernement, travailler à la SQDC c'est pas un emploi étudiant, c'est une carrière et on va lutter pour la faire reconnaitre. Tantôt, je te disais que je savais pas quand la grève va se finir. En fait, je le sais : quand on va avoir des conditions dignes d'une société d'État, on cèdera rien avant.