La présence sous-estimée des femmes artistes au Québec

Dans un livre paru tout récemment chez Fides, Sylvia Daoust (1902-2004), Jacques Keable rappelle la carrière exceptionnelle de la « première sculpteure du Québec ». On lui doit la monumentale statue du frère Marie-Victorin au Jardin botanique, celle d’Édouard Montpetit à l’Université de Montréal ainsi que le bronze grandeur nature de Nicolas Viel qui orne la façade de l’Assemblée nationale, sans oublier les madones les plus inspirées de l’abbaye de Saint-Benoît-du-Lac.

À l’été 2009 à Québec, puis à l’été 2010 à Joliette, l’exposition La conquête d’un espace, 1900-1965, célébrait la remarquable contribution des femmes artistes du Québec du XXe siècle. Cinquante femmes artistes s’y affichaient, côte à côte, dans une pluralité esthétique qu’elles se sont appliquées à définir elles-mêmes.

Comme Simone Dénéchaud, Suzanne Hudon et Louise Gadbois, Sylvia Daoust a renouvelé l’art religieux, défiant l’art sacré académique, associé à l’époque au mauvais goût, à la pacotille, au sentimentalisme et à la mièvrerie. Utilisant des matériaux nouveaux, la sculpteure expose en 1938 un saint Joseph en ciment et une Madone en aluminium. Artiste multidisciplinaire, l’ouvrière de la matière est aussi passionnée par le dessin, l’anatomie, le modelage qu’elle enseignera à l’École des beaux-arts de Québec puis à celle de Montréal entre 1943 et 1968. Décédée en 2004 à l’âge de 102 ans, elle laisse un héritage artistique imposant dans nos églises et institutions religieuses.

L’exemple d’Agnès Lefort montre à son tour à quel point ces femmes ont réussi à transcender leur art et à imposer leur propre vision artistique. Née en 1891, Agnès Lefort profite de l’ouverture de l’École des beaux arts de Montréal en 1922, un an après celle de Québec. Un lieu de formation qui lui permettra comme à ses consœurs d’obtenir, à l’instar de leurs vis-à-vis masculins, le statut d’artistes professionnelles et, par là, de se tailler une place dans le milieu artistique. Si bien que, dès 1931, elle expose régulièrement à l’Art Association of Montreal et à l’Académie royale des arts du Canada, ce qui la mène à une première exposition en solo en 1935.

Plusieurs de ses toiles sont retenues pour l’exposition Femina qui a lieu au Musée de la province de Québec le 10 février 1947. Se joignent à elle Sylvia Daoust, Simone Dénéchaud, Suzanne Duquet, Claire Fauteux, Georgiana Paige Pinneo et Marian Dale Scott. Que des femmes, une première au Québec?! L’année suivante, elle assiste au Premier Congrès international des critiques d’art qui se tient en France et prolonge son séjour pour y étudier.

De retour en 1950, elle ouvre sa galerie d’art sur la rue Sherbrooke ouest, à Montréal. Durant plus de dix ans, la Galerie Agnès Lefort sera le tremplin de l’art contemporain montréalais y privilégiant les œuvres de femmes telles Suzanne Dénéchaud, Suzanne Duquet, Suzanne Guité, Marcelle Ferron, Marian Dale Scott, Rita Letendre et plusieurs autres. Puis elle passe la main à Mira Godard, ouvrant ainsi la voie à de nombreuses autres femmes.

L’artiste-peintre Mimi Parent se distinguera par son parcours initiatique hors du commun. Née à Montréal le 8?septembre 1924, Mimi est issue d’un milieu où l’art est le pain quotidien de ses parents, père architecte et mère mélomane et harpiste de talent. À 16 ans, elle s’inscrit à l’École. Âme rebelle, elle conteste le conservatisme étroit du programme imposé aux élèves. Quatre ans plus tard, inscrite à l’atelier d’Alfred Pellan, elle y découvre un nouveau maître à penser, future adepte du surréalisme, un courant auquel elle adhérera. En février 1948, à l’instar de treize autres artistes, elle signe Prisme d’Yeux, le manifeste pour la libération de l’art.

La même année, avec son mari Jean Benoît, elle s’envole pour Paris. Le couple Benoît-Parent fera la connaissance d’André Breton, « le pape du surréalisme?», avec qui les deux artistes québécois se découvriront des affinités de pensée. Bien ancrés dans la vie artistique parisienne, ces artistes exilés y seront très actifs. D’exposition en exposition, Mimi acquerra une réputation internationale pour ses tableaux-objets.

Ces œuvres originales, composées chacune d’une boîte en bois peinte en noir à l’intérieur de laquelle il y a une scène constituée d’un curieux assemblage d’éléments divers constitue ce qu’on qualifie à l’époque un étonnant théâtre de l’inconscient dont les couleurs hallucinantes provoquent un sentiment d’étrangeté. Mimi Parent est décédée en Suisse en 2005.

La trajectoire de Suzanne Rivard n’a pas son pareil. Élève de Jean-Paul Lemieux à l’École des beaux-arts de Québec de 1946 à 1950, elle y débute sa carrière d’enseignante, la poursuivant à l’École des beaux-arts de Montréal. L’art pictural étant sa préoccupation première, elle part étudier à Paris en 1957. Elle y restera deux ans. De retour au pays, elle reçoit une bourse du tout nouveau Conseil des Arts du Canada, ce qui lui permettra de poursuivre sa quête artistique au Mexique et aux États-Unis, où elle apprend l’art de la peinture murale. Sa carrière est lancée lorsqu’une de ses murales est exposée au pavillon de la Jeunesse d’Expo ‘67.

Sa vie prend une tournure inattendue lorsqu’elle se marie à Jean Le Moyne, adjoint et rédacteur des discours de Pierre Elliot Trudeau. Elle troque Montréal pour Ottawa, son pinceau pour la craie et le tableau noir. La femme artiste, visionnaire et déterminée, reprend le bâton du pèlerin. « Suzanne Rivard Le Moyne occupe une place unique dans le développement de la vie artistique au Canada. Puisant son inspiration dans son amour et sa pratique de l’art, elle s’est dévouée avant tout aux artistes », peut-on lire dans un éloquent commentaire du jury qui lui a décerné le Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques en 2003.

« Ce dévouement s’est clairement manifesté dans son rôle de créatrice et de grande instigatrice de la Banque d’œuvres d’art du Conseil des Arts, dans son appui aux centres d’artistes autogérés et dans ses carrières d’enseignante et de gestionnaire des arts ».

Les femmes artistes du début du siècle dernier ne se sont pas juste contentées de prendre leur place sur la scène artistique de l’époque. Elles ont imposé leur manière de faire, de dire et de voir l’art au Québec. De l’école primaire à l’université, elles ont entrepris de renouveler l’enseignement des arts, y introduisant une approche pédagogique Ces pionnières n’ont eu de cesse de transmettre à la génération suivante leurs connaissances et leurs expériences acquises au cours de leur carrière.