Madame Maltais, je m'adresse à vous

2013/04/17 | Par Pierre Céré

L’auteur est porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses (CNC)

Madame Maltais, je désire avant tout que vous sachiez que j'éprouve beaucoup de respect pour la femme de conviction et de combat que vous êtes. Votre parcours est éloquent. Si je vous écris aujourd'hui, c'est pour vous signifier combien je m'explique mal votre persistance à aller de l'avant avec cette réforme de l'aide sociale.

Il y a quelques semaines, nous avons eu des échanges au sujet de la position du Conseil national des chômeurs quant à notre opposition à la réforme fédérale de l'assurance-emploi et à la possibilité de rapatrier ce programme au Québec.

Nous avons aussi abordé la question de la réforme de l'aide sociale. Comme tant d'autres, j'ai été surpris que vous utilisiez les mêmes arguments que ceux évoqués par la ministre fédérale des Ressources humaines, Diane Finley : Il n'y a pas de réforme, ce sont de vieux règlements qu'il fallait mettre à jour, l'idée étant de ramener les gens sur le marché du travail. Curieuse parenté qui fragilise la crédibilité du gouvernement québécois dans sa dénonciation des agissements fédéraux en matière d'assurance-emploi.

J'ai aussi mentionné que de poursuivre sur cette trajectoire nuirait à nos efforts. Certains opposants au rapatriement de l'assurance-emploi n'attendant que de telles occasions pour déchirer leur chemise sur la place publique. Ils l'ont d'ailleurs fait. Mais il y a réellement plus grave, le danger qu'un sentiment d'écoeurement ne s'empare des Québécois et qu'on finisse par voir une certaine affinité entre Québec et Ottawa en se disant : « Voilà, c'est du pareil au même. » Je ne pense pas que tout soit pareil. Je pense que nous nous sommes donné une société pas mal intéressante et qui peut faire beaucoup mieux que les mesures coercitives annoncées à l'aide sociale. On ne sort pas les gens de la pauvreté en leur enlevant une partie des trop maigres ressources dont ils disposent pour survivre.

Derrière l'aide sociale, se cachent une multitude de drames humains et autant de problématiques à dénouer, d’interventions à mettre en œuvre. Tout cela exige du doigté. Contrairement à ce qui se passe à Ottawa, il y a ici au Québec un processus de consultation et un véritable débat mais, malheureusement, cela ne suffit pas.

Madame la Ministre, vous devriez vous ranger à l'avis du Protecteur du citoyen, à celui de la Commission des droits de la personne, aux réserves exprimées par les directeurs de la santé publique du Québec, aux mouvements sociaux et autres, tels le Front commun des personnes assistées sociales du Québec et le Collectif pour un Québec sans pauvreté, qui se sont manifesté sur la question. Il ne sert plus à rien de nous expliquer le bien-fondé des mesures annoncées. Nous avons tous compris. Il faut retirer ces mesures et refaire ses devoirs.

Je ne sais pas comment vous recevrez cette lettre. Certains se feront un malin plaisir de vous la mettre sous les yeux. L'opinion que j'exprime ne se veut pourtant pas une attaque en règle mais plutôt un plaidoyer pour ce qui nous semble juste. Pour ma part, je continue à croire que ce gouvernement est la meilleure chose qui pouvait arriver au Québec.

Je dis qu'il ne faut pas que la déception et la morosité l'emportent. Je dis que nous avons besoin d'espoir, de grands chantiers et de changements qui s'inscrivent à la fois dans le réel mais aussi dans un projet de société, une société « comme glace en débâcle, qui parle de liberté ».