Anne Michèle Meggs : Immigration 101

2023/08/30 | Par Louis Cornellier

Les enjeux liés à l’immigration au Canada et au Québec n’ont pas fini de faire la manchette. Au Québec, l’an dernier, selon l’Institut de la statistique du Québec, il y a eu 80 700 naissances et 78 400 décès. Comme la tendance devrait se maintenir, cela signifie que, désormais, seule l’immigration pourra contribuer au maintien et à la croissance de la population québécoise.

On peut toutefois se demander, dans l’état actuel des choses, si une telle croissance est nécessairement un bienfait. Quand on considère le problème aigu de la pénurie de logements, le manque de places dans les services de garde et l’état précaire de notre système de santé et de services sociaux, sans parler des défis engendrés par une croissance de ce type dans le dossier de l’avenir du français au Québec, ce n’est pas une évidence.

Pour réfléchir rigoureusement et sereinement à cette question, Anne Michèle Meggs est la personne toute désignée. D’origine ontarienne, Meggs est diplômée en études canadiennes et vit en français, à Montréal, depuis des décennies. Elle a dirigé le cabinet du ministre ontarien des Affaires francophones avant de travailler comme directrice de la planification au ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration du Québec.

Dans L’immigration au Québec. Comment on peut faire mieux (Éditions du Renouveau québécois, 2023, 204 pages), un recueil de chroniques d’abord parues dans l’aut’journal depuis 2019, elle montre avec efficacité que le dossier de l’immigration au Québec est complexe, souffre d’une gestion désordonnée et charrie son lot de mythes.

Meggs ne s’oppose pas à l’immigration. Cette dernière, note-t-elle, « fait partie de l’histoire de l’humanité » et n’a rien de condamnable. On migre pour avoir une meilleure qualité de vie, pour fuir les conflits, la persécution ou les catastrophes naturelles, et ça se comprend. « L’immigration est un projet foncièrement humain », écrit Meggs.

Pour être couronnée de succès, cette démarche doit se faire dans le respect des personnes qui migrent, de la société d’accueil et de la société d’origine. Cela exige, de la part de la société d’accueil, d’avoir « une vision claire soutenue par une infrastructure législative et administrative efficace ». Or, au Canada et au Québec, cette vision, pour l’instant, fait défaut.

D’abord, les idées fausses entretenues au sujet de l’immigration nuisent à la rigueur du débat. Non, redit Meggs en citant des experts, l’immigration n’est pas une solution à la pénurie de main-d’œuvre et au vieillissement de la population. Non, ajoute-t-elle, le déclin du français n’est pas d’abord le résultat de l’immigration, mais celui du faible taux de natalité des francophones, de leur anglicisation et de leurs comportements linguistiques : engouement pour la culture et pour les cégeps anglophones, indifférence à l’égard du statut du français, exigence de l’anglais en entreprise, etc.

« La société d’accueil, écrit Meggs, a le devoir de créer un espace propice à l’intégration en français [des personnes immigrantes]. » Elle est souvent loin d’être à la hauteur de cette mission. Les efforts de francisation déployés par le gouvernement du Québec, notamment en milieu de travail, ne méritent pas non plus la note de passage.

Le principal obstacle à une bonne compréhension du dossier de l’immigration au Québec est toutefois le tripotage des chiffres. Alors qu’on se demande si notre capacité d’accueil — une notion qui n’a jamais été rigoureusement définie — est de 30 000 ou de 70 000 immigrants, le Québec en accueillait, en 2022, 155 400, c’est-à-dire 68 700 personnes admises à la résidence permanente et 86 700 personnes détentrices d’un permis de séjour temporaire (étudiants étrangers et travailleurs), cela sans compter les demandeurs d’asile.

Tout le débat, dans ces conditions, est faussé puisque les temporaires, plus nombreux que les permanents, échappent à la réflexion sur les seuils et aux efforts d’intégration en français qui devraient être déployés par le gouvernement du Québec.

En vertu de l’Accord Canada-Québec sur l’immigration signé en 1991, explique Meggs, le Québec pourrait exiger que les immigrants temporaires soient inclus dans le calcul annuel du nombre d’immigrants qu’il veut recevoir. Il pourrait aussi ajouter des conditions linguistiques à cet accueil, mais il ne le fait pas, sauf quand il déplore, mollement, le refus fédéral des demandes de permis d’études pour de jeunes Africains francophones.

Pour avoir une politique d’immigration efficace et humaine, le Québec devrait pouvoir gérer seul l’ensemble du dossier, c’est-à-dire être indépendant, note justement Meggs. En attendant, Justin Trudeau et François Legault disent et font un peu n’importe quoi.

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