Le NPD : vent en poupe et récifs potentiels au Québec

Où en est le second souffle de la vague orange ?

Au cours des dernières semaines, plusieurs sondages ont témoigné d’une remontée significative des intentions de vote pour le NPD en prévision du scrutin fédéral d’octobre prochain. D’ores et déjà, ce parti tente de se positionner en position de tête dans une bataille à trois partis.

Étonnamment, après avoir traîné de la patte dans les sondages pendant plusieurs mois, le NPD joue du coude à coude en terrain fédéral, tandis qu’il prend manifestement les devants au Québec. Un sondage CROP tenu à la mi-mai accordait en effet 42 % des intentions de vote des Québécois au NPD, ce qui correspond grosso modo au score qu’il a obtenu le 2 mai 2011.

À quelles raisons attribuer ce changement de cap et cette reprise du tempo par le NPD ?  Est-ce l’effet de la victoire récente de Rachel Notley et des néo-démocrates en Alberta ? Une résultante de la faiblesse de direction perçue chez Justin Trudeau ? L’expression d’un rejet encore plus marqué d’un régime conservateur qui s’exprimerait d’un bout à l’autre du Canada et tout particulièrement au Québec ? Tentons d’y voir plus clair.

À n’en pas douter, ce qui s’est produit en Alberta lors des élections du 5 mai dernier, c’est plus qu’une « vague orange ». Il s’agit plutôt d’une espèce de « révolution tranquille ». Elle a émergé soudainement dans le contexte d’un ressac économique sans précédent dans cette province ; une pression soudaine pour un changement profond à la fois sur les plans politiques et socio-économiques.

Le NPD a tout d’abord mis fin à un régime de parti dominant qui persistait en Alberta depuis 80 ans, en considérant le règne sans partage du Crédit social dans cette province de 1935 à 1975 et les quarante années subséquentes de l’Association progressiste- conservatrice de l’Alberta.

Il faut aussi noter que Rachel Notley, en tant que chef du parti, a su marier une vision articulée, un charisme et un talent de communicatrice remarquable. Il s’agit également d’un revirement frappant du côté des engagements du NPD en faveur d’une remise en question du modèle de développement économique albertain jusqu’ici articulé essentiellement sur l’industrie des hydrocarbures et des sables bitumineux.

Rachel Notley a proposé une diversification de l’économie albertaine, tout en pratiquant la politique de la main tendue envers l’industrie pétrolière et les syndicats.

Le revirement socio-économique initié par le NPD est également singulier dans sa remise en question des compressions budgétaires imposées par le gouvernement précédent (celui de Jim Prentice), notamment en santé et en éducation. Il a refusé le modèle conservateur et promu un ensemble de mesures sociales et environnementales à caractère progressiste.

Enfin, près de la moitié du nouveau caucus néo-démocrate albertain est constitué de femmes, se situant ainsi tout près de la parité avec les hommes. Ce qui, en Alberta, représente une révolution certaine.

Doit-on trouver dans cette révolution tranquille albertaine la source de la remontée des intentions de vote pour le NPD en prévision des élections fédérales ? Pas exactement.

Disons qu’il est indéniable que la victoire de Rachel Notley a nourri l’effervescence dans les rangs du NPD d’un bout à l’autre du Canada. D’autant plus que des déceptions avaient précédé cette percée.

En effet, d’octobre 2013 à mars 2015, le NPD n’a pas vraiment reçu de bonnes nouvelles en provenance de ses propres scores électoraux dans les provinces : défaite en Nouvelle-Écosse en octobre 2013 ; grande déception en Colombie-Britannique aux élections de mai 2014 et reculs subis aux élections partielles fédérales tenues le même mois en Ontario ; résultats mitigés aux élections ontariennes de juin 2014 et piètres résultats au Nouveau-Brunswick en septembre.

Bref, disons qu’une élection provinciale peut inspirer, mais elle ne peut pas s’avérer un instrument de prédiction du dénouement d’une élection fédérale future. La victoire en Alberta a néanmoins revêtu un caractère symbolique considérable pour la population canadienne et québécoise, d’autant plus qu’elle est survenue en Alberta, le point d’ancrage et le château fort des réformistes et « alliancistes » maintenant réunis dans le PCC.

L’explication de la remontée du NPD dans les sondages renvoie à une grogne montante au Canada qui se nourrit de politiques impopulaires des conservateurs : la gouvernance dirigiste du gouvernement Harper et le mépris envers le Parlement ; les dérives des projets de loi « mammouths » ; l’allégeance ultra monarchiste du gouvernement ; les manipulations et les scandales multipliés au Sénat, dont l’affaire Wright-Duffy ; la chasse et la stigmatisation des chômeurs ; l’évacuation cavalière des préoccupations environnementales ; une gouvernance au profit des pétrolières et de l’industrie des sables bitumineux ; le copinage avec l’intégrisme religieux ; l’atteinte au régime de pension de vieillesse ; le démantèlement du service postal ; les coupes budgétaires aveugles, dont celles imposées à Radio-Canada ; la destruction des données du registre des armes à feu. Le nombre d’irritants ne s’arrête pas là. Il est imposant.

Ce mouvement de rejet des conservateurs, qui s’est fortement exprimé au Québec à l’occasion des élections de mai 2011, est encore plus marqué aujourd’hui. Voilà pourquoi le NPD est en voie de remporter une nouvelle victoire au Québec.

En menant des batailles rangées sur des enjeux concrets et sensibles, comme les boîtes postales dites « communautaires », les pensions de vieillesse, le Sénat, la survie de Radio-Canada ou les droits des chômeurs, le NPD réussit à soutenir son capital de sympathie politique parmi la population.

Quant au Parti libéral, paralysé par le flou de son programme et la faible performance de son chef, il ne parvient pas à vraiment  s’imposer au Québec, même s’il recueille certains appuis, notamment chez les anglophones et les communautés culturelles.

Les insatisfactions envers les conservateurs tendent à devenir contagieuses dans le reste du Canada, notamment en Ontario et en Colombie-Britannique. En Ontario, tout n’est cependant pas joué. Les conservateurs ainsi que les libéraux de Justin Trudeau bénéficient toujours de forts appuis, bien qu’ils soient suivis de très près par le NPD.

L’enjeu y est donc de taille pour le parti de Thomas Mulcair, car cette province demeure la plaque tournante pour la fondation d’un éventuel gouvernement néo-démocrate. L’Ontario compte désormais 121 sièges.

Depuis quelques semaines, les sondages accordent au NPD un peu plus de 25 % des intentions de vote, mais ce niveau d’appui est trop bas pour générer un nombre de sièges suffisant pour la formation d’un gouvernement à Ottawa. Pour le moment, le NPD ne dépasse guère le score obtenu lors des élections ontariennes de juin 2014 (23,75 %).

L’enjeu de l’Ontario est donc capital, d’autant plus que les conservateurs demeurent maîtres du jeu au Manitoba et en Saskatchewan, deux provinces qui ont pourtant représenté un terroir historique pour le NPD.


Même si le NPD bénéficie toujours d’une base d’appui populaire indéniable au Québec, il n’est pas non plus à l’abri de contradictions, d’incohérences et de faux pas, notamment sur la question nationale québécoise, la laïcité et l’intégrisme islamique.

Sur la question nationale, le NPD n’est toujours pas plus avancé que sa Déclaration de Sherbrooke adoptée en 2006, caractérisée elle-même par certaines absences et contradictions.

En janvier 2013, le NPD a présenté à la Chambre des communes son projet de loi C-470 comme contrepartie à la « Loi sur la clarté référendaire » sanctionnée au début des années 2000. Même s’il n’a pas été adopté en Chambre, ce texte législatif exprime son orientation advenant la tenue d’un nouveau référendum sur la souveraineté au Québec.

Il maintient en toutes lettres le pouvoir d’Ottawa de juger ultimement de la clarté d’une question référendaire et de faire trancher le tout par la Cour d’appel du Québec en cas d’absence d’entente ou de désaccord entre les deux niveaux de gouvernement sur la question référendaire soumise.

Le droit à l’autodétermination du peuple du Québec, reconnu théoriquement par la Déclaration de Sherbrooke, déjà nié en vertu de l’appui donné par le NPD à Loi sur la clarté référendaire, est encore une fois repoussé du revers de la main par le nouveau projet néo-démocrate.

La perspective annoncée par le NPD visant à désigner un ministre des Affaires urbaines par un gouvernement néo-démocrate a également de quoi susciter des interrogations quant au respect des compétences du Québec.

À l’inverse, la promesse du NPD concernant la mise en place et le financement d’un programme de garderies à travers le Canada a été accompagnée d’un engagement clair de Thomas Mulcair à respecter intégralement le statut distinct du Québec. Le projet du NPD lui garantirait un financement intégral et le respect de son propre réseau indépendant.

Enfin, là où le NPD agit également en porte à faux vis-à-vis des aspirations des Québécois, c’est lorsqu’il se braque contre la volonté manifestée par une majorité de la population pour un élargissement des cadres de la laïcité. Cette aspiration à la laïcité était réelle et très majoritaire en 2012-2013. Elle l’est toujours aujourd’hui.

L’hostilité déjà manifestée par Thomas Mulcair envers l’adoption potentielle d’une charte de laïcité au Québec est révélatrice du positionnement du NPD. Ce parti est toujours un défenseur du multiculturalisme au Canada et s’oppose à toute perspective de laïcité.

Son orientation se situe d’ailleurs en deçà des recommandations de la Commission Bouchard-Taylor et même des positions du gouvernement Couillard concernant l’interdiction du voile intégral dans les institutions publiques pour la prestation ou la réception d’un service.

Le NPD accepte le port du niqab dans les institutions publiques et dans le cadre de la cérémonie d’octroi de la citoyenneté.  Conséquemment, le copinage du NPD avec des franges intégristes de la communauté musulmane, ainsi que son refus d’engager le Canada dans un combat contre l’État islamique nourrissent un tas d’interrogations. Sur le chemin des écueils potentiels au Québec, la question de la laïcité et de l’intégrisme représente un terrain miné pour lui.

Somme toute, le NPD a toujours le vent en poupe au Québec même si ses prises de position sont parfois controversées. Bien que, jusqu’ici, le Bloc québécois n’était pas véritablement dans la course, le retour aux commandes de Gilles Duceppe pourrait lui fournir davantage d’appuis et l’obtention de quelques sièges.

Une vague orange est toujours possible, mais la consolidation de cette sympathie envers le NPD dans le reste du Canada est inégale. Elle varie d’une province à l’autre. La campagne électorale en est à ses préliminaires et tout peut se produire d’ici octobre 2015.

* L’auteur est politologue, au département de science politique / UQAM