Projet de loi 23 : « Le mur-à-mur, ça marche pas ! »

2023/05/12 | Par Orian Dorais

Dès son arrivée au pouvoir, il y aura bientôt cinq ans de cela, François Legault annonçait en grande pompe un « redressement national » en éducation, qui devait être mené par nul autre que le « prof idéaliste » Jean-François Roberge. Le premier ministre fanfaronnait alors que son gouvernement serait le premier depuis les années '60 à mettre la jeunesse et son apprentissage au sommet de ses priorités, insinuant ainsi qu'il aurait plus à coeur ce sujet que René Lévesque, rien de moins. Des objectifs ambitieux... qui n'ont rien donné.

Au contraire, il serait difficile de trouver un gouvernement avec un pire bilan en éducation, depuis les années 1960. Pénurie record d'enseignants, affaiblissement de la démocratie scolaire, utilisation catastrophique de l'enseignement à distance, favoritisme dans l'attribution des contrats, incapacité de pallier la vétusté des écoles et j'en passe. Le surnom de « prof idéaliste » – devenu une sombre plaisanterie qui n'amuse personne – attribué à Roberge a été remplacé par un autre, moins flatteur,  soit « Gaétan Barrette de l'Éducation », les deux ministres partageant un amour pour la centralisation abusive. Le remplaçant de Roberge, Bernard Drainville, qui pour une fois fait preuve de cohérence politique, a choisi de poursuivre la centralisation avec son projet de loi 23. Je m'entretiens à ce sujet avec Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l'Enseignement (FSE-CSQ).

Orian : J'ai l'impression que, pour bien comprendre le projet de loi 23, il faut d'abord comprendre la loi 40, qui a notamment aboli les commissions scolaires début 2020.

Josée Scalabrini : Alors, quand le premier ministre actuel a commencé son mandat, il a prétendu qu'il allait prendre des mesures fortes pour redresser le secteur de l'éducation. Donc, il avait de belles paroles, mais, dans les actes, il a fait exactement la même chose que tous les gouvernements depuis trente ans : ignorer les cris du coeur du personnel et miser sur la centralisation bureaucratique.

La loi 40 faisait partie de cette logique-là. Même si le modèle des commissions scolaires n'était pas parfait, on considère que moins de démocratie, ce n'est jamais constructif. Donc, remplacer des institutions électives par des « centres de service » au modèle entrepreneurial, avec des conseils d'administration, c'était pas une priorité.

La loi 40 force tous les enseignants à suivre 30 heures de formation continue sur deux ans. Le syndicat n'était pas contre, a priori, mais on demandait à ce que nos membres puissent choisir quelles formations suivre. M. Roberge a promis que cette demande serait respectée et, aux différentes étapes de l'adoption de la loi, il a eu une bonne écoute de plusieurs organismes en éducation. On salue ça, mais l'adoption de la loi s'est quand même terminée dans la précipitation avec une multitude de décrets. Il n'y a même pas encore de bilan sur les effets de la loi 40 que déjà on repart le processus législatif à zéro !

O. : On repart le processus, donc, avec la loi 23?

J. S. : Oui! Et l'une des principales dispositions du projet loi 23 de M. Drainville vient... renier la promesse de son prédécesseur. On nous avait promis que le Ministère ne s'ingèrerait pas dans le choix des formations continues qu'auront à suivre les profs et, là, M. Drainville veut se réserver le pouvoir de déterminer quelles formations devront être suivies ou de déléguer aux centres de services cette autorité. Laissez donc les profs décider quelles sont les formations nécessaires dans le cadre de leur pratique ! L'inverse est une atteinte à la liberté d'enseignement.

Le projet de loi vient aussi casser le Conseil Supérieur de l'Éducation, qui contredisait la CAQ sur l'existence d'un système éducatif à trois vitesses, et le Comité d'agrément des programmes de formation à l'enseignement (CAFPE), qui contredisait M. Roberge sur la formation des futurs enseignants. On espère que le gouvernement n'essaie pas de punir ces organismes pour leur « dissidence ».

Reste qu'à la place on vient créer un Institut d'excellence en éducation, qui viendrait informer les profs sur les « meilleures » pratiques en enseignement. Autrement dit, avec son Institut, le gouvernement va essayer d'imposer ces « excellentes » pratiques mur-à-mur, nonobstant le milieu ou la composition de la classe. Mais un Institut avec quelques experts, aussi qualifiés soient-ils, ne devrait pas imposer des normes à des dizaines de milliers de pédagogues! C'est trop de pouvoir pour un petit groupe. Plusieurs spécialistes dénoncent ce projet d'institut. Et c'est encore un empiètement sur l'autonomie enseignante.

O. : À combien estimez-vous la pénurie d'enseignants et pensez-vous que le manque d'autonomie nuit beaucoup à la rétention?  

J. S. : Il y a 1 600 postes à combler. Et si on considère tous les gens non légalement qualifiés qui enseignent, c'est en fait plus de 6 000 profs supplémentaires dont on aurait besoin dans le réseau. Et la tendance risque d'aller en empirant. Il y a énormément d'enseignants qui ont quitté la profession prématurément, soit en changeant de carrière, soit en prenant une retraite hâtive. Certains de nos membres préfèrent quitter sans leur pleine pension, plutôt que de rester dans ce système-là. Et un facteur majeur dans la décision de partir est le manque de respect pour la profession d'enseignant. Les profs n'en peuvent plus de se faire mettre dans une boite et se voir priver de leur liberté académique.

O. : Le gouvernement caresse toujours le projet de créer des prématernelles pour l'ensemble des enfants québécois. Est-ce que cela va empirer la pénurie?

J. S. : Encore une fois, le mur-à-mur ça marche pas ! Oui, dans quelques milieux très difficiles, il faut des prématernelles. Mais d'en avoir partout, ce n'est pas une priorité, surtout qu'au Québec, on a le modèle des CPE qui fait pas mal tout ce qu'on attend des prématernelles. Et, en effet, juste du point de vue de la main-d'oeuvre, ce projet est irréaliste. Le gouvernement le saurait s'il écoutait les gens sur le terrain plutôt que d'essayer d'imposer unilatéralement des gros projets qui prennent pas en compte les spécificités des milieux.

On en a eu un bel exemple au Lac-Saint-Jean, quand un directeur d'école a fermé la moitié des classes de prématernelles, faute de personnel. M. Drainville a réprimandé ce directeur sur la place publique et a dit que sa décision était due à l'inexpérience, avant de s'excuser presque tout de suite après et d'admettre que le directeur avait raison. Mais, souvent, le gouvernement ignore nos avis et continue de foncer dans le mur, notamment sur la question des prématernelles. Pour ce qui est de la loi 23, on va continuer à s'impliquer dans les consultations et à produire des mémoires, essayer de préserver l'autonomie des profs le plus possible.