Sauver les campagnes

 

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Important rendez-vous des comités de citoyens des villages du Québec



Avec L'erreur boréale, Richard Desjardins a fait réaliser à beaucoup de gens le massacre qui se produit quand on livre une ressource de base de notre territoire au monopole d'entreprises soucieuses avant tout de leurs intérêts immédiats. On commence également à entrevoir comment les grands chalutiers, à qui on a donné la mer après l'avoir enlevé aux pêcheurs côtiers de la Gaspésie et de la Côte Nord, ont compromis la reproduction de la morue et d'autres poissons en labourant les fonds marins. Et chaque fois qu'une grande ressource est ainsi massacrée, c'est la vie économique et la culture de régions et de populations entières qui est mise en péril, sans compter l'appauvrissement collectif qui résulte de la perte irréparable de diversité naturelle et culturelle.

Sans qu'on s'en rende compte, surtout en ville, la campagne québécoise subit présentement le même sort. Il ne se passe guère de semaines sans qu'on apprenne que les citoyens d'un village quelque part doivent s'opposer à des projets qui menacent leur milieu de vie. Un peu partout, le régime agricole actuel (droit de produire en zone verte) entre en conflit avec l'aménagement nécessaire du territoire, la protection de l'eau, des paysages et des sols, la cohabitation des utilisateurs et des usages multiples de la campagne.

Le purin empoisonne les campagnes

En bien des endroits, la multiplication des élevages industriels sur fumier liquide, des élevages porcins sur lisier notamment, est devenu le signal d'un cri d'alarme. En effet, le nombre de municipalités rurales en situation de surplus de fumier et surtout de lisier atteint plus de 400.

Des régions complètes, comme celles des bassins des rivières Assomption, Richelieu, Yamaska, St-Maurice, St-François, Chaudière, Etchemin, Boyer et bientôt tout le Bas-du-Fleuve sont aux prises avec des surplus de lisier que même les agences spécialisées créées pour en disposer à travers la province n'arrivent pas à éliminer de façon sécuritaire.

Dans la seule région de Yamaska, on est aux prises avec un surplus de 2 millions de tonnes de lisier dont on ne sait quoi faire. Une porcherie de 2400 places produit près de 400 camions de 3000 gallons de lisier par année.

L'invasion du purin a fait déborder le vase et basculer l'équilibre traditionnel entre l'agriculture et les autres usages de la campagne. Ce qui est en cause, en campagne comme en forêt, c'est son utilisation et sa gestion polyvalente et intégrée. Les agriculteurs forment rarement plus que 10 à 15% de la population et de la main-d'oeuvre en campagne. Tout en se modernisant et en protégeant les terres agricoles, ils doivent abandonner l'idée qu'ils ont un monopole de droit sur la zone verte, apprendre à partager la campagne et à cohabiter socialement avec les autres usages du milieu rural qui ne sauraient être confinés à la zone blanche (qu'on pense au tourisme, au plein air), enfin, à reconnaître aux instances municipales le pouvoir d'arbitrer cette coexistence.

Le monopole armé des organisations agricoles

Malheureusement, les règles de cohabitation actuelles sont consignées dans trois ensembles de lois et règlements qui ont été revisées en 1997 sous la pression et le chantage du puissant lobby agricole constitué de l'UPA, de ses Fédérations et des entreprises coopératives ou compagnies qui oeuvrent dans le domaine agricole0 il s'agit de la loi et des règlements sur le droit de produire et la protection du territoire agricole, sur l'environnement et sur l'aménagement et l'urbanisme. L'ensemble de cette législation et réglementation est faite sur mesure pour les agriculteurs et prend pour acquis que la campagne, du moins la zone verte désignée, leur appartient. Ces lois garantissent une immunité aux agriculteurs en zone verte et empêchent les citoyens et leurs conseils municipaux de réglementer les usages sur leur territoire0 les comité consultatifs agricoles obligatoires dans chaque MRC confèrent même une sorte de droit de veto aux agriculteurs sur tout projet, règlement et plan d'aménagement en zone verte. Ces lois maintiennent également une division artificielle entre zone blanche et verte et tout projet agricole en zone verte est jugé recevable s'il ne contrevient pas aux normes de l'Environnement, même s'il est dévastateur pour l'ensemble du milieu rural environnant.

Quant aux normes environnementales, elles sont simplistes, insuffisantes, irréalistes (notamment les Plans de fertilisation ) et leur respect n'est contrôlé que sur plaintes des citoyens; surtout, elles n'obligent pas les producteurs, comme on le fait de plus en plus en forêt et dans l'industrie en général, à adopter des techniques moins dommageables pour l'environnement et la population, comme par exemple la conversion de la gestion des fumiers du liquide au solide qui pourrait régler une grande partie des problèmes d'odeurs, de contamination de l'eau et de surplus de lisier (voir l'encadré).

En somme, à tous les niveaux, les institutions agricoles exercent un contrôle qui s'apparente à celui d'une mafia en ce sens qu'elles se sont assuré un contrôle des lois spécifiques ainsi que de la plupart des conseils municipaux et autres instances en région rurale, qu'elles peuvent compter sur des moyens financiers puissants et des outils juridiques difficiles à affronter pour des simples citoyens et qu'elles n'hésitent pas à exercer un chantage et des représailles envers leurs opposants. Rappelons-nous le limogeage de David Cliche comme ministre de l'Environnement lors de l'adoption du régime agricole actuel et la manifestation des producteurs de porcs sur l'autoroute 20, planifiée par une grande firme de communication.

Colloque pour sauver les campagnes

Cette situation met en danger le patrimoine inestimable qu'est la campagne québecoise comme réserve de nature, de culture, d'histoire, d'architecture, de savoir-faire, de produits locaux, en un mot, de diversité naturelle et culturelle. L'aménagement du territoire rural exige une gestion intégrée de toutes ses ressources et de tous ses usages et usagers. Nous ne pouvons accepter que ce régime agricole contrôlé dégrade l'environnement et le patrimoine rural, accélère sa dépopulation et sabote ses nouvelles formes diversifiées de développement et de relance économique.

Il faut réviser ce régime agricole qui met en danger l'avenir des campagnes et de l'agriculture elle-même qui sera la première à souffrir d'une dégradation de la ressource qui l'alimente et du milieu où elle vit. C'est sans doute ce qu'exigeront les comités de citoyens des villages du Québec qui se réuniront à St-Germain-de-Kamouraska du 21 au 24 octobre prochain. Les citoyens de ce village, situé en plein corridor touristique le long du fleuve, se battent depuis un an contre un projet de porcherie sur fumier liquide qu'on refuse de convertir sur litière.

La campagne, comme la forêt, la mer, l'eau ou l'air, appartient à tous les Québécois et même à tous les humains0 on ne peut accepter qu'elle soit confisquée au profit d'un groupe d'intérêt particulier, si méritant soit-il. La souveraineté commence peut-être là!

Fumier liquide et fumier solide

Les problèmes environnementaux et sociaux qu'entraînent les élevages industriels viennent essentiellement de leur gestion liquide des fumiers. L'évacuation des déjections animales avec 80% d'eau produit des volumes énormes de lisier qu'on doit entreposer dans d'immenses fosses coûteuses et souvent défectueuses. L'azote et le phosphore étant à l'état liquide dans le lisier, ils dégagent des odeurs très fortes lors des épandages et les quantités qui ne sont pas rapidement assimilées par les plantes sont lessivées vers les sources et les nappes d''eau où elles génèrent des nitrates et des phosphates. Ce modèle de gestion liquide des fumiers est privilégié par les intégrateurs parce qu'il leur assure le contrôle sur tous les intrants et une automatisation maximale.

Au contraire, les élevages sur litière de bran de scie accumulé produisent un compost sans odeur et sans danger de contamination de l'eau parce que les fertilisants sont intégrés à la matière organique par le compostage. Les expériences recensées et analysées par la firme BPR pour le ministère de l'Environnement et la Fédération des producteurs de porcs, notamment des porcheries sur litière de plus de 2000 porcs dans la Matapédia, démontrent sans équivoque que la gestion solide permet des économies appréciables sur les coûts de construction et d'opération, une meilleure santé des animaux qui sont moins stressés, une valeur fertilisante supérieure, le recyclage des résidus de bois, tout en éliminant les odeurs et les dangers pour l'eau et les conflits sociaux qu'ils suscitent.

On comprend mal que les ministères de l'Environnement et de l'Agriculture continuent à autoriser et à privilégier la régie liquide des fumiers en dépit des coûts élevés et des dommages environnementaux d'une telle méthode.* Pour informations sur le colloque du 21 au 24 octobre 0 (418) 492-5727.

* M. Roméo Bouchard est membre du comité de citoyens de St-Germain-de-Kamouraska.