Le programme secret des États-Unis concernant les armes biologiques

 

L'administration Bush s'est embarquée dans une campagne de relations publiques où les mots sont soigneusement pesés. Son objectif est de justifier l'élargissement éventuel de « la campagne contre le terrorisme international » à l'Irak et à d'autres « États voyous ».

Cette campagne de relations publiques consiste en partie à fabriquer des comptes rendus qui relient Saddam Hussein à Oussama ben Laden, c'est-à-dire à faire couler des « renseignements » destinés à amadouer la population américaine en faveur d'une nouvelle guerre contre l'Irak.

Le Sunday Mail du 25 novembre écrit que 0 « Selon un porte-parole officiel s'exprimant sous couvert de l'anonymat, les renseignements américains examinent – sans pouvoir les confirmer – des rapports selon lesquels Saddam Hussein aurait offert l'hospitalité à ben Laden et aux dirigeants talibans. Bien que Saddam laisse rarement filer la chance de mettre les États-Unis et leurs alliés en colère, ce porte-parole est d'avis que l'accueil de ces chefs de file serait lourd de conséquences . »

Les attaques à l'anthrax sont aussi utilisées. Washington a averti le président Saddam Hussein que s'il refuse de laisser entrer en Irak les enquêteurs des Nations Unies en matière d'armes biologiques, « il devra en subir les conséquences ». Interrogé sur ce que celles-ci pourraient être, le président Bush a répondu par un « Il verra bien ».

Pendant que l'Alliance monte son impressionnant arsenal militaire composé de porte-avions et de canonnières dans le golfe Persique, le moment précis d'une opération majeure de bombardements dirigés contre l'Irak n'a pas encore été arrêté. Il existe en outre d'importantes divergences au sein de l'administration Bush quant à la portée et à l'objectif de la guerre. Des partenaires de l'Alliance hésitent également à étendre la guerre au golfe Persique.

Les attaques à l'anthrax

En même temps que les prétendus «liens » entre Oussama et Saddam Hussein, les attaques à l'anthrax servent aussi à justifier l'extension à l'Irak de « la campagne contre le terrorisme international ». Tout en contribuant aux rumeurs à propos des attaques à l'anthrax, Washington signale que l'Irak, la Corée du Nord, l'Iran, la Syrie et la Libye ont enfreint le traité international interdisant le recours à la guerre bactériologique.

Selon le Washington Post du 19novembre, « Le sous-secrétaire d'État au contrôle de l'armement et à la sécurité internationale, John R. Bolton, affirme que l'existence d'un programme de guerre bactériologique en Irak ne fait aucun doute et que les États-Unis soupçonnent fortement la Corée du Nord, la Libye, la Syrie, l'Iran et le Soudan d'être à la poursuite de ces armes. De l'avis de Bolton, les États-Unis soupçonnent fortement l'Irak d'avoir profité de l'absence des inspections de l'ONU pendant trois ans pour renforcer toutes les phases de son programme offensif d'armes bactériologiques. Il ne fait aucun doute que l'Irak possède un tel programme . »

Réagissant aux nouvelles hypothèses de l'administration, les médias américains se préoccupent eux aussi de modeler l'opinion publique en faveur d'une opération militaire dirigée contre les prétendus « États responsables du terrorisme international », lequel impliquerait un ou plusieurs gouvernements étrangers au Moyen-Orient.

L'administration a néanmoins signalé qu'elle n'avait pas besoin « de quelque preuve que ce soit reliant Bagdad aux terroristes du 11 septembre » pour lancer une campagne majeure de bombardements contre l'Irak. La conseillère à la sécurité nationale, Condoleezza Rice, « a confirmé au cours de la fin de semaine que ce lien n'était pas nécessaire ».

Le Réseau suisse des relations internationales et de la sécurité (ISN) (relié au programme Partenariat pour la paix de l'OTAN) écrit 0 « Nous n'avions pas besoin du 11 septembre pour savoir que Saddam Hussein est un homme très dangereux, selon Mme Rice. Il est évident que le monde se porterait beaucoup mieux, de même que le peuple irakien, si Saddam Hussein n'était pas au pouvoir en Irak. Pendant ce temps, les médias américains cherchent à créer un nouveau consensus 0 Saddam est le chaînon manquant avec les terroristes. »

La recherche sur l'armement se poursuit en secret aux États-Unis

Il est ironique de penser qu'en même temps que Washington pointe l'Irak du doigt, les faits montrent amplement que les États-Unis se sont créé un énorme arsenal d'armes biologiques en pure violation des lois et des conventions internationales. Tout en accusant l'Irak et la Corée du Nord d'enfreindre les traités, les États-Unis contreviennent aux conventions internationales et n'ont toujours pas signé la Convention sur les armes biologiques et à toxines.

Selon ISN, « les États-Unis ont entrepris en secret un programme de recherche sur les armes biologiques qui, de l'avis de certains responsables, étire à l'extrême le traité universel d'interdiction de cet armement… Le traité de 1972 interdit aux nations de fabriquer ou d'acquérir des armes qui répandent des maladies mais il permet de mettre au point des vaccins et d'autres mesures de prévention. »

Les responsables américains défendent cette « recherche secrète » sous prétexte qu'elle est purement « défensive » et n'a pour but que de « reproduire les principales phases que suivrait un État ou groupe terroriste qui voudrait se créer un arsenal bactériologique». Autrement dit, elle a surtout «pour but de saisir en quoi consiste cette menace ».

D'après ISN, le programme secret concernant les armes biologiques, instauré sous l'administration Clinton, « a été repris par l'administration Bush qui veut lui donner de l'ampleur ».

« Des porte-parole de l'administration affirment qu'au début de l'année, le Pentagone a dressé des plans en vue d'obtenir par modification génétique une variante encore plus puissante de la bactérie à l'origine de l'anthrax, une maladie mortelle idéale pour une guerre bactériologique… Deux autres projets menés à terme durant l'administration Clinton portaient sur les rouages de la fabrication d'armes bactériologiques. Dans le cadre d'un programme désigné sous le nom de code Clear Vision, la CIA a construit et mis à l'essai le modèle d'une bombe bactériologique de conception soviétique dont les responsables de l'agence craignaient qu'elle soit en vente sur le marché international. Selon les porte-parole du renseignement, l'engin de la CIA n'était pas doté du dispositif d'allumage qui l'aurait rendu opérationnel. »

Rappelons que ces initiatives américaines en matière d'armement bactériologique se font « dans les meilleures intentions». Des documents officiels précisent qu'elles visent à empêcher des «États voyous» de recourir à la guerre bactériologique.

Toujours selon ISN, « les porte-parole du Pentagone affirment que le projet a montré avec quelle facilité un pays voyou ou terroriste pourrait construire une usine capable de produire des kilogrammes de bactéries mortelles… Tous les projets étaient absolument conformes au traité interdisant les armes biologiques et s'avéraient nécessaires afin de protéger les Américains contre un danger qui ne cesse de se préciser , d'après un représentant de l'Administration Bush. Un autre porte-parole affirme que le traité permet aux États-Unis de poursuivre des recherches sur les armes microbiennes et bactériologiques à des fins de protection ou de défense . »

Les États-Unis s'en prennent à la Convention sur les armes biologiques et à toxines

Selon The Sunshine Project, une ONG vouée à l'interdiction des armes biologiques, les États-Unis font la promotion d'un « plan visant à saper les mécanismes internationaux de contrôle des armes biologiques ». Le projet américain a été annoncé quelques jours à peine après le début du bombardement en Afghanistan.

« Il s'attaque directement à l'article principal de la Convention sur les armes biologiques et à toxines en ce qu'il prévoit d'en faire dévier l'objectif, le contrôle de l'armement, en levant les obstacles posés à la mise au point, à l'acquisition et au stockage des armes biologiques. Si les gouvernements ne s'y opposent pas, notamment ceux de l'Europe, qui restent indécis, cela donnera le feu vert aux développeurs potentiels d'armes biologiques offensives… Les propositions ont été dévoilées le 10 octobre lors du discours prononcé aux Nations Unies par le secrétaire d'État adjoint, Avis Bohlen, l'un des responsables du contrôle de l'armement aux États-Unis. D'autres hauts fonctionnaires américains font également la navette diplomatique pour tenter de convaincre les alliés. Ce que les États-Unis envisagent, c'est de réviser l'article 1 de la Convention sur les armes biologiques et à toxines, cette réussite exceptionnelle en droit international qui interdit toute une catégorie d'armes, les agents biologiques et les toxines utilisés à des fins d'hostilité…

Ce que recherchent les États-Unis en abattant cette précieuse pierre angulaire, c'est de permettre la stratification des armes biologiques entre les bonnes et les mauvaises . Ainsi, les États-Unis pourraient poursuivre leurs travaux sur un certain nombre d'armes biologiques en voie de développement, y compris sur l' agent vert , ce champignon anticultures, les travaux du Pentagone sur les armes dites non létales destinées à maîtriser (en termes militaires américains) des civils potentiellement hostiles, ainsi que la recherche sur les superinsectes transgéniques pouvant dévorer des matières comme le plastique, le carburant d'aviation, le caoutchouc et l'asphalte. »

Remplacer le droit international par une législation antiterroriste américaine

L'initiative américaine visant à contourner le contrôle international des armes biologiques cadre bien avec le projet de loi « antiterroriste » de l'administration Bush.

D'après le Sunshine Project, « outre l'abolition de l'article 1 de la Convention sur les armes biologiques et à toxines, l'attaque des États-Unis contre le contrôle de l'armement biologique comporte une proposition dangereuse, celle d'en supprimer l'objectif qui consiste à empêcher la mise au point d'armes biologiques. Au lieu de stopper carrément la mise au point de ces armes, les États-Unis préconisent une forme perverse de juridiction extraterritoriale où les efforts internationaux se concentreraient sur les sanctions pénales pour utilisation d'armes biologiques. Les pays étrangers renonceraient donc à leur propre jurisprudence pour mettre en application chez eux une loi américaine, avec tous les différends qui en découleraient en matière d'extradition (ou d'enlèvement) ainsi que les éventuels procès à grand déploiement qui serviraient de revanche aux attentats terroristes contre les États-Unis. »|205| 
161|Le Conseil central de Montréal renoue avec son passé|Pierre Dubuc|

Retour à l’action politique



Plus de 400 délégués ont adopté à très forte majorité, au terme d'une journée de débat, une résolution en faveur de l'action politique lors du récent congrès du Conseil central de Montréal de la CSN.

Jacques Létourneau, le secrétaire général du Conseil central, n'était pas peu fier de cette décision du congrès. Elle venait en quelque sorte entériner l'orientation qu'il a défendue avec le président Arthur Sandborn et l'appui de l'assemblée générale des membres au cours des derniers mois. On se rappellera que le Conseil central s'est impliqué lors de l'élection complémentaire dans Mercier en soutenant la candidature de Paul Cliche.

D’accord pour aller plus loin que la réforme du mode de scrutin

Plus fondamentalement, le congrès renouait avec les politiques adoptées jadis par le Conseil central lorsqu'il était dirigé par Michel Chartrand. « Il faut se rappeler, de nous dire Létourneau, que le Conseil central a fait figure d'avant-garde sur le terrain politique au cours des années 70. Il avait appuyé le Parti québécois à l'élection de 1970, puis le NPD tant au provincial qu'au fédéral. Sur la scène municipale, il était à l'origine du FRAP contre le parti de Jean Drapeau et il avait soutenu par la suite le RCM. Nous avons aussi été aux premières loges lors de la création du MEMO sur la scène scolaire. »

Létourneau est d'accord avec la position du président de la CSN, Marc Laviolette, sur l'importance de la réforme du mode de scrutin. «Mais, s'empresse-t-il d'ajouter, on ne veut pas réformer le mode de scrutin au bénéfice de Mario Dumont ou de Jean Charest. Il faut que ce soit pour promouvoir nos idées et, pour cela, il faut une alternative politique de gauche. » D'ailleurs, la question de l'action politique partisane sera débattue au prochain congrès de la CSN au printemps prochain.

Jacques Létourneau trouve essentiel que d'autres organisations syndicales et des groupes populaires s'impliquent comme le Conseil central vient de le faire. «On ne veut pas être les seuls à se jeter dans la mêlée », précise-t-il. C'est dans cette perspective que le Conseil central apporte son appui au colloque organisé par la Chaire d'études socio-économiques de l'UQAM sur l'action politique qui aura lieu au printemps prochain.

Une résolution résolue

Considérant l'importance de mettre sur pied au Québec une alternative politique aux partis traditionnels, de droite;

Considérant la conjoncture de libre-échange entre les nations, particulièrement celles des Amériques avec l'ALENA et la future ZLEA;

Considérant que ces partis défendent d'abord les intérêts du capital et qu'ils mettent de l'avant un programme politique largement inspiré par le néolibéralisme;

Considérant les positions du Conseil central du Montréal métropolitain (CSN) en faveur d'une réforme du mode de scrutin;

Que le Conseil central du Montréal métropolitain (CSN) appuie activement la constitution et le développement d'une alternative politique de gauche, qui correspondent aux orientations syndicales et sociales du conseil central, dans le but d'en faire la promotion et de l'appuyer lors des prochaines élections provinciales.

Que l'exécutif du conseil central soit mandaté par le présent congrès afin de définir les conditions de notre implication politique dans le cadre d'une campagne électorale. Que les conditions et les modalités soient présentées à l'assemblée générale ou, si nécessaire, à un congrès spécial du conseil central.

Adoptée à une forte majorité|205| 
162|Les profs de l’Alliance débrayent illégalement|Jacques Rouillard |*

Un mouvement de fond ou d’humeur ?



Malgré bien des frustrations, les enseignants et enseignantes du Québec ont très rarement osé faire grève et se placer dans l'illégalité depuis le début des années 1980. En fait, on peut noter un seul débrayage, celui du 18 novembre 1998, comme journée d'études sur l'équité salariale.

Les membres de l'Alliance des professeurs de Montréal ont repris le flambeau dernièrement avec trois jours de grève, rompant avec un sentiment largement répandu chez les enseignants depuis le milieu des années 1980, à savoir qu'il valait mieux, pour faire valoir leurs réclamations, choisir des moyens de pression qui ne débouchent pas sur la grève.

Dans un sondage effectué en 1987 auprès des membres de la CEQ (devenue CSQ l'an dernier), les enseignants souhaitaient abandonner le discours conflictuel des années 1970 et invitaient leurs dirigeants à choisir des moyens de pression plus « doux » que la grève.

C'était également le sentiment de la majorité des enseignants lors de leur dernière négociation en front commun des secteurs public et parapublic. À la fin de 1999, ils refusèrent de suivre les deux autres centrales (FTQ, CSN) qui voulaient organiser une grève générale tout à fait légale de trois jours à la fin d'octobre et une grève générale à compter du 18 novembre.

Les professeurs de l'Alliance ont été les premiers à refuser le débrayage de novembre, plaçant les autres centrales dans l'eau chaude. Le journal La Presse titrait à la une 0 L'Alliance flanque une gifle au front commun.

Finalement, le plan d'action du front commun qui prévoyait des débrayages a été abandonné. Les négociations traînèrent jusqu'en décembre où l'entente conclue prévoyait un contrat de quatre ans au lieu de trois.

Les augmentations salariales (9 %) se situaient pleinement à l'intérieur des paramètres de la politique salariale du gouvernement; elles permettront probablement tout juste de maintenir le pouvoir d'achat des syndiqués.

L'équité salariale faisait partie des principales revendications de la CEQ lors de cette négociation, mais celle-ci a finalement accepté une entente provisoire, équivalant à 4,3 % d'augmentation, quitte à poursuivre les négociations sur l'équité.

Entre la mer et l’eau douce

La décision des enseignants de l'Alliance de débrayer illégalement pendant trois jours du 19 au 21 novembre tranche donc avec leur prise de position de 1999 et les moyens de pression auxquels la CEQ avait habituellement recours. Par contre, les mesures suggérées par la Fédération des syndicats de l'enseignement (CSQ) comme le congé de devoirs, le report des bulletins, et, dernièrement, le boycott des activités parascolaires et de la réforme scolaire correspondent mieux à l'état d'esprit des enseignants.

Il est probable que le vote de grève pris avant le débrayage par les professeurs de l'Alliance à 60 % s'explique par un niveau de faible participation à leur assemblée (1200 sur 7300). De plus, la décision du Conseil des services essentiels la semaine précédente d'interdire des mesures aussi inoffensives que les congés de devoirs et de leçons a certainement influencé aussi les enseignants présents à l'assemblée. Le CSE ne tolère aucun moyen de pression en cours de convention.

La discrimination systémique, c’est la baisse du pouvoir d’achat

Le contexte social et économique des années 80 et 90 a eu pour effet notamment de réduire les hausses salariales qui, depuis 25 ans, pour les syndiqués comme les non syndiqués, ne parviennent pas en moyenne à dépasser la hausse des prix, même si l'environnement économique s'est amélioré au cours des dernières années. C'est donc dire que le pouvoir d'achat des salariés n'a pas augmenté depuis près d'un quart de siècle. C'est une tendance nouvelle car pour toutes les décennies antérieures, il y a toujours eu un accroissement du pouvoir d'achat des salariés depuis 1900.

Depuis l'imposition de décrets en 1982-83, les employés du secteur public et parapublic québécois ont touché de faibles augmentations de rémunération, presque toujours inférieures à celles du secteur privé (Institut statistique du Québec). Les hauts salariés comme les enseignants ont été particulièrement touchés par ce recul. Et depuis ce temps, leur échelle salariale soutient difficilement la comparaison avec celle des autres provinces.

La loi de l'équité salariale adoptée en 1996, dont l'objectif était d'aplanir la « discrimination systémique » entre les emplois féminins et masculins, devient un outil chez eux pour redresser leurs conditions salariales qui ne correspondent pas à leur formation, leur tâche et leur responsabilité.

Le gouvernement en est relativement conscient et cherche à gagner du temps et à étaler dans le temps la récupération salariale. Lors de la dernière ronde de négociation, la CSQ était aussi ouverte à échelonner sur plusieurs années la récupération.

Reste à s'entendre sur le nombre d'heures réellement travaillées par les enseignants et sur la catégorie d'emploi masculin du secteur public pour effectuer la comparaison (rangement 20 0 criminologues, ou 21 0 ingénieurs). Les parties ne sont pas aussi éloignées qu'on peut le croire.

Reste à savoir si les « doux » moyens de pression suggérés par la Fédération des syndicats de l'enseignement feront bouger le gouvernement.

Du temps où l’air du temps lui-même était militant

Dans les années 1960 et 1970, les enseignants n'avaient pas les mêmes réticences à l'égard des arrêts de travail, fussent-ils même illégaux. De 1967 à 1983, on compte pas moins de sept lois de retour au travail touchant des enseignants qui défient même une loi spéciale en 1975.

À l'avant-garde du Front commun, ils débrayaient illégalement en 1982 et 1983 pour faire échec à la récupération salariale et à l'imposition des conditions de travail pour trois ans. Ils subissaient cette année-là la loi 111, la plus rigoureuse de l'histoire du syndicalisme québécois, forçant le retour au travail sous peine de congédiements collectifs discrétionnaires et suspendant même dans ce cas la Charte des droits et libertés.

L’échec du Front commun de 1982-1983

L'échec de la négociation du Front commun de 1982-83 a marqué un tournant dans l'histoire du syndicalisme, comparable au choc causé la même année par le retour forcé au travail des contrôleurs aériens aux États-Unis et des mineurs de charbon en Grande-Bretagne. Elle mit fin à la période de militantisme et de radicalisation des centrales au Québec amorcés au milieu des années 1960. Tout le mouvement syndical s'est ressenti de cet échec majeur.

Deux fois moins de conflits en 90 qu’en 70

Subissant le choc de la récession de 1982 et le haut niveau de chômage qui perdure pendant la décennie, les syndicats sont alors placés depuis sur la défensive et ont peine à améliorer la condition des salariés. Leurs membres sont moins prompts à la grève dont le nombre n'a pas arrêté de chuter depuis 1983. En moyenne, il y a deux fois moins de conflits de travail au cours des années 1990 qu'il n'y en avait dans les années 1970.

Élément nouveau et fort significatif, plus du quart de ces conflits sont des lock-out initiés par les employeurs (1986-1997). Les enseignants ne sont donc pas les seuls à hésiter à renouer avec la grève, d'autant plus que pour les secteurs public et parapublic le gouvernement s'est donné le Conseil des services essentiels pour « civiliser » et limiter la portée des débrayages.

* Jacques Rouillard, professeur au département d'histoire de l'Université de Montréal, est l'auteur d'une Histoire du syndicalisme québécois (Boréal, 1989)

Texte paru en substance dans La Presse, 22 novembre 2001|205| 
163|GM ne s’en tirera pas aussi facilement|Pierre Dubuc| Les travailleurs de GM venaient à peine de recevoir l’appui du congrès de la FTQ qu’ils devaient immédiatement monter au front pour contrer dans l’opinion publique la campagne de désinformation entreprise par GM et les grands médias pour faire accepter la fermeture définitive de l’usine de Boisbriand.

Luc Desnoyers, le directeur québécois des TCA, n’en revenait pas de voir Mme Maureen Kempston-Darkes, la présidente de GM, se pavaner devant les caméras de télévision annonçant que son entreprise achèterait des pièces de la nouvelle usine de magnésium dont on vient d’annoncer la construction.

« C’est une centaine d’emplois. Faut quand même pas laisser croire que ça va remplacer les 1500 emplois directs et les 8000 emplois indirects qui seront perdus lorsque GM fermera l’usine de Boisbriand », de nous dire Luc Desnoyers.

Les TCA sont sur un pied de guerre. Ils veulent garder l’usine ouverte et éviter son démantèlement. « Nous savons que GM veut raser l’usine pour faire disparaître le plus tôt possible la mauvaise image qu’elle donne à GM », explique Luc Desnoyers.

« Mais l’objectif ultime, enchaîne-t-il, est d’empêcher la fermeture. Le Québec doit avoir sa juste part de la construction automobile. Après tout, nous achetons chaque année 400 000 véhicules neufs, ce qui représente un marché de 10 milliards $. De l’avis de tous, l’usine de Boisbriand est l’une des plus performantes. Pourquoi la fermer ? On parle de surproduction, mais il faut savoir qu’il s’est fabriqué chez GM l’an dernier 300 000 véhicules en temps supplémentaire, ce qui représente quatre fois la production actuelle de l’usine de Boisbriand. »

Une décision politique

La décision de fermer l’usine québécoise est éminemment politique. Se situe-t-elle dans une offensive économique pour mettre le Québec à genoux ? C’est évidemment difficile à prouver, mais nous avons tous vu récemment, lors de la visite du premier ministre Bernard Landry à Toronto, ce financier ontarien qui affirmait devant les caméras de télévision qu’il n’investirait jamais au Québec à cause de la « menace séparatiste ».

Les TCA ont décidé de cibler le premier ministre Chrétien dans cette bataille, mais n’excluent pas non plus des pressions sur Bernard Landry. « Il s’est impliqué au départ mais, depuis quelque temps, on ne l’entend plus », de dire Luc Desnoyers.

Une bataille de l’ensemble du mouvement syndical

Le directeur des TCA pense que la bataille contre la fermeture se gagnera par la solidarité syndicale et l’appui populaire. « Nous avons eu un appui unanime du congrès de la FTQ. De l’avis de plusieurs, ce fut le moment fort du congrès. Mais nous avons également besoin de l’appui des autres centrales. Marc Laviolette m’a promis l’appui de la CSN et nous allons contacter la CSQ, la Fédération des infirmières, le Syndicat des fonctionnaires, la CSD, etc. »

Le syndicat de GM et les TCA sont à préparer une caravane qui fera le tour de toutes les régions du Québec afin de sensibiliser l’ensemble de la population. « Il y aura aussi des actions spectaculaires, des actions plus musclées », nous promet Luc Desnoyers.|205| 
164|L’enjeu du biopouvoir, c’est le contrôle du monde|Élaine Audet| Le dimanche 25 novembre, le président de la société Advanced Cell Technology affirmait avoir réussi à produire les premiers embryons humains clonés connus dans le monde, en transférant le noyau d'une cellule dans des ovules préalablement énucléés de femmes, technique déjà utilisée avec succès pour le clonage de la brebis Dolly. ACT affirme avoir également réussi à induire le développement embryonnaire d'un ovule humain sans aucune fécondation ni clonage (parthénogénèse), en soumettant l'ovule à un choc chimique qui a produit quelques cellules avant de mourir.

Quand on parle de production de cellules souches, on a tendance à oublier que cette marchandisation du vivant ne peut se faire sans ovules et que ces ovules essentiels à la production d'embryons proviennent de femmes réelles.

L'usinage des femmes

La compagnie a payé des femmes jusqu'à 4 000 $US pour le don de leurs ovules et dit « avoir appliqué à des ovules de femmes volontaires les techniques de clonage jusqu'à présent réservées aux animaux ». Elles font déjà partie de la chaîne de montage de la biotechnologie. Leur corps, complètement instrumentalisé, devient ainsi le champ de cette culture hautement lucrative.

Les chercheurs disent avoir activé 22 ovules humains par parthénogénèse et réalisé un transfert de noyaux dans 17 ovules. Pour pouvoir cultiver des cellules souches, il faut que les embryons fournissent au moins 100 cellules, ce qui se produit entre le cinquième et le septième jour. Dans l'expérience d'ACT, les embryons n'ont pas survécu au troisième jour et n'ont atteint que six cellules.

Il n'est pas difficile d'imaginer le nombre élevé de femmes et d'ovules qui seront nécessaires dans ce processus douloureux, dangereux, très coûteux et aléatoire dont, en bout de ligne, seuls les plus riches pourront profiter, contrairement à ce qu'on veut faire croire au public pour obtenir son assentiment.

Les apprentis sorciers n’ont pas besoin de se cloner pour se multiplier

En ce qui a trait au principe de précaution, rien ne peut nous assurer que des ovules ne seront pas détournés pour des fins autres que thérapeutiques avec tous les risques de réactions en chaîne imprévisibles et irréversibles qui pourraient en découler. C'est faire preuve d'une inconcevable naïveté de croire qu'une fois acquise la possibilité de clonage reproductif par la création de cellules souches, le milieu scientifique résistera à la tentation d'une telle performance.

Tant qu'une loi contre le clonage n'est pas adoptée par tous les pays, touchant à la fois la recherche privée et publique, les apprentis sorciers trouveront refuge pour leurs expériences dans des pays laxistes comme le Canada.

Le gouvernement fédéral semble beaucoup plus intéressé à passer à la vapeur son projet de loi répressif C-36 que de combler ce vide juridique inadmissible. Le clonage est une bombe à retardement beaucoup plus nocive à long terme que tout ce que l'humanité a connu à ce jour, car quiconque s'emparera du biopouvoir contrôlera le monde.

Jacques Testart et Christian Godin, Au bazar du vivant, Paris, Seuil, 2001.

Louise Vandelac et Karl Parent, Clonage ou l'art de se faire doubler, 2000, vidéo disponible à l'ONF et dans les grandes librairies.

Il ne faut pas confondre clonage et immortalité

Dans une émission récente d'Enjeux (SRC, 19 mai 2001), le commentaire et la majorité des intervenants font l'apologie du clonage, réduisant presque à l'insignifiance les mises en garde de Louise Vandelac, de Maureen McTeer et du Dr François Auger, spécialiste des biomatériaux. Les médias leurrent le public en lui promettant d'échapper à la mort, sans que personne ne sache les conséquences à long terme de ces interventions et les risques de réactions en chaîne irréversibles qu'elles pourraient entraîner.

« C'est de plus en plus le clonage des cellules souches des embryons, présumément capables de remplacer n'importe quel organe, qui, au nom d'une paradoxale santé, sert à faire accepter cet hallucinant projet de se cloner un embryon pour s'en nourrir dans l'espoir de se guérir, dit Louise Vandelac, en dévorant en quelque sorte son double. On manipule carrément l'opinion en nous montrant de jeunes malades sympathiques dont les jours sont comptés, des célébrités comme Christopher Reeves ou Michael J. Fox, pour qui la recherche sur les cellules souches constituerait l'unique espoir de guérison alors qu'on sait déjà produire des biomatériaux avec des cellules adultes sans passer par l'embryon. »

Un droit international de l’engendrement

La protection des équilibres vitaux des écosystèmes biophysiques et sociaux, selon Louise Vandelac, exige une interdisciplinarité réelle, la démocratisation des savoirs et des décisions et la mise en place de politiques et instances publiques. Elle insiste sur la nécessité de repenser un droit échappant aux conceptions essentiellement techniciennes, gestionnaires et normatives qui marquent notamment son évolution nord-américaine. Et elle souligne, à propos des rapports d'engendrement, ce qui a toujours été la ligne de force de tous les travaux, soit les grands enjeux socio-économiques et symboliques qui se jouent et se nouent dans et par les rapports de sexe. Elle conclut en disant que les mutations du vivant devraient nous inciter à un éventuel droit international de l'engendrement opposant la norme publique et le respect des êtres à la privatisation à tout crin du vivant, un droit sachant en faire respecter le lien et la limite.

Extrait de « Louise Vandelac, portrait d'un parcours exemplaire », par Élaine Audet publié dans L'Apostrophe, no. 2, automne 2001.|205| 
165|Halte là ! Les garderies sont là !|Stéphanie Beaupied|

L’AHGCQ somme Québec de la reconnaître



Le 20 novembre dernier, l’Association des haltes-garderies communautaires du Québec (AHGCQ) a mobilisé quelque 1000 parents à Montréal et 300 à Québec, pour manifester leur mécontentement à la ministre de la Famille et de l’Enfance, Linda Goupil. Les haltes-garderies veulent être reconnues et financées par le gouvernement.

L’AHGCQ rassemble plus de 140 haltes-garderies en milieu communautaire au Québec. Depuis près d’une trentaine d’années, elles offrent un service aux parents désirant participer à un groupe communautaire. « Les besoins sont diversifiés, nous explique Sandrine Tarjon de l’AHGCQ. Le service peut s’adresser aux usagés du centre d’alphabétisation, du centre de femmes, aux étudiants, ou encore aux travailleurs autonomes et à temps partiel. » Bref, les haltes-garderies offrent un service de garde à temps partiel et reçoivent entre 6000 et 8000 enfants par année. Mme Tarjon s’indigne 0 « En trente ans d’existence, les haltes-garderies n’ont jamais été reconnues et financées par le gouvernement ! Pourtant, le ministère nous réfère des parents nécessitant ce genre de service. »

La ministre Goupil ne sait pas compter

Avec le temps des vaches maigres au communautaire, l’existence des haltes-garderies est en péril. Elles dépendent à la fois des revenus des organismes communautaires, des programmes d’employabilité du gouvernement et des contributions parentales. « La qualité du service s’en trouve affectée, affirme Sandrine Tarjon, car les éducatrices ne conservent pas leur emploi à cause de la précarité des programmes d’employabilité. De plus, les parents qui utilisent les haltes-garderies doivent payer plus cher que dans un centre à la petite enfance (CPE). »

La ministre Goupil préfère ignorer

« La ministre nous sert évidemment le même refrain 0 on n’a pas d’argent ! C’est scandaleux, nous dit Madame Tarjon, l’an dernier le ministère de la Famille et de l’Enfance a retourné 51 millions $ en crédits périmés et les haltes-garderies ont besoin de 17 M $ par année pour offrir leurs services. »

« Pourtant, ajoute Sandrine Tarjon, le gouvernement investit 50M $ dans les centres à la petite enfance pour des infrastructures. » Les CPE sont saturés et les gens se réservent des places au cas où ils en auraient besoin. Les haltes-garderies pourraient justement désengorger les CPE si les coûts étaient équivalents. Le ministère se faufile en affirmant que les centres d’alphabétisation, par exemple, ne relèvent pas de la mission du ministère de la Famille. « Quand de nouveaux arrivants doivent s’intégrer au milieu du travail ou apprendre le français, c’est une mission familiale quand même », ajoute Madame Tarjon.

Les ministres se suivent mais ne se succèdent pas

La ministre Nicole Léger, prédécesseur de Mme Goupil, avait mis sur pied un groupe de travail pour étudier la situations des haltes-garderies. Les résultats devaient être communiqués en mars 2001… On attend toujours ! Mais, somme toute, les manifestations du 20 novembre ont porté fruit, la ministre Goupil va rencontrer les responsables de l’AHGCQ le 7 décembre prochain.|205| 
166|Régime à haute teneur en calomnies|François Parenteau| On entend souvent dire, en cette époque de Brittney Spears jetables, que l’histoire n’a plus d’importance, qu’on veut du neuf, qu’on repart à zéro tous les deux ans et que plus rien ne vient d’ailleurs que de l’esprit d’individus libres qui improvisent la vie… Le livre noir du Canada anglais de Normand Lester et quelques événements de l’actualité récente viennent prouver exactement le contraire.

En plus de rappeler les propres errements du Canada anglais si prompt à nous faire la leçon, de grands pans de ce livre portent sur la calomnie et les histoires sordides purement inventées par les anglo-saxons de tous temps pour dénigrer les Canadiens français et les Québécois francophones. On y associe le fait français à tout ce qu’il y a de pire, d’épouvantable et d’antidémocratique. Tout ça serait de l’histoire ancienne ?

Les talibans parlent français

Dans le Mirror de cette semaine, on parle de ces fonctionnaires de l’Office de la langue française qui ont l’ingrate tâche d’appliquer le byzantin compromis de loi linguistique adopté par Bourassa, puis défendu par Bouchard, et qui exige qu’on mesure les lettres des signes commerciaux bilingues pour assurer la nette prédominance du français. Bien sûr, c’est une job indéfendable et absurde aux yeux des anglophones.

Pourtant, lorsque la souveraineté semble toute proche, bien des anglophones se font rassurants et disent que le Québec français n’a pas à craindre l’assimilation au sein du Canada puisqu’il y a la loi 101 et que le Canada a permis ça. Mais quand la souveraineté se retrouve entre deux marées, ils sont nombreux à tenter d’enlever à cette loi tous les moyens de l’appliquer… Et les mesureurs de signes sont pour eux le plus irritant des symboles. Le titre de l’article était0 Un taliban de la langue frappe NDG !

De la mauvaise foi considérée comme l’un des Beaux-Arts

Et que dire de la supposée déclaration de Bernard Landry à qui on a fait dire en substance que si le Québec n’accédait pas bientôt à l’indépendance, les séparatistes se transformeraient en terroristes. Et quand Bernard Landry déclare qu’il n’a aucune intention de s’excuser pour ce que, de toute façon, il n’a pas dit, on l’accuse de l’avoir pensé…

Cette mauvaise foi atteint l’absurde. Si Bernard Landry disait qu’un Québec indépendant serait ouvert à tout le monde, le lendemain, les journaux anglais pourraient titrer que Landry rêve qu’un Québec séparé se lance à conquérir le monde comme dans les plus kétaines James Bond. D’ailleurs, il me semble que si la tendance se maintient, on verra bientôt un film d’espionnage où de sombres terroristes talibans réussissent à s’infiltrer aux États-Unis par la French connexion des fascistes québécois.

Si Landry disait qu’il vient de s’acheter un char, on laisserait entendre que les séparatistes sont à se constituer une division de blindés. D’ailleurs, le nouvel appartement de fonction du premier ministre qui surplombe la ville de Québec n’est-il pas l’endroit idéal pour poster des « snipers » ? Et s’il avait le malheur de dire en sortant de la cabane à sucre qu’il venait de manger d’excellents grands-pères, on le traiterait sûrement de cannibale gérontophile.

La Charte des droits reconnaît-elle le droit à la calomnie ?

Dans les médias du Canada anglais, on peut faire dire n’importe quoi à Bernard Landry. Comme avant lui à Jacques Parizeau. La calomnie érigée en système a fait son œuvre. On peut faire dire n’importe quoi à n’importe quel souverainiste, tout pour ne pas vraiment l’écouter. En plus, une bonne part de nos journalistes francophones tempèrent et se perdent dans les nuances.

Le livre noir du Canada anglais est loin d’être inattaquable. Normand Lester y pèche à mon avis en faisant trop souvent le même genre de généralisations dont il accuse les médias anglophones et prête flanc à une critique trop souvent collabo qui n’allait évidemment pas rater pareille occasion de rejeter l’ouvrage du revers de la main.

N’empêche, on aurait pu au moins reconnaître que, même partial, son livre peut contribuer un peu à rétablir un équilibre et à replacer les choses en perspective. Au lieu de ça, on le suspend ! Bien sûr, on allègue qu’il ne s’agit que d’appliquer les même normes d’objectivité et d’éthique qu’à tout le monde…

Si l’indépendance était objective, elle cesserait d’être subjective

Pourtant, en toute objectivité, l’indépendance du Québec n’a pas à être évoquée comme une catastrophe. Elle pourrait même être une véritable délivrance pour le reste du Canada, non ? Pourquoi alors les faces des lecteurs de nouvelles anglophones sont si longues quand cette perspective semble réalisable ? Si être favorable à la souveraineté du Québec c’est manquer d’objectivité, alors que promouvoir l’unité canadienne est un geste impartial (qui peut même valoir une nomination aux plus hautes fonctions Radio-canadiennes comme on l’a vu récemment), ce n’est plus d’objectivité dont on parle, c’est de soumission au pouvoir.

Et de toute façon, ce n’est pas de ça dont il s’agit. Que des vérités de l’histoire soient révélées, même dans un gros paquet provocant, ça ne devrait même pas être vu comme un acte partisan. D’honnêtes fédéralistes canadiens pourraient en tenir compte pour construire un véritable respect mutuel. De la même façon que la souveraineté ne pourra se faire qu’en toute connaissance de cause, dans l’honnêteté et la clarté (Stéphane Dion n’a-t-il pas d’ailleurs énormément insisté sur ce point ?), le fantasme de l’unité canadienne ne pourrait prendre forme que de la même manière.

Mais présentement, c’est le droit à la propagande pour un bord et les normes d’éthique pour l’autre. Et ne nous y méprenons pas 0 la propagande nous apprend beaucoup moins de vérités que les normes en laissent taire… (Appréciez le jeu de mots…)

Texte lu à l’émission Samedi et rien d’autre, 1ère chaîne de Radio-Canada, le 24 novembre 2001.|205| 
167|Le renouveau souverainiste passe par le scrutin proportionnel|Pierre Dubuc| Discours prononcé par Pierre Dubuc, le directeur de l’aut’journal, lors du Rassemblement souverainiste du 2 décembre au Medley à Montréal.

Mes amis,

Je voudrais remercier Mario Beaulieu et le Parti québécois Montréal-Centre de me donner l’occasion de vous adresser la parole. Je voudrais surtout les féliciter pour l’ouverture politique dont ils font preuve en invitant des indépendantistes d’allégeance autre que péquiste. Cela démontre leur compréhension du large éventail dont est aujourd’hui composé l’arc-en-ciel souverainiste.

Nous nous faisons dans les pages de l’aut’journal les porte-parole de ces souverainistes qui pensent autrement.

De ces souverainistes qui pensent qu’une véritable attitude responsable consiste à s’opposer à la guerre d’agression que mènent actuellement les États-Unis sous prétexte de lutte au terrorisme. Une guerre, dont on le voit bien, se sert le gouvernement Chrétien pour faire adopter à toute vapeur de soi-disant lois antiterroristes qui seront utilisées contre le Québec.

Oui, il existe des souverainistes qui pensent autrement. Qui pensent que le Rapport Larose n’a pas respecté son mandat en évitant de décrire la situation et l’évolution prévisible des différents groupes linguistiques sur l’île de Montréal et qu’il ne vaut pas le papier sur lequel il a été imprimé.

Oui, il y a des souverainistes qui pensent que les fusions municipales sur l’île de Montréal n’ont pas aboli les privilèges fiscaux des municipalités du West-Island et qu’elles ont pour résultat de concéder, pour des décennies à venir, le pouvoir sur l’ensemble de l’île aux libéraux et aux anglophones.

Oui, il existe des souverainistes qui croient qu’on ne mène pas la lutte à la pauvreté en distribuant des bons d’achat de 100 $ à la veille des Fêtes; des souverainistes qui exigent qu’on procède à une étude sérieuse du Revenu de citoyenneté proposé par Michel Chartrand.

Oui, il y a des souverainistes qui croient qu’un autre modèle économique que le libre-échange est possible, qui pensent qu’il faut s’opposer à la mondialisation, s’opposer à la ZLEA, et nous saluons le récent changement de cap de M. Parizeau à cet égard.

Oui, il y a des souverainistes qui croient à l’importance d’une presse libre, indépendante et indépendantiste, qui pensent que ça ne donne rien de s’en remettre à « l’éthique capitaliste » de la famille Desmarais et de s’agenouiller devant Power Corporation, comme le fait le rapport de la Commission sur la concentration des médias.

Vivement la proportionnelle !

Mes amis, le mouvement souverainiste est large et pluriel comme la société. Il faut que ses différentes composantes puissent être représentées à l’Assemblée nationale.

Ceux qui se réjouissent des difficultés actuelles de la gauche indépendantiste au plan électoral et qui croient que l’électorat de gauche n’aura d’autre choix que de se retrouver sous la jupe du Parti québécois lors des prochaines élections font une grossière erreur.

La société a changé. La gauche ne se retrouvera pas au Parti québécois. Ceux qui pensent ainsi se méprennent profondément. La gauche ira plutôt grossir les rangs du plus gros de nos tiers partis, le Parti des abstentionnistes, le parti de ceux qui ne vont plus voter.

C’est pour cela que la réforme du mode de scrutin s’impose. Le scrutin proportionnel entraînerait un formidable intérêt pour la politique et une fantastique mobilisation des souverainistes de toutes tendances. Une toute nouvelle perspective s’ouvrirait.

De plus, le scrutin proportionnel désorganiserait nos adversaires. Il alimenterait les divisions en leur sein et il jetterait le désarroi dans leurs rangs. Il fractionnerait l’électorat fédéraliste. Les fédéralistes francophones modérés auraient enfin la chance de pouvoir voter différemment des fédéralistes radicaux anglophones, pour ne donner qu’un exemple.

Vous cherchez, nous cherchons toutes et tous un moyen pour relancer le mouvement souverainiste. Cela ne se fera pas par des entourloupettes, des astuces ou autres gadgets référendaires. Il faut un projet exaltant, une réforme majeure avant les prochaines élections. Il faut rebrasser les cartes pendant qu’il est encore temps.

À vous, à nous de l’exiger ! À nous de faire le plein du vote souverainiste !

Vive l’indépendance du Québec !|205| 
168|Pour marcher, ça prend au moins deux joueurs !|Pierre Dubuc|

Coalition souverainiste



Invité par le Parti québécois Montréal-Centre à participer à un rassemblement souverainiste le 2 décembre dernier, l'aut'journal s'est retrouvé au cœur d'une polémique comme l'ont rapporté les quotidiens du lendemain.

À l'origine, le rassemblement nous avait été présenté comme l'embryon d'une vaste coalition de souverainistes de différentes tendances. Mais, quelques jours avant l'événement, lorsque nous avons reçu le programme et la liste des intervenants, il était évident que la très grande majorité, sinon la totalité d'entre eux gravitaient dans l'orbite rapprochée du Parti québécois. Nous avons préparé notre intervention en conséquence en soulignant d'abord la diversité des tendances politiques au sein du mouvement souverainiste et les conditions d'une coalition 0 le scrutin proportionnel (le discours est reproduit en page 8).

Gauche-bashing

Les péquistes aiment bien décrier, avec raison, le Québec-bashing du Canada anglais, mais ils ont démontré ce dimanche qu'ils sont de bons élèves en appliquant le même traitement à la gauche.

Profondément irrité – avons-nous appris par la suite – par notre intervention, en particulier notre critique de l'appui du Bloc à la guerre de conquête des États-Unis (qui s'est méritée des applaudissements nourris), le chef bloquiste, Gilles Duceppe, a consacré l'essentiel de son allocution à défendre la position de son parti en se réclamant du « travailliste » Tony Blair, du « socialiste » Lionel Jospin, du « social-démocrate » allemand Schroeder, trois va-t'en guerre malgré leurs étiquettes « progressistes ». Il a conclu par un « appel à l'unité », qui était plutôt un appel à la soumission, puisqu'il renvoyait tout débat entre gauche et droite après l'avènement de l'indépendance !

Falardeau dans les culottes d'Elvis Gratton

Il faut dire que le cinéaste Pierre Falardeau avait battu le sentier en déclarant 0 « Il faut libérer le pays, après ça on s'obstinera. » À sa manière maintenant coutumière, il a cherché à ridiculiser la gauche en proclamant0 « Le projet de société, j'en ai rien à cirer. »

Fort bien, mais nous aurions aimé savoir ce que notre Elvis Gratton – qui dénonce la guerre des États-Unis sur d'autres tribunes – pensait de la position de Duceppe et compagnie qui approuvent l'envoi de soldats québécois dans la guerre des « Amaricains » ! Car, malheureusement pour Falardeau, la guerre est là, avant l'indépendance !

Falardeau, qui a évoqué la possibilité que l'indépendance puisse être proclamée dans d'autres circonstances qu'un référendum, devrait même en toute logique souscrire à l'idée que nous déclarions l'indépendance pour ne pas participer à la guerre !

Falardeau n'est pas sans savoir que c'est dans le contexte de l'opposition à la conscription et à la guerre que le député J.-N. Francœur a déposé, en décembre 1917, une motion séparatiste à l'Assemblée législative du Québec qui disait 0 « Que cette Chambre est d'avis que la province de Québec serait disposée à accepter la rupture du pacte fédératif de 1867, si, dans les autres provinces, on croit qu'elle est un obstacle à l'union, au progrès et au développement du Canada. »

Pourquoi Falardeau ne conseille-t-il pas à son ami Gilles Duceppe de s'inspirer de J.-N. Francœur à la Chambre des communes ? Que Falardeau réussisse à rallier Duceppe à son opposition à la guerre ne nous donnera peut-être pas l'indépendance, mais cela ferait un obstacle de moins à l'unité des forces souverainistes.

Pour Landry, le PQ est la coalition

Après Duceppe et Falardeau, Landry avait l'air d'un homme de gauche ! Il a reconnu l'importance d'un programme progressiste et d'une coalition des forces souverainistes. Mais, comme il croit que le programme du PQ et l'action de son gouvernement sont progressistes, la gauche ne peut être autre chose pour lui qu'un complot fédéraliste créé pour diviser le vote péquiste et faire élire des libéraux comme ce fut le cas dans Mercier !

Il ne reste plus à la gauche qu'à s'excuser d'avoir fait un si mauvais score dans Trois-Rivières et Jonquière et de ne pouvoir servir d'alibi pour ces défaites dans deux bastions péquistes !

Évidemment, quand on pense que le PQ réunit à la fois la gauche, la droite et le centre, il n'est nul besoin d'une large coalition souverainiste. Le Parti québécois est cette coalition, comme l'a affirmé de façon naïve et spontanée Bernard Landry, jetant ainsi par terre tout l'échafaudage élaboré par le PQ Montréal-Centre d'une coalition plus large.

Un projet rassembleur 0 la proportionnelle

Quelle est la stratégie derrière cette volonté soudaine des péquistes de raviver le projet souverainiste? Est-ce le chat qui sortait du sac lorsque Bernard Landry a rappelé que la souveraineté était beaucoup plus populaire dans les sondages que le Parti québécois ? Difficile dans ces conditions de ne pas soupçonner certains dirigeants du Parti québécois de chercher à utiliser la souveraineté pour leur réélection.

Que la souveraineté soit plus populaire que le Parti québécois confirme notre analyse du large éventail politique des partisans de la souveraineté. Dans ce cas, le scrutin proportionnel s'impose d'emblée comme projet rassembleur.|205| 
169|Biscuits Oreo et Pop Tarts|Andrée Lévesque|

La manne humanitaire



Un entrefilet paru récemment dans un hebdo d'Outremont nous apprenait que Moisson Montréal venait de recevoir 12 000 barres de Bizzcuit Oreo M. Christie, « un don qui s'inscrit dans la lutte contre la faim que livre Kraft ». Car on a faim à Montréal, comme si on avait oublié qu'un des droits fondamentaux est de pouvoir manger à sa faim. La proclamation des droits économiques, sociaux et culturels, qui inclue les droits à une alimentation convenable, a en effet été signée par le Canada et tous les États membres des Nations-Unies... sauf les États-Unis.

On a aussi faim entre l'Hindu Koush et le col de Kyber. Là tombent du ciel des petits paquets jaunes contenant entre autres des Pop Tarts. Or, d'après les manufacturiers, des Pop Tarts se mangent après avoir été réchauffées dans un grille-pain, petit appareil ménager qui fonctionne à l'électricité. Pas d'électricité, pas de grille-pain. Restent des Pop Tarts froides pour les Afghans sans doute médusés par ce genre d'aliments.

Que peut-on ajouter sur le cynisme et l'insensibilité des donateurs de ce type d'aide humanitaire ? Comme le disait l'écrivaine indienne Arundhati Roy, c'est un peu comme si, après une catastrophe, on faisait tomber des galettes de « nans » sur New York.

Un enfant, ça meurt énormément

Devant le scandale de la faim – dans la seule journée du 11 septembre, 35 615 enfants sont morts de faim, selon les statistiques des Nations-Unies – il est plus facile de se donner bonne conscience que de s'attaquer aux racines des famines et des inégalités sociales. Et ça ne coupe pas l'appétit.

Ainsi, le 30 novembre, dans plusieurs pays des centaines d'hôtes et hôtesses ont reçu des invités, qui ont payé de 15 $ à 1500$ selon leur milieu social, pour recueillir des fonds pour éliminer les mines terrestres, ces engins meurtriers qui continuent leurs ravages dans une multitude de pays longtemps après la fin des hostilités. Cet événement, « La Soirée des 1000 banquets » (car on espérait en tenir 1000 avant les événements que l'on sait) est parrainé par le Fonds canadien contre les mines terrestres en association avec l'Association des Nations-Unies des États-Unis.

Devant le sentiment d'impuissance ressenti par la population face au désastre afghan, on peut ici faire quelque chose. L'effort est sans doute louable 0 on espère recueillir quelques millions de dollars. Un enfant gardera peut-être ses deux jambes grâce au programme de déminage. Alors, pourquoi venir gâter le plaisir de ces bons repas où, en toute bonne conscience, pour citer la brochure publicitaire, « des gens lèveront leur verre pour célébrer l'important pas en avant franchi vers la réalisation d'un grand but 0 un monde dans lequel des enfants peuvent se promener là où bon leur semble sans avoir peur ».

À chacun sa bombe et son biscuit

Au même moment où ces âmes de bonne volonté collectent des fonds pour réparer ce que leur gouvernement a encouragé, les États-Unis larguent des bombes à fragmentation dans un Afghanistan déjà dépendant de l'aide humanitaire pour nourrir une partie de sa population. Chacune de ces bombes CBU-87 contient 202 «bombelettes » BLU-87 dont 7 % n'atteindront pas leur cible et n'exploseront pas sur le coup. Les effets à long terme de ces petites bombes ne se différencient pas de ceux des mines telles que l'Afghanistan les connaît depuis plusieurs années.

Bombes et nourriture, où est le lien ? Tous deux tombent du ciel dans des contenants jaunes. Mais, bon prince, on a prévenu les populations 0 les États-Unis ont fait diffuser des messages en pachtoune et en farsi pour demander aux gens de faire bien attention de ne pas confondre les deux types de paquets jaunes qui pleuvent dans le paysage. Toutes les personnes qui ont la radio sont bien averties. Mais malgré ces mises en garde, il se peut que certains de ces cylindres jaunes aient explosé pendant les banquets conviviaux internationaux du 30 novembre. Au moins, à Montréal les biscuits Oreo sont distribués dans un emballage qui indique bien le nom de la compagnie et la liste des ingrédients.

Il n'est pas farfelu de penser que la faim, la privation et les injustices peuvent provoquer des réactions de révolte qui se traduiraient par un appui au terrorisme. Il est temps qu'on fasse de la prévention avec autre chose que des sucreries.|205| 
170|Ce ne sont pas les Talibans qui ont perdu la guerre mais bien l'humanité tout entière|Ramzy Baroud| L'état du monde ne pourrait pas être plus déprimant; l'état du monde musulman est quant à lui démoralisant. En tant que Musulman, ma colère et mon sentiment de frustration ne se décrivent pas… J'évite de prendre la parole en public ou de donner des entrevues à la radio car je n'arrive pas à formuler ce que je ressens, je suis déconcerté et assailli par la peur.

Dans le camp de réfugiés palestiniens où j'ai grandi, pieds nus et dans la pauvreté, on m'a inculqué comme à mes camarades deux grands principes 0 le premier, celui de l'injustice que nos nations subissent aux mains des impérialistes, les plus récents étant les États-Unis et Israël; le second, le fait que c'est grâce à leur ténacité et à l'Islam que les Musulmans seront affranchis du besoin apparemment irrépressible de nous exploiter qu'ont les impérialistes.

Ma foi est mon réconfort

Ma foi dans l'Islam n'a pas cessé de croître; j'y reconnais le courageux et véritable défenseur du pauvre et de l'opprimé. La propagande insensée lancée principalement par les médias américains dans le but de dénigrer l'Islam m'a en quelque sorte conforté dans ma foi. En fait, ce n'est plus la foi à elle seule qui régit ma perception; l'Islam est devenu tout à coup mon identité.

Après les attentats du 11 septembre contre le World Trade Centre, j'ai été furieux de voir sur toutes les chaînes américaines ces spécialistes à l'allure de bandits venir expliquer l'Islam à un public avide de réponses et prêt à gober la première explication venue, aussi fallacieuse soit-elle.

Les médias américains s'arrachaient les criminels de guerre comme Henry Kissinger, les tueurs d'enfants comme l'ancien premier ministre d'Israël, Benjamin Netanyahou, et de soi-disant experts aussi discrédités que Steve Emerson, venus là pour démoniser l'Islam et réclamer une guerre élargie qui ne vise pas seulement les nations musulmanes mais encore leur idéologie même. C'était pour eux une occasion en or de priver l'Islam du peu de respect qu'Hollywood a pu lui réserver après des décennies d'une propagande manipulée et contrôlée par les sionistes.

L’Islam ne se reconnaît plus dans ses reflets

Ce qui me décontenance par-dessus tout, c'est l'état du monde musulman. Placé maintenant au banc des accusés et cherchant désespérément à se défendre, l'Islam a été, on le sait, le flambeau livré aux civilisations d'aujourd'hui pour les escorter de la noirceur jusque vers la lumière. C'est justement à cet incroyable « empire de la foi», qui a développé les réalisations des civilisations anciennes en y ajoutant son caractère distinctif, que l'Europe doit son progrès réalisé dans les sciences, la philosophie, la médecine et les arts.

Il n'y a pas que l'algèbre et la compréhension du système circulatoire qui lui soient attribuables, car l'Islam a aussi contribué à la théologie de la libération et à la destruction du mythe des superpuissances. Un coup d'œil à son histoire nous révèle des choses étonnantes. On y voit notamment comment des tribus qui se faisaient la lutte pour des questions terre-à-terre ont pu, sous l'emprise de la foi, défaire les impérialistes des temps anciens qui s'étaient partagé le monde.

C'est l'Islam qui a introduit il y a plus de 1400 ans l'idée d'affranchir les esclaves dont un grand nombre ont ensuite porté le flambeau et créé une civilisation florissante.

Voilà que tout cela est oublié tandis que de prétendus experts empreints de haine et de préjugés viennent nous expliquer en quoi consiste l'Islam; c'est maintenant CNN qui trace le portrait de l'Islam; et c'est Fox News qui définit le « terrorisme islamique », à distinguer du « bon Islam ».

Et alors qu'on s'attendait à ce que les attaques contre l'Islam soient reçues par des Musulmans plus unis que jamais afin de préserver l'identité de leur foi, à vrai dire leur propre identité, les Musulmans se trouvent plutôt désorientés, sans perspective, voire sans aucune force d'âme.

Dorénavant, il n’y a qu’une seule vérité et ce n’est pas celle du Prophète

Au sein du monde arabe et musulman, les gouvernements se sont empressés de soutenir une guerre à finir contre la nation la plus déshéritée de la terre. Les gouvernements arabes cherchaient simplement à ce qu'aucun pays arabe ne figure sur la liste des pays devant être « punis » par les États-Unis. Ce qui donne à réfléchir. Les pays musulmans ont «courageusement » réclamé une guerre vite faite pour déraciner le terrorisme. L'Afghanistan a été bombardé sans preuve que ce pays ait participé aux attentats du 11 septembre; pourtant, très peu ont osé demander des preuves et la tenue d'un procès.

La plupart des chaînes satellites arabes ont poursuivi leur cirque quotidien fait de mélodrames et de chanteurs au cœur brisé à la poursuite de femmes peinturlurées comme si, chaque jour, des enfants musulmans n'étaient pas tués en Afghanistan, beaucoup d'entre eux, décapités, pendant que d'autres disparaissent sous les gravats.

Rapidement elles ont adopté la terminologie du Département d'État américain pour décrire la guerre au terrorisme, sans tenir compte des pertes humaines infligées à une nation innocente, elle-même victime du terrorisme.

La chaîne Al-Jazira émanant du Qatar a été la seule, peut-être au monde, à s'investir de toute l'intégrité journalistique que peut posséder une chaîne de nouvelles et à résister à la menace américaine tout comme elle a résisté par le passé aux attaques de régimes arabes.

Les États-Unis ne lui ont pas pardonné son intégrité puisqu'ils ont détruit par des missiles les bureaux d'Al-Jazira à Kaboul dès que la ville eut été « libérée ». Le reporter et les employés de la station n'ont pu s'échapper que par miracle.

Cachez ces massacres que nous ne saurions voir !

Venons-en à la vraie catastrophe 0 la prise de contrôle de presque tout l'Afghanistan par l'opposition afghane. Partout dans le monde les journaux nous ont montré, comme le Guardian et le Times, des images incroyables de massacres indescriptibles, d'actes de vengeance, de vols et même de viols de femmes afghanes aux mains des libérateurs salués par le monde entier.

Selon le Times de Londres, 520 soldats talibans ont été écrasés par des chars d'assaut le vendredi 16 novembre, après avoir rendu les armes dans une école de Mazar-é Charif. L'Alliance du Nord aurait, semble-t-il, déclaré ne pas vouloir faire de prisonniers de guerre mais plutôt les exterminer.

Pas une voix ne s'est élevée contre cette abomination; aucune organisation des droits de la personne n'a averti l'Alliance de ne pas agir de la sorte.

À mesure que l'opposition du Nord progressait vers la ville dévastée de Kaboul, les corps de ceux que l'Alliance avait tués de sang-froid s'amoncelaient sur son passage; d'après un correspondant de CNN à Kaboul, des soldats s'amusaient à cracher sur six cadavres laissés en décomposition dans un parc. On a pu voir le cadavre transpercé de balles d'un Pakistanais ayant quitté son pays pour aller combattre l'attaque américaine 0 un moudjahid s'en approche et se met à lui donner des coups de pied à la tête comme si c'était un ballon de foot. À donner la nausée.

Où est la commune mesure entre raser une barbe et raser une ville ?

Mais qui s'inquiète des massacres et du viol des femmes puisque les Talibans sont partis et qu'il est temps de se réjouir. Tel est bien le message transmis par les médias, y compris les médias arabes 0 CNN nous montre des Afghans qui dansent de joie, des femmes qui se départissent de leur voile, des hommes qui se font raser la barbe et des images de célébrités à moitié nues, affichées à la porte de certaines boutiques de Kaboul.

Qu'est-ce que le droit de ne pas porter la barbe à comparer aux meurtres collectifs et aux bombes à fragmentation qui n'ont pas explosé; en quoi le droit d'un marchand d'afficher le corps de femmes nues se compare-t-il aux centaines de têtes roulant sous les chars d'assaut ? Y a-t-il une commune mesure ? Est-ce le genre d'humanité qu'ils sont censés défendre ? Est-ce le genre de civilisation qu'ils disent vouloir sauvegarder ? Et où sont les Musulmans dans cette histoire ? Ils se rallient encore derrière les États-Unis et certains offrent d'envoyer des troupes pour faire bonne figure.

Si les Talibans semblent être les vaincus, en réalité ce sont tous les Musulmans qui sortent perdants de cette histoire car, grâce à ceux qui se prétendent nos dirigeants et nos représentants, nous y avons aussi perdu notre intégrité, notre dernière forteresse et notre bien le plus cher.

© 2001 Middle East News Online|205| 
171|On peut se noyer dans un verre d’eau ?|André Bouthillier|

La règlementation Boisclair



Le ministre d'état à l'Environnement et à l'Eau, André Boisclair, souhaite l'interdiction définitive de l'exportation d'eau, à l'exception de l'eau dans des contenants de moins de 20 litres. Avec sa nouvelle réglementation qui devrait être révisée aux cinq ans, Québec espère clarifier sa position à l'égard des traités internationaux et éviter ainsi de se voir traîné devant les tribunaux des traités de libre-échange.

Les lois qui régissent l'eau sur le plan national et international représentent dans leur interprétation un capharnaüm idéologique et tous les avocats de cléons de clôtures y vont de leurs interprétations. Mais le citoyen et la citoyenne ne s'y retrouvent pas, car voici ce à quoi ils font face.

Finasseries juridiques !

Au Canada, non seulement devrons-nous interpréter les juridictions sur l'eau en perspective de l'article 132 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 mais nous devons tenir compte également de 22 lois de juridiction provinciale ou fédérale en plus du Code civil qui traite de la propriété de l'eau. Et il y a bien sûr nos engagements internationaux qui se reflètent dans différents traités commerciaux

Différents groupes y vont de leur vision. Le Conseil des canadiens émet l'avis juridique selon lequel une interdiction de l'exportation risque de faire l'objet d'une contestation sur le plan commercial. Il affirme ce qui suit 0 « [...] nous ne croyons pas qu'il soit possible de forger des mesures efficaces de contrôle des exportations d'eau qui ne violeraient pas les obligations du Canada au titre de l'OMC et de l'ALENA. »

Thompson, Gow and Associates, une société d'experts conseils en politiques publiques, affirme que les Amérindiens pourraient exporter de l'eau et, qu'en cas de crise humanitaire, le Canada serait obligé d'en faire autant à cause des termes de l'ALENA.

Selon Wendy R. Holm, P.Ag. agronome et économiste pour plusieurs groupes communautaires de Colombie-Britannique « la juridiction de l'ALENA n'a pas besoin de déclencheur pour couvrir l'eau... c'est déjà fait. À tous les jours des camions-citernes transportent de l'eau puisée aux nappes souterraines de la vallée de l'Okanagan. La municipalité de White Rock a signé un contrat de vente d'eau à long terme avec Point Robert et BC Hydro vend de l'eau à Bonneville Water USA selon une entente toujours en vigueur (Columbia treaty).»

De son côté, le ministre Axworty nous fait comprendre que l'ALENA ne parle pas directement de l'eau. C'est la loi canadienne sur la mise en œuvre de l'ALENA qui affirme que l'accord ne s'applique pas à l'eau douce, de surface et à l'état naturel. L'eau des lacs et des rivières est donc sous l'autorité de chaque pays ou province.

En 1999, les trois pays de l'ALENA ont rendu publique une déclaration concernant la souveraineté du Canada sur ses ressources hydriques. Cette déclaration ne fait cependant pas partie du texte actuel de l'ALENA, et donne lieu à des interprétations contradictoires. Pour Sylvie Paquerot de l'Association québécoise pour le Contrat mondial de l'eau, « les clauses environnementales (des traités commerciaux) sont une fumisterie parce qu'elles ne peuvent en aucun cas renverser la primauté du commerce ».

L'eau, une marchandise ? Oui pis non !

En 1995, le président de la France part à l'assaut de l'ONU et convainc l'assemblée que l'eau est une marchandise. Depuis, plusieurs organismes non gouvernementaux tentent de renverser la tendance en débattant le contraire sur toutes les tribunes internationales.

Face à ce débat qui s'annonce sans fin, face aux tergiversations du fédéral qui s'affaire à fixer un prix à l'eau… au cas ou ! Suite à l'annonce du Québec et son projet de moratoire permanent, la prudence s'impose et pour Louise Vandelac, porte-parole d'Eau Secours ! 0 « il faut se réjouir de l'initiative du ministre Boisclair, mais il faut en arriver à un traité international pour soustraire sans ambiguïté l'eau aux appétits des commerçants, comme on a sorti récemment les 39 principales semences alimentaires du piège des brevets commerciaux ».

Toutes les personnes consultées reconnaissent que les lois (incluant les traités commerciaux) doivent avant tout servir l'intérêt des populations; cependant, avant de légiférer, il faut répondre à la question de fond 0 « Devrions-nous exporter de l’eau ? »

C’est le contenant qui rend l’eau exportable ?

Au ministère de l'Industrie et du Commerce, on dit que « l'eau est de commerce international libre dès qu'elle devient un produit commercial, et ce serait le cas, précise-t-on, lorsque de gros volumes d'eau seraient transportés par citernes, qu'il s'agisse de camions ou de navires »… Une logique qui prévaut toujours, précisait en novembre 2001 le ministre Boisclair, ce qui ne l'empêche pas de faire passer la limite de 18 à 20 litres le volume maximal des contenants qu'on peut utiliser à des fins d'exportation d'eau. Que signifie cette stratégie, lorsque l'on sait qu'en 1999 Terre-Neuve a fixé à 30 litres le volume maximal des contenants, si cette approche ne met pas en danger notre souveraineté sur la ressource, pourquoi l'annonce d'une entente entre la Global Water Corporation et la communauté de Sitka en Alaska (pour exporter vers la Chine 22 milliards de litres d'eau par année à partir des glaciers Blue Lake, dans des contenants de 23 litres) énerve-t-elle autant les spécialistes de l'ALENA ?

Qui a dit que l’eau servait à stabiliser les bouteilles de plastique durant le transport ?

Devant l'absence de réponse technique, puisque le traité de l'ALENA ne définit pas les termes « citerne » ou « gros volume », tentons de comprendre par une mise en situation.

Situation 1 0 À même l'eau de la rivière Saint-Maurice, une compagnie remplit les cales d'un bateau qui quitte ensuite le quai de Trois-Rivières avec 5000 litres d'eau à son bord pour vendre sa cargaison à Miami. Selon certains avocats spécialisés en droit international, cela créerait un précédent qui ferait reconnaître l'eau en vrac en tant que marchandise soumise au traité de l'ALENA.

Situation 2 0 À même l'eau de la rivière Saint-Maurice, une compagnie remplit 250 contenants de 20 litres, les charge sur un camion-remorque et quitte l'entrepôt de Trois-Rivières avec 5000 litres d'eau à son bord pour vendre sa cargaison à Miami. Selon le ministère de l'Environnement, cela ne représenterait pas une exportation d'eau soumise au traité de l'ALENA !

Pour tenter d'y voir plus clair, plaçons la situation sous un «macroscope » et remplaçons dans la situation 2 le camion par 500 camions par mois ! Ne finit-on pas par atteindre le fameux « gros volume d'eau exporté » dont parle le ministère de l'Industrie et du Commerce ? C'est vrai que devant le tribunal de l'ALENA, nous pourrons toujours invoquer que nous exportions des bouteilles de plastique et que l'eau ne servait qu'à les stabiliser durant le transport !!!!!!

Hors de l'approche légale, lorsque de grandes quantités d'eau sont puisées soit dans un lac, une rivière ou une nappe souterraine et que l'eau est transportée en bouteilles, en contenants, en bateaux, en citernes, ne retrouve-t-on pas les mêmes effets sur l'environnement ?|205| 
172|On a peu de chance de devenir les « Princes de l’eau »|André Bouthillier |* Pouvons-nous partager l'eau avec des pays qui en ont besoin, devenir de richissimes « princes de l'eau », comme on dit « princes du pétrole », et appliquer des règles de précaution environnementale pour assurer notre survie ?

Nous savons maintenant hors de tout doute que c'est l'irrigation et le détournement de fleuves pour arroser les terres arides et la construction de barrages qui créent les pénuries d'eau. Aussi, des personnes manquent d'eau dans des pays qui en ont beaucoup mais dont la pollution, la corruption et le sous-développement en empêchent la distribution démocratique. La disponibilité de l'eau pour les citoyens est intimement liée à l'ensemble des attitudes politiques d'un pays.

Pourquoi prêter aux riches ?

L'ONU nous apprend qu'une trentaine de pays manquent d'eau dans le monde. Ce sont des pays où l'eau est exploitée à plus de 50 % de ses réserves. Parmi ceux-ci, les onze suivants utilisent leurs réserves presque à 100 % 0 Arabie Saoudite, Bahreïn, Égypte, Émirats arabes unis, Gaza, Israël, Jordanie, Koweït, Libye, Malte et Qatar. Aucun de ces pays ne demande au Canada de lui vendre ou donner son eau. Bien sûr, les États-Unis d'Amérique, eux en demandent.

Devrions-nous ouvrir les vannes de la compassion et permettre que l'eau exportée serve à l'arrosage de terrains de golf surgis du désert entourant Las Vegas, à soutenir l'expansion de la ville de Phoenix construite en plein désert et qui consomme des quantités phénoménales d'eau, ou à encourager les industriels de l'agroalimentaire installés dans les déserts de l'Arizona qui s'affairent à vider leur plus grande nappe phréatique, l'Ogalalla, par de la culture intensive ? Et tout cela, en sachant que les États-Unis font partie, avec le Brésil, la Colombie, l'Ex-Zaïre, l'Inde, etc., des neufs pays les mieux nantis quant à l'eau sur leur territoire...

Pourquoi prêter aux pauvres ?

La trentaine de pays identifiés par l’ONU manquent d'eau à cause de précipitations peu abondantes, de pratiques hygiéniques déficitaires qui engendrent la pollution et réduisent la disponibilité de l'eau de qualité. Soixante-dix pour cent de leur consommation passe à l'agriculture, 22 % à l'industrie et 8% à l'alimentation des collectivités.

Si c'est l'agriculture qui consomme le plus, pourquoi ne pas implanter des politiques de conservation telles que les techniques éprouvées dites du « goutte à goutte », maintenant accessibles aux paysanneries pauvres de ces pays, ce qui ferait économiser 35 % de l'eau actuellement utilisée ? Cette économie libérerait de l'eau pour les citadins de ces mêmes pays.

Souvent ce n'est pas le manque d'eau, mais la façon de l'utiliser et l'insuffisance d'équipements collectifs pour la distribuer qui causent problème. De plus, devrions-nous partager avec des pays qui laissent les industries multinationales drainer impunément les nappes phréatiques ou qui refusent de taxer leurs riches afin de doter leur pays des infrastructures nécessaires au partage de l'eau avec l'ensemble de leur population ? Quant aux raisons humanitaires, nous devons maintenir nos liens avec les organismes non gouvernementaux pour aider à construire des puits et financer des petits réseaux d'aqueduc, évitant ainsi la corruption systématisée prévalant dans la plupart de ces pays.

Pour faire de l’argent, il faudrait au moins vendre ce qu’on donne gratuitement

Mahmoudd Abou-Zeïd, ministre égyptien, en réponse à l'offre de promoteurs canadiens, soulignait que les coûts de transport de l'eau par bateau seraient prohibitifs comparés aux coûts de désalinisation de l'eau de mer, soit deux à trois fois plus cher. Notre ministère de l'Industrie et du Commerce croit que le seul avantage pour le Québec résiderait en des retombées économiques associées à la construction ou à la réfection de bateaux.

En Espagne, où il n'est pas question de traverser un océan mais simplement de transporter par canalisation de l'eau du fleuve Ebre jusqu'en Andalousie, les études démontrent que cette solution coûterait 60% de plus que celle de la désalinisation de l'eau de mer.

De ce côté de l'Atlantique, le premier ministre de Terre-Neuve, Roger Grimes, déclare que « l'évaluation de rentabilité réalisée par l'université Memorial de St. John's laisse voir qu'il n'y a pas grand argent à faire avec la mise en marché de cette ressource, pourtant si précieuse... Contrairement à ce qu'on a pu penser, ce projet d'exportation d'eau en vrac ne présente un potentiel de revenus intéressant ni pour le gouvernement de la province ni pour un éventuel embouteilleur. » Même aux États-Unis, où l'on retrouve environ la moitié des 11 000 usines de désalinisation du monde, la solution du transport de l'eau en vrac n'est plus reconnue comme étant concurrentielle. Pour que les Québécois s'enrichissent des activités reliées à l'exportation de l'eau, il faudrait que l'eau cesse d'être fournie gratuitement aux exportateurs. Ce qui signifie une taxe à l'exportation qui ferait augmenter le coût de l'eau vendue en vrac. Dans cette perspective, quel pays serait assez inconscient pour acheter l'eau à ce prix ?

Curieuse richesse qui ne cesse de nous appauvrir

Notre enrichissement passerait-il par l'exportation de l'eau embouteillée ? Tiens ! Il faudrait le demander à Naya, entreprise québécoise, mise en faillite technique entre autres par les pratiques commerciales états-uniennes de Coca-Cola. De toute façon, plusieurs multinationales développent maintenant le marché de l'eau d'aqueduc mise en bouteille et enrichie de minéraux, ce qui évite l'importation de l'eau du Canada, économisant ainsi des coûts de transport énormes.

Nous pourrions tenter de percer le marché de l'eau embouteillée dite «haut de gamme ». Dans ce cas, nous ciblons seulement les riches de ce monde. C'est un pensez-y bien lorsqu'on sait qu'une bouteille d'un litre d'eau coûte en moyenne à l'acheteur le même prix que 500 litres d'eau qui coulent du robinet; alors comment imaginer que la classe moyenne, dans les pays où elle existe, puisse s'offrir bien longtemps cette mode luxueuse. Évidemment, nous pouvons vendre de l'eau embouteillée aux pays que nous visitons, pour éviter la « turista »…

Au mieux pourrait-on accueillir et subventionner des multinationales étrangères qui créeraient ici quelques emplois, comme on l'a fait pour la compagnie italienne Parmalat, installée à Saint-Mathieu d'Harricanna en Abitibi, et qui ne paie aucune redevance au gouvernement québécois pour extraire de l'eau de notre territoire. Avant de nous enrichir, voyons à ne pas nous appauvrir et pour ce faire, évitons la prise de contrôle de l'eau québécoise par des sociétés étrangères.

Reste la solution de vider le Saint-Laurent pour répondre à la demande états-unienne

À première vue, il semble que seule l'exportation de l'eau par canalisation à partir des Grands Lacs vers les États-Unis jouisse d'un seuil de rentabilité potentiel. Il y aurait certainement création d'emplois temporaires en Ontario et au Michigan pour la construction des canalisations. Cependant la demande états-unienne dépasse annuellement le débit du fleuve Saint-Laurent; pouvons-nous nous priver de cette masse d'eau ? Non, explique la Commission Mixte Internationale (Canada/États-Unis), c'est trop dangereux, car il n'y a jamais de « surplus » d'eau dans le réseau des Grands Lacs.

Imaginez, les grands débits sortant des Grands Lacs procurent un apport en eau douce nécessaire à des lieux de pêche aussi éloignés que le golfe du Maine. Avec les changements climatiques en cours, le niveau des eaux baisse et cela doit nous inciter à faire preuve de prudence dans la gestion de l'eau, afin de préserver cette ressource pour les générations futures.

Exporter de l'eau et mettre en péril la santé écosystémique de nos bassins hydrologiques, pour encourager ceux qui défient systématiquement les lois du développement durable ? Je réponds NON.

* Cofondateur d’Eau Secours! – La coalition québécoise pour une gestion responsable de l'Eau|205| 
173|D'une lune à l'autre|Élaine Audet| Une fois encore revient décembre avec ses terribles statistiques annuelles de femmes assassinées par les hommes de leur vie, par des hommes incapables de desserrer leur étreinte pour laisser respirer sans eux leur compagne et leurs enfants. Se poursuit le refus de reconnaître aux travailleuses une équité de traitement prétendument consentie depuis longtemps. Perdure l'incertitude de ce qu'il adviendra des femmes afghanes qui exigent à juste titre de participer à la concertation sur l'avenir de leur pays, pendant qu'à l'ombre des stratégies guerrières, le clonage fait son nid.

La même litanie transforme nos pensées en cauchemars. Elle s'appelait Line, il l'a étranglée parce qu'elle cherchait à le quitter. Elle s'appelait Diane, il l'a tuée et brûlée dans sa camionnette parce qu'elle venait de le quitter. Elles s'appelaient Pascale et Émilia, leur père les a tuées à coups de fusil parce qu'il était séparé de leur mère depuis deux mois. Elle s'appelait Nicole et son mari l'a abattue dans son auto après une discussion orageuse, nous rappelle comme chaque année Martin Dufresne, pour que nous n'oublions pas le nom de nos disparues. Entre le 1er janvier et le 13 novembre 2001, elles sont 19femmes et 15 jeunes portant à 630 le nombre de femmes et d'enfants tuéEs par des hommes au Québec depuis 1989.

Un père violent reste un père

Le Collectif masculin contre le sexisme remarque une multiplication récente des meurtres d'enfants par des pères violents ou dépressifs, surtout à l'occasion des « visites » ou de situations de garde. Il y a donc tout lieu de s'inquiéter du projet de loi sur le divorce annoncé par le ministère fédéral de la Justice qui permet de supprimer l'attribution de la garde au parent le plus méritant lors du divorce pour imposer à tous les enfants et à toutes les femmes la «coparentalité », c'est-à-dire l'autorité du père biologique.

Cette loi ne tient pas compte du problème de la violence maritale contre les femmes et les enfants et elle menace de peines de prison et de la perte de leurs enfants toute femme accusée par un homme d'y contrevenir. Si des hommes violents battent, agressent sexuellement et/ou tuent leurs femmes et leurs enfants actuellement, en dépit des ordonnances de se tenir à distance du domicile conjugal, qu'en sera-t-il lorsqu'une loi leur donnera un «droit » de visite de leurs enfants ?

Selon le Collectif masculin contre le sexisme, une telle loi entravera encore plus la protection des victimes de rapt et d'inceste et servira de prétexte à l'abandon financier et au harcèlement continu de la famille par certains pères, trop heureux de troquer la pension contre l'institutionnalisation d'un pouvoir abusif.

Nombre de femmes portent plainte à la police quand elles reçoivent des menaces de leurs ex-conjoints. On emprisonne parfois ceux-ci, mais on les relâche même s'ils sont toujours dans les mêmes dispositions d'esprit. Et l'une après l'autre, des femmes et des enfants tombent. Pas question pour le système judiciaire d'aller contre les pères qui se plaignent de perdre tous leurs droits. Pas question d'aller contre ceux-là mêmes sur qui repose un ordre qui dure depuis 3000 ans. On a besoin d'eux et de leur agressivité dite naturelle pour maintenir la loi de l'argent, pour faire les guerres du pétrole et du profit. D'hier à aujourd'hui.

L'équité sous le tapis

Il y en a qui trouvent que la revendication d'équité salariale est « bidon », motivée par « l'appât du gain » et la « logique pernicieuse de la victimisation », « triste avatar d'un féminisme revanchard ». Ils font mine d'oublier que c'est en raison de la discrimination sexuelle que les employeurs ont pu jusqu'à maintenant être gracieusement subventionnés par un salariat féminin de 30 à 40 % inférieur à celui des hommes pour des tâches semblables ou équivalentes.

Ces promoteurs de la vocation d'enseignant me semblent plutôt avoir une « vocation » pour l'injustice. On rêve d'une grève générale des femmes qui leur ferait prendre conscience de la valeur sociale du travail féminin. C'est sur l'invisibilité et la non-rémunération d'une grande partie de ce travail que se perpétue une discrimination fort rentable pour tous ceux qui en profitent, de bas en haut de la société.

Solidarité avec les femmes afghanes

Après avoir risqué leur vie en créant des écoles de filles, en fournissant aux femmes des soins médicaux et en luttant contre les atrocités des Talibans, les femmes afghanes exigent à juste titre de participer à toutes les instances politiques de leur pays.

Si on se fie aux images des rencontres pour la mise sur pied d'un gouvernement post-taliban et pro-américain, il y a gros à parier que les femmes afghanes, ayant servi d'alibi aux stratèges américains pour envahir leur pays, seront à nouveau abandonnées à leur sort maintenant qu'ils y ont les coudées franches.|205| 
174|Brèves|Élaine Audet| Marcelle Ferron (1924-2001)

S'éteint l'automne avec Marcelle Ferron, cette grande peintre québécoise, dont les éclats de couleur et le sûr tracé du pinceau n'ont cessé d'élargir et d'embellir notre vision d'un monde où l'on cesserait de vendre la joie pour l'ombre sonnante. Elle nous a quittéEs l'aventurière, l'amoureuse, la libre Ferron nous laissant la parole vive et la beauté pour contrecarrer la mort. ÉA

L'extrême-droite française attaque Les Pénélopes

Les animatrices du site féministe Les Pénélopes, dont nous avons parlé dans notre dernier numéro, sont actuellement en butte à des attaques injurieuses et diffamatoires de la droite française (Mouvement national républicain (MNR) du Conseil régional Île-de-France) qui cherche à contrecarrer un projet d'économie solidaire auquel elles participent avec d'autres groupes afin de mettre en place une alternative à la mondialisation néolibérale.

Nous pouvons manifester notre solidarité en leur écrivant à et en diffusant cette information dans nos réseaux. Joëlle Palmieri, cofondatrice des Pénélopes, dirigeait un atelier lors du Colloque sur la presse alternative, organisé par Recto Verso pour ses 50 ans, avec la collaboration de l'aut'journal, les 23 et 24 novembre dernier. ÉA

Shirin Neshat 0 une exposition à ne pas manquer

Pour découvrir de manière sensible et poétique la réalité politique, sociale et psychologique des femmes musulmanes, plus particulièrement des femmes iraniennes, à travers des thèmes comme le désir, la liberté, la solitude, l'exil, l'aliénation, l'enfermement, la mort, il faut absolument voir l'extraordinaire exposition de Shirin Neshat, avec une trame musicale originale de Sussan Deynim, présentée au Musée d'art contemporain jusqu'au 13 janvier 2002.

Les 25 ans des Éditions du remue-ménage

Fondées en 1976 par un collectif féministe, les Éditions du remue-ménage sont restées fidèles à leur objectif initial de se consacrer à la publication d'ouvrages féministes. Elles nous ont donné des textes fondateurs tels que La Lettre aérienne (1985) de Nicole Brossard, La Dialectique de la reproduction de Mary O'Brien (1987), Le Silence des médias (1987) de Colette Beauchamp, La Main tranchante du symbole de Louky Bersianik (1989) et les ouvrages essentiels de Diane Lamoureux sur l'évolution de la pensée féministe, de Manon Tremblay sur les femmes et la politique, l'autobiographie de Simonne Monet-Chartrand, Ma Vie comme rivière, les Entretiens de Nicole Lacelle avec Madeleine Parent et Léa Roback, ainsi que des recherches sur à peu près tous les sujets qui touchent les femmes, dont Plus que parfaites (2001) de Raphaëlle de Groot et Élizabeth Ouellet sur les aides familiales à Montréal de 1850 à 2000, accompagné d'une exposition au Centre d'histoire de Montréal jusqu'en avril 2002.

Récemment parus, il faut souligner l'important ouvrage collectif sous la direction de Cécile Coderre et de Marie-Blanche Tahon, Le Deuxième sexe/Une relecture en trois temps, 1949-1971-1999 et l'incontournable essai de l'historienne Micheline Dumont, Découvrir la mémoire des femmes. Pour Micheline Dumont, les femmes ont une histoire, sont dans l'histoire et font l'histoire. Le féminisme est le seul mot en « isme », rappelle-t-elle, qui a bouleversé l'ordre social sans coûter une seule vie. Après Mémoire lesbienne (1996) de Line Chamberland, on lira aussi avec intérêt l'enquête de Nathalie Ricard, Maternités lesbiennes (2001). Nous souhaitons bonne route aux éditrices actuelles, Rachel Bédard et Ginette Péloquin, et les remercions de continuer à nous informer sur l'expérience des femmes et leur vision du monde.|205| 
175|Vous quêterez votre pain à la sueur de vos impôts|Gaétan Breton|

La charité partenariat



Avec le temps des Fêtes, reviennent la guignolée et les autres formes de charité, ce qui nous permet de constater comment l'État se déleste de ses responsabilités sur la charité. Je n'ai rien contre la charité, mais je préfère la justice et la dignité. C'est déjà assez difficile, pour plusieurs et quoiqu'on en dise, d'accepter ce que donne un État neutre et dont le rôle est de répartir justement la richesse, sans retomber dans les filets d'une charité qui, même bienveillante (souvent bien plus que l'État) n'en demeure pas moins souvent perçue comme infamante.

Il y a deux sources aux fonds utilisés pour la charité 0 l'État et les sources privées. Le problème des sources privées est qu'elles donnent aux organismes qu'elles connaissent ou/et dont elles approuvent l'action. Comme ces dons sont déductibles d'impôt, on peut dire que les riches choisissent où va aller l'argent de la charité et le gouvernement ne fait que mettre sa part à travers la déduction d'impôt.

Une société de quéteux

En conséquence, le soutien du gouvernement aux organismes n'est plus une fonction d'un plan global de développement de la société, mais des coups de cœur des particuliers qui ont les moyens de financer ce genre d'activités.

Un autre effet pervers est celui des grandes entreprises de collecte de fonds comme les téléthons. Cette année, la nièce d'une grande vedette est, pour prendre un exemple fictif, aveugle. Alors, lors d'un grand téléthon, les gens, appuyés par le gouvernement à travers les impôts, vont donner de l'argent pour les aveugles. Si aucun sourd n'a de tante grande vedette et qu'ils n'ont pas de structure pour organiser un téléthon, ils mangeront l'année prochaine, puisque aucune coordination n'est faite.

On ne peut demander aux gens de gérer de telles choses et d'opérer la répartition, l'État est sensé s'en charger, pourtant il ne fait que suivre de plus en plus les décisions erratiques des généreux donateurs qui sont, à ce moment-là, de plus en plus professionnellement courtisés.

Prenons un autre exemple réel. Dans une école secondaire aux étudiants dont les parents ont des moyens raisonnables (banlieue à l'aise), on quête pour envoyer 20jeunes pendant deux semaines en Angleterre pour apprendre l'anglais. Les dons sont déductibles, et ça inclus vraisemblablement ceux des parents. Le tout va coûter autour de 40 000 $. Au taux d'imposition des donateurs, le gouvernement va, sans le savoir et sans s'en inquiéter outre mesure, fournir autour de 20 000 $ dans cette opération.

Or, cela se passe la même semaine où le gouvernement prétend ne pas avoir d'argent pour acheter des livres de classe dans Hochelaga-Maisonneuve. Ce sont les déviations et les aberrations qui nous attendent quand la charité remplace la justice et quand tout le monde se met à quêter de tous les bords.

Soit dit en passant, quand le gouvernement coupe également le financement aux institutions scolaires et les envoie quêter, il devrait tenir compte qu'elles ne sont pas situées dans des milieux également favorables. Pourtant, il ne le fait pas et augmente ainsi la pauvreté des écoles pauvres et la richesse des écoles riches.

La charité et l'obstruction

Non seulement le gouvernement s'en remet à des organismes privés, mais il leur met des bâtons dans les roues. Bref, il n'a pas plus de discernement dans l'allocation de ses fonds directement que quand il le fait par l'intermédiaire de l'impôt.

Les bénévoles et semi-bénévoles ont remplacé les fonctionnaires. En conséquence, on a remplacé des emplois bien rémunérés, par des emplois précaires voire inexistants. Mais, pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Non seulement on remplace les fonctionnaires par des bénévoles, mais on s'organise pour qu'ils passent le plus clair de leur temps à essayer de se dépêtrer du fatras de programmes, projets et directions qui dispensent des bouts de budgets pour des bouts d'activités.

Dans ce système, la nouvelle mode est le développement (oui ! sans rire), et le mot le plus honni est 0 récurrent. Autrement dit, les subventions de fonctionnement sont de plus en plus rares, il faut générer des projets. Qui va générer des projets, les gens qui sont là en permanence ? Ces gens ont de plus en plus de difficulté à être là en permanence à cause des baisses des subventions de fonctionnement, vous voyez le dilemme.

Les organismes qui manquent de fonds pour se doter d'une structure minimale, se font dire de faire des plans d'affaires et des projets ciblés, alors que les bénévoles manquent de temps pour gérer le quotidien. Bref, on leur dit qu'ils devront travailler bénévolement des heures inhumaines pour faire le travail du gouvernement tandis que celui-ci se creuse la cervelle pour tenter de compliquer encore la vie de ces groupes.

Nous serons tous des semi-fonctionnaires

Encore là, je suis toujours étonné que nos gouvernements trouvent de l'argent pour soutenir le sport d'élite. Pensez à ce qu'il en coûte pour soutenir une équipe olympique dans laquelle on trouve en moyenne deux officiels, entraîneurs et dirigeants de fédérations pour un athlète. Or, dans le sport d'élite, il n'est malheureusement plus question de santé, ni pour les athlètes, ni pour les jeunes en général, ce qui était le but premier de la chose. Pendant ce temps, on laisse d'autres jeunes manquer de l'essentiel et ne pas manger à leur faim des aliments sains et ne pas être formés dans des écoles sans moyens.

La solidarité n’est pas un sport d’élite

Que le gouvernement utilise les bonnes volontés ne peut qu'apporter une valeur supplémentaire à son action. Mais, il faudrait qu'un ministère, celui de la Solidarité sociale, par exemple, dont le nom est si évocateur, se voie confier la tâche d'orchestrer le soutien social. Toutes les zones de grand besoin sont déjà connues, ces besoins ont déjà été listés et analysés des dizaines de fois. Il ne reste au gouvernement qu'à mettre un peu d'ordre là-dedans.

Évidemment, cela risquerait de mettre en péril certaines baronnies de la compassion ou des permanents vivent grassement de leur appui aux bonnes personnes alors que d'autres crèvent de faim. Nous ne voulons plus la charité, nous voulons la justice et la dignité.

Le communautaire est d'abord constitué d'organismes qui, vivant sur le terrain, ont pour but de régler des problèmes concrets que l'État n'arrive pas, ou ne veut pas, prendre correctement en charge. Reconnaître l'importance de ces organismes est louable, mais les soutenir efficacement le serait bien plus.

La politique gouvernementale me semble peu encline à dépasser le stade de la reconnaissance rhétorique, à un moment où la récession fait craindre le pire aux groupes communautaires pour l'année qui vient, car ce sont toujours les premiers à subir les coupures.|205| 
176|Tous les Québécois sont québécois|Michel Lapierre| Très en vogue dans les années quatre-vingt, le multiculturalisme et ses avatars, l’interculturalisme et le transculturalisme, nous paraissent de nos jours aussi pathétiques que la tour de Pise de Saint-Léonard et la statue de Dollard des Ormeaux au parc La Fontaine…

Les concepts qu’on s’ingénie à opposer à l’idée même de culture québécoise et à l’esprit de la Révolution tranquille meurent vite de leur belle mort et tombent dans l’oubli, sans qu’on s’en rende compte. Ça crève maintenant les yeux 0 la fossilisation de traits culturels, quels qu’ils soient, n’est pas la culture, mais son ennemi le plus féroce. Axés sur cette fossilisation sans avenir, le multiculturalisme et ses avatars cachaient un obscurantisme des plus hideux et un racisme au second degré qui faisaient les délices de William Johnson, jésuite protestantisé, mais que Neil Bissoondath, écrivain canadien originaire de Trinidad, a su démasquer, une fois pour toutes, en 1994, dans Selling Illusions.

Un cadavre qui défie le temps

Geneviève Mathieu, qui vient de publier Qui est Québécois ?, solide synthèse du débat actuel sur la redéfinition de la nation, n’évoque même pas la disgrâce qui a frappé le multiculturalisme. Elle laisse dormir les morts en paix. Mais cette brillante jeune femme, aux goûts un tantinet macabres, se permet de faire une exception. Elle se penche sur un cadavre miraculeusement bien conservé, un cadavre qui défie le temps 0 celui de Fernand Dumont.

Toutes les redéfinitions de la nation québécoise, avoue Geneviève Mathieu, constituent des réactions à la définition culturelle de la nation, formulée par Dumont. Certaines la contrediraient, comme le nationalisme civique et ses avatars, la culture publique et le patriotisme constitutionnel. D’autres s’en rapprocheraient beaucoup, comme la notion de nation sociopolitique, de Michel Seymour, ou s’en éloigneraient, comme le modèle de la nation francophone nord-américaine, de Gérard Bouchard. Et dire que si Dumont n’avait pas existé, nous n’aurions peut-être pas eu à résoudre l’affreux casse-tête de notre identité !

Mais Dumont a existé. Il fallait qu’il existe, comme la ville de Québec. Fernand Dumont, professeur à l’université Laval, se devait d’être parce que Lionel Groulx, professeur à l’université de Montréal, avait été. Puisque à Québec, ville prudente et sage, les choses se font avec au moins cinquante ans de retard, il fallait bien que Dumont, remué par les événements d’Octobre, se mette, entre 1970 et 1997, à définir le Canada français, comme Groulx l’avait fait entre 1910 et 1940.

Vu de haut, de très haut

Bien sûr, Dumont s’est attelé à la tâche avec plus de froideur et de science que Groulx. Il nous a offert la version sociologique du sermon nationaliste du prêtre-historien. Mais, comme Groulx, il a décidé de définir le Québec par le sommet au lieu de le définir par la base. Sur les cimes, Dumont, fils d’un peuple qu’il regardait de haut, s’est tout simplement étourdi, comme Groulx. Dans notre histoire, il a surtout vu le clergé, qui l’avait tiré de l’obscurité. C’est pourquoi il a donné de l’insurrection des Patriotes, et finalement de tout notre mouvement libéral, laïc, social, démocratique, progressiste et autonomiste, une si étrange interprétation.

La révolte des Patriotes « demeure, écrit Dumont, le symbole pathétique d’une impasse dans l’édification de la conscience historique d’un peuple », alors que, malgré l’échec, cette révolte constitue, en réalité, le fondement même de cette conscience. C’est que Dumont voit un conflit entre l’identité culturelle et la citoyenneté politique parce que les Anglais du Bas-Canada n’ont pas la même culture que les Canadiens, comme s’il appartenait à une oligarchie coloniale et antidémocratique de définir la notion même de citoyenneté et de l’imposer à un peuple asservi.

Il est vrai que l’idée de révolution n’est pas très ecclésiastique. Voilà bien le nœud du problème. Dumont voit la nation comme une « entité culturelle, un ensemble de traditions ». Il refuse de la considérer comme une entité naturellement politique, dont la culture, en perpétuelle évolution, et la citoyenneté, définie dans le sens du progrès, sont susceptibles d’être partagées avec tous les hommes. C’était là la conception de Louis-Joseph Papineau. Dumont a préféré celle d’Étienne Parent, ami des Anglais et du clergé. Qu’une telle conception de la nation fasse fuir les immigrants, rien de plus normal.

Mais les notions de nationalisme civique, de culture publique et de patriotisme constitutionnelle sont-elles vraiment différentes ? Geneviève Mathieu, qui ne bronche pas devant l’analyse que fait Dumont de la révolte des Patriotes, ne se rend pas compte que ces notions, mises de l’avant pour inclure les minorités ethniques dans la nation québécoise, se rapprochent, beaucoup plus qu’il ne paraît, du nationalisme culturel de Dumont, contre lequel paradoxalement elles se dressent.

Tout comme Dumont, les tenants de ces conceptions légalistes voient les choses de haut, de très haut. Que le peuple puisse, par lui-même, se reconnaître spontanément dans une culture commune sans se donner la peine de la définir, cela leur semble soit impensable, soit fanatique, car ce fait très simple enlève, au fond, toute espèce de justification à leur discours. Que des individus, issus de minorités ethniques, aient la fantaisie de se sentir québécois tout court, cela dépasse les bornes de l’imagination pour ces messieurs qui ne jurent que par les étiquettes civiques, publiques et constitutionnelles. Selon la logique du multiculturalisme, les enfants issus de mariages mixtes constituaient des horreurs théoriques. Selon la logique légaliste de Jean-Pierre Derriennic, de Dominique Leydet, de Gary Caldwell, de Jacques Beauchemin, de Claude Bariteau, de Frédérick-Guillaume Dufour et de plusieurs autres, Normand Brathwaite est encore une horreur théorique. L’idéologie de la hauteur ne correspondra jamais à la doctrine de l’évidence.

Au terme de son examen des redéfinitions de la nation, Geneviève Mathieu accorde sa préférence à celle de Gérard Bouchard. Cet historien a la vanité de définir la nation québécoise par la langue française plutôt que par les Québécois et de nous rappeler que le Québec se trouve en Amérique du Nord. C’est sûrement la moins mauvaise des définitions qu’analyse Geneviève Mathieu. Celle que formulait Papineau, dictée simplement par le bon sens et la générosité, n’a pas besoin d’apologie. Depuis 1837, cette définition, c’est nous-mêmes et notre silence.

Geneviève Mathieu, Qui est Québécois ?, VLB éditeur, 2001.|205| 
177|Nées du génie populaire|Michel Lapierre|

Livre 0 Les Belles d'autrefois



Jacques Bourdon, photographe et journaliste, ne semble pas savoir que l’imposante maison victorienne du docteur Joseph-Louis-Léandre Hamelin, de Louiseville, qu’il décrit avec admiration dans un très beau livre qu’il a lui-même illustré, fut également la maison du notaire Joseph-Alphonse Ferron, père de Jacques, de Madeleine et de Marcelle Ferron. Mais il serait très mal venu de lui en faire le reproche. Ce n’est pas tous les jours que paraît un ouvrage aussi remarquable sur notre patrimoine. Bourdon nous fait découvrir l’extérieur, aussi bien que l’intérieur, d’une soixantaine de maisons anciennes restaurées avec amour. Celles de la région montréalaise occupent une place de choix.

La maison natale de Jacques Ferron est le symbole non seulement architectural mais littéraire de l’émerveillement de Jacques Bourdon. Dans l’Appendice aux Confitures de coings, Ferron fait de cette maison « extravagante » à cinq portes, au sommet de laquelle flotte les jours de fête un drapeau britannique, l’image des ambitions bourgeoises de son père. Mais, comme ce notaire était sorti du peuple, cette maison est, dans l’esprit de l’écrivain, née du génie populaire de nos artisans qui avaient su, sans études, assimiler, au cours des siècles, autant les styles français que les styles anglais et américains. Voilà bien ce qui compte.

Les Belles d’autrefois, Jacques Bourdon, Trécarré 2001|205| 
178|Le Québec et la guerre|Jean-Claude Germain| La guerre n'est rien d'autre que la continuation de la politique par d'autres moyens, a écrit von Klausewitz. Ce qui était déjà évident pour les Québécois en 1914 l'est devenu doublement en 1940 lorsqu'ils s'apercevront qu'ils doivent mener à nouveau la guerre sur deux fronts 0 combattre en Europe et se défendre d'Ottawa au Québec.

S'il est vrai que la nature d'une personne se dévoile au lit, il en est de même de la guerre pour révéler le caractère d'un pays. Le Canada se plaît à croire qu'il chausse du G sept, mais il suffit qu'il entre en guerre pour retrouver aussitôt les anciens réflexes d'une colonie qui s'enroule dans le drapeau de l'Angleterre ou des États-Unis, et s'engage pompeusement à leur prêter main-forte pour réduire leurs ennemis.

Nous sommes plus que des alliés ou des amis, nous sommes de la famille, déclarait récemment Jean Chrétien, lors d'une visite officielle à New York. Pourquoi faut-il qu'en pareille circonstance, le premier ministre du Canada retrouve toujours aussi naturellement le ton et la déférence d'un laquais d'Empire ?

Chassez le naturel, la guerre le ramène au trot

Avec une loi des Mesures de guerre à la clé, l'occasion de mettre le Québec à la raison a toujours été trop belle pour qu'Ottawa puisse y résister. Chassez le naturel, la guerre le ramène au trot.

En 1914, le militarisme colonial frisait la caricature d'opérette. Dès l'entrée en guerre du Dominion of Canada, le ministre de la Milice, Sam Hughes, poste des miliciens à tous les endroits jugés stratégiques. Ses ordres sont emphatiques. Shoot to kill from the drop of the hat ! Tirez pour tuer au moindre mouvement ! On se demande bien sur quel ennemi ?

Le 9 août, la question est résolue. Le traversier qui fait la navette entre Québec et l'île d'Orléans néglige de s'arrêter pour subir l'inspection réglementaire à la station de la rivière Maheu. La garnison qui protège l'entrée du port de Québec réagit immédiatement. Elle tire un premier coup de canon de semonce, puis un deuxième pour de vrai. Le boulet a heureusement l'à-propos de tomber à l'eau près du navire sans le toucher. Les passagers en sont quitte pour la peur de leur vie.

Le lendemain, à la rivière Ouelle, un chemineau dur d'oreille est blessé à mort par une sentinelle qui montait la garde. Habitué à casser la croûte sur le quai, la victime a ignoré l'ordre de s'arrêter qui lui était lancé en anglais.

Le journaliste du Devoir, Georges Pelletier, qui assiste à la conférence de presse de Sam Hughes sur l'incident, est scandalisé par l'attitude méprisante du ministre. En manche de chemise, les pieds sur la table, il en parlait avec autant de désinvolture que s'il se fût de la mort d'un animal. On peut se demander si la milice existe pour protéger les gens ou pour les tuer en leur tirant dans le dos.

Tout le Québec déclaré zone militaire

Partout au Québec, la soldatesque se comporte comme si elle était en pays occupé. Montréal n'échappe pas à la règle. Le 14 août, au cours de l'après-midi, la sentinelle qui est de faction devant le manège militaire, rue Craig, s'avance vers un attroupement et lui intime l'ordre de circuler en anglais. Personne ne réagit. Tous les membres du groupe, une dizaine de personnes, attendent les épreuves de clichés qu'un photographe ambulant s'apprête à leur livrer. Toujours aussi unilingue, le soldat revient à la charge, répète son ordre, fait feu, tue une personne et en blesse une autre.

Trop, c'est trop ! La colère populaire éclate et le maire Médéric Martin ne mâche pas ses mots pour fustiger la conduite des militaires. Au train où vont les choses, on aurait peut-être avantage à déménager la morgue près de l'arsenal de la rue Craig !

Trois ans plus tard, lorsque le gouvernement Borden vote la mobilisation générale, il n'y a donc pas à s'étonner que la riposte soit sans équivoque. Le devoir du Québec est de résister à la conscription, tranche l'échevin Gordien Ménard, et d'aller jusqu'à sortir de la Confédération s'il le faut.

La conscription est un échec lamentable. Au Québec, sur 117104 inscrits, 115 707 réclament et obtiennent une exemption. Le premier avril 1918, à Québec, l'armée demeure fidèle à elle-même et à sa politique d'occupation. Pour mettre fin à cinq jours d'émeute et de protestation contre la manière dont on applique la conscription, les militaires chargent la foule, sabre au clair, et tirent à la mitrailleuse sur les manifestants, faisant quatre morts et 70 blessés.

La suppression des libertés au nom de la liberté

Sur le front du Québec, la Deuxième guerre mondiale sera une nouvelle version revue et corrigée de la Première. L'armée canadienne aura appris à modérer ses transports et à ne plus tirer à vue sur les Québécois mais son état-major ne comptera toujours que huit officiers canadiens-français sur 165 hauts gradés.

La réactivation de la loi des Mesures de guerre permettra en revanche à Ottawa d'exercer un contrôle absolu sur l'information diffusée dans les médias. En 1941, les pouvoirs de répression du censeur officiel sont expéditifs. Tout exemplaire d'un journal, tract, périodique, livre circulaire et autre matière imprimée qui viole les règlements de la censure peut être saisi.

Les permis des postes de radio peuvent être suspendus ou révoqués. La diffusion radiophonique des questions politiques se limite aux studios. Aucune station n'a le droit de diffuser un discours politique fait à une assemblée publique. Toutes les allocutions de caractère politique qui originent d'un studio doivent être soumises en deux copies à l'avance au surintendant. Aucune diffusion n'est autorisée jusqu'à ce que la censure ait donné le feu vert.

Ces manières ne convainquent pas 0 elles suscitent la peur ou l'obstination, note André Laurendeau qui est un des chefs de l'opposition à la conscription. J'ai éprouvé avec amertume que la lutte pour la liberté commence au pays par la mort des libertés.

Le Service des nouvelles de Radio-Canada est une mesure de guerre

C'est dans ce contexte que le Service des nouvelles de Radio-Canada est né en 1941. Pour les nouvelles puisées aux sources allemandes, on se doit d'utiliser « l'ennemi prétend » plutôt que « l’ennemi annonce ». En tout temps, il faut dire le gouvernement de Vichy et jamais la France. Tout ce qui se dit en ondes doit être autorisé par la Censure, même les épisodes de l'invraisemblable radio-feuilleton de propagande, La Fiançée du Commando.

Cinquante ans plus tard, la correction du vocabulaire de la salle des nouvelles radio-canadiennes relève toujours d'une grammaire des ondes dont le bon usage prescrit ces jours-ci que le gouvernement du Québec retrouve son statut provincial, que les Québécois redeviennent des Canadiens-français et que les mouvements nationalistes ou indépendantistes du monde entier deviennent invariablement séparatistes. Tout comme l'Office national du film, le Service des nouvelles de Radio-Canada n'est jamais parvenu à surmonter le choc traumatique d'avoir été enfanté par la Censure et la Propagande.

Le delirium tremens d'Ottawa

En 1942, le Canada vote Oui à 80 % au plébiscite sur la conscription. Le Québec vote Non à 70 %. À chacun sa tasse de thé. D'ailleurs, la fabrication de tasses à deux anses a été interdite pour soutenir l'effort de guerre.

Gagné par le delirium tremens de tout contrôler, de la consommation de la bière, du vin et des spiritueux au rationnement du miel, du sucre et des confitures, Ottawa entend bien profiter du conflit pour réaliser le rêve de John A. Macdonald. One country, one flag, one language, one look !

Les complets pour hommes n'auront qu'un pantalon et il n'y aura aucun dos avec ceinture, fronce ou pli, décrète la Commission des prix et du commerce. Le nombre de poches dans les gilets, vestons et pantalons sera réduit. Les rebords aux manches des gilets de sport et à la jambe seront interdits. Les boutons aux manches disparaîtront. C'est l'euphorie du nation building dans l'atelier de couture.

Rien comme une guerre pour révéler la nature d'un pays

L'occasion en somme crée le larron et tout nous pousse à croire qu'avec, dans sa poche revolver, une nouvelle loi des Mesures de guerre et une loi sur la Sécurité publique, la Troisième guerre mondiale se déroulera encore une fois pour les Québécois sur deux fronts0 à combattre le terrorisme là où les États-Unis choisiront d'engager le Canada et à défendre la souveraineté du Québec des abus de pouvoir d'Ottawa.

Si le passé est garant de l'avenir, le conflit suscitera un référendum sur la conscription de la volonté de l'un à celle de l'autre et deux majorités opposées. C'est dans le caractère de la guerre de révéler la nature des pays.|205| 
179|L’avenir est dans le conte|Jean-Claude Germain|

Livre 0 Petit manifeste à l'usage du conteur contemporain



Amorcé à la fin des années 90, le phénomène de la renaissance de la veillée de contes semblait destiné à n'avoir qu'une existence éphémère. Le tout récent Festival international du conte qui a duré deux semaines et s'est déroulé à la grandeur du Québec nous a fourni une preuve éclatante du contraire.

Pour prendre la mesure de ce renouveau inattendu et inespéré du conte au Québec, le Petit manifeste à l'usage du conteur contemporain est un ouvrage incontournable. En plus de faire l'historique du conte au Québec et de brosser un portrait exhaustif des conteurs québécois contemporains, Jean-Marc Massie s'interroge sur la métamorphose du conte traditionnel en conte urbain et sur le rôle subversif que, selon lui, les conteurs et conteuses de ce temps se doivent de jouer. Décolonisée, décomplexée, libre et en pleine possession de ses moyens, la parole du conteur peut, je crois, devenir une invitation à trouver une solution alternative à la pensée unique et à la figure de l'aliéné planétaire qu'elle sous-tend.

Petit manifeste à l’usage du conteur contemporain, Jean-Marc Massie, Planète Rebelle, 2001|205| 
180|Le travail autonome, tout un contrat !|Ginette Leroux| Vient de paraître aux éditions Écosociété Devenir son propre patron ? - Mythes et réalités du nouveau travail autonome du journaliste Jean-Sébastien Marsan. Travailleur à la pige depuis 1994, il rend compte de ce phénomène relativement nouveau puisqu'il apparaît au début des années 1990, en pleine récession économique. Le travail autonome devient la panacée incontournable selon les spécialistes de l'entrepreneurship dont le discours idéologique n'a qu'un seul but 0 le salut par la création de sa propre entreprise.

Tout le monde peut devenir travailleur autonome, c'est facile ! Du moins, c'est le discours entrepreneurial, conforté par les nouvelles règles du marché qui proclame « reine » la libre entreprise. Ce discours encouragé par des programmes gouvernementaux – qu'on pense au plan Paillé de 1994 à 1998 – qui visent à inciter le chômeur à devenir son propre patron. Jean-Sébastien Marsan ouvre la boîte de Pandore et révèle les mythes et les réalités qui entourent le travail autonome.

Confusion dans les termes

Les six mythes et réalités que sous-tend le nouveau travail autonome présentent souvent une contradiction dans les termes. Premier mythe 0 le travailleur autonome crée son propre emploi et il est son propre patron. Selon l'auteur 0 « Le mot emploi est synonyme de lien d'emploi avec un employeur, un statut assorti de protections sociales et juridiques. »

Un autonome n'a donc pas d'emploi. « Il gagne sa vie en proposant ses produits et services, en obtenant, çà et là, des contrats, des clients », poursuit-il. Il a, par conséquent, plusieurs patrons, sans les avantages que procure le fait d'être employé. On ne peut être à la fois employé et patron, «deux réalités bien différentes », constate Marsan.

Il propose donc de troquer les expressions « créer votre propre emploi » et « soyez votre propre patron » par quelque chose comme0 « Mettez-vous à la disposition de consommateurs et d'entreprises qui pourraient éventuellement avoir besoin de ce que vous offrez sur le marché. Quand bon leur semblera. » Et voilà pour la réalité !

Suivent les cinq autres mythes qu'il formule ainsi 0 le travailleur autonome est un entrepreneur; les nouveaux travailleurs autonomes choisissent librement de le devenir; le travailleur autonome a toujours existé et c'est la liberté; les autonomes sont plus responsables, créatifs et productifs que les salariés; et le dernier 0 le Québec comptera un million de travailleurs autonomes en l'an 2000. Tous sont démontés de la même façon et revisités à la faveur d'une vision plus juste de la réalité.

Portrait du travailleur autonome

Selon Jean-Sébastien Marsan, le travailleur autonome qui détient la clé du succès est un homme de la génération des baby boomers, car son réseau de contacts est bien assis sur sa réputation et son expérience. Par contre, les femmes et les jeunes, pour qui la précarité et autres conditions difficiles mènent à l'insécurité financière, s'en sortent beaucoup plus mal.

Christine Chénard, couturière, jeune maman d'un bébé de huit mois croyait qu'avec beaucoup de courage et de détermination (bébé, ménage et 60 heures de travail par semaine), elle arriverait à bâtir son atelier de couture à la maison, malgré le manque de soutien informatique pour sa gestion et la dépendance face à son conjoint pour prendre le relais de garde du bébé. La tâche démesurée vient à bout de ses forces et, trois ans plus tard, elle doit fermer boutique. Retour à la case départ !

La culture du travailleur autonome

Un aspect important et intéressant développé par Marsan concerne la culture individualiste du travailleur autonome. Chez lui, le travail devient un mode de vie, un passeport vers l'intégration sociale, mais aussi paradoxalement que cela puisse paraître, il est réduit à l'esclavage de la liberté. Le travail à produire et la recherche incessante de nouveaux contrats grugent le temps et l'espace qui devraient être réservés à la vie sociale et familiale.

En définitive, l'intérêt suscité par cet essai critique est que l'auteur démontre le travail autonome tel qu'il est – c'est-à-dire « qu'il cause beaucoup plus de problèmes qu'il n'en résout ». Bien qu'il ne donne aucune solution miracle, il reconnaît qu'il est « urgent de civiliser le marché d'échanges de biens et de services développé par les nouveaux travailleurs autonomes ».

L'écriture est limpide et concise, et les cas présentés illustrent de façon criante l'ampleur de l'imposture. Un portrait sombre certes, mais l'auteur termine sur une note optimiste en faisant le souhait que le travailleur autonome s'inscrive dans une société solidaire de ses travailleurs, « un idéal soutenable si l'on préserve les emplois de qualité et si les autonomes peuvent jouir des avantages du salariat 0 revenu décent, reconnaissance sociale, protections légales, filet de sécurité sociale tissé serré ».|205| 
181|Les Américains pratiquent maintenant le terrorisme électoral|André Maltais|

Nicaragua



Le 4 novembre dernier, le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) de Daniel Ortega perdait une troisième élection présidentielle consécutive. Encore une fois, les multiples interventions américaines ont pesé de tout leur poids dans la campagne électorale nicaraguayenne. En fait, depuis le vrai terrorisme américain qui est venu à bout des Sandinistes en 1990, les présidents de droite qui se succèdent au Nicaragua ne doivent leur élection qu'à la peur d'un retour à la guerre.

Le candidat du Parti constitutionnel libéral (PCL), Enrique Bolanos, a finalement obtenu 56,3 % du suffrage contre 42,3 % pour Daniel Ortega du FSLN pour qui ces résultats ressemblaient étrangement à ceux de 1990 (élection de Violetta Chamorro) et de 1996 (élection de Arnoldo Aleman Lacayo).

Bolanos, le chouchou des Américains pour cette année, est un homme d'affaires conservateur, ancien président de l'Union des manufacturiers du Nicaragua. Il présidait le Haut-conseil pour l'entreprise privée sous l'administration sandiniste des années 80 et avait fait de cet organisme une des principales forces d'opposition et de déstabilisation de la révolution.

Dans le cadre de sa réforme agraire, le FSLN avait confisqué 1200 hectares de terres à Bolanos et les avait distribués entre les anciens employés de celui-ci.

Cette année, Daniel Ortega et son parti n'ont pu empêcher l'ingérence américaine dans la campagne électorale même si, afin d'augmenter sa part de votes, le FSLN avait noué plusieurs alliances contre nature avec des éléments conservateurs et multiplié les déclarations favorables au milieu des affaires et aux États-Unis.

Scène pathétique

Parmi les éléments conservateurs qui se sont greffés au FSLN, certaines personnalités telles Miriam Arguello et le candidat à la vice-présidence Agustin Jarquin avaient même été emprisonnées sous le régime Ortega (1979-1990).

D'autres étaient des transfuges du Parti conservateur dont le chef, Noel Vidaurre, avait été contraint par Washington, en juillet, de se retirer de la course à la présidence afin d'empêcher la division du vote anti-Ortega.

L'un de ces transfuges était Antonio Lacayo, homme d'affaires bien connu dans le pays, dont la belle-mère est l'ex-présidente Violetta Chamorro (1990-1996) qui s'était faite l'instrument des politiques économiques néolibérales du FMI qu'avaient fortement combattues les Sandinistes de l'époque. Pour rassurer les États-Unis, Daniel Ortega avait promis de faire de Lacayo son ministre des Affaires étrangères si son parti remportait les élections.

Dans une scène pathétique, le 31 octobre, lors du ralliement sandiniste marquant la clôture de la campagne électorale, de nombreux supporters brandissaient les drapeaux américains qui leur avaient été distribués !

Miner les ports

Et pourtant, durant toute la campagne, les États-Unis ne s'étaient pas gênés pour intervenir de toutes sortes de manières alors que les sondages mettaient nez à nez Libéraux et Sandinistes, voire donnaient l'avance au parti de Daniel Ortega.

Le 12 octobre, le Washington Post rapportait, avec un synchronisme parfait puisqu'on était à moins d'un mois des élections, que l'administration Bush s'apprêtait à nommer Duane Clarridge au poste d'adjoint principal au général Wayne Downing, directeur du Bureau du contre-terrorisme de l'Agence nationale de sécurité (NSA) américaine.

Au milieu des années 80, ce Clarridge était le chef du « contre-terrorisme » de la CIA et baignait jusqu'au cou dans les opérations de celle-ci contre le gouvernement sandiniste. Il a toujours revendiqué l'idée d'avoir miné les ports du Nicaragua en 1984, ce qui avait amené la Cour internationale à condamner les États-Unis après une poursuite intentée par le Nicaragua.

Casquette de baseball

Quelque jours plus tard, l'ambassadeur américain au Nicaragua, Oliver Garza, qu'on voyait souvent coiffé d'une casquette de baseball ornée du logo du PCL, inaugurait, en compagnie du candidat Bolanos, une tournée (fort médiatisée par la suite) de distribution d'aide alimentaire d'urgence aux victimes de la sécheresse qui a frappé une partie du pays l'été dernier.

Dans son discours, Garza affirmait qu'advenant une victoire du FSLN, les États-Unis reconnaîtraient certes le nouveau gouvernement, mais que, pour qu'il y ait de bonnes relations entre les deux pays, les États-Unis attendaient encore des réponses des Sandinistes concernant « certaines exigences ».

Garza se référait notamment aux propriétés confisquées par le FSLN après la révolution de 1979 et dont les Américains exigent la restitution à leurs anciens possesseurs.

Un peu plus tard, Jeb Bush, frère du président américain et gouverneur de la Floride, signait un article dans le Miami Herald dans lequel il qualifiait Daniel Ortega d' « ennemi de tout ce que les États-Unis représentent ».

Des Bush partout

Le Parti constitutionnel libéral reproduisit l'article dans l'une de ses publicités de campagne parue dans le quotidien La Prensa. En manchette, l'annonce proclamait 0 « Le frère du président des États-Unis appuie Enrique Bolanos ! ».

Mais les Américains ont surtout utilisé les attentats du 11 septembre pour faire peur à la population du Nicaragua.

Celle-ci appuyait alors majoritairement Daniel Ortega même après que la Commission inter-américaine des droits de l'homme de l'Organisation des États américains eut, en pleine campagne électorale, rebranché l'actualité sur l'affaire Zoilamerica Narvaez (du nom de la fille adoptive de Ortega qui poursuit ce dernier pour abus sexuels) en rendant en sa faveur une décision qui se faisait attendre depuis 1998 !

Après le 11 septembre, des officiels du Département d'État américain se sont mis à clamer haut et fort que Ortega entretenait des liens avec des sympathisants du terrorisme tels Mouammar Khadafi et Saddam Hussein.

Effet Ben Laden

Le 5 octobre, l'assistant au secrétaire d'État américain pour l'hémisphère ouest, John Keane, laissait entendre qu'un gouvernement du FSLN appuierait le terrorisme international.

« L'élection possible d'un gouvernement sandiniste est déconcertante pour le gouvernement américain, disait-il. On ne peut oublier que (dans les années du régime sandiniste) le Nicaragua était devenu un refuge pour les extrémistes politiques violents du Moyen-Orient, d'Europe et d'Amérique latine. »

« L'effet Ben Laden a été catastrophique, déclarait après les élections Sergio Ramirez (ex-vice-président sandiniste dans les années 80). Les électeurs ont eu peur d'un nouveau conflit avec les États-Unis, déjà parrains d'une guerre dévastatrice menée par les rebelles de droite de la Contra pendant toute la décennie des années 80. »

Mais, contrairement à la course à la présidence, la distribution des sièges à l'Assemblée nationale a été chaudement disputée presque partout dans le pays.

Le beau monde ensemble

Le 6 novembre, pendant qu'on y comptait les votes, le principal représentant du FSLN à la surveillance du scrutin, Juan Jose Ubeda, se voyait interdire l'entrée du Centre national d'informatique par le président du Conseil suprême des élections, Roberto Rivas.

Ubeda soutient que, cette journée-là, Rivas était en compagnie des surveillants de scrutin du Parti libéral de Bolanos et que tout ce beau monde était occupé à trafiquer les résultats du vote.

« Il faut féliciter Washington parce que ses tactiques d'intimidation ont fonctionné », déclarait au New York Times (6 nov.) Miguel D'Escoto, ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement sandiniste.

« Les Américains pratiquent maintenant systématiquement le terrorisme électoral aux dépens d'un peuple dont les blessures sont encore ouvertes. Nous n'avons pas perdu 5000 personnes comme à New York; nous en avons perdu 50000 dans une guerre créée de toute pièce, organisée, armée et financée par les États-Unis. »|205| 
182|Les archives de Ronald Reagan resteront longtemps confidentielles !|André Maltais|

George Bush change la loi



Le 1er novembre, le président des États-Unis, George W. Bush, restreignait sévèrement l'accès, même légalement mandaté, aux documents de l'ancien président Ronald Reagan (1981-1989).

Depuis 1978, en vertu de l'Acte des archives présidentielles (Presidential Records Act) adopté en réaction au scandale du Watergate, les présidents américains étaient tenus de rendre publiques leurs communications confidentielles avec tous leurs collaborateurs douze ans après la fin de leur dernier terme.

Le 20 janvier 2001, les 68 000 pages de documents de l'ex-président Reagan devaient normalement devenir accessibles au public. Mais, à trois reprises, l'administration Bush retardait l'application de la loi sous prétexte qu'elle n'avait pas encore établi le processus nécessaire à traiter cette masse de documents.

L'ordre exécutoire présidentiel du 1er novembre prévoit maintenant que l'ex-président concerné par la publication de ses archives et le président en exercice doivent tous les deux être d'accord pour déclassifier les documents. De plus, les chercheurs doivent faire la preuve d'un « besoin spécifique démontré » pour accéder au matériel.

Cet arrêté survient alors que plusieurs anciens collaborateurs de Ronald Reagan sont toujours présents à la Maison Blanche et qu'on parle certainement d'eux dans les archives de l'ex-acteur de cinéma. Sans oublier que le propre père de l'actuel président, l'ex-président George Bush (1989-1993), était le vice-président de Reagan !

Sans oublier également que, entre autres sujets « délicats », les archives doivent traiter en abondance du financement illégal des rebelles de la « Contra » au Nicaragua et surtout des liens entre la CIA, les services secrets pakistanais et Oussama ben Laden lors de la guerre qui a chassé les Soviétiques d'Afghanistan.|205| 
183|Hydro-Québec 0 des hausses de tarif et une centrale thermique injustifiées|Gaétan Breton| Hydro change sa mission. Elle remplace la fourniture d’électricité aux Québécois au plus bas prix possible par la création de richesse pour l’actionnaire qui, pour l’instant, est encore l’État. Ce n’est pas la première fois qu’une entreprise publique change de mission pour adopter des objectifs plus près de ceux de l’entreprise privée.

Dans la littérature en administration publique, on appelle « corporatisation » cette période de réalignement. Normalement, au terme d’une telle période, arrive la privatisation. Est-ce ce qu’on est en train de préparer en montrant que l’entreprise est capable de créer de la valeur pour les actionnaires ?

L’heure est à la préprivatisation

De plus, en dépit de l’expérience des 20 dernières années et tablant sans doute sur un taux de change favorable pour le moment, Hydro s’entête à vouloir à tout prix exporter de l’électricité, quitte à polluer le Québec ou à faire augmenter, en construisant des centrales dont les coûts de production sont très élevés, le prix de l’électricité au Québec.

Évidemment, en continuant de culpabiliser les clients domestiques avec le spectre de l’interfinancement, on localisera les hausses chez cette catégorie de consommateur, la plus vulnérable et la moins mobile. Cette détermination à faire augmenter les prix ressemble aussi à une préprivatisation.

Les centrales thermiques ont le vent dans les voiles

La centrale thermique, dont on a annoncé la construction, générera des émissions polluantes importantes, pour produire une électricité bien plus chère – on parle d’un coût entre 5 et 6 cents le kWh, ce qui est le double de l’objectif actuel – que celle qui aurait pu être produite par des éoliennes.

Le petit parc d’éoliennes qui existe en Gaspésie n’est pas un bon exemple d’efficacité. Il est très restreint et sa construction a été mise en branle bien avant l’acceptation du gouvernement. L’électricité produite coûte autour de 6 cents le kWh, ce qui n’est pas rentable pour l’acheteur en ce moment.

Mais le Québec est une terre propice à l’installation d’éoliennes. La Gaspésie est particulièrement bien située avec ses vents constants et son éloignement des sources de courant hydro-électrique. Les spécialistes de l’IREQ ont présenté, en 1998, à la Régie de l’énergie, un projet intégré de développement de la production de l’énergie électrique à partir d’éoliennes qui devenaient rentables dès la seconde année. Compte tenu de la fabrication et de l’installation des équipements, le projet devenait structurant pour l’économie québécoise dans son ensemble. Mais Hydro ne veut rien savoir de l’énergie éolienne et le gouvernement ne bouge pas.

L’énergie éolienne, en plus de ne pas être polluante, permet de revenir en arrière si les conditions changent. Si, un jour, on trouve une meilleure façon de faire, il n’y a qu’à démonter les machines. Il n’y a aucune transformation du paysage, aucun détournement de rivière, aucune accumulation extraordinaire d’eau ni détournement des habitudes des animaux et, surtout, aucune émission polluante.

Si la tendance se maintient... on aura trop d’électricité

Enfin, on peut se demander si nous avons réellement besoin de l’électricité de la centrale thermique projetée. Plusieurs projets hydro-électriques sont déjà en voie de réalisation 0 la centrale Mercier, près de Mont-Laurier, le détournement de la rivière Manouane.

De nouvelles centrales sont nécessaires si on prévoit une forte croissance de la demande ou si on veut un surplus de capacité de production pour l’exportation. Hydro prévoit que les ventes au Québec passeront de 154 tWh en 2001 à 165 tWh en 2006, soit une croissance de 7 % sur quatre ans, due principalement au secteur industriel.

Les observateurs ont qualifié le budget de Mme Marois d’« optimiste » parce qu’elle se basait sur des taux plus faibles que ceux-là. Les prévisions d’Hydro sont-elles sérieuses ou servent-elles seulement à justifier des projets d’expansion ?|204| 
184|Les fusibles du profit, c’est l’interfinancement|Gaétan Breton| Hydro-Québec vient de faire paraître son Plan stratégique 2002-2006. Deux éléments ont retenu l’attention 0 la hausse de tarif pour la clientèle domestique et le recours à des centrales thermiques. L’augmentation des tarifs d’Hydro est basée sur des prémisses très discutables. Hydro veut augmenter son profit pour donner plus de dividendes à son actionnaire, l’État québécois. Ce faisant, Hydro taxe indirectement les consommateurs d’électricité pour financer des services publics ou donner des congés de taxe sur le capital aux entreprises.

Hydro rompt ainsi le pacte énergétique en ne donnant plus les plus bas prix possibles, mais en privilégiant les supposés profits.

Un réflexe conditionné de l’Hydro 0 augmenter toutes les réserves

Ces hausses de tarif produisent plus de revenus supplémentaires que ce qui transparaît dans le profit, puisque à partir de 2002, Hydro veut se doter d’une réserve qui atteindra 2,2 milliards $ en 2006.

La deuxième prémisse de l’augmentation des tarifs est la correction qu’il faudrait apporter à l’interfinancement entre les catégories de clients. La division Distribution d’Hydro-Québec ne ferait pas ses frais, nous dit-on. C’est là une affirmation fort contestable.

Profit ou perte ? C’est selon !

Évaluée à 500 millions $ en 1981, la perte (ou le profit, c’est selon...) imputée à la division Distribution dépend en totalité du prix auquel les kilowatts lui sont facturés.

La Loi modifiant la Loi sur la Régie de l’énergie, écrite sous la dictée d’Hydro, impose un prix de 2,79 cents le kWh, pour les premiers 165 tWh qui sont reconnus comme patrimoniaux. Toute l’électricité vendue au Québec, c’est-à-dire la consommation cumulée des quatre catégories de clients au Québec, n’atteint pas ce chiffre.

Ce 2,79 cents contient donc déjà un profit non négligeable. En 1997, on parlait d’un coût de production de 2,31 cents et, en 1998, plusieurs groupes arrivaient devant la Régie à des coûts similaires. À un coût de 2,31 cents, le prix de 2,79 cents contient déjà près de 20 % de profit. Si on multiplie le nombre de kilowatts vendus en 2000 aux clients domestiques, par ce petit profit resté dans la division Production, on obtient près de 2,5 milliards $ alors que la perte imputée à la division Distribution est évaluée à 500 millions $.

Pour que les coûts de production augmentent...

N’allez pas croire que l’augmentation des coûts de production entre 1997-1998 et 2001 comblera la différence. Dans le secteur de l’hydro-électricité, les coûts de production comprennent peu de main d’œuvre et les grands barrages commencent à être passablement amortis.

Dans les autres provinces qui vendent de l’électricité produite avec de l’eau, les prix ont tendance à diminuer, pas à augmenter, parce que les coûts de production n’augmentent pas. Alors, l’existence de ce profit inclus dans le prix de production est très plausible.

...on transforme les profits en dépenses

On trouve également des profits cachés ailleurs, en ajoutant, au prix du producteur, le prix du transport avant d’en arriver au coût du distributeur. Comme les entreprises qui utilisent une tension supérieure à 45 kV sont réputés ne pas avoir de coûts de distribution, même si c’est impossible, les coûts qui les touchent sont ajoutés aux coûts généraux de transport avant d’être répartis.

Dans les actifs de transport, on trouve également des lignes onéreuses, à courant continu, destinées uniquement à l’exportation. Ces coûts sont additionnés au reste.

En substance, bien que le principe de l’interfinancement ait été inclus dans la Loi de la Régie de l’énergie et que tout le monde le répète comme un mantra, on attend toujours le début d’une démonstration sérieuse de son existence.|204| 
185|Brèves|Pierre Dubuc| Les « pauvres » ne trouvent pas de logement, qu'ils s'achètent une maison !

Pour Louise Harel, « la meilleure façon de lutter contre la pauvreté, c'est de devenir propriétaire », peut-on lire dans Le Devoir du 13octobre. S'agissait du penser ! Une semaine plus tard, l'Institut de la statistique du Québec nous apprenait que « deux ménages québécois sur cinq gagnent moins de 30 000 $ par année et doivent faire des miracles pour boucler leurs fins de mois » (Le Devoir, 20.10.01).

Évidemment, une des principales causes de la pauvreté provient de la part du revenu que doivent consacrer les ménages à se loger. «On considère généralement, lit-on dans Le Devoir, que les ménages qui consacrent plus de 30 % de leur revenu brut au logement sont souvent aux prises avec une situation financière difficile. Or, la proportion des ménages locataires dont le revenu subit une telle ponction a considérablement augmenté entre 1981 et 1996 0 elle est passée de 28,7 % à 42,6%. »

Mme Harel a une solution toute trouvée pour ces locataires 0 qu'ils s'achètent une maison ! Les propos de la princesse de Hochelaga-Maisonneuve nous rappellent ceux de la reine Marie-Antoinette qui s'inquiétait des cris de la population affamée qui réclamait du pain devant le palais royal. « S'il n'y a pas de pain, qu'on leur donne de la brioche ! »

Le Devoir veut une guerre «humanitaire »

Après avoir appuyé la guerre contre l'Afghanistan au nom de la défense de l'Occident chrétien sous la plume de Jean-Robert Sansfaçon, Le Devoir précise sa position, sous la plume cette fois de Paule des Rivières (27.10.01), en plaidant en faveur de l'acheminement de l'aide alimentaire vers les réfugiés. Que les bombes provoquent le déplacement de millions de personnes, ça va!, à condition qu'on puisse leur parachuter du beurre de peanut.

Un périmètre de sécurité autour du Québec ?

« Pourquoi le Canada a-t-il permis au Québec de lui dicter sa politique d'immigration, laquelle a facilité la venue à Montréal, sous couvert du statut d'étudiant, de centaines de francophones musulmans potentiellement dangereux ? », écrit Diane Francis dans le National Post, en reprenant les propos de la journaliste Crossett du New York Times.

Les chômeurs n'ont qu'à s'engager dans l'armée !

« Martin donne son bas de laine aux militaires », titre La Presse du 27 octobre en expliquant que le ministre des Finances va consacrer son coussin de deux à trois milliards aux nouveaux besoins de défense et de sécurité nationale. Rappelons que ce «coussin » a été constitué à même les surplus dégagés sur le dos des sans emploi, donc en envoyant sur « la dure » les sans emploi.

Ben Laden va-t-il sauver notre système de santé ?

Ben Laden réussira-t-il là où nous avons tous échoué ? C'est-à-dire forcer les gouvernements à réinvestir dans la santé pour faire face à la menace d'attentats à l'arme biologique. Nous pensions qu'il fallait réduire les dépenses du ministère de la Défense pour octroyer plus de sous au ministère de la Santé. Que nous avons pu être stupides ! Il fallait plutôt faire émerger les dépenses de santé au budget de la Défense!

Bigras se dissocie du Bloc

C’est le titre d’un entrefilet du Devoir du 18 octobre annonçant que le député bloquiste Bernard Bigras se dissociait publiquement de la politique de son parti... concernant le recours au gaz naturel au Québec et la construction d’une centrale thermique dans le Suroît.

À quand un député ou une députée du Bloc qui se dissociera de l’attitude soi-disant « responsable » de son parti qui appuie la « guerre humanitaire » contre l’Afghanistan ?

Le Canada à la recherche des sous-marins afghans

Dans le plus grand effort militaire depuis la guerre de Corée, le gouvernement canadien vient d’envoyer six navires de guerre dans le golfe Persique pour « appuyer, nous dit Jean Chrétien, la campagne contre Oussama ben Laden et les taliban ». On se demande, s’interroge Michel Chossudovsky, en quoi vont être utiles ces destroyers et frégates contre un pays enclavé, sans accès à la mer ! À moins qu’il y ait un ordre du jour secret et que la guerre soit élargie à d’autres pays.

Guerre au terrorisme, non au racisme !

Vous demandiez-vous, vous aussi, comment il se faisait que les employés des postes de la région de Washington qui ont manipulé les lettres contenant de l’anthrax– au moins deux d’entre eux sont décédés – n’avaient pas reçu d’antibiotiques alors qu’on en avait distribué immédiatement aux employés du Capitole.

La réponse est venue lors d’un reportage télévisé montrant la liste d’attente des employés des postes lorsqu’on a finalement décidé de leur en procurer 0 c’était presque tous des Noirs !

« La guerre va être longue », disait Bush

Selon le New York Times (22.10.01), l’administration Bush envisage la possibilité d’augmenter les réserves stratégiques de pétrole sur le territoire américain. La Strategic Petroleum Reserve, créée en 1975, a pour but de stocker du pétrole dans des cavernes de la Louisiane et du Texas pour faire face aux situations de crise.

Les cavernes peuvent renfermer 700 millions de barils. Elles en contiennent présentement 545 millions, ce qui est suffisant pour subvenir aux besoins américains pour à peine 53 jours.

Tactique déloyale des taliban

Pour plusieurs analystes, la guerre contre l’Afghanistan n’est qu’un prétexte dont se servent les États-Unis pour s’installer en Asie centrale, riche en pétrole, tout comme ils ont profité de la guerre du Golfe pour établir une base militaire permanente en Arabie saoudite. Déjà, l’armée américaine a pris le contrôle de l’ancienne mégabase militaire des Russes en Ouzbékistan. Un article du New York Times (5.11.01) relate que Washington reluque maintenant du côté du Tadjikistan, du Kirgistan et du Kazazhstan pour de nouvelles bases militaires. « Il faut des bases plus rapprochées, dit le général Richard B. Myers, parce que des alliés des taliban ont le temps de les prévenir par radio de l’arrivée des B-52 ».|204| 
186|Les Américains|Raymond Lévesque|O monsieur que dites-vous là ?

Alors ne savez-vous donc pas

Que ces braves Américains

Ont en leur sein des assassins;

Mais la plupart n’en savent rien.

Depuis la fin de la dernière

Ils ont sans cesse soutenu

Des gouvernements corrompus

Dirigés par des militaires

Qui ne se sont jamais gênés

De soumettre et d’assassiner

Les leurs se faisant exploiter

Par maints intérêts étrangers

Qui affament l’humanité

Pour toujours capitaliser

Plus de profits. Piller, voler,

Se fait sur le dos des plus pauvres,

Qui traînent une vie famélique,

À mille milles de la nôtre.

In God we trust est un mensonge,

Ces gens sont sans foi et sans Dieu,

Un mensonge qui se prolonge

Dans la foi simple des sans yeux.

Les vrais terroristes ce sont

Ces hommes sans humanité.

Ces peuples ont cent fois raison,

De se lever, se révolter.

Et les quelque milliers de morts,

Dans ce New York, leur château fort,

Hélas ne sont pas très nombreux

À côté de ce qu’ils ont fait… eux.

En prétendant civiliser

Ils ont soumis et égorgé

Des peuples qu’ils ont opprimés

Exploités, volés, pillés,

Par la force de leurs armées.

Aujourd’hui ces peuples qui furent

Victimes de ces aventures

Se lèvent et frappent à leur tour

L’homme blanc qui fut un vautour.

Tel est le « noble » résultat

De nos vols et assassinats.|204| 
187|Les terroristes des attentats du 11septembre étaient-ils liés aux services de renseignement pakistanais ?|Michel Chossudovsky|

Nouvelles révélations sur les attentats du 11 septembre



Le chef des services d’espionnage pakistanais, le lieutenant-général Mammoud Ahmad, se trouvait aux États-Unis lors des attaques contre le World Trade Center et le Pentagone. Arrivé le 4 septembre, le général Ahmad avait rencontré des représentants du département d’État après les attaques contre le World Trade Center, mais il a également eu des entretiens, au cours de la semaine précédant les attentats terroristes, avec ses vis-à-vis de la CIA et du Pentagone.

Quelle était la nature de ces rencontres qualifiées de «routinières » qui ont eu lieu avant le 11 septembre ? Avaient-elles un lien avec les consultations ultérieures, au lendemain du 11 septembre, qui ont amené le Pakistan à prendre la décision de coopérer avec Washington ? La planification de la guerre était-elle à l’ordre du jour des discussions entre les responsables pakistanais et américains ? e 9 septembre, alors que le général Mammoud Ahmad se trouvait aux États-Unis, le commandant Ahmad Shah Massoud de l’Alliance du Nord était assassiné. Les représentants de cette organisation ont informé l’administration Bush que les services secrets pakistanais (ISI) étaient selon toute probabilité impliqués dans cet assassinat.

C’est donc en toute connaissance de cause que l’administration Bush a pris la décision, lors des consultations intervenues avec le général Mammoud Ahmad après le 11 septembre, de « coopérer » directement avec les services de renseignements pakistanais malgré leurs liens avec Oussama ben Laden et les taliban, et leur rôle présumé dans l’assassinat de Massoud.

Pendant ce temps, des responsables du Pentagone et du département d’État étaient envoyés à Islamabad pour mettre une dernière main aux plans de guerre américains. Dimanche le 6 octobre, la veille des premiers bombardements sur les principales villes afghanes, le général Mammoud Ahmad était limogé de son poste à la tête des services secrets pakistanais dans ce qui a été présenté comme un remaniement de « routine ».

Des liens troublants entre le général et le terroriste

Quelques jours plus tard, le journal Times of India révélait les liens entre le général Mammoud Ahmad et Mohammed Atta, présumé tête dirigeante des attaques contre le World Trade Center. L’article du Times of India était basé sur des informations contenues dans un rapport des services de renseignement du gouvernement de New Delhi transmis au gouvernement américain via les canaux officiels. Citant une source à l’intérieur du gouvernement indien, l’Agence France-Presse a confirmé que « les faits transmis par le gouvernement indien à Washington étaient d’un tout autre ordre qu’une simple information liant un général voyou à des actes de terrorisme déplacés ».

Les implications des révélations du Times of India sont multiples. Elles soulèvent la question des liens existant entre le General Ahmad et le terroriste Mohammed Atta, mais également la possibilité que d’autres membres des services secrets pakistanais aient pu avoir des contacts avec les terroristes. Elles permettent également de questionner l’interprétation officielle selon laquelle les attentats du 11 septembre constituaient un acte de « terrorisme individuel » organisé par une cellule autonome du réseau Al Qaeda et soulèvent l’hypothèse que les attentats feraient partie d’une opération émanant des services de renseignement pakistanais.

Le reportage du Times of India jette également une nouvelle lumière sur la nature des « activités d’affaires » du général Ahmad aux États-Unis au cours de la semaine précédant les événements du 11 septembre, soulevant la possibilité de contacts aux États-Unis entre l’ISI et Mohammed Atta avant les attaques contre le World Trade Center au moment où le général Ahmad et sa délégation étaient en soi-disant « tournée de consultations » auprès des responsables américains.

Un axe ISI-Oussama-taliban et... CIA ?

En évoquant les liens présumés entre les terroristes et l’ISI, il faut comprendre que la nomination du général Ahmad à la tête des services secrets pakistanais avait reçu l’approbation des États-Unis. En tant que dirigeant de l’ISI depuis 1999, il était en relation étroite avec ses homologues de la CIA, de la Defense Intelligence Agency (DIA) et du Pentagone. Souvenons-nous également que les services de renseignement pakistanais ont constitué durant toute la période de l’après-guerre froide le fer de lance des opérations secrètes de la CIA au Caucase, en Asie centrale et dans les Balkans.

L’existence d’un axe « ISI-Oussama-taliban » était bien connue. Tout comme étaient bien connus les liens entre l’ISI et différentes agences du gouvernement américain dont la CIA. L’administration Bush était au courant du rôle du général Ahmad. Autrement dit, l'administration Bush se sert d'une organisation directement liée au terrorisme afin de mener la dite « campagne contre le terrorisme ». En fait, les liens de l’administration Bush avec l’ISI pakistanais – y inclus les « consultations » avec le général Ahmad au cours des semaines précédant le 11 septembre – soulèvent la question d’une possible « complicité ». Pendant que le général Ahmad rencontrait des responsables américains au Pentagone et dans les bureaux de la CIA, des contacts auraient selon le Times of India également été établis entre l’ISI et les présumés terroristes des attentats du 11 septembre !

Selon un rapport des services de renseignement du gouvernement indien, les responsables des attentats du 11 septembre avaient des contacts avec l’ISI qui, à son tour, entretenait des liens avec les agences du gouvernement américain. Est-ce que certains responsables au sein de l’establishment militaire et des services de renseignement américains avaient eu connaissance des contacts de l’ISI avec Mohammed Atta, chef de file des terroristes, et qu’ils n’auraient pas crû bon d’agir !

Que l’administration Bush ait été complice de cette situation reste à démontrer. Une enquête s'avère nécessaire afin d'établir tous les faits dans cette affaire.

Toutefois, il est évident que cette guerre contre le peuple afghan n’est pas « une campagne contre le terrorisme international ». C’est une guerre de conquête affectant l’avenir de l’humanité. Le peuple américain, tout comme le peuple canadien, a été consciemment et délibérément trompé par son gouvernement. La vérité doit prévaloir.

Quand le général envoie 100 000 $ au terroriste

Le 9 octobre, quelques jours après le limogeage du chef de l’espionnage des services de renseignement pakistanais (ISI), le lieutenant-général Mammoud Ahma, on pouvait lire dans le Times of India0

« Alors que la section des relations publiques de l’ISI pakistanais prétend que le lieutenant-général Mammoud, autrefois directeur de l’ISI, a demandé à prendre sa retraite le 8 octobre dernier, soit le jour où débutaient les bombardements américains en Afghanistan, la vérité est beaucoup plus troublante. Des sources bien informées confirment, en ce mardi 9 octobre, que le général fut limogé en raison des informations du gouvernement indien démontrant ses liens avec un des kamikaze qui ont détruit le World Trade Center.

Les autorités américaines ont demandé son départ après avoir confirmé qu’un montant de 100 000 $ avait été envoyé au terroriste Mohammed Atta du Pakistan par Ahma Umar Sheikh à la demande du général Mammoud Ahmad. Plusieurs sources haut placées au gouvernement ont confirmé que le gouvernement indien avait joué un rôle de premier plan pour établir le lien entre le transfert d’argent et le rôle joué par le chef limogé de l’ISI. Sans fournir de détails, nos sources indiquent que le gouvernement indien a fourni plusieurs informations, y inclus le numéro du téléphone cellulaire de Sheikh, qui ont aidé le FBI à retracer et à établir ce lien.

Un lien direct entre l’ISI et l’attaque contre le World Trade Center pourrait avoir d’énormes répercussions. Les États-Unis ne peuvent faire autrement que de se poser la question à savoir s’il n’y a pas d’autres hauts responsables de l’armée pakistanaise qui avaient connaissance de ces faits. Des preuves d’une conspiration d’une plus grande ampleur pourraient ébranler la confiance des États-Unis dans la capacité du Pakistan à participer à la coalition antiterroriste. »

La CIA aurait rencontré Ben Laden en juillet

Dans son édition du 31 octobre 2001, le journal français bien connu Le Figaro publie, sous la plume d’Alexandra Richard, un article fort troublant dont nous reproduisons des extraits. Le texte complet est disponible dans le site Web globalresearch.ca.

« Dubaï, l’un des sept émirats de la fédération des Émirats arabes unis, au nord-est d’Abu Dhabi. Cette ville de 350 000 habitants a été le théâtre discret d’une rencontre secrète entre Oussama ben Laden et le représentant de la CIA sur place, en juillet. Un homme, partenaire professionnel de la direction administrative de l’hôpital américain de Dubaï, affirme que l’ennemi public numéro un a séjourné dans cet établissement hospitalier du 4 au 14 juillet.

En provenance de l’aéroport de Quetta au Pakistan, Oussama ben Laden a été transféré dès son arrivée à Dubaï Airport. Accompagné de son médecin personnel et fidèle lieutenant, qui pourrait être l’Égyptien Ayman al-Zawahari – sur ce point les témoignages ne sont pas formels–, de quatre gardes du corps, ainsi que d’un infirmier algérien, Ben Laden a été admis à l’hôpital américain, un bâtiment de verre et de marbre situé entre Al-Garhoud Bridge et Al-Maktoum Bridge.

Chaque étage comporte deux suites “ VIP ” et une quinzaine de chambres. Le milliardaire saoudien a été admis dans le très réputé département d’urologie du docteur Terry Callaway, spécialiste des calculs rénaux et de l’infertilité masculine. Joint par téléphone à de multiples reprises, le docteur Callaway n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Durant son hospitalisation, Oussama ben Laden a reçu la visite de plusieurs membres de sa famille, de personnalités saoudiennes et émiraties. Au cours de ce même séjour, le représentant local de la CIA, que beaucoup de gens connaissent à Dubaï, a été vu empruntant l’ascenseur principal de l’hôpital pour se rendre dans la chambre d’Oussama ben Laden.

Quelques jours plus tard, l’homme de la CIA se vante devant quelques amis d’avoir rendu visite au milliardaire saoudien. De sources autorisées, l’agent de la CIA a été rappelé par sa centrale le 15 juillet, au lendemain du départ de Ben Laden pour Quetta. » |204| 
188|Le comité Montmarquette aurait dû destituer son président|Louis Préfontaine|

Un rapport écrit d’avance ?



Un comité présidé par l’économiste Claude Montmarquette doit remettre un rapport au gouvernement le 1er décembre prochain sur la faisabilité d’un régime d’assurance-médicaments public et universel. Cette hypothèse, semble-t-il, n’a jamais été étudiée !

Ce comité éprouve des problèmes incontournables de présidence, de mandat, de composition et de processus qui exigent une réorganisation, en commençant par la démission de M. Montmarquette », soulignait Jennifer Auchinleck de la Coalition sur l’assurance-médicaments lors d’une conférence de presse conjointe avec la CSQ, la CSN et la Coalition Solidarité Santé le 17 octobre dernier.

Dans une entrevue à l’aut’journal, Mme Auchinleck va encore plus loin 0 « Ce rapport n’est pas crédible. La solution aux problèmes du régime d’assurance-médicaments passe par un régime universel et public. On ne doit pas laisser Montmarquette faire à sa tête. »

Les meilleures idées sont toutes faites

Il faut dire qu’il a la tête dure, ce Montmarquette ! Économiste de formation, diplômé de l’école de Chicago, peut-être la plus néolibérale de toutes, il ne se prive pas pour dire à qui veut l’entendre qu’il n’est pas question pour lui d’envisager la solution du régime universel, même s’il a été nommé au poste de président du comité dans le but d’étudier cette hypothèse !

« Je n’ai jamais caché être en général contre les interventions gouvernementales », affirmait ce fonctionnaire à La Presse en février dernier. Il en a évidemment profité pour tenter de discréditer ceux grâce à qui le comité a été créé en soulignant qu’advenant la présence de «groupes de pression » sur le comité, il en refuserait la présidence. « C’est une question compliquée, technique, qui engage énormément d’argent. Il faut voir clair pour améliorer la situation. »

En d’autres mots, celles et ceux qui passent leurs semaines à se battre pour un meilleur système de santé, qui vont dans les hôpitaux, qui fréquentent des personnes âgées ayant à choisir entre bien s’alimenter ou prendre des médicaments, tous ceux-là ne voient pas clair !

Pour ces raisons, en avril dernier, la Coalition sur l’assurance-médicaments a remis à M. Montmarquette le PRIX V (lire à voix haute) pour souligner sa contribution exceptionnelle à la cause de la privatisation des soins de santé.

On va se faire passer un Montmarquette

En toile de fond du comité Montmarquette, il y a l’augmentation appréhendée des primes de l’assurance-médicaments. Depuis 1996, date de création du régime, les coûts n’ont jamais cessé d’augmenter. De plus, à cause de la loi 117, stipulant que le régime doit s’autofinancer, le gouvernement refile la facture aux utilisateurs. L’an dernier, les primes sont passées de 175 $ à 350 $, puis 385$.

Cette année, on prévoit un déficit d’au moins 109 millions $ par suite d’une augmentation des coûts de 30 % (en un an !). Il faut donc s’attendre à une nouvelle majoration des primes. « On ne peut tirer de conclusions avant d’avoir le rapport Montmarquette», soutient le ministre Trudel, propos qui justifient les craintes de Jennifer Auchinleck 0 «On ne veut pas que ce rapport justifie une augmentation de primes. »

Il semble pourtant que nous nous dirigions vers ce scénario, considérant que, dès la première réunion du comité, la sous-ministre à la planification à la Santé, Mireille Filion, aurait indiqué que Québec ne voulait pas d’un régime universel et public d’assurance-médicaments. À quoi donc servira alors le comité sinon à justifier une autre décision impopulaire de la part du gouvernement?

C’est la faute aux vieux !

« Le gouvernement refuse de s’attaquer au vrai problème derrière le déficit, c’est-à-dire la croissance incontrôlée des coûts des médicaments », souligne Louise Chabot, vice-présidente de la CSQ. Croissance incontrôlée, le mot est faible. De 1979 à 2000, le prix des médicaments et des produits pharmaceutiques a augmenté de 225 % (en dollars constants). Malgré tout, il se trouve encore au ministère des gens pour nier cette réalité. En tournée au Saguenay, en septembre dernier, le ministre délégué à la Recherche, David Cliche, déclarait 0 « le programme d’assurance-médicaments sera de nouveau défoncé... le vieillissement entraîne des coûts difficiles à gérer » ! ! !

Une des solutions, selon Auchinleck, outre l’instauration d’un régime universel et public d’assurance-médicaments, consisterait à prescrire les médicaments génériques. Malheureusement, les politiciens semblent en général plus chauds à l’idée de protéger leurs amis des compagnies pharmaceutiques qu’à soulager la population de coûts inacceptables. Ils font appel à la responsabilité des compagnies pharmaceutiques, mais « la responsabilité de ces compagnies est envers leurs actionnaires, par envers la population québécoise », note Auchinleck.

La pilule crée l’emploi

Il existe un mythe tenace stipulant qu’il vaut mieux aider les compagnies pharmaceutiques, malgré leurs prix élevés, parce qu’elles sont créatrices d’emploi.

Une telle affirmation ne tient pas la route. Selon Statistique Canada, il y avait, en 1979, 17 635 employés dans l’industrie pharmaceutique au pays, et 20 360 en 1997. Considérant la croissance de la population, il y avait donc 7,3 employés dans les compagnies pharmaceutiques pour dix mille habitants en 1979 et 6,8 en 1997, une diminution !

Mais d’autres continuent de voir tout cela comme une guerre de clochers. « Moi, je n’oublie pas, quand j’analyse ce dossier-là, que M. Rock est un ministre de Toronto, a déclaré le bloquiste Réal Ménard, et qu’il subit des pressions très fortes de la part de l’industrie du médicament générique. » Pour le Bloc Québécois, il suffirait de continuer à aider les compagnies pharmaceutiques, parce qu’elles sont à Montréal. Pourtant, ce sont des multinationales comme les autres et leurs profits ne sont pas redistribués à la collectivité. Paris, Hong Kong, New York, Montréal, c’est du pareil au même pour elles !

Vaut-il mieux payer des milliards pour quelques emplois à Montréal, ou ne ferions-nous pas mieux d’aider à réduire le prix des médicaments tout en créant un secteur national de production de génériques ?

Montmarquette n’est pas prêt d’être générique

Le gouvernement du Québec, cependant, ne semble pas s’enligner dans cette voie. En mettant Montmarquette à la tête du comité et en donnant des commandes claires à celui-ci, on s’assure qu’on ne touchera pas aux privilèges des géants du médicament en instaurant un régime d’assurance-médicaments universel et public favorisant les génériques.

Un brevet est un brevet... est un brevet... est un brevet...

Avec la présente loi sur les brevets, il est possible pour une compagnie pharmaceutique de modifier une composante mineure d’un médicament afin d’obtenir un nouveau brevet après les premiers vingt ans ! Ainsi, la Patented Medicine Prices Review a étudié 577 nouveaux médicaments qui ont été mis sur le marché au Canada entre 1991 et 1997 pour découvrir que seulement 8,7 % représentaient une amélioration substantielle sur les thérapies existantes.

Universel comme dans « obligatoire »

Plusieurs personnes ont parfois l’impression que notre régime actuel est universel. Dans les faits, tout le monde est obligé d’avoir une couverture s’assurance-médicaments, publique ou privée, mais le poids est surtout supporté par le public. En effet, toute personne ayant accès à un régime privé (à son travail) doit obligatoirement s’y inscrire de même que sa famille immédiate, tandis que tous les autres, y compris des personnes âgées, des chômeurs, souvent des gens en moins bonne santé, se retrouvent dans le réseau public.

« Le gouvernement a coopté le mot universel, mais l’utilise pour décrire la privatisation », explique Jennifer Auchinleck. « Pour nous, un système universel et public veut dire que tout le monde fait partie d’un seul régime public d’assurance-médicaments. »

La Coalition sur l’assurance-médicaments propose donc un régime semblable à l’assurance-maladie, mais sans franchise ou co-assurance à la pharmacie, entièrement payé à même les impôts et avec une gratuité totale pour les personnes à faible revenu.|204| 
189|Une île, deux villes|Pierre Dubuc|

Défaite pour les nationalistes et les social-démocrates



Le résultat des élections municipales à Montréal confirme nos analyses sur le recul considérable que représente le projet « Une île, une ville » pour les nationalistes et les social-démocrates montréalais

Une première analyse démontre que la répartition géographique du vote entre l’ouest et l’est recoupe essentiellement la carte du vote lors des élections provinciales ou du dernier référendum. L’ouest anglophone a voté massivement pour l’ancien ministre libéral Gérald Tremblay, alors que l’est francophone a donné majoritairement ses suffrages à Pierre Bourque. Le vote anglophone a toutes les allures d’un vote ethnique, alors que le vote francophone est mieux réparti entre les différents candidats.

Les anglophones gagnent sur les deux tableaux

Certains analystes diront que le phénomène est particulier à cette élection, les banlieues ayant voté contre la fusion. Il est cependant peu probable d’assister à une défusion, les anglophones comprenant rapidement comment ils peuvent tirer profit de la situation.

D’une part, ils feront pression pour que des amendements soient apportés à la loi afin d’obtenir plus de pouvoirs pour leurs arrondissement dans le but de récupérer, autant que faire se peut, les privilèges tant fiscaux que linguistiques de leur ancienne municipalité à l’intérieur de la nouvelle ville.

D’autre part, ils se rendront compte qu’ils n’ont qu’à continuer à voter en bloc pour les mêmes candidats, comme ils le font à chaque élection provinciale, pour s’assurer le contrôle de l’ensemble de la nouvelle ville de Montréal. Déjà on voyait, dès le lendemain de l’élection, un Robert Libman, farouche partisan de la défusion avant l’élection, se dire maintenant prêt à travailler au succès de la nouvelle ville !

Si les anglophones conservent leurs habitudes de vote ethnique, leur domination sur la politique montréalaise est à jamais assurée, les prévisions démographiques prévoyant que la population de l’île sera majoritairement anglophone dans quelques années à cause des transferts linguistiques en faveur de l’anglais.

On peut déjà parier que les anglophones vont rapidement exiger un statut bilingue pour la nouvelle ville de Montréal. D’ailleurs, on aura remarqué que la publicité pour l’équipe de Gérald Tremblay était le plus souvent bilingue.

Un retour pour Lulu ?

Comme nous l’avons également écrit dans nos pages, un autre objectif de la fusion était de préparer le terrain à la privatisation des infrastructures. Déjà, au cours de la campagne, on a commencé à parler de privatiser les réseaux d’aqueduc. Le nouveau maire, proche des milieux d’affaires, devrait procéder rapidement dans ce domaine.

Et il ne serait pas surprenant de revoir, en tant qu’avocat et agent négociateur des entreprises intéressées à mettre la main sur les infrastructures municipales, nul autre que l’architecte du projet « Une île, une ville » qui a récemment représenté le Québec à une conférence sur les grandes villes d’Amérique du Nord 0 Lucien Bouchard !

Espérons que les nationalistes et les social-démocrates réaliseront rapidement l’ampleur de leur cécité politique qui les a amenés à appuyer – ou tout au moins à ne pas combattre – le projet « Une île, une ville » et qu’ils s’empresseront de proposer le seul moyen de briser le modèle linguistique et d’introduire une plus grande démocratie sur l’île de Montréal 0 le scrutin proportionnel.|204| 
190|La lutte des « classes »|Colette Provost |*

Écoles privées ou publiques ?



Avec la vogue des « palmarès » de classement des écoles, l’inquiétude règne dans le monde de l’éducation. Beaucoup d’enseignants se sentent dévalorisés s’ils travaillent dans des milieux mal cotés, certains parents se questionnent sur leur droit moral d’envoyer leurs enfants à l’école publique du quartier, tel directeur se demande s’il ne devrait pas sélectionner des élèves pour hausser les notes de son institution, des élus prétendent nécessaire de concurrencer le système privé sur son propre terrain, en ouvrant davantage d’écoles à vocation particulière, de voies enrichies, de projets sélectifs pour les élèves dits « doués ».

Les parents à l’aise peuvent financer des études privées pour leurs enfants, certains cependant se saignent à blanc, et les autres veulent à bon droit que le système public offre les mêmes services 0 la Commission scolaire de Montréal s’est donc lancée dans une vaste consultation sur les écoles à vocation particulière. Car la création de projets sélectifs ne règle pas nécessairement le problème de la concurrence avec l’entrepreneuriat scolaire. Et des questions se posent 0 l’école à vocation particulière est-elle vraiment meilleure pour l’enfant et pour l’ensemble de la société ?

La sélection et la compétition

Présentement, les écoles à vocation particulière sélectionnent les élèves à partir de leur « excellence » dans les matières de base, c’est-à-dire en français et en mathématiques. Ces enfants se retrouvent ensuite avec les autres du même calibre à étudier la musique, ou les langues, ou les sports... Leur domaine de compétence est par le fait même sous-exploité et on leur demande d’en développer un autre; ce n’est pas évident pour tous. Leurs possibilités premières risquent de ne pas se développer au maximum. Avec des heures de cours réduites dans les matières de base, ce qui paraissait un investissement peut, après analyse, se comptabiliser comme une perte.

Les jeunes sélectionnés n’ont pas non plus l’opportunité de découvrir les richesses secrètes de leurs camarades moins « bolés », qui, dans la vie adulte, les déclasseront peut-être par leurs habiletés intuitives ou sociales. Au niveau de la sociabilisation, les enfants qui fréquentent les écoles à vocation particulière sont coupés du milieu des écoles de quartier et peuvent s’illusionner sur leurs capacités réelles, surtout si la famille les y encourage. Quand ils arrivent au niveau cégep, ils décrochent autant que les autres.

Un enfant doué, c’est une richesse pour l’école de quartier. Avec la pédagogie de la coopération maintenant appliquée à l’école publique, ceux qui comprennent vite peuvent expliquer aux autres. Plus studieux, plus calmes ou mieux encadrés à la maison, ils changent l’atmosphère d’une classe. Les enseignants se sentent encouragés et voient plus de résultats concrets à leurs efforts quotidiens.

Bien sûr, beaucoup d’enfants de haut calibre intellectuel restent aussi dans les écoles de quartier, parce que leurs parents en font le choix ou qu’ils sont ignorés par le système, tel le petit Einstein jugé peu brillant dans sa jeunesse. Mais quand un excellent élève s’en va, le milieu se retrouve avec une charge de travail plus lourde et la moyenne des notes de l’école de quartier baisse; les autres parents consultent le palmarès, constatent un résultat à la baisse pour cette école et sont donc moins portés à y inscrire leur enfant, surtout s’ils le croient doué. C’est là un phénomène qui favorise le privé.

La motivation et l’encouragement

En toute logique, une commission scolaire qui ouvre une école à vocation particulière provoque la baisse de moyenne des notes des «écoles-sources » et encourage donc du même fait le passage d’élèves à l’école privée.

Les enseignants des «voies enrichies » du système public consacrent beaucoup d’énergie à leur travail. Souvent spécialisés, ils pourraient contribuer à la relance de certaines écoles de quartier si on les y affectait. De plus, les parents donnent aussi beaucoup de leur temps aux écoles alternatives; que serait-ce s’ils partageaient leur expertise parfois impressionnante avec l’école du quartier ? Il n’y a pas que la sélection et la compétition qui puissent faire évoluer un enfant 0 la motivation et l’encouragement aussi.

Le système public doit être protégé et ce n’est pas en créant des voies sélectives que nous pouvons l’aider, mais plutôt en améliorant l’ensemble des écoles. L’actuelle réforme de l’éducation vise à implanter une pédagogie de la différenciation, répondant aux besoins spécifiques de chacun des élèves. Si on donne un meilleur enseignement dans une école à vocation particulière, pourquoi serait-il réservé aux plus talentueux ? Le système public ne devrait pas offrir plus aux mieux nantis. Les écoles de quartier développent d’ailleurs aussi des projets non sélectifs, en arts, technologie, langues ou sciences.

La réussite des bananes, c’est l’échec des pommes

Si le ministre de l’Éducation voulait vraiment favoriser l’école publique, il trouverait des fonds. À partir du financement du système privé, par exemple. Bien plus que les « plans de réussite », la redistribution des subventions du privé vers le public donnerait de l’air à nos écoles et de la confiance en notre système d’éducation. Mais le ministre préfère la compétition entre institutions collectives, stimulée par la publication de palmarès qui poussent les parents à retirer les enfants des écoles de quartier.

Les écoles à vocation particulière, loin d’être le dernier rempart contre la privatisation, pavent au contraire le chemin qui y mène. Elles n’assurent ni la réussite des enfants ni la qualité des écoles de quartier, auxquelles elles soutirent plutôt des ressources enseignantes, financières et sociales.

*Commissaire de Rosemont-Sud

Membre de la Commission pédagogique

Commission scolaire de Montréal|204| 
191|Le Palmarès des écoles de L’actualité|Pierre Dubuc|Pour une deuxième année consécutive, le magazine L’actualité publie le palmarès des 463 écoles privées et publiques établi par l’Institut économique de Montréal, le clone québécois du Fraser Institute canadien, un centre de recherche néolibéral.

Publié au moment où les parents doivent inscrire leurs enfants à l’école pour la session d’automne, le palmarès est un pur outil de propagande pour l’école privée. Sur les 50 premières écoles du palmarès, 45 sont des écoles privées.

Le ministre Legault critique le palmarès en disant qu’on compare « des pommes avec des bananes », mais s’empresse d’utiliser sa publication pour justifier le palmarès qu’il est en train de concocter à partir des plans de réussite imposés aux écoles.

Dans les milieux de l’enseignement, plusieurs dénoncent l’encouragement à la privatisation que suscite le palmarès de l’actualité. Mais, en fait, le palmarès fait plutôt ressortir l’ampleur de la privatisation de notre système. Les écoles privées ne sont pas une vague perspective; elles existent et prolifèrent.

Plus de 30 % des élèves de niveau secondaire de la région de Montréal fréquentent des écoles privées. Ces écoles privées sont subventionnés de 65 % à 85 % à même les fonds publics.

Les ravages du système privé sur le système public dépassent ces données quantitatives. Dans l’article ci-contre, la commissaire Colette Provost de la CSDM en montre les effets pernicieux sur le système public.

À quand une véritable campagne pour mettre fin au financement public des écoles privées ?|204| 
192|Finis les congés d’équité|Pierre Dubuc|

Les enseignantes réclament leur dû



Manifestation de 12 000 personnes à Québec, congés de devoirs et de leçons, boycott des bulletins et des rencontres avec les parents, journées d’étude. Les profs sont sur un pied de guerre pour faire reconnaître leur droit à l’équité salariale.

La Charte des droits et libertés du Québec adoptée en 1976 reconnaît solennellement le principe de l’équité salariale. « À travail équivalent, salaire égal », affirme la Charte, complétant, cent ans plus tard, le vieux principe « à travail égal, salaire égal » qui se trouvait contourné sur le marché du travail parce que les femmes n’occupent pas les mêmes emplois que les hommes. Qu’il suffise de mentionner que le salaire moyen des femmes ne représente toujours que 60 à 70 % de celui des hommes, bien que leur participation au marché du travail soit passée, de 1976 à aujourd’hui, de 46 % à plus de 72 %.

Mais la Charte est demeurée quasiment inopérante parce qu’elle faisait porter le fardeau de la preuve de la discrimination sur la plaignante. La loi sur l’équité salariale, adoptée par le gouvernement du Parti québécois en 1996 pour donner suite à une promesse arrachée par la Marche des femmes Du pain et des roses de 1994, transfère le fardeau de la preuve sur les épaules de l’employeur. À lui de prouver le 21 novembre prochain qu’il n’y a pas de discrimination ou de démontrer comment il entend corriger la situation.

Tous les employeurs, y compris le gouvernement du Québec, sont concernés, sauf les entreprises de moins de 10 employés. Ce qui exclut tout de même 25 % des femmes au travail.

Tous les moyens sont bons pour contourner la loi

Après avoir pendant plus de cent ans contourné le principe de « à travail égal, salaire égal », les employeurs cherchent aujourd’hui comment ne pas respecter l’esprit de la loi sur l’équité salariale. Cela est également vrai du gouvernement dans le cas des enseignantes et des enseignants.

Après avoir reconnu que l’enseignement était un emploi à prédominance féminine qui nécessitait un correctif salarial, le gouvernement tergiverse. D’abord, il cherche à fractionner la profession en différents niveaux en prétendant que l’enseignement au secondaire ne serait pas à prédominance féminine.

Ensuite, il ne s’entend pas avec la CSQ sur l’emploi à prédominance masculine auquel devrait être comparée la profession enseignante. Enfin, il essaie de grignoter des sous en affirmant que les enseignantes ne travaillent que 35heures par semaine plutôt que 40 heures, ce qui contredit toutes les études menées jusqu’ici par le gouvernement lui-même !

L’équité, c’est la fin du mépris

Les enseignantes ont l’impression qu’on les méprise et il n’y a rien de plus mobilisateur que d’avoir l’impression de faire l’objet de mépris. Cela explique qu’il y avait plus de 12 000 personnes à Québec et que les assemblées générales, très courues, ont adopté à de fortes majorités les moyens d’action proposés par la Fédération des syndicats de l’enseignement de la CSQ. Les jeunes enseignantes sont particulièrement motivées. Elles saisissent bien l’importance de l’enjeu en cours 0 l’établissement des échelles salariales pour plusieurs années à venir.

La classe problème des patrons

La lutte des enseignantes et des enseignants de la CSQ devrait stimuler tous les autres groupes de travailleuses. D’autant plus que les patrons se sont évidemment traînés les pieds et que plusieurs d’entre eux ne seront pas prêts le 21 novembre. Il n’y a rien pour les pousser à plus de célérité. Les pressions du Conseil du patronat, lors de son adoption, ont fait en sorte que la loi n’a pas de dents. Restent les moyens de pression des femmes dont la lutte des enseignantes nous donne l’exemple.|204| 
193|On ferme les programmes avant de fermer la boîte|Gabriel Sainte-Marie|

L’asphyxie des cégeps des régions



Le ministère de l’Éducation a changé le mode de financement des cégeps. Cette réforme entraînera de nombreuses fermetures de programmes. Bien entendu, les premières victimes seront les régions éloignées.

Contre cet affront, une coalition est née. Elle regroupe 21 syndicats de professeurs, membres de trois syndicats 0 la FAC, la FEC et la FNEEQ. Alain Dion est leur coordonnateur. Il est aussi le coordonnateur du syndicat des enseignantes et enseignants du cégep de Rimouski.

Au printemps dernier, la coalition dénonçait le fait qu’on soit passé d’un mode de financement selon le nombre de groupe cours à un mode par nombre d’élèves. Depuis cet automne, il y a du nouveau. Alain Dion nous explique que « le ministère a établi sept critères de financement des cégeps, dont au moins trois posent problème ».

Soixante volontaires pour sauver un programme

Le critère potentiel de recrutement exige qu’il y ait 60 étudiants répartis sur trois ans pour justifier un programme. Selon Alain Dion, « appliquer ce critère signifie fermer sept ou huit programmes juste au cégep de Rimouski ». Par exemple, chimie analytique pourrait ne plus se donner.

L’adéquation formation-emploi pose également problème. «Si aucun emploi dans la région n’a de lien avec le programme, poursuit Dion, on le ferme. C’est ce qui risque d’arriver avec le programme de technique des médias au cégep de Jonquière. » Évidemment, le développement des régions s’en trouve altéré.

Le gouvernement mise aussi sur la complémentarité des cégeps. Dion en démontre l’absurdité 0 « À Montréal, les cégeps sont assez rapprochés. Un programme pourrait donc se donner dans un seul cégep. Mais pour l’est du Québec, ça n’a aucun sens. » Il explique que « si on ferme un programme à Rimouski pour le donner à Rivière-du-Loup, il est peu probable que l’étudiant choisisse d’y déménager. Il optera plutôt pour Montréal ou Québec. Ou bien il changera de programme ou abandonnera ses études ».

Le cœur culturel condamné à l’arythmie

« Le rôle des cégeps régionaux ne saurait être sous-estimé. En plus d’assurer la formation post-secondaire, les cégeps sont le cœur culturel de nos régions », rappelle Dion. Avant de fermer un programme, il faudrait au moins s’assurer que la mission des cégeps soit toujours respectée. Rappelons que les cégeps ont été créés afin de favoriser l’accès aux études supérieures pour le plus grand nombre de jeunes et d’adultes possible, et ce, partout au Québec.

« Le plus ridicule de cette histoire, c’est la complicité de Gaëtan Boucher, le président de la Fédération des cégeps, avec le ministère. »

Avant que la réforme n’ait causé trop de dommages, il est à espérer que la coalition de l’Est aura réussi à sensibiliser la population. Encore une fois, on remarque que la pensée à court terme du gouvernement coûte très cher à long terme.|204| 
194|Quelques brèves ou la nouvelle guerre de l’Amérique n’empêche pas les vieilles conneries|François Parenteau|Les sondages démontrent que l'appui à la souveraineté est à son plus bas depuis le référendum de 1980 et que, présentement, plus de 60 % des Québécois trouvent rassurant d'être aussi Canadiens. Si on additionne à ces chiffres le fait qu'en plus, depuis le 11 septembre, nous sommes tous américains, qu'on soustrait le nombre effarant de suicides, René-Daniel Dubois qui ne se sent plus Québécois du tout et tous les citoyens anti-fusions de l'Ouest de l'île qui, en plus, ne veulent même pas être Montréalais… On obtient que, si la tendance se maintient, le Québécois aura complètement disparu d'ici 2038.

Afin de contrer l'alcool au volant, le ministrrrre des trrransporrrts, Guy Chevrrrrette, a invité récemment les Québécois à la délation. Il semblerait qu'à la suite des derniers sondages montrant le peu d'appui à la souveraineté suite aux attentats terroristes, un membre très haut placé du gouvernement péquiste ait eu cette idée en se disant que comme les Québécois étaient des poltrons et des lâcheurs, ils n'auraient aucune difficulté à être des «stools» en plus… Pis je sais c'est qui…

Bernard Landry, de passage à Paris, a notamment signé une entente de collaboration policière avec le gouvernement français qui enverra des agents de la Sûreté du Québec en France. Les policiers français ne devraient pas avoir trop de difficultés à comprendre les poulets québécois 0 après Céline Dion, Julie Snyder, Stéphane Rousseau et Natasha St-Pier, ils sont déjà habitués à nos dindes.

Quant à lui, Jean Charest a enfin présenté la position constitutionnelle du Parti libéral du Québec 0 couché.

Le gouvernement du Québec et les Cris du Nunavut, représentés par Bernard Landry et Ted Moses, ont signé récemment une entente historique. Le gouvernement du Québec s'engage à inclure les autochtones dans ses projets de développement en plus d'allonger d'importantes sommes d'argent en retour de quoi les Cris abandonnent leurs poursuites et acceptent un projet de barrage hydro-électrique. Ainsi, le mode de vie traditionnel des deux nations sera protégé 0 les autochtones continueront d'être dépendants de l'aide gouvernementale et Québec continuera de se foutre de l'environnement pour faire la piasse.

Par ailleurs, le président d'Hydro-Québec, André Caillé, semble faire amorcer à la société d'État un virage non pas vers des énergies plus vertes comme l'énergie éolienne mais bien vers les centrales thermiques ! Caillé dit privilégier le rendement avant tout et quand on tient compte du prix d'achat des Indiens dans la production d'énergie, le pétrole redevient très concurrentiel.

Gérald Tremblay est pour les fusions sur l'Île de Montréal mais ne s'opposera pas à un mouvement de défusions… Il a dénoncé Pierre Bourque pour être à genoux devant n'importe quel promoteur alors que lui ne jure que par les grappes indusrielles. Il a aussi accusé Bourque d'avoir donné un toit aux squatters avant de le critiquer pour les avoir ensuite mis à la rue… En voilà un qui, pour participer à une assemblée contradictoire, n'a même pas besoin d'un adversaire.

Afin de vulgariser et de dédramatiser la guerre menée en Afghanistan par les États-Unis et leurs alliés pour assurer la sécurité de l'Occident, Radio-Canada serait à concocter une série télé sur le sujet. Le titre en serait «L'OTAN d'une paix ».

Les compagnies d'assurances ont été durement touchées par les attentats du World Trade Center et du Pentagone et font valoir qu'elles ne devraient presque rien rembourser. En effet, selon elles, des actes terroristes commis au nom d'Allah devraient être considérés comme des « Act of God».

Enfin, une petite réflexion 0 avant le 11 septembre, George W. Bush était loin d'être adulé par plus de la moitié des Américains parce qu'il représentait à leurs yeux la bigoterie religieuse, le culte des armes à feu et des grosses dépenses militaires en plus d'avoir des liens trop étroits avec l'industrie pétrolière et d'être un imbécile. Depuis le 11 septembre aux États-Unis, on n'a jamais autant invoqué Dieu, tout le monde s'achète un gun, le budget de la défense a été mutliplié, tout ça à cause d'un milliardaire saoudien caché au Moyen-Orient, et George Bush est un héros…

C'est pour ça qu'il faut réussir à éradiquer le terrorisme. Ça a vraiment des effets dévastateurs…

Texte lu à l’émission Samedi et rien d’autre, 1ère chaîne de Radio-Canada, le 3 novembre 2001.|204| 
195|Des appuis de taille au projet « Un jour férié en mémoire des Patriotes de 1837-1838 »|Club souverain de l'Estrie|Depuis plusieurs mois, des organisations nationalistes font campagne en faveur d’un jour férié pour les Patriotes de 1837-1838. Vous pouvez ajouter votre nom à la liste qui appuie la déclaration qui suit en faisant parvenir vos coordonnées au Club souverain de l’Estrie, 71, rue Clément, St-Élie d’Orford, J0B 2S0 ou par courriel au 0 clegirou@abacom.com

Nous saluons avec fierté le projet d’un jour férié en mémoire des Patriotes de 1837-1838. L’histoire, au même titre que la langue, caractérise les peuples.

Le peuple québécois ne peut faire l’économie des moments forts qui ont marqué son histoire. Pour mieux comprendre le sens de nos luttes politiques constantes, le soulèvement des Patriotes est un repère essentiel pour les jeunes générations. Et pour les immigrants. L’intégration de ces derniers à notre avenir commande qu’on situe les aspirations actuelles du Québec dans leur trame historique. Un jour férié pour commémorer les événements de 1837-1838 fera œuvre pédagogique.

En soulignant le courage et la détermination des Patriotes, ce jour férié permettra de prendre conscience de notre généreuse histoire et de remédier à une certaine amnésie collective. Il réhabilitera ces milliers des nôtres trop longtemps qualifiés de hors-la-loi. Au prix de leur vie, les Patriotes se sont inscrits dans le mouvement de libération des peuples dominés et assaillis par de nombreuses injustices socio-politiques et coloniales. La fidélité totale à leurs idéaux appelle respect et gratitude. Elle mérite qu’on s’y arrête un jour par année.

Nos Patriotes « ont lutté pour la reconnaissance nationale de notre peuple, pour sa liberté politique et pour l’obtention d’un système de gouvernement démocratique » (extrait du décret adopté sous le gouvernement de René Lévesque le 6 juin 1982). Nous accueillons avec enthousiasme le projet de célébrer dignement ces gens qui ont recherché ces valeurs civiques dont sont encore privés plusieurs peuples. Le rappel d’un tel apport à notre histoire actualisera notre devise Je me souviens.

Comme écrivains, artistes, historiens ou bâtisseurs du Québec moderne, nous savons que notre langue représente le souffle de notre vie culturelle. Mais l’histoire en constitue les racines.

Par égard à notre histoire et pour éclairer le chemin de notre avenir collectif, nous réclamons que le gouvernement du Québec instaure un jour férié en mémoire des Patriotes de 1837-1838.

Yves Beauchemin, Paul Piché, Gilles Archambault, Gilles Laporte, Marie-Claire Blais, Pierre de Bellefeuille, Pierre Godin, Robert Lalonde, Raoul Duguay, Micheline Lachance, Serge Mongeau, Francine Ouellette, Raymond Lévesque, Paul-Émile Roy, Henri Tranquille, Jacques Proulx, Suzanne Barrette, Gilles Proulx, Michel Côté, Jean-Marie Dubois, Michel Chartrand, Pierre Falardeau, Denis Vaugeois, Renée Claude, Jean-Claude Germain, Julien Poulin, Sophie Prégent, Guy Richer, Luc Guay, Gilles Ouimet.|204| 
196|L'affaire Sunera Thobani|Élaine Audet|Le 1er octobre dernier, lors d'une assemblée à Ottawa sur les agressions sexuelles, Sunera Thobani, professeure en études féministes à l'université de Colombie-Britannique et ancienne présidente du Comité d'action national canadien sur le statut des femmes (NAC), a suscité une véritable levée de boucliers de la part des médias de masse, d'un océan à l'autre, pour avoir appelé l'auditoire à résister à la logique de guerre et de vengeance initiée par le gouvernement des États-Unis.

Lysiane Gagnon a pris les devants en qualifiant d'« ignoble diatribe antiaméricaine » et de « délire verbal » l'affirmation de Thobani selon laquelle la politique étrangère des États-Unis « baigne dans le sang». Dans le ROC (Rest of Canada), on l'a traitée d'« idiote », de « stupide comme ses propos », en dénonçant ses « commentaires haineux », les « liens communistes du NAC », etc. Le Devoir, sous la plume d'Antoine Robitaille, s'est empressé de transmettre cette flambée de sexisme et de racisme contre madame Thobani, qui a le grand tort d'être féministe et originaire de Tanzanie.

J'ai lu son discours ainsi que sa réponse quelques jours plus tard aux dénonciations des membres du cabinet fédéral, du premier ministre de l'Ontario et des médias qui l'accusent tout simplement de soutenir le terrorisme, de miner le soutien envers nos alliés américains et réclament sa démission de l'université pendant qu'une plainte aurait été déposée contre elle pour incitation à la haine. On va même jusqu'à lui reprocher les subventions et les postes universitaires dont elle a bénéficiés aux frais des contribuables. On voit que la bêtise et la mesquinerie n'ont pas de fond.

Une attitude courageuse

Je voudrais pouvoir citer ici tous les propos de Sunera Thobani qui fait preuve d'une grande lucidité et ne craint pas de dire avec franchise et passion ce qu'elle pense. Face à la campagne d'intimidation déclenchée contre elle, sa détermination de lutter pour la justice et la paix dans le monde est restée intacte. Dans sa réplique à ses détracteurs, elle se définit dans la tradition académique radicale et engagée politiquement. « J'ai toujours rejeté », dit-elle, « l'élitisme académique qui insiste pour que les universitaires restent au-dessus de la mêlée et de l'action politique, en utilisant un langage abstrait, objectif et une attitude professorale conventionnelle, dénuée de toute passion, afin de prouver leur crédibilité intellectuelle. » Pour elle, il s'est toujours agi d'autre chose, son travail étant enraciné dans les politiques, les pratiques et la parole des divers groupes communautaires en faveur de la justice sociale.

Ses propos sur la politique étrangère des USA

Non seulement, elle ne retire pas ses critiques de la politique étrangère américaine qui lui ont valu d'être accusée de complicité avec les terroristes, mais elle réitère l'urgence d'une analyse en profondeur des causes d'un tel massacre. Pour elle, le meilleur moyen d'en finir avec le terrorisme et l'obscurantisme de l'intégrisme religieux consiste non pas à s'en prendre aux populations civiles de ces pays, déjà affectées par la famine et des conditions climatiques désastreuses, mais de reconnaître la nécessité de corriger les injustices sociales et l'écart scandaleux qui ne fait que s'élargir entre les pays du nord et ceux du sud, et de prendre immédiatement les moyens d'imposer une solution équitable du problème palestinien. Bref, elle ne fait que redire ce que, du professeur Aktouf à Françoise David en passant par Susan Sontag, on a pu lire dans les journaux d'ici et d'Europe, sans que les auteurEs ne soient accuséEs pour autant de crime haineux.

Attaques contre le mouvement des femmes

Il est clair qu'une intellectuelle comme Sunera Thobani n'est ni pour la djihad ni pour les GI et les frappes en Afghanistan et ailleurs. En s'attaquant à une féministe connue, de couleur par surcroît, on a voulu surtout s'attaquer au mouvement des femmes qui, partout, a pris l'initiative de dénoncer le terrorisme, l'intégrisme, l'hystérie guerrière, le racisme et la logique binaire de Bush. D'ailleurs, le titre de l'article d'Antoine Robitaille est éloquent à cet égard 0 « Du féminisme antiaméricain après le 11 septembre ». Pourtant, qui peut nier que les États-Unis aient encouragé l'action de Ben Laden, des taliban et de tous les mouvements intégristes dans le monde, de l'Algérie au Pakistan, et donné leur appui aux monarchies pétrolières les plus corrompues, soit, à l'époque, pour contrecarrer l'influence de l'Union soviétique ou, maintenant, pour déstabiliser les impérialismes rivaux.

Prétendre que la gauche et les féministes sont complices avec les terroristes ou font preuve d'antiaméricanisme primaire, « ce beau prétexte pour ne rien dire, ne rien dénoncer » comme le dit si bien Françoise David, vise à étouffer toute réflexion collective pour ne laisser place qu'au seul instinct de vengeance. On utilise cette accusation comme, il y a quelques années, on traitait à tort et à travers de « politiquement correcte » toute dénonciation de l'injustice sociale. Cette nouvelle chasse aux sorcières permet ainsi de proclamer des lois répressives sans précédent et d'instaurer la militarisation mur à mur du nouvel ordre mondial.

Pour avoir une idée des abus que cette loi des mesures de guerre renforcée, dite C-36, pourrait entraîner, il nous suffit de constater que, dans le cadre des enquêtes sur les attentats du 11 septembre, les États-Unis détiendraient encore incommunicado environ 700 personnes, sans accusations ni procès en vue. En outre, une telle loi pourrait autoriser l'interdiction de toute manifestation antimondialisation ou de mettre en arrestation préventive ceux et celles qui les organiseraient et y participeraient. La dénonciation de cet état de fait ou l'accession démocratique du Québec à l'indépendance ne seraient-elles pas aussi considérées comme subversives ? Qui n'est pas avec moi est contre moi, n'est-ce pas ?|204| 
197|Une guerre mondiale médiatiquement assistée|Élaine Audet|

Femmes et médias



Les attentats du 11 septembre ont permis encore une fois de constater l’écart énorme entre les hommes et les femmes dans les médias. L’analyse du contenu des médias durant la crise montre qu’il n’y a pas vraiment de différence d’opinion selon l’âge ou les options politiques traditionnelles, mais un décalage important entre les hommes et les femmes quant à leur appui à la guerre et à leur présence dans les médias pour commenter les événements.

Une crise d’envergure comme celle que nous vivons présentement révèle que la majorité des reportages et des opinions exprimées le sont par des hommes. Il en résulte que ce sont presque exclusivement des hommes qui dominent les débats en ce moment et qui influencent notre perception des événements et de la riposte à privilégier.

Une affaire d’hommes

Tout se passe comme s’il s’agissait d’une affaire d’hommes, initiée par eux et qui ne peut être correctement analysée et résolue que par eux. Toutefois, sans oublier de mettre en évidence, comme il se doit, leur femme alibi de service, Condoleeza Rice. Il aurait paru inconcevable, avant le 11 septembre, que les femmes, qui forment 50 % de la population, puissent être ainsi marginalisées, comme dans le bon vieux temps. Ceci tend à démontrer qu’en dépit des gains acquis ces dernières années pour ce qui est de l’équité avec leurs confrères dans les médias, elles peuvent être écartées à tout moment quand les maîtres du monde le jugent nécessaire.

Le commentateur d’un reportage sur les Afghanes s’étonnait qu’elles continuent à porter la burqa après avoir quitté leur pays. Comme si l’ordre promulgué par leurs pères, leurs maris, leurs frères allait disparaître par enchantement une fois les frontières franchies. Malheureusement, la marginalisation, l’exclusion et la violence envers les femmes ne connaissent pas de frontières. Le nouvel ordre mondial ne supporte ni la discordance ni les cris du cœur. Si la voix des femmes occupait la moitié de l’espace médiatique, on n’aurait sans doute pas l’impression d’une telle unanimité en faveur d’une riposte violente.

Le sexisme ordinaire dans les médias

Les femmes occupent cinq fois moins de place que les hommes dans la couverture médiatique mondiale, avec 18 % des personnes citées, et leur part n’a pratiquement pas progressé en cinq ans, selon une étude publiée par l’Association des femmes journalistes (AFJ) en France. Ce pourcentage était de 17 % en 1995. « À ce rythme, il faudra encore 160 ans pour atteindre 50 % dans la représentation et l’expression des femmes dans les médias », souligne l’AFJ. L’étude a été réalisée le 1erfévrier 2000 dans 70 pays selon la méthode Mediawatch consistant à décortiquer les principaux médias pendant une journée. On entend par personne citée toute personne présente à un titre ou à un autre dans les informations générales (interview, propos rapportés ou simple mention).

Dans une entrevue, les auteures de Dites-le avec des femmes (Éd. CFDT/AFJ, 1999), Virginie Barré, Sylvie Debras, Natacha Henry et Monique Tranquart, de l’Association des femmes journalistes, déclarent que « infantilisées, les femmes sont aussi très souvent invisibilisées 0 une sur trois est anonyme, contre un homme sur sept. Et dans un cas sur treize, les journalistes se contentent de citer leur prénom alors qu’ils ne prennent cette liberté que pour un homme sur cinquante ». C’est dans les agences de presse que les femmes sont plus nombreuses, sans doute, remarquent-elles, parce que la signature y est inconnue ! Sans nier que la situation des femmes dans les médias ait évolué, les auteures de cette minutieuse étude sur les différents aspects du sexisme dans les médias concluent cependant que nous assistons à une « féminisation sans féminisme ».

L’exception à la règle

La situation est différente sur Internet où beaucoup de femmes expriment leur opinion dans les listes de discussion telles NETFEMMES au Québec (netfemmes.cdeacf.ca) et SOS SEXISME en France (perso.club-internet.fr/sexisme). Et elles ont une totale visibilité sur les deux excellents sites féministes d’information CYBERSOLIDAIRES (cybersolidaires.cdeacf.ca) et LES PÉNÉLOPES (penelopes.org) que je vous recommande expressément. Il faut remercier les animatrices infatigables de ces sites et de ces réseaux, les Sharon Hackett, Maryse Rivard, Nicole Nepton, Michèle Dayras, Joëlle Palmieri et Dominique Foufelle, qui nous informent quotidiennement sur tous les aspects de la vie – politique, culturelle, sociale, économique – et nous permettent de prendre connaissance du point de vue diversifié d’un grand nombre de femmes sur les enjeux majeurs de notre époque.

Pour en savoir plus long sur l’activité grandissante des femmes dans les médias, il faut lire Femmes et médias à travers le monde/pour le changement social coordonné par Sharon Hackett qui vient de paraître en trois langues, anglais, espagnol et, en ce qui concerne le français, aux Éditions du remue-ménage en coédition avec WomenAction. Les auteures soulignent d’entrée de jeu que « les groupes de femmes qui travaillent dans les médias et le secteur des TIC (technologies de l’information et de la communication) savent que les médias de grande diffusion sont tout-puissants et asservis aux lois du marché, qu’ils servent à propager les opinions des sociétés patriarcales et restent en grande partie inaccessibles aux femmes ».

On y apprend les divers projets en chantier sur tous les continents visant à « rendre la technologie accessible aux femmes, particulièrement à celles qui sont depuis toujours défavorisées ». Le défi est de taille en Afrique, par exemple, où beaucoup de femmes ne savent pas lire et où personne ne les croit capables d’utiliser l’ordinateur. Pourtant, on a trouvé des solutions à ces problèmes 0 « Elles cliquent sur des illustrations (des visages, des services ou des projets) et écoutent une voix qui leur parle dans leur langue. »

Avec des programmes de formation aux nouvelles technologies, les réseaux, comme le Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine (CDEACF) au Québec, cherchent à construire des ponts entre les femmes et à s’opposer 0 à la réduction constante de l’espace que les médias leur accordent, à la perspective homme-femme, « définie par les hommes » qui infiltre la plupart des informations que nous transmettent les médias conventionnels, et à lutter contre les répercussions dévastatrices que la mondialisation a sur nos vies. Grâce à ces efforts concertés, dont le Québec est à l’avant-garde, la voix des femmes se fait entendre au niveau régional et international comme jamais auparavant.|204| 
198|Sommes-nous tous des Américains ?|Nicolas Lefebvre Legault |*

Lettre ouverte à Mme Christiane Gagnon, députée bloquiste de Québec à la Chambre des communes



Madame,

Il aura fallu l'appel de Françoise David, dans Le Devoir du 19 octobre dernier, pour que je me décide à vous écrire. Il n'est pas dans mes habitudes d'écrire des lettres aux autorités, je ne crois que très peu aux vertus du lobbying, mais la situation est grave et je m'en voudrais de ne pas vous rappeler vos responsabilités.

Madame, vous siégez à une Chambre qui cautionne le bombardement de populations civiles innocentes – elles sont toujours innocentes –, au nom d'une guerre floue entre « le bien et le mal » contre un ennemi invisible et inconnu. À une Chambre qui foule au pied les libertés fondamentales et s'apprête à donner des pouvoirs exorbitants aux corps policiers sous prétexte de « lutte contre le terrorisme ».

Madame, si vous avez effectivement les idées que vous dites avoir, il est urgent de vous désolidariser de cette Chambre et de dénoncer la participation du Canada, même minime, à l'actuel «effort de guerre ». Des millions de personnes, tant au Québec qu'en Afghanistan, vous en seront reconnaissantes.

C'est la guerre, le « choc des civilisations » ! « Nous sommes tous Américains ! » «Combattons l'intégrisme et God Bless America ! » Que de cynisme... Je n'ai pas voix au chapitre quand « mon » pays en bombarde un autre, et les millions d'autres progressistes du Canada non plus.

Il ne me reste que la rue (où je vous ai d'ailleurs vue, dans une manifestation «contre la guerre et le racisme »). VOUS, par contre, avez voix au chapitre, en tant que députée. Bien sûr, ce n'est pas une voix bien forte et elle ne risque pas d'infléchir le cours des événements. Bien sûr, le gouvernement libéral fera à sa tête comme tous les gouvernements.

Mais vous avez le choix entre une Chambre unanime et solidaire du bombardement de populations innocentes, ou bien une Chambre où s'exprime la dissidence de la société.

Madame, votre courant politique glorifie toutes les instances où des Québécois et Québécoises ont manifesté des sentiments pacifistes et antimilitaristes et refusé de participer à des guerres coloniales. Vous avez aujourd'hui une occasion en or de réactualiser tout cela en vous opposant à une nouvelle guerre du même type. Car quand une coalition anglo-américaine bombarde un petit pays comme l'Afghanistan, c'est en effet de l'impérialisme et du colonialisme.

Vous connaissez comme moi les « bénéfices collatéraux » liés à cette guerre, par exemple ceux de la firme californienne Unlocal. Jusqu'à récemment, Unlocal était en contact avec le régime des taliban, mais n'a pas réussi à établir d'accord avec eux sur un projet de pipeline qui devait aller du Turkménistan à l'Inde, via – précisément – l'Afghanistan.

Ce pipeline aurait permis d'apporter du gaz et du pétrole au marché asiatique en pleine croissance, et aurait donné à Unlocal un rôle dominant. Le principal conseiller de la firme est nul autre que Alexander Haig, ancien ministre américain des Affaires étrangères. Comme dans toute guerre, nous pouvons nous attendre à ce que les actions militaires américaines appuient les intérêts économiques américains (dans le cas présent, de façon à installer un Afghanistan dominé par les États-Unis et un Pakistan stable et pro-américain).

Madame, vous défendez des idées de justice sociale – un peu de logement social, un peu plus d'assurance-emploi – et participez souvent à des activités du mouvement communautaire. J'espère que vous êtes consciente que la justice sociale ne naît jamais sous les bombes, surtout quand elles rasent un entrepôt de la Croix-Rouge par-ci, un quartier populaire par-là. Je me permets par ailleurs de vous rappeler que les «bombes intelligentes » lancées sur l'Afghanistan coûtent plus de 250 000 $US pièce.

La décence élémentaire exigerait que le gouvernement canadien ne s'associe pas à une si coûteuse entreprise de désolation. L'action actuelle du gouvernement canadien soutient des forces tout aussi répressives, autoritaires et patriarcales que les taliban. Pour savoir ce que les mouvements sociaux de là-bas pensent de l'Alliance du Nord, je ne peux que vous suggérer d'entrer en contact avec l'Association révolutionnaire des femmes afghanes (www.rawa.org).

Mais ce n'est pas tout. Dans la « guerre contre le terrorisme », le gouvernement canadien entend ouvrir un « front domestique » avec une loi antiterroriste. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, ne disait-on pas que la police avait toutes les armes nécessaires pour « mener la lutte » ? Pourquoi une nouvelle loi ? Et puis d'abord, c'est quoi le terrorisme ? On est en droit de le demander, compte tenu de la définition floue et extrêmement large qu'en donne la loi. Déjà que le SCRS, la police secrète canadienne, s'arrogeait le droit d'espionner l'aile radicale des mouvements sociaux sous couvert de lutte antiterroriste.

Qu'est-ce que ce sera demain ? En mars dernier, moi-même et deux autres militantes du Comité populaire avons reçu la visite du SCRS dans le cadre de la préparation du Sommet des Amériques. Nous militions dans une organisation qui avait pour but de « perturber le Sommet ». Vous rendez-vous compte qu'avec la nouvelle loi, le SCRS aurait pu nous boucler pour 72 heures en nous accusant de « terrorisme » ? Vous rendez-vous compte que l'Opération SalAMI, par exemple, serait aujourd'hui qualifiée de «terroriste » parce qu'elle utilise des moyens illégaux pour perturber sérieusement le fonctionnement de certaines institutions ? Je ne fabule pas, c'est déjà le cas en Angleterre où une organisation similaire, Reclaim The Street, est qualifiée de « terroriste ». Jusqu'où les libéraux de ce monde iront-ils pour faire taire la dissidence ?

Pour toutes ces raisons et bien d'autres, je vous demande de dénoncer la « guerre contre le terrorisme » qui est, comme toutes les guerres, une guerre contre les peuples. Il faut exiger que le Canada ne participe pas à cet effort de guerre, tant au pays qu'en Afghanistan. Vous me direz peut-être que vous n'y pouvez rien à cause de la discipline de parti. Si c'était le cas, sachez que vous ne feriez que me prouver, une fois de plus, que le parlementarisme et son système de partis ne vaut pas mieux, dans les faits, que les régimes autoritaires qu'il dit combattre, et qu'il est urgent, ici comme ailleurs, de se battre pour construire une démocratie authentique, une démocratie directe.

Bien à vous,

* Comité populaire Saint-Jean-Baptiste|204| 
199|Le grognement du bacon|Roméo Bouchard |*

Entre le porc et le film



c; L'intérêt exceptionnel que suscite l'Union paysanne en formation et le succès de foule que connaît présentement en région Bacon le film témoignent de cette prise de conscience collective qui rejoint les grands enjeux de la mondialisation et de la société civile.

Même si l'agriculture avait gardé jusqu'à récemment un caractère largement familial au Québec, le modèle industriel et productiviste y a fait des progrès rapides ces dernières années, plus particulièrement depuis les ententes de l'ALENA.

Cette agriculture d'affaires, axée sur les marchés d'exportation, soulève de sérieuses inquiétudes chez les citoyens ruraux qui en subissent les conséquences sociales et environnementales dans leur milieu, et chez les consommateurs, qui sont de plus en plus méfiants face à l'alimentation standardisée issue de cette agriculture.

Bacon, le porc

Le véritable sujet du film Bacon concerne précisément les effets pervers de ce modèle productiviste prédominant dans l'industrie porcine québécoise 0 la gestion liquide des fumiers et ses effets sur la contamination de l'eau et de l'air, la déforestation, la désertification et la destruction des paysages ruraux, la santé des animaux entassés en captivité et l'usage abusif qui s'en suit des médicaments et stimulants de croissance. On traite également de l'élimination des fermes familiales autonomes et du dépeuplement des campagnes, du mépris de la démocratie locale bâillonnée par les lois 23 et 184 pour laisser le champ libre à l'industrie.

Bacon, le film

Après une quinzaine de représentations à Chicoutimi, Québec et Montréal, le film fait présentement salle comble (entre 200 et 600 personnes par représentation) un peu partout à travers le Québec, lors de projections organisées par des groupes d'étudiants, de citoyens et de militants environnementaux. On estime que plus de 20 000 personnes auront assisté à ces projections interactives d'ici la présentation du film à Télé-Québec le 12 novembre, 20h.

Le jeune réalisateur Hugo Latulippe fait la tournée avec son film, qu'il a conçu comme un outil de sensibilisation et de mobilisation, généralement accompagné d'un représentant de l'Union paysanne, qui propose justement l'alternative à ce modèle industriel qui détruit le « pays ». Divers intervenants prennent part aux débats qui suivent les projections.

Bacon, la critique autorisée

Les grands absents sont les représentants de l'UPA et du gouvernement – en particulier des ministères de l'Agriculture et de l'Environnement – directement mis en cause par le film, et qui ont imposé le silence à leurs commettants. Lorsqu'ils se commettent, c'est souvent en envoyant des subalternes au bâton pour dénoncer le parti-pris du film et réaffirmer, à l'encontre des faits troublants rapportés dans le documentaire, que l'industrie porcine québécoise est sécuritaire, produit de la viande de qualité, a une excellente réputation dans le monde, obéit à des normes parmi les plus sévères au monde – avec comme résultat que toutes les régions centrales du Québec sont en surplus de phosphore ! – et rapporte beaucoup d'argent. Mais on ne dit pas à qui !

Bacon le produit

Les représentants de l'industrie refusent de reconnaître les dangers inhérents aux procédés et modèles industriels qu'ils utilisent et que les accomodements auxquels ils consentent ne remettent pas en cause le modèle et les volumes de production, en plus d'en imposer les coûts aux contribuables. C'est le cas notamment des projets de traitement des lisiers.

De plus, ils semblent ignorer les mesures de correction déjà engagées dans la plupart des pays européens 0 interdiction des hormones et antibiotiques comme stimulants de croissance; interdiction des OGM et des farines carnées; interdiction des cages abusives pour les truies, les veaux et les poulets; modulation dégressive des subventions agricoles en faveur des fermes à échelle humaine, qui pratiquent le pâturage des animaux, les élevages sur litière, la protection des cours d'eau, des sols et des payages, en en mot, les fermes qui respectent la multifonctionnalité de l'agriculture.

Bacon, l’industrie

Même les États-Unis reconnaissent que le mode de subvention actuel favorise la concentration et proposent de cesser toute subvention aux fermes dont les revenus dépassent 250 000 $, ce qui est sensiblement le seuil à partir duquel une ferme bascule dans le modèle industriel.

Bacon, le porcelet

Le film apporte ainsi de l'eau au moulin de la nouvelle Union paysanne qui compte déjà plusieurs centaines d'adhérents, producteurs, transformateurs, distributeurs et consommateurs, qui ont l'intention d'exiger un virage de l'agriculture vers une agriculture paysanne, axée sur la souveraineté alimentaire plutôt que sur l'exportation, sur le soutien aux producteurs diversifiés, à échelle humaine, respectueux de la nature des sols, des cultures et des animaux, qui occupent la campagne et préserve ses communautés.

Pour ce faire, la nouvelle union, incorporée selon la Loi des Syndicats professionnels, entend contester en temps et lieu le monopole syndical de l'Union des producteurs agricoles (UPA) et le monopole de ses quotas de production et de ses plans conjoints de mise en marché qui ne laissent plus de place pour les producteurs paysans, biologiques, marginaux, à temps partiel ou autres.

Bacon, le bécune

L'Union paysanne prend argument du fait que les deux gouvernements donnent chaque année un milliard de dollars aux agriculteurs du Québec (ce qui constitue en moyenne 50 % de leur revenu), pour exiger que les citoyens aient leur mot à dire sur le type d'agriculture et d'alimentation qui se fait. 12 % de gros producteurs industriels s'approprient près de 50 % de ces montants tandis que 22 % de petites fermes familiales se partagent 7 % du gâteau.

Les politiques agricoles sont un puissant levier pour influencer le type d'agriculture et de campagne qu'on veut. Au lieu de subventionner une poignée de gros intégrateurs qui vident et polluent les campagnes pour encaisser les revenus d'exportation, il faut soutenir ceux qui produisent une nourriture saine, diversifiée et personnalisée, et qui protège nos campagnes, nos rivières, notre eau potable, nos boisés, nos paysages, en un mot, les « paysans » qui nourrissent et font le « pays ».

L'Union paysanne a déjà réussi à porter le débat au niveau de tous les citoyens, urbains aussi bien que ruraux, et le retour des jeunes dans l'action est prometteur.

* Président de l'Union paysanne.

On peut rejoindre l'Union paysanne au (418) 492-7692. Site Web 0 www.unionpaysanne.com|204| 
200|Les compteurs d'eau reviennent à la surface|André Bouthillier|

Fusion des villes oblige



Si dans la nature l'eau est gratuite, l'eau potable, elle, ne l'est pas. La récente fusion des villes au Québec oblige les élus à normaliser un ensemble de politiques adoptées par les anciennes municipalités. Dans l'intérêt de qui trancheront-ils ?

L'idée de tarifer la consommation de l'eau n'est pas nouvelle et existe déjà dans plusieurs villes du Québec. Depuis 1996, le ministère des Affaires municipales incite les villes à tarifer l'ensemble des services municipaux aux citoyennes et citoyens. Ce sera plus équitable, écrit-on ! La tarification au compteur fera en sorte que les pauvres paieront le même prix que les riches pour leur eau, même si cela exige pour eux un plus grand effort financier, explique la documentation du ministère.

Par contre, l'analyse gouvernementale ne définit pas ce que sont les besoins essentiels, c'est-à-dire la quantité d'eau nécessaire à chaque individu, ni les tarifs devant être utilisés pour facturer les services. C'est donc le flou absolu.

Partager la richesse ou se décharger sur les plus démunis ?

L'idée même de tarification des services publics annihile toute idée de partage de la richesse. Devrait-on tarifer l'utilisation des rues selon la fréquence ou le poids des utilisateurs ? Les piétons ne paieraient que pour la réfection des trottoirs, les automobilistes pour les rues... mais qui paierait pour les ruelles ? Et ainsi de suite… Dès que l'on parle de besoins de base ou essentiels, la notion de l'utilisateur payeur est le plus inique des systèmes de taxation.

À moins d'être vendeur de compteurs, peu de personnes soutiennent l'idée d'installer des compteurs d'eau dans chacun des logements du Québec. Il faudrait alors imposer un tarif fixe à tous les logements. Est-ce juste de décréter un tarif unique applicable autant au locataire d'un petit meublé qu'au propriétaire d'un bungalow avec piscine ? Faudra-t-il encore une bataille rangée des groupes environnementaux pour s'assurer que l'eau, le service le plus essentiel à la vie, demeure accessible à tous ? Avec des politiciennes et des politiciens qui reculent devant toute idée de partage de la richesse, la tarification de l'eau devient un subterfuge, une augmentation déguisée de la taxation.

Le comité de transition de la nouvelle Ville de Montréal envisage d'imposer une taxe d'eau à tous les résidants de l'île pour garnir les coffres de la mégapole. Par contre, le candidat battu à la mairie Pierre Bourque ferme la porte à une taxe d'eau. « Notre priorité consiste plutôt à réparer notre réseau d'aqueduc… On ne reviendra certainement pas là-dessus. » De son côté Gérald Tremblay est pris avec des porte-parole qui se contredisent. Pour Richard Théorêt 0 « Je peux vous dire que je vais m'opposer de toutes mes forces à toute forme de taxe d'eau », dit-il. Pour l'autre porte-parole, Michel Leduc 0 «J'espère qu'on va étendre la tarification de l'eau par compteur dans la nouvelle ville de Montréal. »

La tarification de l'eau n'est utile qu'aux fabricants de compteurs

À partir des consultations du BAPE sur la gestion de l'eau au Québec, la majorité des intervenants affirmait qu'il serait inutilement coûteux, peu efficace et inique au plan social d'installer des compteurs d'eau dans les résidences, en particulier dans les logements.

Mais cette mesure serait par contre fort efficace pour dépister les surconsommateurs des milieux industriels, commerciaux et institutionnels. Ces derniers sont responsables ensemble de près des deux tiers de la consommation d'eau potable au Québec, et d'une partie importante de la facture d'épuration des eaux usées.

Dans l'ancienne ville de Montréal (pré-fusion), quelque 3000 compteurs ont déjà été installés pour les entreprises grandes consommatrices d'eau, afin de facturer toute consommation supérieure au montant de la taxe locative. Il y a donc une certaine régulation de la consommation de l'eau pour les commerces et les industries à forte consommation. Toujours à Montréal, la tarification commerciale couvre l'ensemble des coûts de production de l'eau potable et la ville réalise quelques profits (3,5 millions $ en 1996).

Les services du Génie et des Finances de la Ville de Montréal déclaraient en 1992 que la tarification selon la consommation nécessite l'installation de compteurs d'eau dans chaque maison ou logement. Le coût d'achat, d'installation et d'entretien d'un compteur entraîne évidemment une pression à la hausse sur le tarif imposé. De plus, comme le secteur industriel et commercial nécessite de plus grosses installations, des coûts d'infrastructures seraient transférés alors au secteur domestique. Pour Montréal, cette facture d'eau, qui serait refilée aux citoyennes et aux citoyens, représenterait une moyenne de 30 $ par mois, par logement (chiffres de 1996).

Dans les villes fusionnées, certains comités de transition favorisent l'introduction d'une taxe spéciale sur l'eau. Dans le cas de Montréal, ce qui est le plus révoltant, c'est que cette taxe spéciale sur l'eau a déjà été abolie. Et maintenant, certains voudraient retaxer les locataires !

Britannia rules the waves !

La tarification domestique de l'eau appauvrit davantage les ménages locataires déjà peu fortunés. L'expérience récente de l'Angleterre nous démontre que, suite à la tarification, 8,3 % des ménages ont eu des difficultés à rencontrer le paiement de leurs factures. L'eau devient alors une nouvelle source de tension familiale. De nombreux foyers ont admis avoir réduit le nombre de bains et de douches de 50 %. Les enfants se font chicaner pour avoir sali leurs vêtements trop rapidement.

Aussi, plus les revenus sont faibles, plus on est nombreux à habiter dans un petit logement. Comment des colocataires peuvent-ils partager équitablement la facture entre eux ? Dans les appartements à étages, y aura-t-il un compteur par logement ou un par édifice ? Si c'est le dernier cas qui prévaut et que le propriétaire ne s'acquitte pas de la facture, qui se fait couper l'eau ? Le locataire ou le propriétaire ? Quelle serait la capacité de payer des gens face à toute nouvelle taxation ? Y aurait-il des coupures d'eau comme il y a des coupures de gaz aux personnes incapables d'acquitter les factures?

Souhaitons-nous ajouter le stress de l’eau aux tensions des familles québécoises ?

Suite à l'expérience de la Ville de Laval, qui a pu diminuer de 30% la consommation d'eau grâce à un programme de conservation, et avec les résultats d'études qui démontrent que l'introduction de la tarification de l'eau ne diminue la consommation d'eau que la première année, comment peut-on encore nous servir comme salade idéologique que la tarification est la solution à la surconsommation d'eau ?

Si nos élus cherchent la flexibilité dans la gestion des budgets, s'ils acceptent de jouer le rôle que leur confie leur charge démocratique, ils accepteront d'être les arbitres de l'ensemble des besoins de la population et choisiront ainsi l'intégration de l'ensemble des coûts de l'eau dans la taxe foncière. En attendant, bien sûr, qu'un jour la taxation se fixe sur les revenus des individus et non sur les aléas du marché immobilier.

Note au lecteur 0 Afin de faciliter la lecture, chacune des références précises n'apparaît pas dans le texte. Elles proviennent du ministère des Affaires municipales du Québec, du ministère de l’Environnement du Québec, des services du Génie et des Finances de la Ville de Montréal, du livre vert sur la gestion de l'eau à Montréal, de la Chaire d'études socio-économiques de l'UQAM, de l'Office of Water de l'Angleterre, du comité de transition de la Ville de Montréal, de la Commission sur la gestion de l'eau au Québec (BAPE) et du site de référence d' Eau Secours ! – La Coalition québécoise pour une gestion responsable de l'eau à0 www.eausecours.org|204| 
201|Les reflets algériens des enfers québécois|Michel Lapierre| La guerre d'Algérie a dissipé les derniers scrupules des indépendantistes québécois de gauche de la fin des années cinquante, petit cercle d'initiés dont Jacques Ferron restera pour toujours le père occulte. Ancien communiste, esprit hostile à la tradition nationaliste française, Ferron a pu, un peu grâce à cette guerre, embrasser notre cause nationale, « toute honte bue ».

Le conflit colonial d'Algérie a donné aux indépendantistes progressistes québécois, qui renouaient avec les Patriotes et les Rouges, la preuve définitive que leurs aspirations ne pouvaient, sur la scène internationale, se confondre avec le nationalisme d'un peuple riche et puissant comme le peuple français. Ces aspirations s'assimilaient, au contraire, à un mouvement anticolonialiste de libération nationale, comme celui des Algériens. C'est Ferron lui-même qui rappelle cette curieuse vérité tout en la trouvant bien imparfaite. « La guerre d'Algérie est survenue à point nommé », écrit-il. Les réactions qu'elle a provoquées au Québec ont révélé que les militants de gauche, partisans de l'émancipation nationale, n'étaient pas, ajoute-t-il, «racistes, impérialistes et pantins», mais, dans les circonstances, « anti-français », puisqu'ils appuyaient un peuple indigène, comme le peuple algérien, dans sa lutte d'affranchissement.

Une lutte intériorisée

Et puis la transposition se faisait d'instinct 0 les Français se changeaient chez nous en Anglais, tandis que nous devenions les Algériens de l'Amérique du Nord. Ce raisonnement était certes un peu simpliste, mais il permettait à Ferron et à quelques autres de se démarquer à jamais des séparatistes de droite, qui, d'une manière combien plus simpliste, voyaient dans le Québec le prolongement de la France et dans l'accession à la souveraineté le résultat juridique d'un simple changement de régime plutôt que le fruit d'une lutte intériorisée de libération.

Magali Deleuze traite de cette gauche indépendantiste et des autres courants idéologiques de l'époque dans son excellent ouvrage L'une et autre indépendance (1954-1964)0 les médias au Québec et la guerre d'Algérie. Elle accorde à La Revue socialiste, à laquelle collaborait Ferron, toute l'importance qu'elle mérite. Fondée en avril 1959, cette petite revue souterraine, de fabrication artisanale, était l'œuvre d'un seul homme 0 Raoul Roy, autodidacte beauceron installé de longue date à Montréal. Ferron avait publié, l'année précédente, Les Grands Soleils, pièce de théâtre consacrée à Chénier et à la libération nationale, imprimée, à l'ancienne et entre deux cuites, par le bohème André Goulet. À Pierre L'Hérault, exégète de son œuvre, qui lui demande où il était, à la veille de la Révolution tranquille, Ferron répond sans ambages 0 « À ce moment-là, avec Raoul Roy… »

Un être aussi singulier que Raoul ne pouvait toutefois pas devenir un véritable maître à penser. Ferron le savait dès le départ. Il lui fallait à tout prix recréer ce génial patenteux idéologique pour neutraliser les effets dangereux d'une pensée baroque. La tâche paraissait facile. Raoul était déjà un personnage ferronien. Il réapparaîtra, sous ce brillant manteau, dans la correspondance et les entretiens du docteur Ferron.

Devenir séparatiste en se torchant…

Comme l'écrivain-médecin, Raoul est communiste dans les années quarante. Il chante L'Internationale dans une chorale semi-clandestine, appelée pudiquement Parti ouvrier progressiste, où de colossaux agents secrets d'Ottawa mettent en valeur leurs magnifiques voix de barytons. Raoul voit en Staline, petit père des peuples, le défenseur insoupçonné de l'identité canadienne-française, à une époque où même Michel Chartrand reconnaît ce défenseur en Lionel Groulx. Aux syndicats catholiques, Raoul préfère les rares syndicats communistes, comme l'Union des marins pour laquelle il travaille à titre de secrétaire. Il était devenu séparatiste, dès les années trente, en se torchant, dans sa chère Beauce, avec le papier journal dont les marchands se servaient pour emballer. Juste avant l'opération, grande découverte 0 le journal La Nation, de Paul Bouchard.

Victime des anticommunistes qui jugule l'Union des marins, Raoul, débrouillard comme tout vrai Beauceron, se lance dans le petit commerce pour survivre. Il ouvre quelques modestes boutiques de vêtements et fait venir ses sœurs de la Beauce pour l'aider. Mais ses beaux-frères ont de la difficulté à se trouver un bon emploi à Montréal. Grande révélation 0 Raoul constate que les immigrants européens y sont plus choyés par le gouvernement fédéral que les Beaucerons et met ça sur le compte du colonialisme, terme dont il est le premier à se servir systématiquement pour expliquer la situation québécoise. Il parle plus que jamais de la nécessité de la libération nationale au docteur Ferron, qui l'encourage à fonder La Revue socialiste.

L'épineuse question de l'immigration, soulevée par Raoul, sur un ton très polémique, agace toutefois son ami. « C'était pas fameux ! Ne serait-ce qu'au point de vue politique. Mais enfin, c'était sincère, ça s'expliquait bien », dira Ferron avec un triste sourire. Obnubilé par les antagonismes objectifs, Raoul ne s'était pas rendu compte que tout l'art de la politique consiste à se faire des alliés.

Magali Deleuze n'est sans doute pas au courant de tous ces détails pittoresques, mais cela ne l'empêche pas de faire un brillant exposé des idées de Raoul Roy et de mettre en lumière la filiation entre La Revue socialiste et Parti pris. Pour Raoul, socialisme et anticolonialisme ne font qu'un. Sa pensée se résume dans un cri qui s'élève de son taudis de la rue Amherst pour se dresser comme une colonne inébranlable au-dessus du Faubourg à m'lasse 0 « Pour l'indépendance absolue du Québec et la libération prolétarienne-nationale des Canadiens français!»

Avec un tel programme, il fait au moins un converti. Un scout, qui avait failli devenir frère du Sacré-Cœur, pousse un hurlement, combien plus sauvage que le cri de Raoul, en découvrant La Revue socialiste dans une librairie. « Je devins indépendantiste avoué, en 1959, en accord » avec cette revue, dira plus tard Gaston Miron. Le scout voit bien que le Québec indépendant imaginé par Raoul et le docteur Ferron ne serait pas le Portugal de Salazar, cher au séparatiste Raymond Barbeau, avec lequel il discutait dès 1954. Raoul prétendra même avoir exorcisé, des démons du maurrassisme, André d'Allemagne, fils d'un baron français, en initiant ce président fondateur du R.I.N. aux secrets de l'anticolonialisme…

L'aventure d'Orphée

« Nous devons à R. Roy l'usage des termes de décolonisation et de révolution », dira Paul Chamberland, en 1964, dans Parti pris. Dès 1959, ces termes et surtout le lien qui les unit acquièrent, par la force des choses, une résonance québécoise, et nos théoriciens effarés, qui avaient trop vite passé du catholicisme au marxisme, ne s'y retrouvent plus. La révolution anticolonialiste québécoise devient tout autre chose que la révolution algérienne, sans pour autant s'en distinguer clairement. Seul le docteur Ferron s'y attendait. « Le Québec, qu'on le prenne de tous bords, tous côtés », écrit-il, « c'est une difficulté intellectuelle, une entité qu'on ne retrouve pas dans les livres de définitions », y compris dans ceux de Memmi et de Fanon.

En 1960, les indépendantistes de gauche ont toute la gauche contre eux (la fausse gauche ! clamera Raoul l'intempestif) 0 les éléments les plus progressistes de l'Action catholique, Cité libre, les syndicats, les marxistes, les sociaux-démocrates… Cette année-là, le Parti social-démocratique rejette la proposition de Ferron sur la reconnaissance du droit du peuple canadien-français à l'autodétermination, alors qu'il avait déjà reconnu ce droit aux Algériens. Même Pierre Vadeboncœur se « tint coi », raconte Ferron dans La Revue socialiste.

Que l'aliénation québécoise, à cause du poids de la blancheur occidentale, soit plus subtile et plus profonde que l'aliénation algérienne, Ferron ne sera pas le seul à le soupçonner. Son cadet Pierre Maheu nous invitera à vivre l'aventure d'Orphée 0 « descendre aux enfers de l'aliénation coloniale». Magali Deleuze signale la contribution originale de celui qui sera le vrai penseur de Parti pris. «Nous vivons, en une culture désintégrée, une vie éparpillée, réduite en miettes », écrira Maheu en 1964.

Ce n'est pas un hasard si, dans le petit salon de Raoul Roy, rue Amherst, se forme un groupuscule de jeunes gens qui veulent confusément aller plus loin que la théorie. Raoul ne s'aperçoit de rien; Ferron se doute de tout. C'est en 1963, à la fin de l'hiver, qu'éclatent les premières bombes du Front de libération du Québec.

Magali Deleuze, L'une et l'autre indépendance (1954-1964) 0 les médias au Québec et la guerre d'Algérie, Point de Fuite, 2001.|204| 
202|Le nombril et le Déluge|Michel Lapierre|

Livre 0 Putain



Pour la narratrice du récit de Nelly Arcan, la révolte se situe au niveau du nombril. Récolte contre le père, contre la mère, contre les rides… Même à vingt ans, les stigmates de la vieillesse sont la source de tous les tourments.

Pour la « schtroumpfette », deux choses existent. D'abord, les dards de la virilité qui la transpercent par tous les orifices et l'inonde du seul liquide nécessaire 0 l'argent. Ensuite, l'image de sa féminité, qui, grâce à ce liquide, pourra rester resplendissante le plus longtemps possible. Crèmes, toilettes, exercice, régime, bronzage, voire chirurgie esthétique, feront de la schtroumpfette la femme la plus visible de la planète. Nue au cinéma et dans les magasines, elle personnifiera la séduction. Pour noyer son image, dont ils ne pourront supporter la beauté, des milliards d'hommes se changeront en fontaines. Le Déluge finira par tout engloutir dans la nuit. Le père de la schtroumpfette n'attend-il pas déjà « la fin du monde du haut de sa Bible en invoquant le Déluge » ?

En s'imaginant que le prochain client qui cognera à la porte ne sera nul autre que son propre père, la putain sait peut-être qu'en 1965 Ferron publiait La Nuit. Le narrateur, au sortir du bordel, y rêvait d'épouser sa mère, déjà morte avant que les rides ne flétrissent son visage de jeune femme. Pour ne pas que Putain soit un simple instantané et son dernier livre, il faudrait bien que Nelly Arcan se rappelle que son nombril a une histoire.

Putain, Nelly Arcan, Seuil, 2001|204| 
203|Quand la gauche n’existe plus, il faut la réinventer|Andrée Lévesque|

Rendre possible l'impossible



Détrompez-vous, malgré ce qu'en dit Stéphane Baillargeon dans Le Devoir (10 septembre 2001), La gauche à l’aube du XXIe siècle ne traite pas de la « dictature du prolétariat ». L’ouvrage ne se veut pas non plus, nous prévient l'auteure, un livre de recettes. Dans l'aube incertaine et violente de notre siècle, la chilienne Marta Harnecker avance des propositions qui ne sont pas « dangereuses et néfastes», Baillargeon dixit, sauf pour un certain impérialisme impénitent.

Le livre est d'abord une critique des événements des quarante dernières années et un état de la situation de la gauche aujourd'hui. Depuis les événements du 11 septembre, l'appel à une gauche renouvelée, non sectaire et participative trouve toute sa pertinence.

Le journalisme engagé n’est pas mort

Marta Harnecker se propose de pallier l'absence d'analyse critique du capitalisme de la fin du XXe siècle, le capitalisme de la révolution technologique, de la mondialisation et des guerres financières, pour enfin lancer à la gauche un appel à « rendre possible l'impossible ».

Destiné à la gauche militante politique et sociale plutôt qu'aux universitaires ou aux spécialistes, « L’ouvrage est un outil théorique pour comprendre le monde, puis pouvoir transformer les expériences du passé en sources d'apprentissage et présenter des alternatives solidaires ». Il tombe à point.

Les militants et militantes des années soixante, à l'époque où on croyait tout possible et où on voulait mettre l'imagination au pouvoir, se souviennent de ses Concepts élémentaires du matérialisme historique (1966). Harnecker n'a pas abandonné le flambeau et poursuit son travail de journaliste engagée. Soucieuse de préserver l'histoire des luttes révolutionnaires, elle consigne, depuis une dizaines d'années, cette histoire à partir d'entrevues avec les hauts dirigeants des combats menés en Amérique latine.

Révolution et évolution 0 même combat ?

Dans son dernier ouvrage, Harnecker nous présente une vaste synthèse des événements et des luttes qui ont marqué sa région depuis la révolution cubaine de 1959 pour, dans un deuxième temps, brosser un tableau de la situation contemporaine et en venir à une analyse de la position de la gauche aujourd'hui.

Harnecker accorde au contexte historique l'importance qui lui revient. L'évolution de la gauche depuis 1989 est située dans l'évolution globale du contexte politique marqué par la chute du Mur de Berlin et des régimes communistes qui s'en suivit, mais elle s'insère aussi dans les grands changements technologiques auxquels l'auteure accorde une importance capitale. C'est cette conscience de l'évolution du contexte qui lui permet de se livrer à des critiques serrées des échecs de la gauche, comme la défaite de Daniel Ortega.

Car loin d'être une apologiste pure et dure du communisme, Harnecker ne craint pas de critiquer les erreurs passées, l'application mécaniste du marxisme ou le recours à la force armée comme seul outil révolutionnaire sans considération pour les conditions nationales spécifiques.

Pour l'aut'mondialisation

L'ouvrage est didactique et pour illustrer son propos, l'auteure a recours à maints exemples concrets. Elle explique particulièrement bien les enjeux des changements dans l'organisation de la production, avec la constitution des entreprises transnationales et la croissance du secteur financier, pour nous mener à une synthèse très utile sur le néolibéralisme et la mondialisation.

Car Harnecker, toujours critique, ne se contente pas de dénoncer la mondialisation néolibérale mais elle appelle à une autre mondialisation, solidaire, au service de l'humanité et reposant sur le progrès technologique et scientifique. Elle garde la vision d'une vaste coalition de tous les exploités, dans une démocratie politique et sociale qui va au-delà des forces syndicales et des groupes d'intérêts particuliers.

Comment faire la guerre à la guerre

Partout où les gauches s'interrogent sur les stratégies à adopter devant les horreurs des dernières semaines, la dernière partie de La gauche à l’aube du XXIe siècle est probablement la plus pertinente.

La plupart des références portent sur l'Amérique latine mais ceci n'enlève rien à l'à-propos de son analyse. On retrouve au Québec comme ailleurs le scepticisme et le cynisme à l'endroit des politiciens, et ici comme ailleurs on cherche une union de la gauche pour affronter le raz-de-marée belliciste qui nous engouffre depuis quelques mois.

Il y a deux ans, quand elle sortait la version espagnole de son ouvrage, elle écrivait déjà que l'heure était trop grave pour persister dans le sectarisme. «Une option alternative, – socialiste ou comme on veut l'appeler – se fait plus urgente que jamais. » Optimiste néanmoins, elle affirmait 0 « Une nouvelle culture de gauche émerge, une culture pluraliste et tolérante. »

À quand l’heure de la gauche ?

Il faut aujourd'hui ajouter un post-scriptum au livre d'Harnecker. Son invitation à une plus grande analyse théorique adaptée au capitalisme à l'heure du néolibéralisme et son appel à une gauche inclusive qui puisse «rendre possible l'impossible » comme le demande le sous-titre du livre, sont on ne peut plus à-propos.

Le nouveau bellicisme, comme il y a dix ans lors de la Guerre du Golfe, divise la gauche. N'a-t-on pas vu Jacques Lanctôt, ex-felquiste encore présumé de gauche, appeler à la vengeance ? Alors qu'ailleurs, la Fédération des Femmes du Québec, la Coalition contre la guerre et l'hystérie, Alternatives et d'autres organisations populaires manifestent contre les frappes américaines en Afghanistan. Déjà avant les frappes sur New York et avant les bombardements du peuple afghan, Martha Harnecker parlait d'urgence.|204| 
204|2e congrès d'ATTAC 0 une consolidation politique réussie|Solange Ouellet|C'est sous le thème de À l'heure des Amériques, que l'Association québécoise pour la taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens (ATTAC-Québec) a tenu, le samedi 20 octobre dernier, son second congrès.

Les congressistes ont d'abord été appelés à débattre d'un rapport politique qui analysait la situation au lendemain des attaques terroristes du 11 septembre et des leçons à tirer des mobilisations contre les projets de marchandisation toujours plus poussée de nos sociétés.

Pour la taxe Tobin

Les congressistes ont décidé d'axer leurs efforts sur un large travail d'éducation populaire articulé autour des deux principales revendications de l'organisation 0 freiner la spéculation par l'imposition d'une taxe sur les transactions financières et contrer la criminalité financière favorisée par l'existence des paradis fiscaux.

Aussi, l'organisation amorcera-t-elle dans les prochaines semaines une vaste campagne visant à convaincre le gouvernement canadien de défendre – à l'occasion du Sommet de l'ONU sur le financement du développement qui se tiendra au Mexique en mars 2002 – l'esprit de la motion adoptée en mars 1999 par la Chambre des communes qui se déclarait favorable à une taxation des transactions sur le marché des devises (taxe Tobin).

Paradis fiscaux et criminalité

Les congressistes ont également réaffirmé l'urgence d'alerter l'opinion publique aux dangers que fait courir pour nos démocraties et nos principes d'équité fiscale la croissance rapide d'une criminalité financière favorisée par la multiplication des paradis fiscaux de par le monde. Cette urgence est d'autant plus ressentie à la suite des tragiques événements du 11 septembre que les médias font de plus en plus état que ces « havres de paix fiscaux » ont facilité le financement d'organisations terroristes.

Depuis sa fondation, ATTAC ne cesse de réclamer de nos gouvernements des actions énergiques pour mettre fin au secret bancaire et à la reconnaissance juridique de sociétés écrans, coquilles vides derrière laquelle sont dissimulées aussi bien des pratiques de blanchiment d'argent sale que d'évasion fiscale à grande échelle par les grandes entreprises et les grandes fortunes de ce monde.

Pour faciliter son travail de sensibilisation et de mobilisation, ATTAC-Québec entend mettre en place un « collège d'éducation populaire sur l'économie et les marchés financiers » de même qu'un regroupement large d'organisations qui partagent ses objectifs. Cette organisation accueillera des organisations – syndicales, religieuses, communautaires et autres – puisque seuls des individus peuvent être membres d'ATTAC.

Un collège d'éducation populaire

Les congressistes ont aussi voulu que ATTAC ne se contente pas de revendiquer mais propose des alternatives réalisables. C'est ainsi que l'association organisera un vaste chantier de réflexion – en lien avec ceux déjà ouverts par le mouvement ATTAC international et les milliers de personnes qui se rencontreront à l'occasion du deuxième Forum social mondial de Porto Alegre qui se tiendra à la fin de janvier 2002. C'est dans ce contexte que ATTAC-Québec œuvrera à resserrer ses liens avec les mouvements de la société civile partout dans les Amériques, car à la mondialisation des sociétés transnationales, ATTAC oppose la mondialisation des solidarités et des espoirs.

Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre site Internet 0 www.attac.org/quebec ou à communiquer avec Pierre Henrichon au 514-352-5539|204| 
205|Deux prisonniers politiques basques menacés d'extradition|Stéphanie Beaupied|

Victimes d’une loi anti-terroriste espagnole



En 1997, deux militants politiques basques s'enfuient de l'Espagne pour se réfugier au Québec. Là-bas, le peuple basque est victime d'oppression. Là-bas, ils ont été victimes de torture pour leurs idées et ont dû avouer des crimes qu'ils n'ont pas commis. Ici, ils espèrent retrouver la liberté. Voilà que l'Espagne demande au Canada leur extradition. Leur sort est désormais entre les mains de la justice canadienne. C'est l'histoire d'Eduardo et Gorka. Depuis maintenant huit ans qu'ils vivent dans l'incertitude. Gorka nous raconte leur histoire…

Eduardo Plagaro Perez de Arriluzea et Gorka Perea Salazar sont deux jeunes hommes basque âgés de 29 et 27 ans. Nés dans un milieu militant, Eduardo et Gorka ont grandi dans l'esprit de la lutte pour l'indépendance basque. Le père de Gorka était lui-même militant dans un syndicat indépendantiste. Dès l'âge de 16 ans, Eduardo et Gorka s'impliquent au sein d'organismes communautaires. Gorka militait entre autres pour la défense de la langue basque et Eduardo pour un groupe écologiste.

L'histoire d'un nationalisme éclaté et opprimé

Le pays basque est écartelé et intégré au territoire espagnol et français. Encore aujourd'hui, « ils ne sont pas représentés par la constitution espagnole, qu'ils ont refusée à la majorité », nous explique Gorka. La répression envers le peuple basque fut particulièrement féroce sous le régime franquiste. Parler la langue basque devient alors illégal, même en privé ! Dans le passé, Franco a combattu toute forme de culture basque, aujourd'hui son règne laisse un goût amer.

Gorka ajoute que « les franquistes existent encore aujourd'hui au sein des institutions espagnoles. La Guardia Civile et les juges du tribunal spécial anti-terroriste proviennent de la dictature franquiste. Le système judiciaire espagnol est le même qu'il y a trente ans. L'Audience nationale à Madrid existait avant sous le nom de Tribunal de l'ordre public. »

La torture 0 l'Espagne au banc des accusés

C'est privés de nourriture, de sommeil, inconscients, soumis aux menaces et aux coups que les prisonniers basques avouent des crimes qu'ils n'ont pas commis 0 «La police torture comme dans le temps de Franco. » La situation politique en pays basque est particulièrement difficile pour les militants indépendantistes. Gorka nous explique « qu'une loi anti-terroriste permet de détenir pendant cinq jours sans contact avec l'extérieur et sans avocat toute personne soupçonnée de sympathiser avec les causes de l'ETA » [Pays Basque et Liberté].

L'ETA existe depuis 40 ans et le gouvernement espagnol promet d'en finir avec cette organisation clandestine et armée. « Le problème, selon Gorka, c'est que le gouvernement arrête tous ceux qui partagent la cause indépendantiste à l'aide de la loi anti-terroriste. »

C'est dans ce contexte que Eduardo et Gorka ont été arrêtés. C'était le 26 avril 1993, Gorka et Eduardo n'avaient que 19 et 21 ans. « Cette même opération policière fit 27 prisonniers provenant de divers mouvements. Nous sommes demeurés trois ou quatre jours en prison sans contact avec l'extérieur et soumis à la torture. C'est là que débute notre histoire. »

La torture 0 un fait connu, mais non reconnu

Amnistie internationale et le Comité européen pour la Prévention de la Torture connaissent les mauvais traitements des pénitenciers espagnols et la torture qu'on y pratique. Cependant, la torture est peut-être connue par des organismes internationaux, mais les réfugiés basques ne sont pas reconnus par les pays de la communauté internationale.

Gorka nous confie que c'est une question bien politique 0 « Les pays amis de l'Espagne ne peuvent pas accorder des statuts de réfugié dans leur pays, ce serait du même coup dénoncer les pratiques de l'Espagne. »

Une extradition politique ?

Depuis 1993, Gorka et Eduardo doivent subir le poids d'un crime qu'ils n'ont pas commis0 un délit d'incendie. Depuis ce temps, ils vivent dans l'incertitude. En 1997, le tribunal spécial anti-terroriste les condamne à six et sept ans de prison ferme. Ils prennent la décision de se réfugier au Canada. En août 1997, ils arrivent à Montréal. « Nous sommes au Canada pour avoir la justice que nous n'avons pas eue en Espagne. »

Eduardo et Gorka vivaient normalement au Québec en attendant que la Commission de l'immigration leur accorde leur statut de réfugié. En avril 2001, l'Espagne demande l'extradition, prétextant faussement qu'ils sympathisent avec l'ETA.

Le 1er juin, Jean Chrétien rencontre le premier ministre espagnol. Gorka nous raconte que des accords économiques sont conclus 0 « ouverture de raffinerie, la firme Bombardier obtient un contrat pour vendre des trains à l'Espagne».

Ironiquement, le 6 juin à six heures, l'escouade tactique de la GRC tout équipée de mitraillettes, arrête simultanément Gorka à Montréal et Eduardo à St-Michel-des-Saints. Gorka nous confie 0 «Les policiers étaient assez violents, ils m'ont menacé verbalement, cela ressemblait aux circonstances de l'Espagne. » Depuis ce temps, tous deux sont détenus à la prison de Rivière-des-Prairies.

Le Procès

Au moment de mettre sur presse, nous apprenions par le Comité d'appui que le juge Jean-Guy Boilard de la cour supérieure (procureur contre les felquistes dans les années 1970) a catégoriquement refusé d'entendre le plaidoyer d'Eduardo et de Gorka. Véronique Gauthier du Comité d'appui nous précise que « le juge n'a pratiquement pas écouté ce que les avocats avaient à dire et démontrait un air d'indifférence et de sarcasme. Au nom des droits humains, c'est un manque de respect de ne pas vouloir écouter leur version des faits ! » Gorka et Eduardo feront maintenant appel à la Cour suprême. Ajoutons en terminant que le Canada a ratifié la Convention contre la torture, ce qui l'oblige à ne pas extrader les individus condamnés sous la torture. Gorka nous disait une semaine avant ce verdict 0 « On essaie d'être positif et avoir la chance de pouvoir rester au Québec. »

Gorka

« En aucun moment nous n'avons regretté notre militantisme dans notre pays, même dans les moments les plus difficiles. Nous n'étions pas capables d'assumer un délit que n'avions pas commis. Nous luttons pour un futur meilleur, des conditions de vie meilleures. »

Le Comité d'appui aux prisonniers politiques basques révèle que 0

• En 1993, Xabier Kalpasoro est projeté par la fenêtre du poste de police.

• La même année, Gurutze Yanci Igerati est morte dans le quartier général de la police de Madrid.

• Juan Calvo est aussi mort dans un poste de police en 1993.

• Ces morts ne sont pas des cas isolés.

Gorka affirme que 0

• Depuis six mois, il y a eu 90 dénonciations de cas de torture en Espagne.

• Il y a environ 8000 réfugiés basques partout dans le monde.

• En 2000, en Espagne, l'avocat d'Eduardo et de Gorka a été détenu préventivement pendant six mois.

• En 1998, la parution du quotidien basque Egin est interdite, les journalistes sont emprisonnés.

• En 1999, 20 députés du parlement autonome basque sont emprisonnés.|204| 
206|La Colombie est une cible parfaite|André Maltais|

Dans la guerre « mondiale » au terrorisme



Avec deux guérillas et, tout récemment, le principal groupe paramilitaire (les Brigades d'autodéfense colombiennes) figurant sur la liste américaine des organisations terroristes, la Colombie est maintenant une cible parfaite pour la « guerre mondiale » au terrorisme que le gouvernement Bush entend mener pour les temps à venir. D'autant plus que le pétrole (deuxième industrie au monde, entre l'armement et la drogue!) est l'enjeu principal de l'engagement américain dans cette région du monde.

La Colombie produit aujourd'hui autant de pétrole que le faisait le Koweit à la veille de la Guerre du golfe. Les États-Unis, quant à eux, importent davantage d'or noir du triangle Colombie-Vénézuéla-Équateur que de tous les pays combinés du golfe persique. Même si ses réserves connues (2,6 milliards de barils) placent la Colombie loin derrière les principales puissances pétrolières, seulement 20 % de son territoire.

« Beaucoup de critiques de la politique étrangère américaine craignent un second Vietnam », écrivent Thad Dunning et Leslie Wirpsa, auteurs d'une étude du Centre de ressources pour les Amériques1, « mais avec le prix mondial du pétrole qui ne baisse pas, une augmentation prévue de 25 % de la consommation pétrolière américaine pour les deux prochaines décades et une fiabilité toujours moins grande du Moyen-Orient, on devrait plutôt parler d'une autre guerre du golfe. »

Les plus grosses compagnies pétrolières étrangères opérant en Colombie sont la britannique BP Amoco et l'américaine Occidental Petroleum. Exxon, Shell, Elf Aquitaine ont aussi contribué à une augmentation de 80 % de la production pétrolière colombienne depuis 1991.

Touche pas à mon pétrole !

En 1996, BP Amoco et Occidental se joignaient à Enron (une compagnie énergétique de Houston, Texas) et à d'autres pour former le Partenariat d'affaires États-Unis-Colombie. Aidé par les donations de l'industrie pétrolière aux politiciens, ce groupe de pression s'est battu pour accroître l'aide militaire américaine à la Colombie.

Laurence P. Meriage, vice-président aux affaires publiques d'Occidental Petroleum, presse maintenant la Chambre des représentants américaine d'étendre le Plan Colombie au nord du pays pour « accroître la sécurité autour des nouvelles activités pétrolières ».

Comment ne sera-t-il pas entendu par un cabinet formé du vice-président Dick Cheney (ex-p.-d.g. de Halliburton, leader mondial en matière de services pétroliers), du secrétaire au Commerce Don Evans (ex-président de la pétrolière Tom Brown) et de la conseillère en matière de sécurité nationale Condoleezza Rice (ex-membre du conseil d'administration d'une autre pétrolière, Chevron) ?

Guérilleros contre pipelines

« Plusieurs études », notent Dunning et Wirpsa, « suggèrent que l'extraction des ressources naturelles des pays du Tiers-Monde, loin de leur apporter la stabilité politique et économique, leur amène plutôt la loi de la jungle. De l'Indonésie au Nigéria à la Colombie, l'exploitation minière et pétrolière fait proliférer milices d'extrême-droite, crime organisé et insurrections de gauche. »

Depuis 1986, les guérillas colombiennes des FARC et de l'ELN ont bombardé les pipelines plus de 1000 fois tout en kidnappant des centaines de cadres et employés des compagnies pétrolières. Les guérillas taxent également les contracteurs locaux travaillant pour ces compagnies. Selon le gouvernement colombien, le pétrole rapporte ainsi 140 millions de dollars annuellement aux guérillas, soit autant que le trafic de drogues.

C'est tellement payant que, en contradiction avec les causes qu'elles défendent, les FARC consentent parfois à des forages auxquels s'opposent les populations indigènes locales et vont jusqu'à assassiner des leaders autochtones.

Des lunettes paramilitaires

Les paramilitaires sentent aussi l'odeur du pétrole et reçoivent parfois directement des millions de dollars pour «protéger» les intérêts des compagnies. Un officiel de haut rang de BP a admis qu'un contractant britannique en services de sécurité travaillant pour la multinationale avait fourni des lunettes de vision nocturne à une brigade de l'armée accusée de collaborer avec les paramilitaires.

Le même contractant employait l'ancien commandant d'armée Hernan Guzman Rodriguez. Gradué en 1969 de l'École des Amériques, ce dernier était lié avec un groupe paramilitaire responsable de 149 assassinats entre 1987 et 1990.

Les escadrons de la mort protègent aussi les profits des compagnies en « nettoyant » leur environnement de toute « nuisance » populaire (syndicale, paysanne, féministe, écologiste, etc). Le leader syndical Alvaro Remolina, par exemple, a perdu cinq membres de sa famille en autant d'années, tous assassinés par les paramilitaires.

Pétroviolence et pétropauvreté

Le pétrole est aussi un enjeu important pour les forces armées qui, depuis 1992, prélèvent un «impôt de guerre » d'un dollar par baril auprès des compagnies pétrolières étrangères. L'armée vend aussi des services de sécurité pour lesquels Occidental, par exemple, lui verse directement 10% de ses bénéfices en Colombie.

Mais ce sont surtout les civils qui font les frais de la « pétroviolence ». On compte plus de deux millions de personnes déplacées à travers le pays et des milliers d'assassinats chaque année.

Les revenus du pétrole rapportent malgré tout 3,7 milliards $ annuellement à l'État colombien, mais la population n'en voit pas souvent la couleur. La province d'Arauca touche des millions de dollars en redevances pétrolières annuelles mais est ceinturée de bidonvilles. Celle du Magdalena Medio, riche aussi en pétrole, compte 70 % de pauvres et un taux de chômage de 40 % (deux fois le taux national officiel).

Le Vénézuela rue dans les brancards

Le conflit colombien implique de plus en plus le pays voisin, le Vénézuéla, troisième fournisseur de pétrole des États-Unis et pays le plus riche en or noir à l’extérieur du Moyen-Orient.

Son président Hugo Chavez, celui-là même qui a convaincu l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) de diminuer sa production pour faire grimper le prix du baril à 30 dollars (un sommet en 10 ans), se déclare neutre face à la guerre civile colombienne.

Mais il a interdit l'espace aérien de son pays aux vols « antidrogues » américains, avec le résultat que les guérilleros colombiens vont de plus en plus « refaire leurs forces » au Vénézuéla. De l'équipement militaire vénézuélien se retrouve aux mains de combattants des FARC.

Tout cela et bien d'autres choses (refus de privatiser l'entreprise pétrolière nationale, fourniture à prix réduit de pétrole à Cuba, visite en Irak, etc.) irritent Washington.

Le 5 septembre dernier, le ministre vénézuélien des Affaires étrangères annonçait officiellement le non-renouvellement de l'accord de coopération militaire bilatéral vieux de 50 ans entre son pays et les États-Unis.

La guerre s'étend également à l'Équateur depuis que les opérations de contre-insurrection et d'éradication des cultures de coca liées au Plan Colombie amènent militaires, paramilitaires et populations civiles déplacées à la frontière équatorienne, région jusque là occupée seulement par les FARC.

« Notre objectif, ce ne sont pas les Colombiens mais le pétrole »

L'Équateur, tout comme le Pérou et le Brésil, répond aux débordements de la violence colombienne sur leur territoire en militarisant de plus en plus la région.

L'an dernier, l'administration Bush approuvait « l'Initiative pour la région andine », une suite au Plan Colombie incluant tous les pays voisins de celle-ci à l'exception du Vénézuéla.

Bush a aussi nommé John Maisto conseiller en matière de sécurité nationale pour les affaires interaméricaines, faisant de lui son principal conseiller pour la région andine. Or, Maisto était ambassadeur américain au Nicaragua durant la guerre contre le gouvernement sandiniste et chargé d'affaires au Panama en 1989, année de l'invasion américaine contre le général Manuel Noriega.

« On ne mentionne jamais les mots “ coca ” ou “ narcotrafiquants ” dans nos entraînements », confie l'ex-sergent des forces spéciales de renseignement américaines Stan Goff, retiré depuis 1996. « Notre objectif là-bas, ce ne sont pas les Colombiens, mais les Américains qui investissent en Colombie. C'est le pétrole. Regardez où sont aujourd'hui les forces américaines 0 en Iraq, autour de la mer Caspienne, en Colombie. Là où on espère trouver des réserves de pétrole. »

Comment peut-on négocier avec les guerilleros dans le contexte de l’antiterroriste

Le 10 septembre, ironiquement, la veille des attentats contre le World Trade Center, les États-Unis ajoutaient enfin le nom des Brigades d'autodéfense colombiennes (AUC en espagnol) à leur palmarès d'organisations terroristes. Il était à peu près temps puisque les paramilitaires colombiens sont de loin reconnus comme la source principale des milliers d'assassinats sélectifs de civils et des millions de personnes déplacées dans ce pays.

Les deux principales guérillas de gauche (ELN, Armée de libération nationale; FARC, Forces armées révolutionnaires de Colombie) figuraient déjà sur la liste américaine depuis 1997.

Mais la décision américaine n'est aucunement un assouplissement de l'engagement US en Colombie.

Bien au contraire, elle place ce pays et toute la région andine pétrolière (voir l’article ci-contre) plus que jamais au bord d'une intervention militaire « anti-terroriste » justifiée par des motivations humanistes 0 arrêter des massacres de civils qu'on avait pourtant jusque là encouragés.

Réagissant aux événements du 11 septembre, Luis Eduardo Garzon, candidat à la présidence colombienne du Front socialiste et politique (centre-gauche), s'est dit très préoccupé par l'appel du président Bush à une « guerre internationale au terrorisme ».

« Je pense que le gouvernement colombien », ajoute-t-il, « engagé qu'il est dans des pourparlers de paix avec les FARC et l'ELN, ne peut appliquer cette logique de guerre et que cela pourrait mener à une intervention. »

(1) http0//www.americas.org (le rapport s'intitule 0 Oil rigged 0 there's something slippery about the US drug war in Colombia)|204| 
207|La coalition pour la paix s’organise|Élaine Audet|

Ni G.I. Joe, ni Jihad Joe



Vendredi, le 21 septembre, l’ancienne salle de la cinémathèque dans la Bibliothèque nationale était pleine à craquer. On pouvait y voir des membres des diverses générations et communautés culturelles. Cette assemblée était convoquée par la présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), Vivian Barbot, ainsi que par Monique Simard et Pierre Beaudet du groupe Alternatives, dans le but de réfléchir ensemble aux causes et aux conséquences des attentats contre le World Trade Center et le Pentagone ainsi qu’aux meilleurs moyens à mettre en œuvre pour défendre la paix et la démocratie. La journaliste Françoise Guénette a modéré avec humour et fermeté ce brassage d’idées au cours duquel une Palestinienne siégeait à côté d’une Juive, image au départ symboliquement très forte.

Yasmina Chouakri et Vivian Barbot ont d’abord fait le tour de la situation dans le monde, la première soulignant les inquiétudes suscitées par le ralliement unanime derrière Bush et son appel à une guerre à finir envers « les ennemis de la civilisation ».

Quant à la présidente de la FFQ, elle a souligné à juste titre que, en tant que femmes, nous devons avoir doublement peur. En effet, elle dit que la plus grande organisation féministe aux États-Unis, la National Organization of Women (NOW), a informé la fédération que deux pasteurs américains avaient appelé publiquement à la guerre « sainte » contre les féministes, les lesbiennes et les gais qui seraient « responsables » des attentats de New York et de Washington.

Face à une telle hystérie dont les boucs émissaires se multiplient, elle réitère la nécessité de défendre tant les droits humains que la paix. Au Pakistan, il y a aussi eu des appels à la guerre contre les femmes traitées de sorcières à la solde de l’étranger dont le but est de détruire les musulmans. En conclusion, elle nous convie à faire pression auprès du gouvernement canadien pour qu’il refuse de s’embarquer dans cette guerre, qu’il protège les citoyens de toutes origines contre le racisme qui a présentement cours et qu’il cherche à régler le conflit sur la base des droits, de la justice et de la paix.

La presse québécoise se démarque des autres

La porte-parole afghane, Makaï Aref, après avoir résumé les conditions d'extrême misère dans lesquelles vit son peuple, particulièrement les femmes, a appelé les forces démocratiques à soutenir de toutes les manières possibles les successeurs du commandant Massoud, assassiné quelques jours avant l'attentat du WTC, dans leur lutte contre le gouvernement des talibans. Elle a rappelé que ce sont surtout les populations civiles qui font et feront les frais de la vengeance américaine.

La Palestinienne, Rita Giacaman, a livré un discours chargé d'émotion qui lui a valu une longue ovation debout. Depuis quinze ans, elle milite pour informer les Canadiens sur l'histoire de son peuple et sur les causes du conflit avec Israël. Elle remarque qu'il y a une grande différence entre la presse québécoise et ontarienne. Pour elle, lutter pour la paix demande beaucoup de courage. Sous prétexte de chasser les terroristes, les États-Unis cherchent à prendre le contrôle du pétrole au Moyen-Orient. La véritable violence, conclut-elle, consiste à pousser les jeunes à se faire sauter parce qu'ils n'ont pas d'autres moyens de résister à l'anéantissement de leur peuple.

Quant à Lilian Robinson de l’Alliance juive contre l’Occupation, elle a appelé l’assistance à se joindre à celles qu’on appelle « les dames du coin », réunissant des membres de la communauté palestinienne et israélienne, tous les vendredis à midi devant le consulat d’Israël (1155, boul. René-Lévesque Ouest), pour réclamer une solution pacifique de la question palestinienne.

Tout au long de la soirée, des témoignages sonores ont été diffusés en provenance de New York, d’Israël et du Pakistan. Vivian Barbot a terminé en disant que la FFQ est toujours en marche et qu’une action internationale de grande envergure pour la paix aura lieu le 5 octobre prochain, sous l’impulsion du comité permanent international formé à la suite de la Marche mondiale des femmes de l’an 2000. Unies avec les « femmes en noir », il faut occuper la place publique et informer nos proches.

Ni impérialiste, ni xénophobe

Cette assemblée a été suivie dimanche, le 23, par une grande manifestation regroupant plus de 2000 personnes qui ont marché, comme dorénavant tous les dimanches, de l’université Concordia jusqu’au consulat américain, pour protester contre les appels à la guerre « sainte » et la montée de la xénophobie. Les discours ont mis l’accent sur la politique impérialiste des États-Unis qui dépossède et accule de plus en plus de personnes à la misère et au désespoir.

Une autre manifestation, organisée par l’avocate Anne Murray et le comédien Jean-François Casabonne, a aussi réuni quelques milliers de personnes qui ont marché au son des tam tam, depuis le Théâtre de Quat’sous jusqu’au kiosque de l’avenue du Parc, où des comédiens ont lu des lettres et des poèmes déposés depuis la semaine précédente dans une « boîte d’alternatives à la guerre ». Il en ressort qu’à la coalition guerrière de Bush, il faut répondre par la plus grande mobilisation de tous les temps pour la paix et la justice. Comme le disait une des pancartes 0 Ni G.I. Joe, ni Djihad Joe »!|203| 
208|Brèves|Pierre Dubuc| Le fond du baril

Le ministre Gilles Baril a déclaré, selon La Presse du 20 septembre, « craindre l’effet des attentats sur les élections partielles » ! ? ! ? Que René Angélil ait décidé, après les attentats, d’abandonner les poursuites entreprises contre Michel Girouard parce qu’il est arabe d’origine, nous dit encore La Presse, c’est déjà difficile à suivre, mais dans le cas des partielles ? Ce doit être parce que le Parti québécois a déjà été associé au terrorisme et qu’on a diffusé au Canal Découverte une émission sur la guerre contre l’indépendance des Services secrets canadiens.

Cela explique ceci

Plusieurs s’étonnent et s’indignent de voir avec quelle diligence les éditorialistes de La Presse et des autres journaux de Power Corporation ont exprimé leur appui à la déclaration de guerre de George W. Bush. Un entrefilet publié le 25 septembre dans le même journal explique pourquoi tant de précipitation et de soumission.

L’articulet raconte les mesures de sécurité considérables mises en œuvre à l’aéroport de Charlevoix à l’occasion de la visite de George Bush père au domaine de Sagard de son ami Paul Desmarais, propriétaire de Power Corporation. Le fils Bush parle à son père qui parle à Desmarais qui... n’a pas besoin de parler à ses éditorialistes !

Bravo au Bloc et à Duceppe !

Nous avons sans doute été les plus virulents critiques du Bloc québécois pour son appui passé à la Guerre du Golfe et aux bombardements de la Yougoslavie. On se rappellera que lorsque cette dernière guerre, le Bloc avait surpassé les plus faucons des faucons des Américains en prônant une invasion terrestre.

Aujourd’hui, nous nous devons de saluer la prestation de Gilles Duceppe qui s’est prononcé contre l’approche du « Choc des civilisations » et toute précipitation à prendre le chemin de la guerre. Il est à espérer que le Bloc s’arrimera aux vieilles traditions pacifistes du Québec. Et que dire aux partisans du « nationalisme civique » en son sein à qui il répugnerait de se référer à de telles manifestations passées du « nationalisme ethnique » québécois ? Eh bien, qu’ils se bouchent le nez !

On va y goûter !

À voir la figure défaite du premier ministre Chrétien après sa rencontre avec George W. Bush, on comprenait que le président américain lui a sans doute expliqué pourquoi il n’avait pas remercié le Canada dans son célèbre discours devant le Congrès.

Le fait qu’il ait donné du « Brother » gros comme le bras à Chrétien ne veut rien dire. Après tout, n’avait-il pas qualifié dans un discours précédent les terroristes de « folks » ! ?

Nous saurons au cours des prochaines semaines ce que Bush a exigé du Canada. Chose certaine, ça va coûter des sous ! Il est peu probable que les États-Unis réussissent à faire financer la guerre par l’Arabie saoudite comme cela avait été le cas lors de la Guerre du Golfe !

En entrevue au Point, Paul Martin a déclaré que « ça ne sera plus jamais comme avant » ! Pressé de questions par Stephan Bureau, le ministre des Finances a même évoqué la possibilité d’un retour aux déficits budgétaires.

Deux jours plus tard, le gouverneur de la Banque du Canada et le patron des patrons, Thomas D’Aquino, ont rabroué Martin en disant qu’il n’était absolument pas question que le Canada revienne à une politique de déficits budgétaires.

Coincé entre les exigences de Washington et celles du patronat, que fera Martin ? Des compressions budgétaires dans les programmes sociaux ! Déjà, aux États-Unis, Bush a annoncé qu’il puisera dans le sacro-saint surplus de la Sécurité sociale pour financer le guerre.

Parizeau commente la démission de Bouchard

Dans un texte intitulé Note sur la stratégie politique des souverainistes, daté du 22 septembre et envoyé à Bernard Landry, Jacques Parizeau commente de la façon suivante la démission de Lucien Bouchard 0

« La déclaration de démission du premier ministre Bouchard a eu, et va avoir longtemps encore, un effet de désorientation sur une opinion publique déjà devenue sceptique à l’égard des intentions réelles du gouvernement quant à la réalisation de la souveraineté du Québec. À cet égard, la première partie de la déclaration de M. Bouchard (dans son allocution de démission) se ramène à trois éléments que l’on peut schématiser de la façon suivante0

a) “ Je voulais réaliser la souveraineté du Québec, j’ai fait tous les efforts possibles.”

Cela n’est pas vrai. Si l’intention a été périodiquement réitérée, elle n’a donné lieu à aucune action concrète un peu soutenue. De là est venue la méfiance chez certains militants, l’assouplissement chez d’autres.

b) “ En dépit de mes efforts, j’ai échoué.”

Que l’homme politique le plus populaire du Québec reconnaisse avoir échoué provoque évidemment la question 0 “ Si lui a échoué, qui peut réussir ? ”

c) “ Et c’est à cause du peuple québécois lui-même, de son inertie devant les assauts du gouvernement fédéral, que j’ai échoué . ”

Le thème de la responsabilité du peuple, de son inertie, de son incapacité à s’indigner ou à protester est à peu près le plus débilitant auquel on peut recourir. Cela revient à affirmer 0 quand on vous dit que les Québécois sont des hésitants, des mélangés, sinon des peureux, il faut le croire. »|203| 
209|« C’est une décision politique », nous dit Luc Desnoyers, directeur québécois des TCA|Pierre Dubuc|

Fermeture de GM



« C’est dévastateur ! C’est au moins 9 000 emplois ! C’est tout un pan de l’économie québécoise qui disparaît ! », de nous dire Luc Desnoyers à propos de la fermeture de l’usine de General Motors à Boisbriand. « Le pire, ajoute-t-il, c’est que le fédéral n’a rien fait ! »

« Chrétien n’a rien fait ! Le caucus libéral du Québec n’a rien fait ! Le ministre Gagliano n’a rien fait ! Tous ont refusé de nous rencontrer », raconte un Luc Desnoyers déchaîné.

Pour lui, aucun doute possible, le dossier de la fermeture de GM est un dossier éminemment politique. Il ne se satisfait pas des explications purement économiques de faiblesse du marché, de concurrence.

Protectionnisme américain et lobby ontarien

Au premier chef, il y a le protectionnisme américain. « On parle de libre-échange entre le Canada et les États-Unis mais, dit-il, il ne faudrait pas oublier le Buy American Act qui exige parfois jusqu’à 60 % de fabrication américaine dans certains produits qui bénéficient de subventions gouvernementales. »

Si les Américains sont les premiers servis, le Canada anglais est le deuxième à passer à la table.

« Il y a 14 usines en Ontario et une seule au Québec, et c’est cette dernière qu’on ferme ! » raconte un Luc Desnoyers qui ne décolérera pas tout au long de l’entrevue. « Chrétien connaît très bien Mme Kempston Darkes, la p.-d.g. de GM. Il aurait pu intervenir en faveur du Québec. Mais non ! Il a plié devant le lobby ontarien ! »

Il n’y a pas de lobby québécois

Mais où était le lobby québécois ?, pourrait-on se demander. Pour Desnoyers, il n’y a pas vraiment de lobby québécois. « On a déjà rencontré, raconte-t-il, Jacques Bougie l’ancien p.-d.g. de l’Alcan pour lui demander de faire du lobby, comme les Ontariens le font, dans le but d’attirer des entreprises de transformation de l’aluminium au Québec. Sais-tu ce qu’il nous a répondu ? Nous ne faisons pas de lobby, on vend de l’aluminium ! »

« On leur a donné de grasses subventions, on leur a presque donné l’électricité, on a payé la formation des ouvriers, tout ça pour voir GM mettre la clef dans la porte », poursuit Desnoyers. « On revient à une situation où l’industrie lourde est toute concentrée en Ontario, alors que le Québec doit se contenter des secteurs mous », enchaîne-t-il.

Québec, à la croisée des chemins

Avec la fermeture de GM, c’est une page de l’histoire économique du Québec qu’on tourne, mais en revenant en arrière. Surtout, si on ajoute à cela les nouvelles pratiques de l’Alcan qui semble trouver plus payant d’exporter de l’électricité aux États-Unis que de produire de l’aluminium ! (Voir article en page 5.)

Le Québec va se retrouver à la croisée des chemins. Ou bien il s’en remet aux forces du marché – qui ne sont souvent rien d’autre que les forces des lobbies américains ou ontariens – ou bien il compte sur ses propres forces.

Le Québec pourrait tirer profit de son potentiel hydro-électrique pour développer le transport ferroviaire inter-cité ou encore le transport par tramways ou trolleybus dans les villes. Des modes de transport que les pays européens ont développé pour compenser l’absence de ressources pétrolières.

Le Québec pourrait également remettre sur les planches à dessin la voiture électrique à moteur-roue développée par des ingénieurs d’Hydro-Québec.

Le premier ministre Landry a évoqué des projets dans ce sens.

Mais aller de l’avant dans cette direction serait interprété comme une déclaration de guerre par les constructeurs d’automobiles nord-américains et les compagnies pétrolières. Nul doute que les travailleurs de GM et l’ensemble de la classe ouvrière du Québec s’enthousiasmeraient pour une telle approche. Mais il n’est pas évident que nos dirigeants politiques soient prêts à assumer un tel leadership.|203| 
210|La nouvelle ville de Montréal comptera moins « d’orphelin »|Gabriel Sainte-Marie|

Lueur d’espoir pour les jeunes



À la veille de la naissance du Grand Montréal, le groupe Force Jeunesse s'est penché sur la situation des jeunes employés des 28 municipalités annexées. Leur rapport, La situation de l'emploi des jeunes dans les municipalités de l'île de Montréal, s'intéresse principalement aux clauses « orphelins ». Leur résultat est surprenant 0 45 % des conventions collectives en contiennent.

Mais qu'est-ce une clause «orphelin » ? Il s'agit d'une mesure qui impose des conditions de travail et de rémunération inférieures aux nouveaux employés. Afin d'identifier une telle clause, l'étude retient quatre critères 0 un salaire inférieur à l'embauche, un salaire moindre aux employés temporaires, l'absence de sécurité d'emploi pour les nouveaux employés et l'ajout de nouveaux échelons salariaux.

Le rapport nous rappelle que la naissance des clauses « orphelin» remonte principalement à la réforme Trudel. Le Parti québécois avait alors ordonné une réduction de 6 % de la masse salariale des employés municipaux.

Examinons les effets de ces clauses discriminatoires. En 1996, les cols blancs de Ville La Salle se retrouvaient avec des clauses «orphelin ». À partir de cette date, les nouveaux employés ont vu leur salaire d'entrée chuter de 22 976 $ à 17 232 $ par an. En plus de cette réduction annuelle de 5 744 $, ces travailleurs se sont retrouvés avec une progression salariale étalée sur neuf ans au lieu de cinq.

La situation n'est pas plus agréable chez les pompiers de Ville Saint-Laurent. Les pompiers engagés depuis le 23 octobre 1998 gagnent non plus 38 794 $, mais bien 30 481 $ la première année. Ces derniers se retrouvent aussi avec deux échelons supplémentaires pour atteindre le salaire maximum. Ils doivent donc patienter deux ans de plus.

Tant qu'à eux, les nouveaux cols bleus de Montréal-Nord se voient imposer quatre échelons de plus depuis l'établissement de clauses en 1997. À partir de cette date, les nouveaux employés temporaires ne gagnent plus que 75 % du salaire des employés permanents. Avant, ils en gagnaient 80%. C'est une chute de 6,25 %.

Avec la fusion

Actuellement, 45 % des conventions sur l'Île de Montréal contiennent des clauses « orphelin». Nous pouvons nous demander si les conventions collectives de la nouvelle ville en contiendront aussi. C'est le rapport de force entre syndiqués et dirigeants municipaux qui nous le dira. Il n'y en aura probablement pas. Après tout, la majorité des conventions actuelles n'en contiennent pas.

De plus, des 28 municipalités à se fusionner, la principale est l'actuelle Ville de Montréal. Presque 14 000 des 29 000 salariés du Grand Montréal viendront de l'actuelle Communauté urbaine de Montréal. C'est intéressant puisqu'aucune convention collective de la CUM ne contient de clauses «orphelin », sauf pour les policiers.

L'imposition des fusions municipales à Montréal pourrait au moins avoir cet avantage 0 la disparition des clauses « orphelin » chez ces employés municipaux. Ce serait un gain important pour les jeunes et pour le syndicalisme. L'intégration de toutes les travailleuses et de tous les travailleurs d'un syndicat permet de bâtir une véritable union, et donne ainsi un véritable rapport de force.|203| 
211|Un pont, deux ponts... alouette !|Stéphanie Beaupied| C’est une grande victoire pour les citoyens mobilisés contre la construction d’un pont entre Montréal et la rive sud ! La Commission Nicolet de consultation sur l’amélioration de la mobilité entre Montréal et la rive sud vient de se faire couper l’herbe sous le pied par le ministre des Transports Guy Chevrette 0 il n’y aura pas de pont !

C’est à coup de communiqués, de lettres ouvertes et de mobilisations que la coalition du CRE-Montréal (Conseil régional de l’environnement) et de 70 groupes soucieux de la qualité de l’environnement a fait reculer le gouvernement. La commission chargée d’étudier et de recevoir les projets pour améliorer la mobilité entre Montréal et la rive sud avait des idées de grandeur… avec SNC-Lavalin !

Présidée par Roger Nicolet et Gisèle Gallichan, la Commission refusait de recevoir les projets de transport en commun qu’elle considérait déjà acquis et ne voulait considérer que les projets des firmes privées. On prévoyait construire un nouveau pont à l’est du pont Jacques-Cartier et transformer la rue Notre-Dame en une autoroute. Des organismes mécontents ont protesté et le ministre Chevrette a dû mettre le pied sur le frein… de l’impopularité.

Cette décision ne devrait pas nous faire oublier que le gouvernement prévoit prolonger l’autoroute 25, construire un pont entre Montréal et Laval, prolonger l’autoroute Ville-Marie et, finalement, creuser un tunnel entre le pont Champlain et le pont Victoria ou le pont de la Concorde. Selon André Porlier du CRE-Montréal, le gouvernement favorise ces projets sans en avoir examiné toutes les conséquences. Aussi, pour le CRE-Montréal, la bataille n’est pas terminée !

Avec Mme Harel, il y en a pour tout le monde

Le 11 septembre dernier, la ministre aux Affaires municipales et de la Métropole lançait son cadre d’aménagement pour la région de Montréal. Document intéressant à plusieurs niveaux, selon M. Porlier, mais surtout contradictoire ! Il y en a pour tous les goûts. On désire renforcer les quartiers centraux de Montréal, limiter l’étalement urbain et améliorer le service de transport en commun… mais aussi moderniser les autoroutes !

Pour le CRE-Montréal, ce plan est illogique et irréaliste tant au plan financier que de ses conséquences sur l’environnement urbain. M. Porlier explique que l’établissement de mégastructures routières a un impact sur l’ensemble de l’environnement. De plus, comme on ne prévoit pas d’augmentation significative de la population dans les prochaines années, il va sans dire que les gens préféreront la voiture au transport en commun.

M. Porlier questionne la faisabilité financière d’ériger à la fois des autoroutes et des moyens alternatifs de transport et il craint que les solutions durables soient mises de côté. « Depuis quand déjà, demande-t-il, parle-t-on de prolonger le métro jusqu’à Laval ? »

Des solutions écologiquement correctes existent

Pourtant, l’Agence métropolitaine de transport a développé des solutions durables et novatrices en matière de transport dont le système léger sur rail sur l’estacade du pont Champlain, le prolongement du Métro de Longueuil et des voies réservées au covoiturage. Le CRE-Montréal espère sensibiliser la population en élargissant le débat pour élaborer une politique générale de transport en commun à une plus grande échelle que l’île de Montréal.

Une fanfaronnade du ministre Boisclair

Québec 0 l’avant-garde en matière environnementale ?

« Le Québec est un modèle ! », se vantait, il n’y a pas très longtemps, le ministre de l’Environnement André Boisclair. Ah ! Oui ? Tandis que les plus grandes villes du monde détruisent leurs autoroutes, nous en construisons ! Nos voisins américains, pourtant si contestés en matière de gaz à effet de serre, se sont aperçus que le volume d’automobiles en milieu urbain s’amplifiait avec l’ajout d’infrastructures. À Portland, San Francisco et Milwaukee, on démolit des autoroutes pour faire place aux quartiers résidentiels. À Paris et à Londres, on tente de limiter l’accès des véhicules à la ville.

Attendons d’étouffer ! Au diable, Kyoto !

Le CRE-Montréal note plusieurs conséquences néfastes à l’augmentation de la circulation automobile 0 hausse de la pollution atmosphérique, de la poussière, du bruit et du stress. À court terme, c’est la qualité de vie des citoyens qui sera affectée. À long terme, ce sont les accords de Kyoto qui se retrouvent à la poubelle.

Malgré les avertissements des scientifiques, les gouvernements continuent d’encourager des pratiques néfastes pour l’environnement global et la santé des citoyens.|203| 
212|Norsk Hydro bat de l’aile|Sébastien Lacroix|

Le magnésium parle de plus en plus chinois



En août dernier, la direction de Norsk Hydro annonçait la possibilité de fermer son usine productrice de magnésium dans le parc industriel de Bécancour.

En Mauricie, l’annonce de cette possible fermeture inquiète la population. Depuis le début de l’année, la mondialisation a déjà fait deux victimes. Une troisième, celle-ci de taille, est dans sa mire.

À Shawinigan, Norton qui ne parvenait plus à vendre son carbure de silicium à un prix rentable a dû fermer 0 90 chômeurs. À Trois-Rivières, l’usine de Fruit of the Loom, la dernière au Canada, ferme ses portes définitivement le 28 septembre 0 750 chômeurs. À Bécancour, Norsk Hydro est une entreprise rentable, dotée d’une technologie de pointe et d’un personnel qualifié avec des salaires dignes de l’industrie lourde. Cette perte serait en effet la plus lourde de conséquences. Elle a déjà fait 85 chômeurs.

Les yeux plus grands que la panse

La situation de Norsk Hydro à Bécancour n’a jamais été facile. Lorsque débute la construction, en 1986, on estime ses coûts à 400 millions $. Lors de son ouverture officielle, en 1990, la facture s’élève à 580 millions $. À cette époque, les dirigeants voyaient grand. Ils lançaient même l’idée d’agrandir l’usine pour, un jour, produire 240000 tonnes de magnésium par année, du jamais vu ! Une intention qu’elle réitère en 1997 avec un projet de 400 millions $ auquel on n’a pas encore donné suite.

Ces promesses ne se sont jamais réalisées. Actuellement, Bécancour produit 45 000 tonnes métriques alors que sa capacité de production est de 64 000 tonnes par année. Ce qui est inquiétant, c’est l’arrivée d’une concurrente sur le marché québécois. Depuis l’implantation de Magnola, le marché est scindé et l’entreprise doit se réajuster. En 2002, cette dernière aura atteint son plein potentiel, soit 63 000 tonnes. Si elle n’entraîne pas la fermeture de Norsk Hydro, le Québec deviendrait le deuxième producteur de magnésium au monde derrière la Chine.

Difficile de plaire aux Chinois et aux Américains

Justement, la Chine… Elle offre du magnésium à des prix tellement bas que les autres pays n’arrivent plus à la concurrencer. Leur produit final n’est peut-être pas de la même qualité, mais les coûts de production sont beaucoup plus bas. Là-bas, le salaire annuel d’un ouvrier s’élève à 500 $. Ce qui correspond, à quelques dollars près, à la somme nette que les journaliers de Bécancour encaissent chaque semaine.

Evind Reiten, le président de Norsk Hydro, souhaite réduire non pas la productivité de ses usines, mais les coûts qu’elle entraîne. Il a d’ailleurs, en décembre 2000, mis à pied 85 de ses 350 employés, alléguant la baisse du prix du magnésium sur le marché et la présence de nouveaux joueurs gênants pour expliquer ces coupures.

Hydro Magnesium, propriété norvégienne, regroupe les usines de Norsk Hydro à Bécancour et à Porsgrnn en Norvège, une autre en Allemagne où on recycle et on produit des anodes. Entreprise norvégienne, elle serait considérée «traître à sa patrie » en fermant celle de Porsgrnn, mais le sentiment patriotique n’a pas l’habitude d’affecter les décisions d’affaires.

Récemment, cette compagnie a construit une autre usine en Chine. Sa capacité maximum sera de 10 000 tonnes par année, ce qui est bien peu par rapport aux autres. Peut-être compte-t-elle profiter du marché asiatique à son tour en y investissant là-bas au lieu de concrétiser ses ambitieux projets pour Bécancour ?

Pourtant, la situation géographique de Bécancour est privilégiée. Elle est située près de plusieurs alumineries, elle est la voisine immédiate de l’A.B.I., propriété d’Alcoa, et des marchés américains de l’automobile qui utilisent le magnésium dans leur procédé de fabrication. De plus, le Québec lui offre son hydroélectricité à des prix très compétitifs, Hydro-Québec lui ayant consenti des tarifs privilégiés. En 1991, le département du Commerce des États-Unis a accusé Norsk Hydro de dumping et lui a imposé un droit compensatoire de 33 %. Évidemment…

Alcan paie son électricité... en électricité

En 1998, Alcan et Hydro-Québec ont signé une entente. Hydro-Québec fournit 350 mégawatts pour l'exploitation de l'usine d'Alma. En retour, Alcan s'engage à remettre cette énergie en la produisant à même ses centrales. Il était prévu que dès l'été 2002, Alcan allait procéder à des baisses de production dans ses usines pour rendre cette électricité à Hydro-Québec.

Cependant Alcan décide de délester de l'énergie pour réduire la consommation de ses alumineries dès juillet 2001. L'entente publique ne nous avait pas dévoilé qu'à partir du 1er juillet 2002, Alcan allait devoir rendre disponible, pour Hydro-Québec, un autre bloc d'énergie de 375 mégawatts. Des baisses de production temporaires dans les usines, à toute période de l'année, combleront ce manque à gagner. 375 mégawatts doivent être rendus à Hydro-Québec pendant 90 heures par année. Les arrêts ne peuvent durer plus de deux heures afin de garder l'aluminium en fusion dans les cuves. Hydro-Québec peut arrêter la production des usines à trois heures d'avis.

Le dernier producteur privé

« Alcan est le plus grand producteur privé d'électricité. Cette entente lui permet des opportunités d'affaires car elle peut vendre son électricité sur le marché public par l’intermédiaire d’Hydro-Québec», rappelle Alain Proulx. Le président du Syndicat national des employés(es) de l'aluminium d'Arvida s'interroge également sur l'orientation que sont en train de prendre la compagnie Alcan et Hydro-Québec.

Aux États-Unis, la pénurie d'eau entraîne la baisse des réservoirs hydro-électriques. « Aux États-Unis, on ferme l'aluminerie, mais on continue à produire l'électricité pour la vendre sur le marché. Est-ce que c'est l'option que se garde Alcan pour fournir Hydro-Québec ? », s'inquiète Proulx.

L'aluminerie Arvida à Jonquière date de 1926, et ses salles de cuves sont de la vieille technologie Söderberg et à anodes précuites. Cette usine de production primaire d'aluminium produit 242 000 tonnes par année avec 613 mégawatts. Par comparaison, celle d'Alma équipée d'une technologie plus moderne produit 400 000 tonnes avec 620 mégawatts. À Jonquière, on projette de remplacer l'usine par une nouvelle. Ce projet pourrait être mis en péril. « Nous devons nous assurer que l'exportation d'énergie aux Américains ne se fera pas au détriment de la survie et du remplacement de nos propres usines ou de leur expansion », affirme le SNEAA.

Après Jonquière 0 Shawinigan et Beauharnois

Les usines de Shawinigan et de Beauharnois sont dans la même situation que celle de Jonquière. Elles seront appelées à disparaître dans quelques années. À regarder ce qui se passe actuellement, ces fermetures pourraient avoir lieu afin de fournir en électricité les usines plus rentables ou la vendre aux Américains.

Le syndicat n’était pas au courant

Alcan vend son usine Guillaume-Tremblay

Alcan a annoncé la vente de l’usine Guillaume-Tremblay à la firme américaine Scepter. Celle-ci devrait être conclue le 1er décembre prochain. Alcan n’a jamais informé le syndicat du processus de vente de l’usine qui était entamé depuis plusieurs mois. Il a plutôt placé ses membres devant le fait accompli. Ce qui oblige le syndicat à renégocier la convention collective. « Nous savons que le futur propriétaire exigera des concessions importantes aux conditions de travail », affirme M. Alain Proulx, président du Syndicat national des employés(es) de l’aluminium d’Arvida.

Pour l’instant, personne n’a perdu son emploi...

Les employés de cette usine seront reclasser dans les autres installations d’Alcan. « Nous avons obtenu la garantie de l’employeur que le retour des travailleurs de l’usine Guillaume-Tremblay dans les autres installations d’Alcan n’entraînera pas de mises à pied par la suite », dit Proulx. À court terme, cette décision n’est pas alarmante puisque personne n’a perdu son emploi.

...mais le pire est à prévoir

À long terme, il faut se questionner sur le désinvestissement d’Alcan dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean et sur sa nouvelle stratégie de centre d’affaire. Alcan considère chacune de ses installations comme une unité d’affaire indépendante. Ceci inquiète Alain Proulx qui a l’impression « que cette attitude fait régner une certaine incertitude sur l’ensemble des installations qui sont connexes à la production de l’aluminium primaire ».|203| 
213|Les soins à domicile seront les premiers à être privatisés|Louis Préfontaine|

Coalition Solidarité Santé



Défense des grands principes d’un régime de santé devant la Commission Romanow, intervention dans le dossier de la carte à puce, entraînement de formateurs dans diverses régions du Québec, production d’un nouveau guide électoral et aussi, surtout, dénonciation de la privatisation de soins à domicile... La Coalition Solidarité Santé ne prend pas ses vacances à l’automne.

Le ministère profite du fait que les services à domicile ne sont pas protégés par la Loi canadienne de la santé pour se déresponsabiliser au maximum », déclare Marie Pelchat, porte-parole de la Coalition. « On met en évidence que les soins à domicile au Québec reposent surtout sur les épaules des familles. Le problème, c’est que le gouvernement ne veut pas en discuter. Pourtant, on sait que c’est par là que la privatisation veut s’introduire. »

Il y a 1,1 million de personnes au Québec qui ont des incapacités légères ou sévères. Peut-on les laisser à leur sort ? « Il s’agit d’un des dossiers qui touchent le plus de monde, mais où le gouvernement bouge et finance le moins. »

Marie Pelchat croit que l’exemple des soins à domicile est le plus concret pour expliquer aux gens les désavantages de la privatisation. Il en sera d’ailleurs question dans un petit guide électoral, dont la sortie est prévue en janvier prochain.

Un guide anti-langue de bois

Le but du guide électoral de la Coalition est évidemment d’informer la population afin que celle-ci puisse faire un choix éclairé dans l’isoloir, le jour des élections. Introduit lors des élections de 1994, il a gagné en popularité en 1998, avec une diffusion de près d’un millier d’exemplaires.

Au printemps prochain, on entend distribuer entre 1000 et 1500 guides d’une trentaine de pages, de même que de 3000 à 5000 dépliants de quatre pages résumant les « points chauds » du guide. « En vérité, on ignore le nombre exact de copies déjà distribuées, car beaucoup de gens en font des photocopies », affirme Marie Pelchat.

Toute réponse mérite une question

Le guide, non partisan, informera sur les enjeux globaux de la santé, puis il comparera les politiques des divers partis. Dans les précédentes éditions, il y avait une section « questions aux candidats ». On a innové cette année pour contrer la langue de bois en rajoutant une section « oui mais ». On y retrouve de nouvelles questions associées aux réponses courantes de ceux qui ne veulent pas trop se mouiller.

Par exemple, on pourrait demander 0 « Considérant que le Québec est la province qui dépense le moins par habitant dans la santé, et qu’il y a eu des coupures de deux milliards $, comment justifiez-vous votre politique en matière de santé ? » Une des réponses « langue de bois » courantes est de dire 0 « On n’a plus d’argent. » La nouvelle version du guide renchérit avec une nouvelle question 0 « Mais pourquoi nous privez-vous volontairement de fonds en généralisant les reports d’impôts aux grandes compagnies ? » Ainsi, on permettra à Monsieur Tout-le-monde de faire des liens entre les différents thèmes et on forcera les candidats à se commettre. « Il faut que les citoyens soient équipés pour débattre », souligne Marie Pelchat.

L’approche AMWAY de la formation populaire

Un autre avantage du guide électoral, c’est qu’il permettra à divers formateurs de partir dans leur région, village ou quartier, et d’expliquer la problématique de la santé sans passer par le filtre désocialisant des médias. « J’ai eu beaucoup de demandes au Sommet des peuples pour aller en région. Les gens veulent aller plus loin pour informer leur population. Nous expérimenterons une sorte d’approche AMWAY de la formation populaire. »

En sensibilisant davantage la population, on espère à la Coalition obliger les candidats à prendre position. Dans le guide électoral, on proposera aussi une question qui irait comme suit 0 « Est-ce que vous vous engagez à exclure de la négociation de la ZLÉA les services sociaux et de santé ? » Dans ce cas, pas d’embrouille possible, le candidat devra répondre oui ou non. En clair, on veut des réponses précises, des engagements, du concret. Bref, de nous changer des tergiversations habituelles des députés.

Quand l’administration du système de santé se porte bien, c’est la santé qui s’améliore

Autre dossier chaud, celui de la carte à puce. Le ministre vient d’écarter d’un coup de baguette l’Agence d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé (AETMIS), chargée de l’évaluation de cette nouvelle méthode. « La carte à puce est un outil administratif d’information », a déclaré l’attachée de presse du ministre Trudel pour justifier cette décision. « Ça ne contribue pas à améliorer la santé, mais bien l’administration du système de santé. »

L’Agence voulait étudier son impact sur les soins prodigués aux patients. Alors, Zou ! On la fait disparaître ! On n’accepte pas la critique au gouvernement. Pour Marie Pelchat, ça s’explique puisque le but final est une plus grande privatisation. « La carte à puce est essentielle pour la mise en œuvre du rapport Clair qui dépossède les CLSC du mandat de dispenser les services et qui les nomme responsables de la coordination des services offerts par le secteur privé, les entreprises d’économie sociale et les groupes communautaires. »|203| 
214|Le mode de scrutin attend à l’urgence depuis 32 ans|Paul Cliche| Ayant en vue les prochaines élections générales, le Mouvement pour une démocratrie nouvelle (MDN) veut que la remise en question du mode de scrutin se fasse par le biais d'un vaste débat public. Voué à l’instauration d’un mode de scrutin plus représentatif, le MDN vient de se lancer en campagne.

Comme première action, il sollicite l'appui de dirigeants d'organismes et de personnalités issues de différents secteurs de la société civile pour obtenir, dans les plus brefs délais, la convocation d'une commission de l'Assemblée nationale ou la création par cette dernière d'une commission d'étude devant lui faire rapport afin de procéder à une consultation des citoyens et des groupes sociaux sur l'actuel mode de scrutin, ainsi que sur les changements que ces derniers voudraient y apporter.

Un mouvement arc-en-ciel

Se définissant comme « un mouvement arc-en-ciel rassembleur et non partisan », le MDN s'est donné comme objectif, dans un premier temps, de susciter un débat public sur la pertinence de modifier le mode de scrutin du Québec. Ses animateurs savent fort bien en effet que les dirigeants politiques ne bougeront pas, tel que l'a prouvé l'expérience des trente dernières années, à moins qu'ils ne sentent une forte pression populaire Leur objectif à moyen terme est de transformer la question en un enjeu majeur lors des prochaines élections générales.

Les modes de scrutin, ça se change !

Ayant mis sur pied, il y a deux ans, un site internet bien documenté sur les modes de scrutin (http0//pages.infinit.net/mdn), le MDN s'est manifesté en public pour la première fois le printemps dernier alors qu'il a organisé un débat entre les représentants des quatre principales formations politiques évoluant sur la scène québécoise (PQ, PLQ, ADQ et Union des forces progressistes).

Au cours de cet événement historique, auquel ont notamment participé la vice-présidente du Parti québécois, Marie Malavoy, et le responsable de ce dossier pour le Parti libéral, le député Jacques Chagnon, quelque 160 personnes ont pu alors constater que tout ce beau monde s'entendait sur la nécessité d'une réforme du mode de scrutin qui est mentionnée dans chacun des programmes de parti, mais qu'il en était tout autrement sur son urgence.

Ainsi, le Parti québécois, qui a pris l'engagement, en 1969, à l'instigation de son fondateur René Lévesque, d'instaurer, dès la prise du pouvoir, un scrutin à forte composante proportionnelle a laissé son aile parlementaire le renier au début des années quatre-vingt. De telle façon qu'après 16 années d'exercice du pouvoir, le PQ a non seulement ignoré un engagement vieux de 32 ans, mais l'a pratiquement renvoyé aux calendes grecques, dans la dernière version de son programme, en remettant la réforme après l'accession du Québec à la souveraineté.

Par ailleurs, le Parti libéral vient de mettre cette réforme à son programme. Mais l'engagement du parti de Jean Charest semble bien fragile et on se demande s'il tiendrait toujours après une victoire libérale. L'opportunisme éhonté des péquistes n'augure rien de bon dans le cas des libéraux, si ce n'est que ces derniers peuvent en retirer de réels dividendes électoraux compte tenu de la répartition de leur vote.

On se souvient par ailleurs que Robert Bourassa s’est toujours opposé à cette réforme en invoquant la menace d'une instabilité parlementaire. Bizarrement, le premier ministre Landry a maintenant fait sien cet argument que le défunt chef libéral invoquait pour rejeter les revendications des péquistes de René Lévesque.

Quant à Claude Ryan, il avait fait inscrire la réforme au programme du Parti libéral lors de sa période de leadership entre les deux règnes de Bourassa. En signant la pétition du MDN, il renoue donc avec une position qu'il avait d'ailleurs fait sienne dès les années soixante-dix comme directeur du Devoir.

Les signataires de la pétition

La pétition, qui circule depuis peu, porte déjà les noms de plusieurs personnalités en provenance de courants de pensée et de secteurs diversifiés tels 0

Claude Ryan

Michel Chartrand

Françoise David

Monique Richard, présidente de la CSQ

Pierre-F. Coté, ex-directeur général des élections

Jean-Yves Desgagnés, coordonnateur du Front commun des personnes assistées sociales du Québec

Plusieurs personnalités du monde de la littérature et du journalisme 0

Victor-Lévy Beaulieu

Micheline Lachance

Gil Courtemanche

Hélène Pedneault

Pierre Godin

Pierre Graveline

Normand Baillargeon

Pierre Dubuc, directeur de l’aut’journal

Jean-Claude Germain, directeur de la revue L’Apostrophe

Louis Cornellier

Élaine Audet

Andrée Mayer-Périard, présidente de la Fédération des étudiants universaitaires Arthur Sandborn, président du Conseil central du Montréal métropolitain

François Saillant, coordonnateur du FRAPRU

Les politicologues 0

Vincent Lemieux

Henry Milner

André Larocque, ex-sous-ministre de René Lévesque à la réforme électorale

Roméo Bouchard, coordonnateur de l'Union paysanne|203| 
215|Le Jihad capitaliste|François Parenteau| Depuis les attentats de mardi à New York et Washington, les médias nous l'ont dit 0 rien ne sera plus pareil. Après l'ébahissement face aux effets spectaculaires de ces gestes sans précédent, après la fascination pour cette troublante beauté de l'horreur, après la consternation, la peine et la peur, on peut, enfin réfléchir. On peut mais... Quand on est le chef de ce qu'on entend de plus en plus appeler « the only remaining superpower », on peut bien faire ce quon veut. Et George Bush me fait peur.

La première image qui a installé en moi la peur parmi toutes ces images explosives et déchirantes, c'est cette dizaine de Palestiniens qui dansaient de joie dans leur camp poussiéreux. Au « peak » de la colère américaine, voilà cette bande de pauvres sans pays qui osent se réjouir de tant de morts américains, tout sourires. Au moins, s'ils avaient eu la présence d'esprit de chanter « Bonne fête Mustapha » pour faire semblant qu'il s'agissait d'autre chose... Mais non ! Ils avaient l'air d'une cape rouge face à un taureau piqué.

Puis, la peur a grimpé quand j'ai vu la « twist » que George Bush donnait à tout ça. C'est le Bien contre le Mal. Ce n'est donc pas une lutte entre la barbarie et la démocratie. Cest une lutte entre deux fois. Une lutte où chacun est le Mal de l'autre avec quelques preuves à l'appui.

Bush a dit 0 « We will lead the world... to victory. » Remarquez bien la pause... J'avais une étrange impression qu'il avait déjà fini sa phrase. Et puis, voir s'il est question de victoire, cow-boy... C'est justement parce que tu les gagnes toutes, partout, tout le temps, dans les nobles causes comme dans les sordides magouilles pour protéger tes intérêts à courte vue, et souvent les unes abriant les autres, que tant de haine se déchaîne. La victoire, c'est toujours contre quelqu'un. Cette fois, ce serait le Mal, et il ne s'agirait donc pas tant d'une guerre que d'une espèce d'exorcisme de la planète. Mais non... C'est la cohorte de tes vaincus qui a fermenté dans son fanatisme et qui t'explose au visage. Tu veux que justice soit faite. Comprends-tu que pour tout un pan de l'humanité, c'était justement ça, les avions...

Hier, j'ai vu un bout d'une messe où George Bush officiait. D'ailleurs, l'hallucinante bondieuserie dans laquelle on se retrouve prouve qu'on vit une guerre de religion... Tout le gratin politique américain était là les larmes aux yeux et, pendant un hallucinant «Glory Alleluia » aux accents vengeurs, se sont retournés, dans un faisceau de lumière, de fiers jeunes hommes, représentants de chacun des corps d'armée américains. J'en étais glacé d'effroi. Tout restait désespérément pareil. Juste pire.

Je ne sais pas trop ce qui va se passer dans les jours à venir. Pour tout vous dire, je suis tellement méfiant du rôle des médias dans tout ça que je me demande même ce qui s'est vraiment passé durant les jours précédents et je ne peux m'empêcher de trouver que cette histoire de manuel de pilotage en arabe trouvé dans une voiture sonne comme un indice tiré de Tintin. Mais ce que je sais, c'est qu'on me demande, qu'on me force à choisir mon camp.

Il ne me fait aucun doute que mon camp est du côté de la démocratie (même imparfaite), de la société de consommation, de la liberté d'expression, de l'alcool et des minijupes. Je le sais bien que si on ne me donne à choisir qu'entre George Bush et Oussama Ben Laden, je vais choisir George Bush. Mais je ne crois pas que nous sommes le Bien et qu'ils sont le Mal. Je refuse que mon allégeance soit prise en otage pour des actes stratégiques injustes, ni qu'on la prenne pour un appui inconditionnel à ce monde corporatiste et néolibéral. Je n'embarquerai pas dans un Jihad capitaliste.

Pendant que tout le monde applaudissait la touchante solidarité des citoyens américains et du monde entier envers les victimes, dans les Bourses du monde, là où les gens agissent avec leur argent, les actions de compagnies aériennes sont en baisse, tout comme celles des compagnies d'assurances et celles de compagnies d'immobilier avec des buildings près du World Trade Center.

Ce qui est en hausse ? Les compagnies pharmaceutiques et d'armement... Pourtant, les compagnies aériennes auraient besoin d'un peu de solidarité. Ils vont avoir besoin d'argent pour rendre leurs avions «terrorist-proof ». D'ailleurs, on aurait pu empêcher de spéculer sur ces industries touchées directement par les attentats. Mais non. Le gars qui, dès la réouverture de la Bourse, vend ses actions de Air Transat (on peut comprendre...) pour acheter des actions d'une compagnie qui fabrique des missiles, il fait de l'argent avec la détresse des gens. Ça prend quand même un vautour, non ? Et ça... c'est le système boursier du monde occidental 0 donner des tapes dans le dos des «winners» et des coups de pied sur le monde qui sont à terre.

Et ce serait ça, l'empire du bien ?

Texte lu à l’émission Samedi et rien d’autre, 1ère chaîne de Radio-Canada, le 15 septembre 2001.|203| 
216|Le Québec n’a rien à gagner de l’approche du « Choc des civilisations »|Pierre Dubuc| Après les déclarations de George W. Bush sur la « guerre du Bien contre le Mal », on a beaucoup parlé dans les médias du « Choc des civilisations », une expression tirée d’un livre qui a eu une grande influence au sein de l’intelligentsia et de la classe politique américaines.

Publiés à l’origine sous forme d’article en 1993 dans la prestigieuse revue Foreign Affairs sous le titre « The Clash of Civilizations ? », les propos de l’auteur, Samuel P. Huntington, ont suscité selon les éditeurs de la revue plus de débats que tous ceux qui ont été publiés depuis les années 40. En 1996, Huntington a laissé tomber le point d’interrogation de l’article original et le livre qu’il a publié s’intitulait 0 The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order.

La thèse de l’auteur, qui a été conseiller-expert auprès du Conseil national américain de sécurité sous l’administration Carter et qui dirige aujourd’hui le Olin Institute for Strategic Studies, un institut de droite, est la suivante 0 avec la chute de l’Union soviétique, ce ne sera plus la lutte des classes ou la lutte entre le capitalisme et le socialisme qui définira le cours de l’Histoire, mais le « Choc des civilisations » qu’il définit essentiellement par leur religion.

Un raccourci simpliste

La thèse du « Choc des civilisations » a toutes les chances de s’imposer. Elle fournit un raccourci simpliste qui permet de justifier le déploiement de l’impérialisme américain à travers le monde au nom de la lutte du Bien contre le Mal.

Que les éditorialistes « va-t’en guerre » américains aient invoqué le « Choc des civilisations » se comprend, mais il est plus surprenant de le retrouver sous la plume des éditorialistes du journal Le Devoir. Dès le 12 septembre, le directeur Bernard Descoteaux se demandait, après avoir cité Huntington 0 « Avons-nous assisté à un premier choc des civilisations ? » Après avoir fait siens les propos de Bush selon lesquels « c’est la liberté qui a été attaquée », il répondait 0 « Le penser nous permet de donner aux événements d’hier un minimum de sens » !

Le lendemain, 13 septembre, c’était au tour du rédacteur en chef, Jean-Robert Sansfaçon, d’en remettre en appelant ni plus ni moins qu’à la guerre sainte. Après s’être réclamé de « l’Occident CHRÉTIEN auquel, soit dit en passant, nous n’avons certainement pas à nous excuser d’appartenir », Sansfaçon, renouant avec la tradition catholique du Devoir, écrivait 0 « Nous, Occidentaux (...), avons aussi le droit et le devoir de défendre les nôtres, nos frères, nos sœurs, nos amis, qui sont identifiés comme l’ennemi à abattre dans la guerre sainte que quelques factions intégristes de l’Islam ont déclarée à l’Occident. »

Une approche chauvine

Descoteaux et Sansfaçon ont trouvé chez Huntington une réponse rapide à l’état de panique dans lequel les avaient précipités les attentats, mais s’ils avaient lu attentivement Le Choc des civilisations, ils auraient constaté qu’il n’y avait pas grand-place dans cette approche pour le Québec.

Huntington s’en prend à ceux qui, « niant l’existence d’une culture américaine commune, mettent l’accent sur la spécificité culturelle des groupes raciaux, ethniques et autres ». Il vilipende ceux qui « remettent en question un des principes américains fondamentaux, en substituant aux droits individuels ceux des groupes qui se définissent essentiellement en termes de race, d’appartenance ethnique, de sexe et de préférence sexuelle ». Il critique « les responsables politiques américains (les administrations Bush-père et Clinton) qui, dans les années 1980, ont non seulement favorisé cette tendance, mais qui ont systématiquement défendu la diversité plutôt que l’unité du peuple qu’ils gouvernent ».

Huntington affirme même que « l’avenir des États-Unis et celui de l’Occident dépendent de la foi renouvelée des Américains en faveur de la civilisation occidentale. Cela nécessite de faire taire les appels au multiculturalisme, à l’intérieur de leurs frontières ».

L’approche du « Choc des civilisations » nie toute légitimité aux revendications des Hispanophones, des Noirs et des autres nationalités aux États-Unis. Elle cautionne ceux qui voudraient « faire taire » toute manifestation culturelle ou linguistique autre que l’anglo-saxonne. Elle ne peut qu’alimenter le courant chauvin de mouvements comme le « English Only ». Dans un tel contexte, on imagine facilement qu’il n’y aura pas grand-sympathie pour la reconnaissance d’un Québec francophone.

Quand l’Occident se résume au monde anglo-saxon

Déjà, à la veille du référendum de 1995, Conrad Black avait signé un article dans la même revue Foreign Affairs (mars/avril 1995) dans lequel il recommandait au gouvernement fédéral de ne plus faire aucune concession au Québec. Celui-ci devait se soumettre et demeurer au sein du Canada ou partir avec la perspective de se voir condamné à devenir un timbre-poste au nord des États-Unis, amputé de ses territoires nordiques et du West-Island, à n’être qu’un Puerto Rico, froid, riche en ressources naturelles.

Dans une telle éventualité, Conrad Black proposait la fusion du Canada anglais avec les États-Unis. Faisant référence aux thèses de Huntington, Black écrivait 0 « Dans un monde où les seules civilisations alternatives seront les civilisations orientales et islamiques, le regroupement du capitalisme libéral démocratique anglo-saxon nord-américain en un seul pays plutôt qu’en deux pourrait constituer un attrait considérable pour les deux pays. »

Conrad Black et Samuel Huntington s’inscrivent dans un courant de pensée qui réduit la « civilisation occidentale » au monde anglo-saxon. Dans un ouvrage publié l’an dernier, le politicologue Robert Conquest, bien connu pour ses travaux sur l’Union soviétique, écrivait que le seul véritable système démocratique se limitait à la fière Albion et à ses héritiers 0 les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Même le continent européen ne trouvait pas grâce à ses yeux, trop marqué qu’il était par les révolutions !

Cette conception reflète une situation de fait 0 l’alliance privilégiée des États-Unis avec la Grande-Bretagne depuis la Seconde Guerre mondiale et avec les autres pays anglo-saxons. Ce sont ces pays anglo-saxons que l’on retrouve partenaires dans le système d’écoute électronique Échelon. Ce sont les mêmes pays qui font bloc lors des votes clés à l’ONU, particulièrement lorsqu’il est question de soutenir l’État d’Israël.

Ce que l’expérience nous a appris

Le Québec n’a absolument aucun intérêt à faire sienne l’approche du « Choc des civilisations ». Il n’a aucun intérêt à appuyer la croisade du président Bush du « Bien contre le Mal ». La population le sait d’instinct, comme l’ont révélé les premiers sondages. Alors que le Canada anglais appuie massivement la croisade de Bush, le Québec fait bande à part. Une longue expérience des guerres menées au nom de la « civilisation anglo-saxonne » lui a appris qu’il n’en sera toujours que la chair à canon.|203| 
217|Qui est Oussama ben Laden ?|Michel Chossudovsky|Le premier suspect des attaques de New-York et Washington, le Saoudien Oussama ben Laden, qui est déjà désigné comme un « terroriste international » par le FBI pour son rôle présumé dans le bombardement d’ambassades étatsuniennes en Afrique, fut ironiquement au point de départ recruté par la CIA pour combattre les Soviétiques durant la guerre Soviéto-Afghane1.

En 1979, la « plus grande opération secrète de l’histoire de la CIA » fut lancée en réponse à l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques afin de soutenir le gouvernement pro-communiste de Babrak Kamal2.

« Sous les vifs encouragements de la CIA et des Services secrets pakistanais, qui voulaient transformer le Jihad afghan en une grande guerre menée par tous les pays musulmans contre l’URSS, quelque 35 000 intégristes musulmans en provenance de 40 pays islamiques se joignirent à la lutte en Afghanistan entre 1982 et 1992. D’autres dizaines de milliers vinrent étudier dans les madrasah pakistanais. Avec le temps, plus de 100 000 intégristes musulmans furent directement influencés par le Jihad afghan3.»

Le Jihad islamique était appuyé par les États-Unis et l’Arabie saoudite, une grande partie du financement provenant du commerce de la drogue dans le Croissant fertile.

« En mars 1985, le président Reagan signait la directive de sécurité nationale nº166, qui autorisait une aide militaire secrète aux Moudjahidine. Cette initiative démontrait sans équivoque que la guerre secrète ménéee en Afghanistan avait pour objectif de combattre les troupes soviétiques en Afghanistan. La nouvelle aide en sous-main des États-Unis fut marquée par une augmentation substantielle de la quantité d’armes fournies – une aide annuelle régulière équivalente, en 1987, à 65 000 tonnes d’armes –, de même qu’un flot incessant de spécialistes de la CIA et du Pentagone, au quartier général secret des Services de renseignement pakistanais, sur la route principale, près de Rawalpindi, au Pakistan4. »

La CIA, utilisant les Services des renseignement pakistanais, jouait un rôle clé dans l’entraînement des Moudjahidine. À son tour, la guérilla soutenue par la CIA fut intégrée avec les enseignements de l’Islam 0

« Les thèmes prédominants étaient que l’Islam est une idéologie sociopolitique complète, que l’Islam sacré avait été violé par les troupes soviétiques athées et que le peuple islamique d’Afghanistan devrait réaffirmer son indépendance en se débarrassant du régime socialiste afghan soutenu par Moscou5. »

Le réseau des Services de renseignement pakistanais

Les Services de renseignement pakistanais – Inter Service Intelligence (ISI) – furent utilisés comme « intermédiaire ». L’appui de la CIA au Jihad fut réalisé par l’entremise de la ISI, c’est-à-dire que la CIA ne faisait pas parvenir son appui directement aux Moudjahidine. En d’autres mots, afin de garantir le « succès » de ces opérations en sous-main, Washington avait pris soin de ne pas révéler l’objectif ultime du Jihad, qui consistait à détruire l’Union soviétique.

Selon l’expression de Milton Beardman, de la CIA, cette agence « n’a pas entraîné les Arabes » en tant que tel. Cependant, d’après Abdel Monam Saidali, du Centre Al-Aram d’études stratégiques du Caire, ben Laden et les « Arabes afghans » avaient reçu « par l’entremise de la CIA, un entraînement [militaire] très sophistiqué et spécialisé [dans différents champs d’application6 ».

Beardman confirme néeanmoins qu’Oussama ben Laden n’était pas conscient du rôle qu’il jouait pour Washington 0 « Ni moi [ben Laden], ni mes frères n’avions pu observer une quelqonque aide américaine7. »

Motivés par le nationalisme et la ferveur religieuse, les guerriers islamiques n’étaient guère conscients qu’ils se battaient contre l’Union soviétique pour le compte de l’« Oncle Sam ». Alors que des contacts furent établis et entretenus aux échelons supérieurs des services de renseignement, les commandants des rebelles islamiques sur le terrain n’avaient aucun lien direct avec Washington ou la CIA. Avec le soutien de la CIA et l’aide militaire américaine, la Inter Service Intelligence (ISI) pakistanaise s’est rapidement transformée en une «structure parallèle exerçant d’énormes pouvoirs sur tous les aspects de gouvernement »8. La ISI possédait un personnel, composé de militaires, d’agents de renseignement, de bureaucrates, d’agents doubles et d’informateurs, estimé à 150 000 personnes9. Entre-temps, les opérations de la CIA contribuaient également à renforcer le régime militaire pakistanais dirigé par le général Zia Ul Haq 0

« Les relations entre la CIA et les Services de renseignement pakistanais sont devenues plus amicales suite au coup d’État contre Bhutto par [le Genéral] Zia et l’installation d’un régime militaire. [...] Durant la plus grande partie de la guerre d’Afghanistan, le Pakistan était encore plus anti-soviétique que les États-Unis. Peu après l’invasion de l’Afghanistan par des militaires soviétiques, en 1980, Zia avait donné ordre au directeur de la ISI de mener des actions en sous-main afin de déstabiliser les républiques soviétiques d’Asie centrale. La CIA n’a approuvé ce plan qu’en 1984. [...] La CIA était encore plus prudente que les Pakistanais. Le Pakistan et les États-Unis choisirent tous deux la supercherie. Des actions diplomatiques de façade furent ménées alors que les Services de renseignement [CIA et ISI] s’étaient préalablement entendus à l’effet qu’une escalade militaire constituait la meilleure solution10. »

Le triangle de la drogue du Croissant fertile

L’histoire du commerce de la drogue en Asie centrale est intimément liée aux activités secrètes de la CIA. Avant la guerre URSS-Afghanistan, il n’y avait pour ainsi dire presque pas de production locale d’héroïne11. À cet égard, l’étude d’Alfred McCoy confirme que, durant les premières années des opérations de la CIA en Afghanistan, «les territoires près de la frontière pakistano-afghane devenaient le principal fournisseur d’héroïne pour le marché mondial, répondant à 60 % de la consommation d’héroïne au États Unis. Au Pakistan, le nombre de personnes dépendantes de l’héroïne est passé de près de zéro en 1979 à [...] 1,2 million en 1985 – un accroissement beaucoup plus grand que celui connu par n’importe quel autre pays12. »

« La CIA contrôlait indirectement le commerce de l’héroïne. Lorsque les Moudjahidine ont établi leur contrôle sur une partie du territoire afghan, ils ont donné l’ordre aux paysans de cultiver de l’opium en guise de taxe révolutionnaire. De l’autre côté de la frontière, au Pakistan, des leaders afghans et des groupes d’affaires locaux, sous la protection des Services de renseignement (ISI), ont mis sur pied des centaines de laboratoires de production d’héroïne. Durant cette décennie de commerce ouvert de la drogue, la US Drug Enforcement Agency à Islamabad s’est trouvé incapable de faire quelque saisie ou arrestation majeure que ce soit. [...] Les autorités états-uniennes ont refusé d’enquêter sur toute charge en rapport avec l’héroïne à l’égard de leurs alliés afghans » parce que la politique des États-Unis relative à la lutte contre le narcotraffic en Afghanistan fut largement subordonnée à la guerre contre l’Union soviétique. En 1995, le directeur des opérations de la CIA en Afghanistan, Charles Cogan, avait admis que la CIA avait sacrifié la guerre contre la drogue pour se consacrer à la Guerre froide. « Notre mission principale était d’infliger le plus de dommages possible aux Soviétiques. Nous n’avions pas vraiment les ressources et le temps requis pour enquêter sur le commerce de la drogue. [...] Je ne crois pas que nous ayons à nous excuser de cela. Toute situation a ses inconvénients. [...] Il y a eu un inconvénient au niveau du narcotraffic, oui. Mais l’objectif principal a été atteint. Les Soviétiques ont quitté l’Afghanistan13. »

Au lendemain de la Guerre froide

Au lendemain de la Guerre froide, la région de l’Asie centrale n’est pas seulement stratégique pour ses réserves de pétrole 0 elle fournit à elle seule les trois quarts de la production mondiale d’opium, ce qui représente un revenu de plusieurs milliards de dollars pour les milieux d’affaires, les institutions financières et bancaires impliquées dans le lavage de l’argent sale, les agences de renseignement et le crime organisé. Le commerce de la drogue dans le Croissant fertile rapporte entre 100 et 200 milliards US$ par année, soit environ le tiers du chiffre d’affaires annuel du commerce mondial de la drogue (héroïne, cocaïne, etc.), évalué (sans compter les retombéees dans d’autres secteurs d’activité) par les Nations unies à environ 500 milliards US$14.

Avec la désintégration de l’URSS, la production de l’opium avait pris un essor considérable. Selon les estimations des Nation unies, la production afghane d’opium en 1998-1999 – dates qui coïncident avec le développement d’insurrections armées dans les anciennes républiques soviétiques – avait atteint un niveau record, avec 4600 mètres cube de production15. De puissants groupes d’affaires de l’ex-URSS alliés avec le crime organisé se font concurrence pour le contrôle stratégique des « routes de l’héroïne».

Le vaste réseau militaire des Services de renseignement pakistanais ne fut pas démantelé au lendemain de la Guerre froide. Par ailleurs, la CIA continuait d’appuyer le Jihad islamique par l’entremise du Pakistan. De nouvelles initiatives secrètes furent lancéees en Asie centrale, dans le Caucase et dans les Balkans. L’appareil militaire ainsi que les Services de renseignement pakistanais ont essentiellement « servi de catalyseur pour la désintégration de l’URSS et l’émergence de six républiques musulmanes en Asie centrale »16.

En parralèle avec ces actions en sous-main de la CIA, des missionnaires islamiques de la secte Wahhabi d’Arabie saoudite s’étaient installés dans ces républiques, de même qu’à l’intérieur de la Fédération russe, empiétant sur les institutions de l’État et de la sociéte civile. En dépit de leur idéologie « anti-USA », les actions fondamentalistes islamiques ont pourtant servi les intérêts stratégiques de Washington en ex-URSS...

La guerre civile afghane s’est poursuivie suite à la retraite des forces soviétiques en 1989. Les talibans avaient reçu l’appui des Deobandis pakistanais et de leur parti politique, le Jamiat ul Ulema e Islam (JUI). En 1993, le JUI s’était joint à la coalition du premier ministre Benazzir Bhutto. Des liens furent établis entre le JUI, l’armée et les Services de renseignement. En 1995, avec la chute du gouvernement Hezb i Islami de Hekmatyar, à Kaboul, les talibans ont non seulement instauré un gouvernement islamique intégriste, mais ils ont aussi « confié le contrôle des camps d’entraînement afghans à des factions du JUI »17.

Et le JUI, avec l’appui du mouvement Wahhabi, a joué un rôle majeur dans le recrutement de Moudjahidine pour les Balkans et dans l’ex-URSS. Jane Defense Weekly confirme à cet égard que « la moitié des hommes et de l’équipement des talibans provient des Services de renseignement pakistanais »18.

En fait, il semblerait que, suite au retrait des troupes soviétiques, les différentes formations armées dans la guerre civile en Afghanistan ont continué à recevoir une aide en sous-main de la CIA par le biais des Services de renseignement pakistanais19.

En d’autres mots, soutenus par l’ISI pakistanais lui-même contrôlé par la CIA, l’État islamique taliban a grandement servi les intérêts géopolitiques de Washington. Le commerce de la drogue dans le Croissant fertile a également servi à financer et équiper l’Armée musulmane bosniaque, dès le début des années 1990, et l’Armée de libération du Kosovo (UCK). Au cours des derniers mois, des mercenaires Moudjahidine combattaient dans les rangs des terroristes de l’UCK impliquée dans la guerre civile en Macédoine. Et il s’est avéré que l’UCK est non seulement appuyé par l’OTAN, il est également en partie financé par la mission des Nations unies au Kosovo.

Cela explique sans l’ombre d’un doute pourquoi Washington a fermé les yeux sur le règne de terreur imposé par les talibans, impliquant notamment des dérogations flagrantes aux droits des femmes, la fermeture des écoles de filles, le congédiement des employées de la fonction publique et l’imposition de la « loi pénale de la Sharia »20.

La guerre en Tchétchénie

Les principaux leaders rebelles en Tchétchénie, Shamil Basayev et Al Khattab, ont reçu leur formation militaire et idéologique dans des camps d’entraînement financés par la CIA en Afghanistan et au Pakistan. Selon Yossef Bodansky, directeur du US Congress’ Task Force on Terrorism and Unconventional Warfare, la guerre tchétchène fut planifiée durant une réunion secrète de Hizb Allah, tenue en 1996 à Mogadiscio, en Somalie21. De nombreux cadres supérieurs des Services de renseignement iraniens et pakistanais, ont participé à cette réunion, à laquelle Oussama ben Laden était également présent. Le rôle de la ISI pakistanaise dans la guerre civile en Tchétchénie « va beaucoup plus loin que l’approvisionnement des Tchétchènes en armes et en expertise 0 les Services de renseignement pakistanais et ses mandataires islamiques radicaux sont en réalité ceux qui dirigent cette guerre »22.

Le principal oléoduc russe traverse la Tchétchénie et le Daghestan. Eu égard aux condamnations de pure forme du terrorisme islamique par Washington, les bénéficiaires indirects de la guerre tchétchène sont les géants pétroliers anglo-américains luttant pour le contrôle des ressources pétrolières et des oléoducs dans le bassin de la mer Caspienne.

Les deux principales armées rebelles tchétchènes (respectivement dirigées par le commandant Shamil Basayev et par l’émir Khattab), estimées à 35 000 hommes, furent financées par les Services de renseignement pakistanais. La ISI a aussi joué un rôle clé dans l’organisation et l’entraînement de l’armée rebelle tchétchène 0

« [En 1994], les Services de renseignement pakistanais ont organisé pour Basayev et ses lieutenants de confiance un endoctrinement islamique intensif et un entraînement de guérilla dans la province de Khost, en Afghanistan, dans le camp d’Amir Muawia, installé au début des années 1980 par la CIA et les Services de renseignement pakistanais et dirigé par le célèbre seigneur de guerre afghan Gulbuddin Hekmatyar. En juillet 1994, “ diplômé ” d’Amir Muawia, Basayev est transféré au camp de Markaz i Dawar, au Pakistan, pour y entreprendre un entraînement en tactiques de guérilla avancées. Au Pakistan, Basayev rencontrait également les plus hauts cadres des forces militaires et des services de renseignement 0 le ministre de la Défense, le général Aftab Shahban Mirani; le ministre de l’Intérieur, le général Naserullah Babar; et le directeur des Services de renseignement responsable pour l’acheminement de l’appui de la ISI aux causes islamiques, le général Javed Ashraf (tous maintenant à la retraite). Ces liens en haut lieu se montrèrent vite utiles à Basayev23. »

Suite à son entraînement et son endoctrinement, Basayev fut affecté pour mener un campagne militaire contre les troupes fédérales russes lors de la première guerre tchétchène de 1995. Son organisation avait également développé des liens étroits avec les consortiums criminels moscovites et avec le crime organisé albanais et l’UCK. En 1997-1998, selon le Service de la sécurité fédérale russe, « les seigneurs de guerre tchétchènes ont commencé à investir dans l’immobilier au Kosovo [...] par l’intermédiaire de plusieurs firmes immobilières enregistrées en Yougoslavie en guise de couverture24 ».

L’organisation de Basayev fut également impliquée dans bon nombre de trafics, notamment les narcotiques, l’exploitation illégale et les sabotages d’oléoducs russes, le kidnapping, la prostitution, le commerce de faux dollars et la contrebande de matériaux nucléaires25. Avec le blanchiment de l’argent de la drogue, les profits de ces activités criminelles furent également utilisés pour financer le recrutement de mercenaires et l’achat d’armes.

Pendant son entraînement en Afghanistan, Shamil Basayev s’est lié avec le commandant vétéran saoudien Moudjahidine Al Khattab qui avait combattu en Afghanistan. Quelques mois après le retour de Basayev à Grozny, début 1995, Khattab fut invité à créer une armée installée en Tchétchénie pour l’entraînement de combattants Moudjahidine. Selon la BBC, le voyage de Khattab en Tchétchénie fut «planifié grâce à l’appui de la Islamic Relief Organisation (IRO) basée en Arabie saoudite qui avait expédié des fonds en Tchétchénie. La IRO était financée par des mosquées ainsi que par des dons de riches individus [associés aux milieux d’affaires saoudiens]26. »

En conclusion

Depuis l’ère de la Guerre froide, Washington a sciamment soutenu Oussama ben Laden, tout en le plaçant sur la liste des « personnes les plus recherchées par le FBI ».

Alors que les Moudjahidine sont impliqués dans des insurrection armées pour le compte des États-Unis dans les Balkans et en ex-URSS, le FBI a pour mandat de mener aux États-Unis une guerre au terrorisme. De toute évidence, il s’agit là non seulement d’actions contradictoires, mais d’une politique qui s’avère mensongère à l’endroit des citoyens. Car la CIA, depuis la guerre URSS-Afghanistan, appuie le terrorisme international par l’entremise de ses opérations secrètes.

Cruelle ironie, le même Jihad islamique, présenté par l’administration Bush comme « une menace contre l’Amérique » responsable des assauts terroristes contre le World Trade Center et le Pentagone constitue un instrument clé des opérations militaires stratégiques de Washington dans les Balkans et en ex-URSS.

Au lendemain des attaques terroristes de New York et de Washington, la vérité sur les liens entre le gouvernment américain et le terrorisme international doit être dévoilée à l’opinion publique afin d’empêcher l’administration Bush et ses partenaires de l’Otan de se lancer dans une aventure militaire qui menace l’avenir de l’humanité.

1. Hugh Davies., « International0 Informers point the finger at bin Laden; Washington on alert for suicide bombers ». The Daily Telegraph, Londres, 24 août 1998.

2. Cf. Fred Halliday. « The Un-great game0 the Country that lost the Cold War, Afghanistan », New Republic, 25 mars 1996.

3. Ahmed Rashid., « The Taliban0 Exporting Extremism ». Foreign Affairs, Novembre-décembre 1999.

4. Steve Coll. Washington Post. 19 juillet 1992.

5. Dilip Hiro., « Fallout from the Afghan Jihad ». Inter Press Services, 21 novembre 1995.

6. Eric Weiner et Ted Clark. Weekend Sunday (NPR). 16 août 1998.

7. Ibid.

8. Dipankar Banerjee. « Possible Connection of ISI With Drug Industry », India Abroad, 2 décembre 1994.

9. Ibid.

10. Cf. Diego Cordovez et Selig Harrison. « Out of Afghanistan0 The Inside Story of the Soviet Withdrawal ». Oxford University Press, New York, 1995. Cf. aussi la critique de Cordovez et Harrison. International Press Services. 22 août 1995.

11. Alfred McCoy. The Progressive, « Drug fallout0 the CIA’s Forty Year Complicity in the Narcotics Trade ». 1 août 1997.

12. Ibid.

13. Ibid.

14. Douglas Keh. Drug Money in a changing World, Technical document nº 4. Vienne, UNDCP, 1998, p.4. Cf. Report of the International Narcotics Control Board for 1999. E/INCB/1999/1 United Nations Publication, Vienne, 1999, pp.49-51 ; et Richard Lapper, « UN Fears Growth of Heroin Trade ». Financial Times 24 février 2000.

15. Report of the International Narcotics Control Board. Op. cit., pp.49-51. Cf. Richard Lapper. Op. cit.

16. International Press Services. 22 août 1995.

17. Ahmed Rashid. « The Taliban0 Exporting Extremism ». Foreign Affairs, Novembre-décembre, 1999, p.22.

18. In « Christian Science Monitor ». 3 septembre 1998.

19. Tim McGirk. « Kabul learns to live with its bearded conquerors ». The Independent Londres, 6 novembre 1996.

20. Cf. K. Subrahmanyam., « Pakistan is Pursuing Asian Goals ». India Abroad 3 novembre 1995.

21. Levon Sevunts. The Gazette, « Who’s calling the shots?0 Chechen conflict finds Islamic roots in Afghanistan and Pakistan ». Montréal, 26 octobre 1999.

22. Ibid.

23. Ibid.

24. Cf. Vitaly Romanov et Viktor Yadukha. « Chechen Front Moves To Kosovo Segodnia. Moscou », 23 février 2000.

25. The European. 13 février 1997. Cf. Itar-Tass, 4-5 janvier 2000.

26. BBC. 29 septembre 1999.|203| 
218|11 septembre 2001|Élaine Audet|

Deux poids, deux mesures



En ces jours sombres pour l'humanité, nous ne pouvons que compatir à l'incommensurable peine de ceux et celles qui viennent de perdre un être cher dans cet attentat dévastateur. Se taire, comme certains le suggèrent, par respect pour le deuil collectif, reviendrait à ouvrir la voie à des deuils plus nombreux encore, si on se fie à la rhétorique belliqueuse du président Bush. Rien au monde ne saurait justifier cette hécatombe, quelles que soient les raisons qui ont pu pousser les auteurs à de tels extrêmes. L'expérience démontre que la violence engendre inéluctablement l'escalade de plus en plus sanguinaire de la vengeance et pervertit les meilleures causes qui finissent par se situer davantage sur le terrain de la mort que sur celui de la vie à changer.

Une fois la stupeur et l'incrédulité apaisées, une fois retombée la douleur comme les cendres et les larmes sur Manhattan, la mémoire et les questions nous reviennent en force sur tous ces moments où nous avons été pareillement confrontéEs à l'insoutenable. En particulier, un autre 11 septembre, en 1973, lors du coup d'État sanglant de Pinochet contre la démocratie au Chili, avec l'appui financier et militaire des États-Unis.

En finir avec la pensée binaire

Les bons sont-ils tous du même côté et les méchants de l'autre, comme veut nous le faire croire le faux pasteur Bush ? «Aujourd'hui des prières, demain les combats », nous dit-il, adoptant le langage des intégristes qu'il veut combattre, nous conviant à la « croisade du bien contre le mal ». Ne faut-il pas s'inquiéter de voir que cette horrible tragédie ne provoque chez la majorité des Américains que le désir de vengeance et aucune réflexion sur les causes d'une telle tuerie, ni à qui elle profitera ? Contrairement à ce que nous serinent les médias, rien n'est changé fondamentalement, c'est toujours la loi du talion qui a le dernier mot. Pourtant, la solidarité récente des peuples contre la mondialisation montre qu'il existe d'autres choix qu'entre l'intégrisme religieux islamique, chrétien ou juif et l'intégrisme économique du Nouvel ordre mondial.

Le prix relatif d'une vie

La vie de toutes les femmes afghanes qui vivent un martyr quotidien sous le régime taliban ou celle des 500 000 victimes du massacre rwandais n'a manifestement pas la même valeur que la vie des 5000 malheureuses victimes de l'attentat du World Trade Center (WTC). Elles n'ont suscité aucune intervention des États-Unis qui, là comme ailleurs, appuyaient les auteurs du génocide. Comment ne pas se rappeler aujourd'hui que l'acte de fondation de l'empire américain, en 1945, a été le lancement de deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, tuant sur le coup plus de 200 000 personnes et, par la suite, des milliers d'autres atteintes par les radiations.

La vie des victimes de l'inoubliable catastrophe de Bhopal en Inde ne peut, elle non plus, être comparable à la perte d'une vie américaine. On se souviendra que l'absence de mesures de sécurité adéquates dans l'usine de la compagnie américaine de pesticides Union Carbide fut responsable, en décembre 1984, du déversement de 40 tonnes de Méthyl Isocyanate (MIC) et autres gaz mortels, tuant 8000 personnes dans les minutes qui suivirent et en blessant plus de 500 000 autres. Dix-sept ans plus tard, quinze à vingt personnes continuent de mourir chaque mois des suites de cette négligence criminelle. La compagnie Union Carbide n'a payé qu'une moyenne de 800 $ aux victimes de son insatiable soif de profits, ce qui ne couvre même pas leurs frais médicaux.

Les véritables intérêts en jeu

L'extrême pauvreté de la population afghane nous cache le fait que ce pays constitue un objectif économique et stratégique considérable, visé par les États-Unis depuis la chute de l'Union soviétique et la prise de pouvoir par les Talibans en 1996. Les spécialistes évaluent actuellement les réserves d'hydrocarbures dans la zone de la mer Caspienne à des «réserves possibles » de 178 à 200 milliards de barils de pétrole et de 1000 à 7500 milliards de mètres cubes de gaz. La réalisation du projet de pipelines et de gazoducs jusqu'à l'océan Indien par la compagnie américaine Unocal et la séoudienne Delta Oil requiert cependant le retour de l'Afghanistan à la stabilité. Comment ne pas présumer que c'est la stabilisation de cette région qui sera bientôt mise en œuvre militairement afin de réaliser les projets américains de pipelines et de gazoducs donnant accès notamment au lucratif marché chinois.

À qui profite l'attentat ?

Sûrement pas aux Palestiniens qui ont vu une partie de l'opinion mondiale leur retirer la sympathie dont ils jouissaient, donnant ainsi le feu vert aux Israéliens pour poursuivre leurs raids meurtriers avec des armes «made in US » et abattre des enfants désespérés qui n'ont que des pierres pour se défendre. C'est incontestablement l'islamisme radical qui semble tirer le plus de profit de cet attentat spectaculaire en publicisant sa cause comme jamais auparavant. Mais simultanément, on s'aperçoit que le nouvel ordre mondial, sous la direction des États-Unis, profitera de la guerre contre le terrorisme pour couper dans les libertés individuelles et envahir le Moyen-Orient. Une telle conjoncture lui permettra en outre de conjurer la récession qui s'annonçait en relançant l'industrie de guerre, à la grande satisfaction des intérêts pétroliers, pharmaceutiques et militaires qui ont mis G.W. Bush et son cabinet de droite au pouvoir.

point de vue des femmes

Dès le 11 septembre, de nombreuses femmes ont pris la parole dans les médias et sur Internet pour dire leur consternation face à cette immense tragédie et en chercher les causes. Depuis des siècles, elles ont été elles-mêmes enterrées sous les décombres des luttes politiques et économiques qui mettent le monde à feu et à sang. Elles ont été les principales victimes des guerres et le butin des vainqueurs. Mais il faut savoir, comme l'a éloquemment montré Madeleine Gagnon dans Les femmes et la guerre (VLB Éditeur, 2000), qu'elles ne cessent de lutter contre cette pensée binaire qui exclut toute conciliation, toute recherche d'une troisième voie qui consisterait dans la coexistence des différences plutôt que dans l'anéantissement de l'autre. Depuis les années 70 surtout, il est devenu évident que la violence, même révolutionnaire, n'engendre inexorablement que la violence et le cycle meurtrier de la vengeance, de génération en génération. Une logique de mort, où tous les moyens sont bons pour vaincre, entraîne l'agressé sur le terrain impitoyable de l'agresseur dévoyant petit à petit les raisons de son combat.

Des Afghanes et des femmes de partout appellent en ce moment leurs sœurs, surtout les Américaines, à intervenir auprès de leur gouvernement pour que ce soit le Tribunal pénal international et l'ONU qui soient responsables du dénouement de la crise actuelle et non les États-Unis qui veulent entraîner les peuples dans une guerre qui fera à son tour un nombre incalculable de victimes. Les femmes, qui ont marché ensemble pour la justice et l'équité, refusent d'être des victimes, tant dans leur vie privée que publique, de systèmes politico-économiques qui continuent de porter atteinte à leur dignité ainsi qu'à celle des trois quarts de l'humanité. Elles dénoncent, haut et fort, l'appétit insatiable de profits et de domination de ceux qui, directement ou indirectement, sont responsables des milliers de morts de New York et de Washington par leur appui inconditionnel à la politique d'Israël, au mépris des résolutions multiples des Nations unies, et par leur refus obstiné de remettre en question leur politique internationale qui sème derrière elle la pauvreté, la violence et le désespoir.

Le cas exemplaire de l'Irak

Plus près de nous, qui oubliera jamais le bombardement, en pleine nuit de Bagdad et l'enterrement vivant de régiments entiers de soldats irakiens sous le sable du désert par les armées « civilisatrices » de l'Occident, sans compter la mort d'un million et demi d'enfants à la suite du blocus inhumain des États-Unis encore en vigueur actuellement ? Il faut se souvenir aussi que, lors de la guerre Iran-Irak, les États-Unis ont soutenu et armé ce même Saddam Hussein qu'ils démoniseront plus tard, tout en vendant des armes au régime iranien par l'entremise du héros US, Oliver North, profitant immoralement, de tous les côtés, de cette guerre qui a fait un million de morts. Au moment où nous assistons à un véritable lavage de cerveau de la part des médias dans le but d'attiser la haine contre « le fanatisme islamique » et de faire de Ben Laden le diable en personne, comme Saddam Hussein, il n'est pas superflu de se rappeler les mises en scène truquées que l'administration de Bush-père nous a servies via CNN afin de susciter notre indignation.

Avez-vous oublié la fille de l’ambassadeur du Koweït ?

Nous avons d'abord eu droit à un prétendu massacre de bébés, par l'armée irakienne, dans un hôpital du Koweït. La guerre finie, nous avons appris que c'est la fille de l'ambassadeur du Koweït aux États-Unis qui avait donné ce témoignage d'un carnage inventé devant un comité sénatorial américain ! La télévision nous montrera aussi ad nauseam les images déchirantes de canards englués dans une marée de pétrole, tournées non pas lors de l'invasion du Koweït, comme on voulait nous le faire croire, mais des années plus tôt en Alaska. Comme si cela ne suffisait pas, il a été établi hors de tout doute que c'est une diplomate américaine qui avait préalablement donné le feu vert à Saddam Hussein pour envahir le Koweït, justifiant ainsi l'intervention militaire américaine dans la région. Peut-on encore avoir confiance dans ce même pouvoir militaro-économique qui fait toujours passer la défense de ses propres intérêts stratégiques avant celle des vies humaines et qui ne craint pas de mentir pour arriver à ses fins ?

Un devoir de mémoire

Avec une inconcevable naïveté, le peuple américain se demande aujourd'hui ce qui lui vaut tant de haine dans le monde. Depuis le 11septembre 2001, on a entendu maints témoignages de ressentiment envers les États-Unis pour l'appui systématique qu'ils ont donné, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, aux régimes les plus corrompus et les plus répressifs de la planète et machiavéliquement, ces dernières années, aux groupes islamistes un peu partout dans le monde. Certains commentateurs sont même allés jusqu'à dire qu'on a déjà vu dans le passé des pays provoquer eux-mêmes des actions terroristes pour servir leurs propres intérêts.

Les cartes de visite de la CIA

On a évoqué le rôle de la CIA dans l'assassinat de Lumumba au Congo pour mettre au pouvoir le boucher Mobutu. La création d'écoles de torture et d'escadrons de la mort à travers toute l'Amérique latine (voir le film État de siège de Costa Gavras, 1973), ainsi que la participation des États-Unis au renversement de tant de gouvernements démocratiques par l'entremise de ses mercenaires. Sans compter, les tonnes de bombes au napalm déversées sur le Vietnam, visant à détruire tout ce qui vit 0 hommes, femmes, enfants, nature.

Comment oublier le lent génocide du peuple palestinien, les massacres sauvages de Deir Yassine (1948) et de Kafr Kassem (1956) à celui de Sabra et Chatilla (1982), sous la direction, aujourd'hui comme hier, du criminel de guerre Ariel Sharon ? Quand le malheur s'abat de façon aussi spectaculaire à nos portes, n'y a-t-il pas lieu de se poser de sérieuses questions sur la politique internationale des États-Unis qui continuent à édifier impunément leur puissance et leur richesse sur le pillage, la misère et la dépendance des autres peuples tout en précipitant, dans leur propre pays, un nombre croissant de personnes dans la pauvreté et l'exclusion ?

Le pacifisme est-il un acte antiaméricain ?

Dans sa lettre du 17.09.01 au journal Le Monde, l'écrivaine américaine Susan Sontag se révolte contre « la véritable duperie et les radotages satisfaits » des politiciens et des médias de son pays et se demande si ses compatriotes savent seulement que des bombardements sur l'Irak continuent à avoir lieu. On peut regretter qu'il y ait si peu de voix américaines pour dénoncer le rôle d'Israël qui, par des provocations et des agressions constantes, empêche toute solution de la question palestinienne, si déterminante pour assainir le climat politique au Moyen-Orient. Comment ne pas constater aussi l'hypocrisie du président Bush qui met en garde contre le racisme anti-arabe, tout en tenant des discours d'une rare violence, incitant à la vengeance contre « les Islamistes » qu'il faut « enfumer jusqu'à ce qu'ils sortent de leur trou ». Selon moi, il n'y a pire ennemie de la justice et de la liberté que l'ignorance. C'est par là qu'il faut commencer.|203| 
219|Ben Laden - Kissinger 0 même intégrisme dans la terreur|Gaétan Breton| Les États-Unis ont subi, sans nul doute, un dur coup, une attaque barbare. Nous sommes encore atterrés devant ces événements. Cependant, notre désarroi, soigneusement entretenu par une rediffusion continue de l’événement, ne doit pas nous fermer les yeux. La croisade « sainte » que les États-Unis, aidés du reste du monde, ont entrepris contre le terrorisme peut-elle être prise au sérieux.

Les États-Unis sont-ils ennemis du terrorisme en soi, comme ils le prétendent, ou sont-ils ennemis du terrorisme qui s’attaque à eux ? Il y a, au moins, deux formes de terrorisme dans le monde. D’un côté, on a le terrorisme pratiqué par ceux qui n’ont pas les moyens de faire la guerre, le terrorisme des pauvres.

Les quelques hypothétiques centaines de millions (on parle de 300) de Ben Laden, dont une partie proviendrait du gouvernement américain lui-même, ne sont rien comparés au pouvoir monétaire des grandes puissances. Pensons aux 40 milliards débloqués par les élus américains. Une guerre demande infiniment plus de moyens et de temps pour s’organiser.

Les guerres propres lavent moins sale

Donc, quand on fustige le terrorisme de celui qui n’a pas d’autres moyens de défense, aussi épouvantable soit-il, on déclare que seules les guerres de riches sont acceptables et que les pauvres n’ont qu’à prendre leur mal en patience et à attendre d’être riches. Bref, on dit qu’il y a des guerres propres et des guerres sales. Ce qui est une conception très anglo-saxonne de la guerre qui se fait aux heures ouvrables, sans abîmer ni tacher le mobilier.

Quand on considère, de plus, qui vend les armes à ces relativement pauvres pour s’attaquer aux grandes puissances, on comprend que ces guérillas ont peu de chance d’échapper au contrôle des grandes puissances et ne sauraient difficilement les prendre par surprise. Pour une fois, à New York, le terrorisme n’a pas utilisé d’armes, semant ainsi la confusion. C’est peut-être ce qui fait le plus peur aux marchands d’armes.

Dear Henry ou Fear Henry ?

De l’autre côté, il y a le terrorisme pratiqué par les grandes puissances, notamment les Américains, et dont les principales actions nous sont transformées en actes de bravoure par les médias dont nous avons vu l’action de conditionnement intensif des masses qui a duré plus d’une semaine après l’événement.

Dans ce style, Henry Kissinger est le plus grand terroriste du siècle dernier. Est-ce que les Américains ont l’intention de le faire juger pour crime de guerre ? Pourtant, de plus en plus, on dispose d’informations à l’effet qu’il aurait joué un rôle crucial dans l’achoppement des pourparlers de paix à Paris en 1968 pour promouvoir l’élection de Nixon. Il aurait ainsi prolongé la guerre d’une bon cinq ans, coûtant ainsi des centaines de milliers de vies, américaines et vietnamiennes. Mais son bilan ne s’arrête pas là, puisqu’il aurait commandé les frappes américaines au Cambodge et au Laos, tuant encore quelques millions de personnes, très majoritairement des civils.

Dans la même foulée, pourrait-on dire, il a magouillé au Chili, par exemple, et il est l’un des principaux responsables de l’arrivée au pouvoir du gouvernement Pinochet. Ce gouvernement, avec l’aide des Américains, s’est imposé comme l’un des plus sanguinaires d’Amérique du Sud, et pourtant la concurrence était forte. Sur cette question, on peut se référer à l’article de Saël Lacroix, dans notre dernier numéro.

Kissinger a été impliqué dans toute une série d’autres actions internationales qui ont soutenu des dictateurs, méprisé la démocratie et le droit, et coûté la vie à des millions de personnes. Tout cela sous le regard complice d’une Amérique qui apprécie encore ses propres cowboys, même s’ils agissent contre les lois et la constitution. Souvenons-nous du support populaire qu’a connu Oliver North. Bref, les bons ont toujours raison et les méchants ont tort.

Les profits aux marchands de canons, comme en quatorze

Enfin, quand on lit un roman policier, on sait que la première question à se poser est 0 à qui le crime profite-t-il ? Pour l’instant, sans doute à cause de l’ignorance hystérique dans laquelle nous ont cantonnés les médias, on ne distingue que quelques gagnants. Le premier est sans doute le président Bush. Cette tête de turc des humoristes américains dont le père fut obligé de garantir publiquement la santé mentale et dont les supporteurs marchaient la tête basse, va devenir le plus grand héros national. Sa cote va redevenir au beau fixe, à moins qu’une catastrophe n’arrive.

Les deuxièmes gagnants sont les alliés naturels d’un président de droite, c’est-à-dire les vendeurs d’armes. Avec la psychose que les médias ont créée, le Sénat a pu voter les fonds qui vont réjouir les fabricants d’armes.

Alors, quand j’entends le président des Etats-Unis parler de la liberté, je comprends bien que celle des Asiatiques ou des Américains du Sud ne compte pas. Quand je l’entends parler des idéologies intégristes qui sont des fascismes déguisés, je comprends qu’il n’inclut pas les Duvalier ou Pinochet que son pays a mis au pouvoir et soutenus en dépit de toute liberté et de toute démocratie. Je comprends qu’il y a deux poids, deux mesures, et je me dis que l’horreur n’a pas de race ni de couleur et que les barbares ne sont pas tous du même côté.

Ce que propose le président Bush, c’est la primauté de l’intégrisme américain sur les autres formes d’intégrisme. Pour ma part, je dis non à tous les intégrismes, religieux ou politiques.|203| 
220|Le ministre qui crie « au loup ! »|Marie Isabelle Thoin Savard|*

La « révolution de la réussite » de François Legault



Bonjour à tous. En ma qualité d'étudiante de deuxième année de cégep, je veux vous exprimer mon profond scepticisme, voire mon désarroi, face à la « révolution de la réussite » annoncée récemment par notre ministre de l'Éducation François Legault. Je fulmine carrément lorsque je lis qu'il est anormal et inquiétant que seulement un étudiant sur trois obtienne son DEC dans le temps prescrit, et qu'il faut remonter ce taux à tout prix. Je crois que cette statistique reflète simplement que nous vivons dans une société formée d'humains cherchant le bonheur et se donnant les moyens pour l'atteindre. Cette ambition d'accroître la réussite telle qu'on la définit au collégial n'est, selon moi, qu'économie et poudre aux yeux.

Si j'ai pu prendre le temps de lire le journal ces derniers jours, et si je prends le temps de vous écrire aujourd'hui, c'est parce que je suis un désolant échec du système d'éducation, mesdames et messieurs ! Hé oui, j'ai décidé, pour mon bien-être et mon épanouissement global, de répartir ma formation sur quatre ans plutôt que trois. Je considère qu'un horaire régulier nous force à être efficace sans aller à fond dans rien, et ce n'est pas le schème intellectuel que je désire développer. Et surtout, je veux vivre au-delà des livres 0 je veux prendre le temps d'observer la vie se dérouler, d'apprendre ailleurs qu'à l'école, de jaser avec les gens qui m'entourent, d'écrire pour le plaisir, de m'impliquer dans mon association étudiante, de faire de l'exercice, de dormir et de manger convenablement, et bien sûr de pouvoir exploiter mon plein potentiel dans les cours que je suis. Laissez-moi vous assurer que l'on ne peut pas faire tout ça avec 30 heures de cours par semaine. Et ce, encore moins lorsque le charmant système de prêts et bourses québécois fait en sorte, ce qui est malheureusement le cas pour plusieurs, que l'on doive travailler en même temps pour gagner son pain.

Parlons maintenant d'un autre cas anormalement inquiétant 0 il s'agit de mon amie Cindy, une fille brillante qui a commencé l'an dernier un DEC en sciences de la nature dans le but de devenir écologiste. Le concentré de physique, de mathématiques et de chimie dans une atmosphère humaine des plus froides lui laissa un goût très amer… Lorsqu'elle sut que le DEC intégré de sciences, lettres et arts pouvait aussi la mener à l'université en écologie, elle décida de changer de programme. Cette année, elle profite maintenant d'un cheminement scolaire mieux adapté à ses besoins, avec des gens qui lui ressemblent plus. Son humeur, sa santé et sa motivation s'en portent beaucoup mieux.

Terminons avec un troisième cas, probablement le plus dramatique de tous 0 c'est Étienne, le décrocheur ! Comme bien des gens, il est allé au cégep tout de suite après son secondaire, sans être certain de son orientation. Au lieu de faire plaisir à M. Legault et de terminer son DEC sans trop savoir ce qu'il faisait, il a décidé d'aller explorer la vie ailleurs qu'à l'école. Pendant un an, il a voyagé un peu, fait du bénévolat dans des organismes communautaires, pensé. Et cette année, il est de retour au cégep en techniques de travail social, plus motivé que jamais à apprendre et à travailler dans ce domaine. Il conseille à tout le monde de prendre une année sabatique pour mieux réfléchir. Mais selon M. Legault, il est le résultat d'une gigantesque faille du système et son établissement d'enseignement devrait se faire suivre de plus près.

Nous voici donc, moi et mes deux comparses, avec nos résultats bien au-dessus de la moyenne et nos beaux grands sourires, des cas problèmes pour le gouvernement. Notre goût du bonheur et notre désir de bien apprendre coûtent cher. Et quand on se limite aux chiffres, ça paraît mal… M. Legault rêve d'un monde où les jeunes de 17 ans décident de ce qu'ils veulent faire de leur vie sans se donner le droit d'en déroger, se précipitent dans des études où ils ne perdent pas une minute à penser par eux-mêmes, pour aboutir le plus vite possible sur le marché du travail où ils pourront rapidement rembourser leur dette, devenir de bons payeurs de taxes et faire rouler l'économie. Alors là, le système d'éducation aura fait du bon travail.

De mon côté, je persiste à croire qu'il y a des gens qui ne sont tout simplement pas faits pour aller à l'école, et qu'il ne s'agit pas là d'un drame social, mais bien de diversité. Tout ce qu'une obsession de la réussite comme on la définit peut faire et a déjà fait au collégial, c'est de faire passer des gens qui n'ont pas atteint les critères et de taxer (donc souvent d'exclure) ceux qui coûtent trop cher.

La révolution qui s'impose maintenant est celle du système des prêts et bourses. Il me paraît inacceptable que tant d'étudiants aient à s'endetter et/ou à travailler pour étudier. Bien sûr que ceux-là sont les plus hésitants à allonger la durée de leur DEC ou à changer leur orientation, à leur plus grand malheur… et au plus grand bonheur de M. Legault.

Voulons-nous un système d'éducation centré sur les besoins du marché ou sur le développement et l'épanouissement global de l'individu ? Et vous, les contribuables, êtes-vous fâchés de payer un petit extra pour des gens comme moi, Cindy et Étienne qui formeront une société forte, qui sait ce qu'elle veut et où mettre ses priorités ? À vous de répondre !

* étudiante en musique et sciences humaines au cégep de Sherbrooke|203| 
221|Boire l’eau de ses toilettes|André Bouthillier|

L’avenir est dans l’urine



Perdu dans le désert et après plusieurs jours de marche, sans eau, il faudrait probablement se résoudre à boire son urine pour survivre ! Mais y a-t-il d’autres circonstances qui exigeraient que l’on en fasse autant ? Il semble que nous ayons tellement pollué l’eau que nous en serions rendus là. C’est-à-dire, réutiliser l’eau que nous avons déjà salie. À peine croyable pour ceux et celles qui ne savent pas encore qu’il ne se crée ni ne se perd d’eau sur la terre. Devant ce fait scientifique, il faut bien reconnaître que l’utilisation de l’eau à toutes fins ne peut que la polluer et en réduire de plus en plus l’accès.

Si plus des deux tiers de la surface de la terre sont couverts d’eau, 94 % de cette eau se trouve dans les océans, presque 6 % dans le sous-sol et les glaciers, tandis que les rivières, les lacs et l’humidité retenue dans le sol et la vapeur présente dans l’atmosphère ne représentent que 0,0221 % du volume total !

La disponibilité de l’eau

Malgré que la consommation d’eau en Amérique du Nord se soit stabilisée, c’est bien peu d’eau facilement disponible face à une demande mondiale en croissance exponentielle, une diminution des réserves d’eau potable rendue inutilisable par la pollution chimique, une diminution des réserves phréatiques et les sécheresses qui augmentent en nombre et en durée. Devant un tel tableau, il apparaît donc normal que l’on doive non seulement diminuer la consommation, mais réutiliser les eaux usées.

Réutilisation municipale

Les eaux usées peuvent être traitées de telle façon qu’elles peuvent servir dans une variété de situations. À Windhoek, en Namibie, les eaux usées servent à augmenter les réserves d’eau potable de la ville depuis 1968. Durant les périodes de sécheresse, jusqu’à 30 % de l’eau potable est constitué d’eaux usées recyclées. Soixante-dix pour cent des eaux usées municipales en Israël sont traitées et utilisées principalement pour l’irrigation en agriculture. La Jordanie fait aussi des efforts en ce sens.

Depuis 1995, les résidents de Californie se servent de 160 milliards de gallons d’eau réutilisée annuellement pour les gazons et les terrains de golf. À Los Angeles, l’administration municipale veut transformer l’eau des cabinets d’aisance en eau potable réacheminée vers le robinet. Le processus d’épuration mettra cinq ans avant que la première goutte d’eau puisse être insérée dans l’eau potable courante et, par la suite, ces eaux usées nettoyées constitueront 10 % de l’eau potable fournie par la ville.

Une solution qui lève le cœur !

Maintenant que la technologie le permet, ce genre de solution devient envisageable, même si bien des personnes émettent des craintes à boire cette eau recyclée. Pour rendre de l’eau usée potable, il faut premièrement laisser se déposer les plus gros solides pendant que les bio-filtres enlèvent les plus petites particules. Une deuxième étape permet d’enlever l’ammoniaque et le carbone, pendant que des filtres de sable assurent qu’il n’y a plus de trace des matériaux organiques dissous. La dernière étape consiste à purifier l’eau en ajoutant du chlore et de la chaux. Pour s’assurer que l’eau est propre à la consommation, l’eau réutilisée est testée continuellement afin de s’assurer qu’il n’y a pas de bactéries, virus ou métaux lourds.

Quant à l’eau usée provenant de rivières, ruisseaux ou autres cours d’eau qui auraient pu être pollués par des produits chimiques toxiques, ces eaux sont acheminées vers une usine de traitement spécialisé. Les spécialistes états-uniens affirment que cette eau sera favorablement comparable à l’eau présentement filtrée et dont se servent les résidants. Les expériences de réutilisation se multiplient, et déjà au Québec, un important producteur de porc produit de l’eau potable à partir du lisier de porc.

C’est donc avec ces eaux recyclées que nous pourrons arroser les parcs, les gazons, fournir l’eau aux bornes-fontaines et pour tout usage qu’en font habituellement les municipalités. De plus, nous pourrions recharger les nappes phréatiques en voie de se vider, fournir les complexes industriels, irriguer des cultures et augmenter les réserves d’eau potable. Voilà un beau programme pour les politiciens à la recherche de solutions alternatives.

Réutilisation à la maison

À plus petite échelle, la réutilisation des eaux ménagères qui sortent des cuves domestiques, des éviers et des bains peut servir à l’arrosage du jardin ou être acheminée vers les toilettes. Déjà, le marché du recyclage québécois offre des appareils domestiques pouvant rediriger ces eaux usées.

« L’eau que l’on boit présentement date de millions d’années et a déjà été utilisée et filtrée à travers je ne sais trop quoi; des dinosaures, les ours noirs, les panthères... » dit David Czamanske du Sierra Club. Il faudra bien, un jour, accepter de boire l’eau de ses toilettes puisqu’elle sera de meilleure qualité que l’eau brute des lacs et rivières du Québec qu’on ne cesse de polluer.

Parions que, dès lors, nous ferons plus attention à l’eau !

Afin de faciliter la lecture, chacune des références précises n’apparaît pas dans le texte. Elles proviennent de l’université de l’Oregon, de l’ONU, du Bureau de recherches géologiques et minières de France, du ministère de l’Environnement canadien et du site de référence d’Eau Secours! - La Coalition québécoise pour une gestion responsable de l’eau 0 «http0//www.eausecours.org».|203| 
222|Parizeau et le vote ethnique d'Alicja|Michel Lapierre| Lorsqu'en mai 1960, lors d'un dîner intime, le comédien Claude Préfontaine leur fait part du projet qu'il mûrit avec une poignée d'amis de fonder le Rassemblement pour l'indépendance nationale, les Parizeau sont partagés.

Jacques Parizeau ricane. « Claude, vous rêvez en couleurs avec votre pays du Québec. » Sa femme, Alicja Poznanska, d'origine polonaise, est moins rebelle à l'idée… Dès 1963 ou 1964, Alice Parizeau assistera aux réunions du R.I.N., alors que Jacques Parizeau sera encore fédéraliste. Wanda Malatynska-de Roussan nous assure que sa grande amie a embrassé « très tôt » la cause québécoise. « Alice a été cet allumage du patriotisme chez Parizeau », va-t-elle jusqu'à penser.

Voilà le genre de révélations que nous fait le journaliste Pierre Duchesne dans le passionnant tome premier de la biographie de Jacques Parizeau. Ce volume massif, intitulé Le Croisé (1930-1970), est la meilleure histoire économique de la Révolution tranquille, en plus d'être le récit admirable des quarante premières années de la vie d'un des principaux artisans de ce changement fondamental.

Que le patriotisme de Parizeau ait eu besoin d'allumage, Duchesne nous le montre bien. Dans la tâche ardue de réveiller le sentiment national endormi, il raconte qu'un vieux major britannique de l'Armée des Indes a même précédé Alice.

Porter des gants en été

Cela se passait en 1954, à l'époque où Parizeau étudiait à la London School of Economics. Invité à une soirée mondaine dans une villa huppée de la banlieue londonienne, le jeune homme se fait demander par son hôte des renseignements sur le statut des Canadiens français au sein de ce qui était, hier encore, l'Empire britannique. Stupéfait d'apprendre que leur situation n'est guère reluisante, le vieil officier demande à brûle-pourpoint à Parizeau pourquoi les Canadiens français tolèrent cet état de domination. Tout penaud, l'étudiant répond 0 «Well, English Canadians wouldn't like it if we… » Son hôte a tôt fait de l'interrompre pour lui faire la leçon. Il ne faut, s'écrie-t-il, accorder aucune importance à ces «bloody colonials ». Dans le ton du militaire transpire tout le mépris du métropolitain à l'endroit des êtres réputés incultes et grossiers (mais ô combien nécessaires !) qui brandissent l'Union Jack au-delà des mers.

C'est ainsi que Parizeau se rend compte que, pour la bonne société londonienne, les Canadiens anglais ne sont rien d'autre que de « maudits habitants ». Ce que nous étions, faut-il le dire, aux yeux de nos propres élites. Mais, ça, le bourgeois Parizeau se gardera bien de le préciser… « Cette conversation avec l'officier britannique a changé ma perspective sur l'existence ! », avouera-t-il tout de même, quarante-cinq ans plus tard, à son biographe Pierre Duchesne.

De retour au Québec après avoir décroché son doctorat en économie, Parizeau enseigne à l'École des Hautes Études commerciales. Il a assimilé à sa manière la leçon du vieux major de l'armée des Indes. Vêtu comme un banquier de Londres, il s'empresse d'exhiber ses souliers aux autres professeurs. « Regardez ! Le motif spécial qui apparaît sur le dessus des chaussures est réservé aux officiers de la RAF britannique. » On le verra même porter des gants en été…

Mais l'homme est plus complexe qu'il en a l'air. À l'âge de dix-sept ans, n'avait-il pas distribué des tracts communistes à la sortie du Forum ? Encore élève au collège Stanislas, n'avait-il pas lu Le Capital ? Parizeau a toujours rêvé de révolutionner l'économie québécoise. Au corporatisme réducteur, autoritaire, vieillot et irréaliste de son premier maître, François-Albert Angers, le jeune docteur de Londres substitue un dirigisme souple qui s'accorde avec l'économie de marché. Parizeau s'inspire à la fois de Perroux et de Keynes; il laisse à d'autres esprits Salazar et les encycliques.

Ti-Poil veut payer

Après la mort de Duplessis en 1959, le goût du changement est dans l'air. Parizeau devient conseiller économique de Jean Lesage. « Il aime répéter, écrit Duchesne, que la Révolution tranquille a été faite par une demi-douzaine d'hommes politiques, une douzaine de fonctionnaires et une cinquantaine de chansonniers et de poètes. » Parizeau nous confirme que c'est plutôt le frondeur René Lévesque que le conformiste Jean Lesage qui a changé le cours des choses. Le jour où Ti-Poil, la couette en l'air, vêtu de son imperméable froissé, est entré à l'hôtel Windsor à l'invitation des dirigeants de la Northern Power, qui, dans la crainte de la nationalisation de l'électricité, avait offert un somptueux banquet à une délégation gouvernementale, la terre a tremblé. Ti-Poil venait de leur dire0 «How much ? » Il tenait à payer son écot.

Même si théoriquement, dans l'esprit de Parizeau, l'État peut tout, la partie n'est pas facile. En 1961, le revenu moyen des Canadiens français, au Québec, est de 35 % inférieur à celui des Canadiens anglais. Ces derniers occupent d'ailleurs 80 % des postes importants. En 1962, le niveau de scolarité de 54 % des adultes de plus de vingt-cinq ans, dans la province, n'excède pas la sixième année. Cette triste situation ne peut que profiter à la domination anglo-saxonne. « Tant que je serai là, tu ne manqueras jamais d'argent pour l'éducation, mais ne me force pas à envoyer mes enfants dans ton système », dira au sous-ministre Arthur Tremblay l'élitiste Parizeau, pour qui il reste beaucoup de chemin à parcourir avant que l'enseignement public québécois n'acquière le prestige de l'enseignement républicain français.

Craignant que la Révolution tranquille ne soit l'arrêt de mort d'une oligarchie coloniale qui n'ose dire son nom, le syndicat financier des Anglais de Montréal, dirigé par l'agence A. E. Ames & Co. et la Bank of Montreal, refuse de prêter au gouvernement québécois pour qu'il nationalise l'électricité comme l'Ontario l'avait fait dès 1906. Qu'à cela ne tienne ! Parizeau, Lévesque et quelques autres poussent le gouvernement à faire appel aux Américains. Devant la concurrence, les financiers de Montréal ne peuvent que plier. La Bank of Montreal consentira un prêt à l'instar de nombreuses sociétés financières américaines.

L'État boursicoteur

Mais Parizeau n'est pas satisfait. Il souhaite que l'État québécois crée sa propre banque d'affaires. Au lieu de se mettre à genoux devant les financiers, le gouvernement ne devrait-il pas faire comme eux 0 investir, en particulier à la bourse ? Parizeau rêve d'un véritable moteur de l'économie québécoise. C'est lui le père de la Caisse de dépôt et placement, comme l'explique si bien Duchesne. La Caisse capitalisera les cotisations versées par les bénéficiaires du régime public de rentes que le Québec créera, en s'appuyant sur des négociations constitutionnelles faites par Duplessis. Le faible Lester B. Pearson donnera son agrément. L'obtention de ce régime de pension apparaîtra comme la plus belle victoire du Québec depuis la création de l'impôt provincial sur les revenus des particuliers en 1954. Le vieil autonomisme de Duplessis s'en trouvera radicalement transformé.

Accomplie par des fédéralistes, la Révolution tranquille portait paradoxalement en elle le germe de la destruction du fédéralisme, constatera Parizeau. « Nous sommes en train de démolir le Canada, puis on ne construit rien en face ! » En 1967, le technocrate Jacques Parizeau deviendra indépendantiste au nom de la plus froide des logiques.

Alice Parizeau l'était devenue avant lui, non pas pour des motifs économiques et constitutionnels, mais pour des raisons plus profondes. Les rapports qu'elle avait eus avec les « bloody colonials », tant décriés par le vieux major britannique, avaient été pour elle un véritable choc anthropologique. Cette résistante polonaise, qui avait trouvé refuge en France après l'assassinat de ses parents par les nazis, s'était fait répondre, avec mépris, au magasin Eaton 0 «I don't speak French. » « Jamais encore », écrira-t-elle, « ni à Londres, ni à Varsovie, ni à New York, ni à Istanbul, un pareil affront n'avait été fait en ma présence à Sa Majesté ” la langue française que moi-même j'avais eu tant de mal à apprendre. »

Les Parizeau se retrouvent dans l'indignation. Les politiciens, « je ne les aime pas », lance Jacques Parizeau, arrière-petit-fils d'un négociant ruiné par les intrigues politiques. « Je trouve que pour un bon nombre d'entre eux, ce sont des cons. » Parizeau a dû, dans une chambre du Château Frontenac, tenir la main d'un ministre complètement paf pour qu'il signe un décret. Le haut fonctionnaire s'est aussi rendu au « bordel » La Grande Hermine pour arracher d'autres signatures ministérielles. Alice, quant à elle, refusera, après Octobre 70, de serrer la main de Pierre Elliott Trudeau et de Marc Lalonde.

Fils d'un assureur lettré qui dut besogner dans une compagnie anglo-saxonne avant de s'installer à son compte et de se voir, à l'âge de soixante ans, à la tête d'une entreprise de grande envergure, Parizeau le technocrate connaissait déjà la valeur de l'obstination. Après avoir tiré de la mitrailleuse lors de l'insurrection de Varsovie, Alicja Poznanska était devenue un feu irradiant. C'est elle qui a secrètement insufflé à Jacques Parizeau le sens de la grandeur québécoise.

Pierre Duchesne, Jacques Parizeau, tome I, Québec Amérique, 2001.