Les mécanismes de la propagande de guerre

* Distorsion flagrante de la vérité et manipulation systématique de toute source d’information sont choses courantes quand une guerre se prépare. Dans la foulée des attentats du 11 septembre, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld a créé un organe appelé Office of Strategic Influence (OSI), autrement dit un Bureau de la désinformation.

Et tout à coup, voilà que l’OSI est officiellement démantelé en raison de pressions politiques et d’articles « troublants » dans les journaux, selon lesquels « son objectif était carrément de mentir afin de soutenir les intérêts américains ». Pourtant, malgré cette apparente volte-face, la campagne de désinformation à la Orwell demeure en vigueur au Pentagone. Rumsfeld a confirmé plus tard en entrevue que bien que l’OSI n’existe plus sous cette appellation, le mandat qui lui avait été confié est en voie de réalisation.

La guerre déguisée en « intervention humanitaire »

Divers organismes gouvernementaux et services de renseignement – reliés au Pentagone – sont chargés d’aspects particuliers de la campagne de propagande. Des faits sont ainsi déformés. Des actes de guerre sont dépeints comme des « interventions humanitaires » tendant à « remplacer un régime » et à « rétablir la démocratie ». L’occupation militaire et l’assassinat de civils sont présentés comme des mesures de « maintien de la paix ». La violation des libertés civiles – en vertu des lois dites « antiterroristes » – est censée constituer un moyen d’assurer la « sécurité intérieure » et de maintenir les libertés civiles. Et derrière cette manipulation de la réalité, les allusions à « Oussama ben Laden » et aux « armes de destruction massive » qui circulent à profusion d’une chaîne d’information à l’autre servent de fondement à la compréhension de l’actualité dans le monde.

Parvenu au stade crucial de la planification d’une invasion de l’Irak, le programme de guerre consiste maintenant à donner un dernier tour de vis à l’opinion publique tant chez soi qu’à travers le monde, et la propagande vise toutes les étapes, aussi bien celle qui précède l’opération militaire que celle de son déroulement et celle de ses suites qui seront cruelles. Cette propagande masque les véritables causes et conséquences de la guerre.

La CIA et Hollywood

L’élément le plus puissant de la « campagne de peur et de désinformation » demeure la CIA qui subventionne en sous-main des auteurs, journalistes et critiques par l’entremise de tout un réseau de fondations privées et d’organisations de façade placées sous son parrainage. La CIA exerce aussi son influence sur la portée et l’orientation d’un grand nombre de productions hollywoodiennes. Depuis le 11 septembre, le tiers des films qui sortent d’Hollywood sont des films de guerre. « À Hollywood , vedettes et scénaristes s’empressent de faire valoir le nouveau message patriotique et, pour ce, de conférer avec la CIA et d’échafauder avec les militaires d’éventuels attentats terroristes plus vrais que nature. » Le film de Phil Alden Robinson, The Sum of All Fears, sur fond de guerre nucléaire, a reçu l’approbation et le soutien tant du Pentagone que de la CIA.

La désinformation est « semée » couramment par les agents de la CIA dans les salles de nouvelles des grands quotidiens, des magazines et des chaînes de télévision. On a souvent recours à des entreprises de relations publiques pour monter de toutes pièces des histoires qui ont l’apparence de la réalité. Ainsi que l’a démontré Chaim Kupferberg à propos des événements du 11 septembre : « Des correspondants relativement peu nombreux et bien banchés fournissent une primeur que s’empressent de répandre un nombre relativement restreint de grandes sources d’information, lesquelles fixent les paramètres du débat et consacrent ce qui dans la chaîne de transmission deviendra la “ réalité officielle ”. »

Des intermédiaires du renseignement se livrent également sous les auspices de la CIA à des initiatives de désinformation dans divers pays. Depuis le 11 septembre, pas une seule journée ne passe sans qu’il soit question de prétendues « attaques terroristes ». À chaque fois, que ce soit en Grande-Bretagne, en France, en Indonésie, en Inde, aux Philippines ou ailleurs, les groupes « terroristes » en question sont censés avoir des liens avec « le réseau al-Qaïda d’Oussama ben Laden » mais on se garde bien de reconnaître (ce dont témoignent amplement maints comptes rendus de renseignement et documents officiels) que al-Qaïda est une création de la CIA

Une question de « légitime défense »

À ce point de jonction crucial, au moment où l’invasion de l’Irak paraît imminente, la campagne de propagande vise à renforcer l’illusion que « l’Amérique est dans le collimateur ». Cette fausseté retransmise non seulement par les médias populaires mais également sur Internet par de nombreux sites d’information « alternatifs », cette « réalité fabriquée » dépeint la guerre comme un acte de légitime défense tout en occultant avec soin ses vastes objectifs stratégiques et économiques.

C’est ainsi qu’on en arrive à un casus belli, à la justification d’un recours à la guerre devenu légitime pour des raisons politiques. La réalité « officielle » (que George Doublevé répète à satiété) repose sur la prémisse d’ordre « humanitaire » d’une guerre préventive qui serait de nature « défensive », c’est-à-dire d’une guerre pour défendre la liberté : « On nous attaque à cause de notre amour de la liberté. Et tant que nous aurons à cœur cette liberté et que chaque vie humaine nous sera précieuse, ils vont essayer de nous faire du mal. »

Comment s’effectue la propagande de guerre ?

Les chaînes de nouvelles reçoivent quotidiennement leur dose de déclarations fracassantes qui proviennent de sources officielles, dont des prises de position touchant la sécurité nationale, des médias ou des équipes d’analystes oeuvrant à Washington. Dans certains cas, notamment en ce qui concerne de présumés terroristes, il s’agit carrément de fabulations montées par les agences de renseignement. Ces déclarations parsemées des expressions à la mode du jour comportent tous les ingrédients propices à la fabrication de la nouvelle.

Première expression à la mode : « guerre au terrorisme ». Il n’y a pas beaucoup de bulletins portant sur la « guerre au terrorisme » qui ne fassent pas mention du « réseau al-Qaïda d’Oussama ben Laden » (ou d’Oussama tout court) ainsi que d’attentats terroristes, qu’ils soient « éventuels », « présumés », « supposés » ou « réels ». Toutefois, on se donne bien rarement la peine de mentionner que ce fameux réseau, ennemi de l’extérieur, est un instrument dont se sert la CIA pour mener ses opérations en sous-main.

Deuxième expression à la mode : « armes de destruction massive ». L’expression sert à justifier la guerre préventive contre les « États responsables de la terreur », c’est-à-dire l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord qui sont censés posséder cet armement. Il a été amplement démontré en ce qui concerne l’Irak que beaucoup de fausses nouvelles ont circulé à propos des armes de destruction massive et des attaques biologiques.

Les déclarations relatives aux « armes de destruction massive » et à « Oussama ben Laden » font partie du discours ambiant et des conversations privées entre citoyens. Répétées ad nauseam, elles s’imprègnent dans la conscience des simples gens et façonnent leur perception des événements courants. Grâce à la tromperie et à la manipulation, on conditionne des populations entières à accepter – sous couvert de la démocratie – l’établissement dans les faits d’un État policier. Inutile de dire que la propagande de guerre affaiblit le mouvement pacifiste.

En même temps, la désinformation concernant de présumés « attentats terroristes » ou de prétendues « armes de destruction massive » crée une ambiance de crainte qui suscite le patriotisme et mobilise un appui inébranlabe envers l’État et ses principaux acteurs politiques et militaires.

Ces mots qui reviennent inlassablement dans presque tous les bulletins de nouvelles diffusés à la grandeur du pays ont un effet paralysant sur les esprits. Cela devient comme un dogme qui empêche les gens de réfléchir aux causes et aux conséquences de la guerre de conquête menée par les États-Unis et qui, du même coup, sert de justification simple, incontestée et faisant autorité à la position dite de « légitime défense ».

Ces derniers temps, on a pu remarquer aussi bien dans les discours du président Bush, du secrétaire d’État Colin Powell et du premier ministre Tony Blair que dans les nouvelles, un rapprochement avec les armes de destruction massive dans les déclarations relatives à ben Laden.

Les intentions cachées derrière ces « liens avec l’Irak » ne sont pas très subtiles. Il s’agit de discréditer l’Irak au moment où la guerre se prépare : ainsi, les « États qui abritent le terrorisme » soutiendraient Oussama ben Laden. De son côté, ben Laden collaborerait avec l’Irak dans l’utilisation d’armes de destruction massive.

Objectif : « neutraliser l’anti-américanisme à l’étranger »

Pour soutenir le programme de guerre, il faut que les faits ainsi « fabriqués » et qui sont retransmis quotidiennement par toutes les chaînes d’information se transforment en des vérités indélébiles qui s’inscrivent dans un vaste consensus politique et médiatique. À cet égard, les entreprises de presse deviennent, tout en agissant indépendamment de l’appareil militaire et du renseignement, un instrument du système totalitaire qui est en train de s’ériger.

En liaison étroite avec le Pentagone et la CIA, le département d’État a aussi mis sur pied son propre service « discret » de propagande civile, sous la direction de la sous-secrétaire d’État à la Diplomatie et aux Affaires publiques, Charlotte Beers, figure marquante de l’industrie de la publicité. Beers, qui doit collaborer avec le Pentagone, a été nommée à la tête du service de propagande du département d’État dès après le 11 septembre. Elle a pour mandat de « neutraliser l’antiaméricanisme à l’étranger ».

*Michel Chossudovsky est professeur d’économie à l’Université d’Ottawa et l’auteur de Guerre et mondialisation, la vérité derrière le 11 septembre, Les Éditions Écosociété, Montréal, 2002.

Tiré de Global Outlook™, no 4, printemps 2003

Traduction l’aut’journal