On le surnommait «Monsieur»

2023/05/19 | Par Simon Rainville

Parizeau. Oui au marketing du pays (Septentrion, 2023), le dernier livre d’Alain Lavigne, est beau et bien documenté, comme tous ceux de la même série qui étudient le marketing politique de Duplessis, Lesage, Lévesque et Bourassa. Il est riche en archives visuelles et écrites, parfois inédites.

Mais comme tous les livres de Lavigne sur le marketing, il nous laisse sur notre appétit. Il offre un aperçu de la richesse de la réflexion et de l’action de Parizeau, sans malheureusement en sonder la profondeur.

Par exemple, Lavigne parle des différentes moutures de l’indépendance comme s’il ne s’agissait que de produits à mettre en marché alors qu’il s’agit en fait de projets distincts. Si la forme compte en politique, le fond n’est pas sans importance. Le documentaire Parizeau et son pays imaginé de Jean-Pierre Roy et André Néron permet d’aller un peu plus loin que le livre de Lavigne, mais reste lui aussi attaché à exposer sa vie plus que son action politique. Dans les deux cas, ce sont surtout des archives et des entrevues qui forment le corps de l’œuvre plus que des analyses.
 

La recherche du pays et du pouvoir

Force est d’admettre qu’on a peu à se mettre sous la dent lorsqu’on s’intéresse à Parizeau, si l’on exclut l’excellente biographie en trois tomes de Pierre Duchesne, qui demeure une biographie traditionnelle, plus qu’une étude de sa pensée et de ses actions.

Cela est en soi problématique et symptomatique. L’un des plus grands politiciens du Québec – le plus grand à mon avis – passe sous le radar des analyses universitaires. Il n’y a malheureusement rien d’étonnant là puisqu’il est le vilain monsieur qu’il faut à tout prix réduire à  l’argent et des votes ethniques». Il a en plus osé se tenir debout, ce qui le rend suspect à nos yeux. De quel droit se permettait-il d’être un homme sûr de lui en ce presque-pays incertain, inassumé et humble?

Je cherche néanmoins à réfléchir à l’héritage de Parizeau à l’aide des quelques ouvrages existants. Penser son œuvre, c’est aussi ouvrir la focale à l’ensemble du mouvement souverainiste depuis les années 1960, tant il a été au cœur des décisions.

Mais Parizeau, c’est la recherche du pays et du pouvoir, la tangente plus politique du PQ, celle qui ne s’est pas cantonnée à la défense de la culture. Malgré la phrase prononcée le soir du vol du référendum de 1995, Parizeau s’attaquait surtout à la dissolution du Canada et à la création de l’État du Québec. L’indépendance, comme il l’a souvent répété, doit d’abord et avant tout se faire dans le but de sortir du fédéralisme qui n’est que «l’affrontement, le désordre et la confusion».

Lavigne rappelle qu’à la première apparition publique de Parizeau en tant que membre du PQ en 1969, l’économiste insiste déjà sur le fait qu’il y a deux gouvernements qui sont en train de se faire au Canada et qu’il faut n’en choisir qu’un seul.

Selon une brochure du PQ de 1972, à laquelle Parizeau a collaboré, il faut réussir « le passage historique du passif à l’actif, du quémandeur au créateur, de l’anémie à la santé collective », passage qui pourrait mener le Québec «d’une province coloniale au rang d’État-patrie ». Duchesne explique que Parizeau « ne cessera de puiser dans cette source encore non contaminée par l’étapisme».

Et c’est bien là que se trouve la question : comment l’indépendantisme décolonisateur des années 1960 a-t-il pu sombrer dans l’étapisme de la souveraineté-association de la fin des années 1970? Comment le mouvement a-t-il pu à ce point se dénaturer?
 

Le pouvoir à n’importe quel prix

Parizeau développera une réponse au fil des années. À l’élection de 1976, il se fait rabrouer par Lévesque parce qu’il parle trop d’indépendance alors que le PQ espère en fait négocier une nouvelle forme de onfédération. En réfléchissant à cette époque, il dira plus tard : «Là, on commence à diffuser le renouvellement du fédéralisme (…) Je me suis rendu compte que pour prendre le pouvoir, on serait prêt à faire n’importe quoi».

Parizeau a lutté toute sa carrière contre les dérives du mouvement et le caractère revanchard, voire haineux, de certains indépendantistes : «Le Québec n’a pas de comptes, historiques ou politiques, à régler avec le Canada, disait-il avec justesse en 1995. Plus maintenant, en tout cas. La force du Québec moderne est suffisante pour qu’il puisse laisser dormir dans les placards du passé tous les vieux squelettes du passé». Il faut apprendre à panser nos plaies pour penser le futur et faire le deuil du passé.

Mais Parizeau s’en prenait surtout à l’attentisme, à l’association avec le Canada et à l’immobilisme des Québécois qui mènent le PQ à cacher son article numéro 1 la plupart du temps.

Et en tant qu’homme d’État, il savait comprendre le pouvoir. Au sujet du coup de la Brinks, il confiera plus tard : «Dieu que j’aurais aimé que celui qui a pensé à cela travaille pour moi. C’était brillant!» Le pouvoir se gagne, sans angélisme, et la lutte doit être menée à armes égales.

Le documentaire de Roy et Néron montre que Parizeau avait planifié méticuleusement l’après-référendum, l’avènement du pays. Cela témoigne du sérieux politique de l’homme, mais cette question aurait dû être abordée sur la place publique.
 

Assurés, déterminés et combatifs

Contrairement à Mathieu Bock-Côté qui croit que les grands hommes font l’histoire en décidant de «renverser le cours des événements» et en laissant leur «empreinte sur le destin» des peuples, je pense que ce sont les peuples qui l’écrivent et que les grands hommes ne sont grands qu’au milieu d’une société qui les a créés, les rend possibles, et les pousse à aller plus loin. Parizeau était propulsé par le Québec, qu’il aidait en échange à cheminer.

Le fait que le PQ ait gardé secrète la création de la constitution du pays témoigne de notre apolitisme, comme si les Québécois votaient pour un pays imaginaire, hors des relations de pouvoir, hors du politique.

Parizeau saura d’ailleurs faire preuve d’abnégation et de réalisme politique, notamment en laissant le devant de la scène à Lucien Bouchard en 1995. Selon Duchesne, les Québécois de l’époque «préfèrent un chef négociateur plutôt qu’un chef de troupe. Son allure de conquérant gêne, tandis que celle de conciliateur rassure (…) Même s’il le voulait, Jacques Parizeau est incapable de reproduire l’image d’un leader indécis et mené par le doute». Il choque par son assurance d’avoir légitimement le droit de revendiquer le pouvoir pour le Québec.

Lévesque a déjà dit que les Québécois voyaient en lui ce qu’ils étaient, alors qu’ils retrouvaient en Trudeau ce qu’ils aimeraient être. Je crois qu’il avait tort. Les Québécois n’ont jamais envié Trudeau. Ils l’ont craint, sachant qu’il était une pourriture prête à tout. Ils devraient cependant chercher à devenir des Parizeau.

On le surnommait «Monsieur» à la fois avec dérision et respect. Sous la plume des journalistes, ce nom a fini par devenir une insulte ou, à tout le moins, il a imposé une distance entre le peuple québécois et lui, entre sa confiance et notre doute.

L’habillement, l’assurance et la prestance un peu hautaine de Parizeau faisaient dire à ses détracteurs qu’il était anachronique. Je pense plutôt qu’il était intemporel, comme le sont ceux et celles qui mettent leur talent au service d’une cause noble. Il est maintenant immortel. Parizeau représentait ce que nous devrions être sur le plan politique : assurés, déterminés et combatifs. Assurés de notre légitimité. Déterminés à être chez nous. Combatifs sur tous les fronts politiques afin de décider entre nous. Des «Monsieur» et des «Madame», qui se tiennent debout et ne s’excusent pas de ce qu’ils veulent, de ce qu’ils sont, que l’on craint et respecte parce qu’ils n’ont pas peur du pouvoir et s’assument politiquement.