Le 1er mai, Louis Riel et le Québec

2023/05/05 | Par Robin Philbot et Phil Taylor

Les auteur sont respectivement éditeur à Montréal et animateur de radio à Toronto.

Le Québec ouvrier vient de marquer, comme à l’accoutumé depuis 1906, la fête internationale des travailleuses et travailleurs. Il rejoint ainsi le monde ouvrier un peu partout sur la planète, sauf… les pays anglo-saxons, dont et surtout les États-Unis et le Canada (anglais). Alors que la Fête du 1er mai s’inspire des grandes manifestations brutalement réprimées du Haymarket Square du 1er mai et du 4 mai 1886 et de la pendaison de 4 dirigeants à Chicago, les États-Unis et le Canada ont tout fait pour la supplanter par la moins révolutionnaire Fête du travail. Et ils ont réussi.

Cette façon du Québec de se distinguer de ses voisins immédiats trouve son origine notamment dans liens historiques avec la France et l’Europe où se déroulent les plus importantes manifestations du 1er mai. Quoi que le Canada anglais ait connu de grandes manifestations du 1er mai jusqu’à la Seconde guerre mondiale, c’est seulement au Québec qu’on a gardé en vie cette tradition.

Or, d’autres liens entre le Québec et le 1er mai méritent d’être connus.

À Chicago, au procès d’Albert Parsons, celui qui, du fait d’avoir été pendu avec 3 autres, aura beaucoup contribué à l’importance du 1er mai, Andrew Johnson, l’agent de Pinkerton chargé d’infiltrer la International Workingmen’s Organisation, a répondu à une question de l’avocat de la défense portant sur une résolution adoptée par l’IWO en avril 1885 :

« Si mes souvenirs sont bons, dit-il, la résolution disait ce qui suit : Nous, les travailleurs, membres de l’Association international des travailleurs (International Working People’s Association), tenons à exprimer notre sympathie à l’égard de Louis Riel et des Métis (Louis Riel and the Half-Breeds) qui se révoltent contre le gouvernement canadien. »

Au moment où cette résolution a été adoptée, le major-général britannique Frederick Middleton et ses troupes de paramilitaires de la NWMP (ancêtre de la GRC) et les milices volontaires, surtout orangistes, se dirigeaient vers Batoche pour écraser la rébellion Riel et les Métis. Middleton, par ailleurs, était passé-maître dans la répression de révoltes de peuples autochtones ayant gagné ses galons notamment contre les Maoris en Nouvelle-Zélande.

Riel sera arrêté un mois plus tard et pendu le 16 novembre 1885, aux applaudissements nourris du tout-Toronto mais aux hurlements de contestation du tout-Montréal. « Louis Riel, notre frère est mort » a proclamé le premier ministre Honoré Mercier le 22 novembre devant une foule énorme rassemblée au Champs-de-mars.

Peu connue au Québec, cette solidarité internationale avec Louis Riel et les Métis des dirigeants socialistes et anarchistes américains est exemplaire à plus d’un titre. Elle détonne d’abord par son opposition au racisme qui caractérisait certains éléments nativistes du mouvement ouvrier de l’époque. Elle révèle aussi une sympathie à l’égard des populations issues de la France et de l’Amérique française. Car ils n’ignoreraient pas que Riel célébrait sa filiation avec le Canada français; pour lui les Métis faisaient partie d’une grande famille issue de la France, des Canadiens [français] et des Premières nations.

Pour Albert Parsons et d’autres dirigeants ouvriers américains, la France demeurait une inspiration, surtout après la Commune de Paris de 1871. Ces sentiments étaient réciproques. La gauche française manifestait son appui en suivant de près les procès à Chicago. Le journal Le révolté en particulier. Ce journal, qui condamnait déjà les positions anti-immigrantes d’une partie du mouvement ouvrier américain, dénonçait le racisme et le harcèlement qui visaient en particulier les ouvriers de textile canadiens français en Nouvelle-Angleterre.

Révolutionnaires jusqu’à la moelle, Parsons, Spies, Engel et Fischer, les martyrs de Haymarket, ont chanté La Marseillaise en montant l’échafaud, un dernier pied de nez au monde qu’il quittait pour rejoindre Louis Riel pendu deux ans plus tôt.