Entre 330$ et 475$ après taxes, c’est ce que coûte une nuitée – une seule – à l’hôtel Hilton de Québec, en semaine, dans une chambre pourvue d’un unique lit Queen. Je précise qu’il s’agit là du forfait le plus « abordable » offert par cet établissement de la capitale. Mais aussi exorbitants que puissent paraitre les tarifs de ce Hilton, ils demeurent modestes comparés à ceux de certains hôtels montréalais. Au Ritz-Carlton, toujours en semaine, le montant de base, taxes incluses, pour une nuit dans une chambre simple se situe autour de 1 000$ ! Les gens prêts à débourser autant se méritent un accès au bar Palm Tree, avec ses hot-dogs à 25$ et ses martinis à 30$.
Avec ces chiffres en tête, une seule conclusion s’impose…les temps sont durs, très durs, pour les hôteliers. C’est du moins ce que les gros joueurs de l’industrie voudraient nous faire croire, alors qu’ils font la sourde oreille aux revendications des syndiqués de la Fédération du Commerce (FC-CSN) qui sont en négociations intensives pour le renouvellement de leurs conventions collectives depuis le printemps. Je m’entretiens sur ce conflit de travail avec Michel Valiquette, responsable du secteur de l’hôtellerie et trésorier de la Fédération du commerce-CSN.
Orian Dorais : Pourriez-vous nous résumer les évènements derniers mois?
Michel Valiquette : Fin avril 2024, nous avons amorcé une ronde de négociations coordonnées dans trente hôtels du Québec, en vue du renouvellement des conventions. C’est un bon mandat, qui concerne 3 500 de nos membres et qui nécessite de régler à trente tables locales, chacune avec leurs demandes précises. Mais ça fait presque 35 ans que nous coordonnons les négos simultanément dans plusieurs établissements, la partie patronale est habituée de discuter avec la FC et est familière avec nos revendications. Voilà pourquoi on ne s’attendait pas à autant de fins de non-recevoir de la part des employeurs, on aurait aimé des offres sérieuses. Je dois dire qu’au départ les discussions se passaient bien. Une majorité d’hôteliers sont arrivés avec peu ou pas de demandes et on a senti une bonne écoute lorsqu’on abordait les enjeux normatifs. Mais tout s’est corsé quand nous sommes entrés dans le monétaire. Les hôteliers sont devenus très fermés, la moitié d’entre eux n’ont même pas fait d’offres salariales, plusieurs autres proposaient des augmentations tellement dérisoires que c’en était insultant.
O.D. : Évidemment, ils se disent fragilisés par la pandémie…
M.V. : Mais la reprise a eu lieu depuis 2020! Parlez-en à nos syndiqués qui s’occupent des réservations : alors qu’ils doivent se serrer la ceinture, ils voient bien les montants faramineux qui sont déboursés pour des chambres. Il faut comprendre que, dans la convention 2020-2024, nos membres dans l’hôtellerie ont accepté 8% sur quatre ans pour donner une chance à l’industrie, fragilisée par la pandémie. Le but était de garantir une relance dans des conditions idéales. Avec l’inflation massive des dernières années, les employés ont perdu beaucoup de pouvoir d’achat, donc ils s’attendent maintenant à un retour d’ascenseur de la part des employeurs. Les hôtels ont massivement augmenté leurs tarifs, bien au-dessus de l’inflation, et les taux d’achalandage actuels avoisinent, à quelques dixièmes de pourcentage près, ceux de l’année record qu’était 2019 . Tous les indicateurs sont au vert!
En juin, on a donc commencé les moyens de pression comme le port de chandails aux couleurs du syndicat les jeudis – ce qui fait son effet dans un milieu où l’uniforme est obligatoire – ou la projection lumineuse de nos slogans sur la façade du Ritz-Carlton, pendant la fin de semaine du grand prix. Quelques semaines plus tard, le débrayage a débuté dans plusieurs hôtels. Tout a culminé avec un mouvement historique le 8 août, quand 2 600 membres issus de 23 hôtels différents ont fait la grève en même temps. Depuis, le Reine-Élizabeth s’est doté d’un mandat de grève générale illimitée et d’autres pourraient suivre.
O.D.: Quelles sont vos principales revendications pour cette convention?
M.V. : D’abord, une augmentation de 36% sur quatre ans, dont 15% la première année, dans le but de rattraper et battre l’inflation. Ensuite, que les employeurs augmentent leur contribution au régime d’assurances collectives de 60% à 65%. On demande aussi une troisième semaine de vacances dès la première année d’ancienneté et une septième semaine rendu à trente ans de carrière. Il faut également que les hôteliers offrent des formations appropriées aux nouvelles recrues, données par des collègues expérimentés qui devront recevoir des primes pour ce service. J’entends souvent des histoires de gens qui commencent dans l’hôtellerie et qui – pardonnez l’expression – sont garrochés dans leur milieu de travail. On leur dit d’apprendre sur le tas, en imitant les autres et, plus d’une fois, des employés qui ont été mal encadrés sont partis après 2-3 quarts de travail. Une autre demande est que les employeurs arrêtent de recourir aux agences de placement, qui sont devenu un vrai fléau dans le secteur hôtelier. Des gestionnaires, un peu par paresse, vont souvent faire appel à ces agences pour leur fournir de la main-d’œuvre quand il manque de personnel. C’est mauvais pour les syndiqués, car ça diminue leur rapport de force et ça multiplie les risques de bris de grèves, et c’est mauvais pour les travailleurs – ou plus souvent les travailleuses – d’agence, qui se font souvent exploiter par leurs patrons. Au lieu d’être employés par des agences, ces gens pourraient être recrutés directement par les hôtels et avoir la chance de devenir membres du syndicat. Enfin, on veut que les principes de l’article 50 de la Loi sur les normes du travail, qui interdit aux patrons de s’ingérer dans la gestion des pourboires, soient inclus dans la convention. C’est une mesure préventive, parce qu’il y a beaucoup de lobbying à Québec, surtout de la part des restaurateurs, pour que cet article soit aboli. Les hôteliers ne font pas pression en ce sens, mais pourraient en profiter si l’article tombait.
O.D. : Alupa Clarke, président de l'Association hôtelière de la région de Québec et ancien député du Parti conservateur (soit disant le parti du monde ordinaire), dénonce une « catastrophe orchestrée par les syndicats ». Que lui répondez-vous?
M.V. : Je ne veux pas m’engager dans une guerre de mots avec M. Clarke, mais je dirais que plusieurs associations patronales ne savent pas vraiment comment les choses se déroulent sur le terrain. On s’est fait accuser de ruiner la saison touristique et de prendre les clients en otage… à entendre ces discours, on croirait que nos membres haïssent les hôtels pour lesquels ils travaillent. Au contraire, ils en sont fiers! Tout ce qu’ils veulent, c’est travailler sans s’appauvrir. Le syndicat ne demande pas des montres en or (rires). Et vous remarquerez que la plupart de nos demandes aident les hôteliers. La fin du recours aux agences diminuerait leurs dépenses, des formations permettraient d’avoir une main-d’œuvre encore plus qualifiée et des meilleures vacances contrebalanceraient la pénibilité du travail hôtelier, qui nécessite de travailler de nuit ou les fins de semaine. Ça augmenterait la productivité et la rétention. Mais on se heurte à l’acharnement des patrons, qui préfèrent employer des lock-out et des scabs plutôt que de discuter. Nos membres sont des professionnels et méritent d’être traités comme tel, c’est grâce à eux si les hôtels font de l’argent comme de l’eau. Ils vont continuer à revendiquer jusqu’à ce qu’ils soient entendus!
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