L’immigration temporaire absente de la planification ministérielle

2023/05/10 | Par Anne Michèle Meggs

L’exercice de l’étude des crédits du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), tenu le 4 mai dernier, a été révélateur. Depuis quelques mois, on sait que le nombre de titulaires de permis temporaires au Québec à la fin de 2022 est de 201 000, soit presque trois fois le nombre de personnes ayant obtenu leur résidence permanente la même année (68 000). Une tendance lourde depuis au moins quatre ans.

Maintenant, grâce aux réponses du ministère à des questions écrites déposées lors de l’étude des crédits, on apprend que le MIFI a maintenu la tendance en délivrant, entre avril 2022 et février 2023, bien au-delà de trois fois le nombre de Certificats d’acceptation du Québec (CAQ) dans le cadre de l’immigration temporaire (165 553), que de Certificats de sélection du Québec (CSQ) qui donnent lieu à la résidence permanente (51 433).

Il faut ajouter que le nombre de CAQ n’inclut pas des dizaines de milliers de titulaires d’un permis de travail accordé par le fédéral dans le cadre du Programme de mobilité internationale (PMI) parce que le Québec n’exige pas de donner son consentement à l’arrivée de ces travailleuses et travailleurs immigrants temporaires. Ce nombre n’inclut pas non plus les partenaires et enfants de tous ces titulaires de permis ni les personnes qui ont fait une demande d’asile.
 

À la merci de l’employeur

Pourtant, on a appris, à la suite d'une question du porte-parole en immigration de Québec solidaire, Guillaume Cliche-Rivard, que la ministre Christine Fréchette n’a nullement l’intention d’inclure l’immigration temporaire dans la planification pluriannuelle prévue plus tard cette année.

Elle a fait cette affirmation en dépit d’une intervention du porte-parole du Parti libéral du Québec, Monsef Derraji, qui a attiré l’attention de la ministre sur le sort des titulaires des permis fermés délivrés dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) tel que documenté, notamment par Sarah Champagne et Sonia Djelidi dans le film Essentiels présenté à Télé-Québec.

Le député a demandé à la ministre ce qu’elle proposait pour mieux protéger ces personnes accueillies au Québec. En réponse, elle a fait référence à un programme mis en place par le fédéral pour les personnes « vulnérables ». Dans ce contexte, « vulnérable » veut dire des personnes qui peuvent démontrer avoir subi de l’abus. La ministre ne semble pas comprendre que les personnes à statut temporaire ont généralement peur de dénoncer leur employeur, peur de perdre leur emploi et peur d’être mises sur une liste noire dans le secteur et la région où elles sont employées.

Presque tous les cas d’horreur et d’exploitation liées à l’immigration temporaire mis en lumière par les médias émergent de ce programme. Tout récemment, Sarah Champagne a révélé que « les travailleurs étrangers temporaires au Québec sont près de cinq fois plus nombreux à se blesser au travail et à contracter des maladies liées à leur emploi qu’il y a six ans », une hausse proportionnellement plus grande que l’augmentation du nombre de ces personnes.

Ces travailleuses et travailleurs sont liés à leur employeur pour la durée de leur permis, normalement un maximum de deux ans. La permission de l’employeur est requise pour se déplacer hors des heures de travail (qui peuvent être très longues), pour faire des courses ou explorer la région, parce que la voiture ou le camion de l’employeur est le seul moyen de transport. Il n’y a pas de transport en commun dans la plupart des régions où ces emplois se trouvent.
 

Le portrait statistique

Examinons un peu le profil des « bénéficiaires » de ce programme. Les chiffres les plus récents couvrent les années 2014 à 2019, car le ministère n’a pas encore publié de mise à jour. En moyenne, entre 2014 et 2018, 73% de ces permis étaient délivrés pour les postes saisonniers dans le secteur agricole; 91% des titulaires étaient des hommes; 86 % avaient entre 15 et 44 ans. En 2019, 78% ont déclaré ne pouvoir communiquer ni en français ni en anglais, 70% venaient de Guatemala et du Mexique et 80% travaillaient dans une profession «peu spécialisée».

Avec une expérience dans un emploi de ce niveau, ces personnes ne sont pas admissibles au Programme d’expérience québécoise et leur profil ne leur permet pas d’accumuler assez de points pour obtenir un CSQ du Programme régulier de travailleurs qualifiés. Par conséquent, elles ne pourront jamais être comptabilisées dans le nombre des admissions des fameux seuils d’immigration permanente, qui constituent le seul objet de la planification pluriannuelle.

Or, le gouvernement du Québec aime beaucoup le Programme de travailleurs étrangers temporaires. Il s’en sert lui-même pour l’embauche des infirmières étrangères. Il a découvert que c’est une bonne façon de lier une employée non seulement à l’employeur – dans ce cas, les CISSS et les CIUSSS – mais également à la région. Le droit à la mobilité ne s’applique pas aux personnes embauchées dans le cadre du PTET. Cet exemple souligne aussi la tendance à pourvoir des postes permanents avec des personnes à statut temporaire maintenues dans la précarité pour la durée du permis.

En fait, le Québec est la province qui affectionne le plus le PTET. Au Canada, au 31 décembre 2022, les titulaires de permis de ce programme représentaient 7,5 % de l’ensemble des titulaires de permis temporaires d’étude et de travail. Au Québec, ce chiffre grimpe à 17,5 %!
 

Un frein à l’innovation

Le député Derraji a également posé des questions sur la francisation des personnes à statut temporaire, particulièrement celles embauchées dans le cadre du PTET. Il a cité des chiffres indiquant que très peu d’entre elles ont participé aux cours de francisation et qu’il est important que ces cours soient disponibles dans leur milieu de travail.

La ministre n’avait pas d'idées précises pour résoudre ce problème. Elle semblait ne pas comprendre que les permis de travail fermés sont très précis sur les horaires du travail. Ils n’accordent certainement pas de temps pour des cours de français pendant ces heures. De plus, qu’est-ce qui motivera des employeurs à faciliter la francisation de leurs effectifs temporaires non francophones? Ils ont des permis qui vont expirer dans quelques mois. Les employeurs ne sont pas non plus très tentés d’aider leur personnel temporaire dans une démarche vers la résidence permanente, car ils savent qu’ils risqueraient de perdre leur main-d’œuvre.

L’embauche des personnes immigrantes dans des emplois à bas salaire aux conditions de travail difficiles décourage l’innovation et l’amélioration de ces conditions pour l’ensemble des personnes de ce niveau d’emploi, incluant la population d’accueil. Ce n’est donc même pas une bonne chose pour l’économie québécoise. Fini les jours où François Legault déclarait ne pas vouloir les personnes immigrantes qui gagnent moins de 60 000 $.

Au contraire, la ministre et le parti gouvernemental réclament une nouvelle fois les « pleins pouvoirs » sur le PTET. Mais que veulent-ils de plus? Ils contrôlent déjà le nombre et les conditions des autorisations d’embauche des employeurs et les Certificats d’acceptation des travailleuses et travailleurs. Ils ont déjà négocié pour les employeurs plusieurs assouplissements au programme avec le fédéral sans trop d’embûches.

Avec toute cette insistance sur l’immigration temporaire, malgré les preuves qu’elle nuit à la qualité de vie, tant des personnes qui arrivent avec ce statut qu’aux personnes de la société d’accueil déjà en bas de l’échelle, pourquoi le gouvernement refuse-t-il d’en tenir compte dans sa planification pluriannuelle?