2 % du PIB pour encore plus de guerres?

2023/05/10 | Par Collectif Échec à la guerre

Jean Baillargeon, Judith Berlyn, Martine Eloy, Mouloud Idir-Djerroud, Raymond Legault et Suzanne Loiselle signent cette lettre au nom du Collectif Échec à la guerre.
 

Depuis quelques semaines, les pressions internes et externes se multiplient pour que le Canada augmente considérablement ses dépenses militaires en vue d’atteindre le seuil minimal de l’OTAN, fixé à 2 % du PIB. Notre sécurité et la préservation de nos valeurs en dépendraient. Vraiment?

Au Canada, selon le Directeur parlementaire du budget (DPB), « les dépenses de défense nominales du Canada ont augmenté de 67 % entre 2014 et 2021 » et, en pourcentage du produit intérieur brut (PIB), elles ont augmenté de 1,0 % à 1,4 %. Alors que la guerre en Ukraine apportait son flot de nouveaux appels à l’augmentation des dépenses militaires, un sondage Léger, mené du 8 au 10 avril 2022, révélait que seulement 34 % de la population canadienne souhaitait un accroissement des dépenses militaires, près de la moitié les jugeant suffisantes et 18 % trop élevées. Le 9 juin 2022, le DPB estimait que les dépenses militaires atteindraient 51 milliards en 2026-2027, soit 1,59 % du PIB et que le Canada devrait dépenser 75,3 milliards de plus sur 5 ans pour atteindre la cible du 2 % !

Face à une opinion publique peu favorable à de telles dépenses militaires et face à un budget 2023 annonçant peu de nouveaux engagements concrets, les pressions des va-t-en-guerre se sont récemment beaucoup accentuées en faveur du 2 %. Le 23 mars 2023, c’est tout le bureau éditorial du Globe and Mail qui qualifiait d’indéfendable l’attitude du gouvernement sur les enjeux militaires. Puis, le 16 avril 2023, 62 anciens ministres, sénateurs, ambassadeurs, chefs d’État-major et autres officiels — pour la plupart étroitement associés à la Conférence des industries de la défense — publiaient leur critique intitulée «La sécurité et la défense nationale du pays en péril».

Trois jours plus tard, le Washington Post y allait de sa propre salve sur la base d’un document secret du Pentagone, selon lequel le premier ministre Trudeau aurait admis en privé à l’OTAN que le Canada n’atteindrait jamais cet objectif de 2 %.

Pour nous défendre?

Selon le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), les dépenses militaires mondiales ont atteint le niveau record de 2 240 milliards de dollars américains en 2022, en augmentation de 19 % depuis 2013, en termes réels. Comme toujours, les États-Unis arrivent en tête avec 39 % des dépenses mondiales, soit plus que la somme des dépenses de la douzaine de pays qui les suivent dans le classement, y compris la Chine, au deuxième rang avec 13 % des dépenses mondiales. L’OTAN, qui compte pour 55 % des dépenses mondiales, a-t-elle vraiment besoin de s’armer encore plus… pour se défendre?

Dans le cas du Canada, le remplacement de ses avions de combat et de sa flotte navale — qui servent bien davantage à mener la guerre à d’autres pays qu’à nous protéger — ne suffit pas à atteindre les 2 %. Ce que les États-Unis — les maîtres d’oeuvre de l’OTAN — veulent, en plus, c’est une armée canadienne capable de déploiements plus importants et plus nombreux, tant sur le front est de l’OTAN que dans la région indopacifique, qu’en Haïti, et ailleurs. Est-ce ça, la défense du Canada?
 

Préserver l’hégémonie étasunienne

Depuis la dissolution de l’URSS il y a 30 ans, nous sommes passés d’un monde unipolaire dominé par les États-Unis à un monde de concurrence stratégique entre grandes puissances. Dans ce nouveau contexte, les leitmotivs de sécurité, de démocratie et d’ordre mondial basé sur des règles ne servent qu’à camoufler la grande mobilisation militariste du bloc occidental orchestrée par les États-Unis pour préserver leur hégémonie mondiale, face à la Chine et, secondairement, face à la Russie ou à tout pays (Brésil, Inde, Afrique du Sud, Venezuela, Iran, Cuba, etc.) tenté de jouer selon d’autres règles que les leurs.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a grandement contribué à ce resserrement presque inconditionnel des rangs occidentaux autour des États-Unis. Finie la neutralité de la Suède et de la Finlande. Finie aussi la velléité autonomiste européenne de la France et de l’Allemagne. Parallèlement à ce resserrement des rangs occidentaux, le partenariat entre la Chine et la Russie se resserre également.

Au cours des derniers mois, la consolidation du bloc occidental s’est aussi poursuivie dans la région indopacifique. Les États-Unis ont renforcé leurs accords de défense avec le Japon, l’Australie, la Corée du Sud et les Philippines. Le Japon doublera ses dépenses militaires d’ici 2027. L’Australie a radicalement révisé sa politique de défense pour se préparer aux «menaces potentielles résultant de la concurrence entre grandes puissances, y compris la perspective d’un conflit»…
 

De retour au Canada…

Accroître les dépenses militaires du Canada pour « remplir nos engagements envers nos alliés de l’OTAN » ne garantira en rien la sécurité de la population. Cela ne fera qu’augmenter la capacité du Canada à participer, sous la conduite des États-Unis, à la destruction d’autres pays, comme ce fut le cas en Irak (1991), au Kosovo, en Afghanistan, en Irak à nouveau, en Libye et en Syrie.

Mais les élites économiques et politiques de notre pays ont fait leur lit depuis longtemps : conserver un accès maximum au marché étasunien et les investissements canadiens à l’étranger sous le parapluie des quelque 800 bases militaires des États-Unis dans le monde, en échange de la subordination totale de la politique étrangère canadienne à celle des États-Unis. Les partis politiques fédéraux, tous porteurs de ce choix fondamental, s’affairent donc maintenant à diaboliser Vladimir Poutine et Xi Jinping et à rivaliser d’indignation à propos de ballons chinois dans notre ciel, de postes de police chinois et d’un don à deux universités et à une fondation…

La mobilisation militariste dans laquelle nous plongeons est totalement contraire aux buts que nous devrions poursuivre, notamment : assurer la sécurité collective des populations du monde, oeuvrer à satisfaire l’ensemble de leurs besoins de base et leur émancipation, instaurer un ordre international véritablement fondé sur le droit et la justice, combattre le réchauffement climatique et éliminer les armes nucléaires.