Le caribou ou le canari dans la mine

2024/08/28 | Par Marc Nantel

L’auteur est porte-parole du Regroupement Vigilance Mines Abitibi-Témiscamingue (REVIMAT)
 

En août 2024, dans une entrevue à Radio-Canada, Pierre Dufour, député caquiste, tentait de défendre son gouvernement sur sa politique de protection des caribous du Québec qui était contestée par Steven Guilbeaut, ministre de l’Environnement au fédéral.

Son argument tenait sur l’importance de prendre des décisions en tenant compte de l’économie, des emplois, de l’environnement et de la faisabilité de sauver l’espèce. Il rappelait au public qui l’écoutait que tous les dossiers que doivent traiter les gouvernements faisaient face à différents groupes d’intérêts et que le rôle du gouvernement était de tenter de prendre des décisions équilibrées en tentant de répondre aux besoins de la majorité des gens, mais que ce n’était pas possible de plaire à tout le monde.

J’avoue que sa sortie médiatique, qui se voulait porteuse d’un message soi-disant de grande sagesse et pragmatique, m’a irrité. Il mettait les groupes environnementaux et les compagnies sur un pied d’égalité. Pour lui, ce sont tous des groupes d’intérêts.

Un activiste environnemental chercherait selon lui à défendre un intérêt personnel au même titre qu’un industriel cherche à développer son projet. La protection de l’environnement serait donc juste un enjeu comme les autres. La protection de la vie se situerait au même niveau que le développement économique. Ce qui revient à dire, dans le cas du caribou, que sa survie a le même poids que le développement d’une entreprise.

Il est à noter qu’aucun gouvernement n’oserait présenter les enjeux sous cet angle de peur de perdre des votes. Il va plutôt présenter l’enjeu comme le besoin de créer des emplois payants ou d’éviter de perde des emplois. Il ne faut surtout pas que la population paie le prix d’une décision qui chercherait à protéger les caribous.

Dans cette stratégie, les victimes ne sont plus les caribous, mais les travailleurs. Pour lui, il est faisable de continuer l’activité forestière et de protéger le caribou même s’il est prouvé que, depuis des décennies, la population baisse de façon catastrophique. Le gouvernement devient donc le grand défenseur du travailleur, même si le prix à payer risque de mettre en danger la survie de l’humanité.
 

Comment gérer sans rien changer

Ceci a amené le gouvernement de la CAQ à trouver une solution qui lui permettrait, selon lui, de protéger les caribous en danger. À Val d’Or, les caribous restants ont été capturés et mis dans des cages afin de les mettre à l’abri des prédateurs. La même stratégie est appliquée dans Charlevoix et la Gaspésie.

Ainsi, l’industrie forestière et minière peut continuer à détruire tout le territoire sans s’inquiéter de l’avenir des troupeaux du caribou et de tous les écosystèmes mis à mal. Applaudissons très fort! Les jobs payantes resteront disponibles encore quelques années. Le prix à payer sera la destruction des écosystèmes de toute la région.

Le fédéral, pour sa part, a décidé de prolonger la période de consultation publique. Pourrait-il être tenté de permettre les activités minières sur les territoires du caribou? Les MRC, à leur tour, critiquent le programme fédéral.

Une résolution de la MRC de la Vallée de l’Or va jusqu’à ne pas reconnaître la surface du caribou forestier que le fédéral a établie. Le caribou n’utiliserait pas un territoire aussi grand, selon eux.

Rassurons-nous, car l’avenir des élus ne sera pas compromis! Les mandats des députés actuels seront terminés d’ici quelques années et ce sera à d’autres élus de ramasser les dégâts. C’est ce que nous apprend la gestion des caribous des cinquante dernières années sous les différents gouvernements qui se sont succédé. Remettre à demain!

Depuis des années, nous mettons au pouvoir des gouvernements qui priorisent l’économie et collaborent étroitement avec ses partenaires économiques. La qualité de l’environnement n’a jamais réellement été prise en compte dans la gestion de l’État. Ça ne change pas.

Nos gouvernements sont très stratégiques. Afin d’opérer sans entraves, ils cherchent à endormir la population sur la qualité de leur gestion environnementale. À titre d’exemple, on constate que, depuis la prise de pouvoir de la CAQ, cette dernière multiplie les consultations publiques sur tous les dossiers qu’il doit gérer. Pendant que les gens sont occupés à écrire des mémoires, le gouvernement continue à gouverner à sa guise. Il peut cocher qu’il a consulté la population et, au bout du compte, décidé selon ses propres orientations.
 

Un changement s’impose dans le rôle de l’État

Le caribou est comme le canari dans la mine. Son extinction doit être perçue comme un signal d’alerte pour notre propre survie. Le mettre en cage ne règlera pas notre avenir. Apprenons de nos erreurs!

J’entends des critiques me dire que nous allons devoir nous adapter aux différents changements qui vont se produire et que la science nous permettra de survivre. La question est de savoir dans quelle mesure il sera possible de nous protéger et de vivre dans un milieu sain. Nous retrouverons-nous dans un monde où seuls les mieux nantis pourront se cloitrer dans des milieux sécuritaires?

Pouvons-nous laisser faire nos gouvernements qui se donnent comme mission de bien gérer l’économie au détriment de l’avenir de notre terre? La réponse est non. Nous devons comme électeurs exiger des changements majeurs dans la mission des élus. La qualité de nos écosystèmes devrait toujours être la priorité. Le devoir de nos élus devrait être de prendre en compte la santé de nos écosystèmes avant d’autoriser ou d’avantager le développement économique. Lorsque l’on constate qu’une espèce comme le caribou est en train de disparaître, ce n’est plus la croissance de l’économie ou notre confort personnel qui doit compter, mais bien la survie de la « vie ».

La réalité politique doit changer. Il faut mettre fin au lobbying industriel qui influence les décisions de nos gouvernements. Il faut nationaliser l’exploitation de nos ressources naturelles et transformer nos gouvernements en gestionnaire de la nature. Les gouvernements doivent devenir imputables juridiquement s’ils dénaturent des régions complètes pour répondre aux besoins des entreprises. Nous devons criminaliser toute complaisance gouvernementale devant l’inaction à protéger l’environnement. 

Je suis conscient qu’un changement de paradigme aussi important dans le rôle gouvernemental sera très difficile. Toutefois, peut-on se permettre d’attendre de franchir un point de non-retour à la survie de l’humanité? Pour chercher à gagner l’approbation de certains détracteurs, laissez-moi utiliser un argument économique. Les changements que je propose peuvent être vus comme une opportunité économique de développer une nouvelle économie que l’on pourra exporter dans le monde entier. De plus, nous pourrons développer notre économie touristique qui mettra en valeur notre qualité de vie.

Nous ne sommes plus dupes. Faire semblant que l’on pose des gestes pour sauver les caribous et que l’industrie peut ainsi cohabiter avec eux sans nuire à sa survie ne passe plus.