Le budget de l’an un

2023/11/08 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois.
 

Ça y est, le Parti Québécois vient de publier Un Québec libre de ses choix – Finances d’un Québec indépendant. L’étude répond aux attentes par sa rigueur et sa justesse. De plus, sa présentation aura permis qu’on parle beaucoup du projet d’indépendance sur toutes les tribunes et aura même permis de faire évoluer les mentalités.

Par exemple, à la suite de sa publication, l’Assemblée nationale du Québec a adopté à l’unanimité une motion qui reconnaît «la viabilité financière d’un État du Québec indépendant». Dit autrement, tous les élus de toutes les formations politiques représentées à Québec – y compris les libéraux du West Island – s’accordent pour dire qu’un Québec pays est viable financièrement.

Il s’agit de toute une avancée, lorsque l’on sait que le principal épouvantail brandi par le camp du Non a toujours été la soi-disant non-viabilité financière du projet. Aux aspirations démocratiques, environnementales, sociales, linguistiques et culturelles, on opposait la question financière : la motion unanime a balayé cet épouvantail.

Les calculs de l’étude reprennent la méthodologie de François Legault dans Finances d’un Québec souverain de 2005 et ont été validés par six économistes de renom, dont Nicolas Marceau. L’actuel premier ministre avait lui-même utilisé la méthode de la Commission Bélanger-Campeau des années 1990. Cet exercice n’avait pas été mis à jour depuis la publication en 2016 des Finances d’un Québec indépendant du brillant Maxime Duchesne.
 

Une comparaison favorable

L’aspect principal de l’ouvrage est de calculer, dans chaque poste budgétaire d’Ottawa, la part qui revient au Québec et les montants envoyés au fédéral, afin de tout consolider dans les finances d’un Québec émancipé. Même chose pour la dette.

On constate que le Québec se compare de façon très favorable aux pays du G7 et de l’OCDE sur tous les aspects financiers. Par exemple, le nouveau pays aurait un meilleur ratio dette-PIB que la moyenne des pays de l’OCDE, loin devant les États-Unis ou la moyenne des pays européens. Le Québec arriverait au deuxième rang du plus petit déficit budgétaire, lorsque comparé aux pays du G7.

Un Québec libre de ses choix montre qu’en 2024, un Québec pays aurait récupéré les 82,3 milliards $ qu’il envoie à Ottawa. Évidemment, ce montant sert à couvrir les dépenses qu’Ottawa ne ferait plus dans un Québec devenu souverain. Néanmoins, l’étude calcule que l’élimination des dédoublements pourrait représenter 8,8 milliards $, grosso modo assez pour compenser la péréquation.
 

L’explosion des coûts à Ottawa

En lien avec cette évaluation, l’étude rappelle l’augmentation spectaculaire des dépenses du fédéral au cours des dernières années. Les coûts explosent malgré les ratés dans les services, qui eux n’augmentent ni en quantité ni en qualité. On peut penser aux passeports, aux différents systèmes informatiques comme le système de paye Phénix ou à tous les problèmes des différents ministères, de l’Immigration aux Anciens combattants.

Il ne serait donc pas surprenant qu’un Québec indépendant arriverait à fournir plus de services à bien meilleurs coûts. Par exemple, il est utile de rappeler qu’actuellement, un cas d’aide sociale traité par Québec coûte 2,5 fois moins cher qu’un cas d’assurance-emploi traité par Ottawa. Autre exemple, l’émission d’un passeport par le fédéral coûte quatre fois plus cher que celle d’un permis de conduire par Québec.

L’inefficacité d’Ottawa renvoie au problème du déséquilibre fiscal, aussi abordé dans l’étude. On rappelle notamment que le fédéral a décidé de financer de moins en moins la santé, ayant par exemple choisi de verser seulement un milliard $ sur les six nécessaires pour couvrir 35% des dépenses.

Avec le vieillissement de la population, ce poste délaissé par Ottawa, va continuer à accroître le déséquilibre entre les niveaux d’administration. Pendant ce temps, le fédéral multiplie les intrusions dans les compétences du Québec et des provinces et voit sa taille et ses coûts exploser.
 

Détérioration des services

L’un des premiers chapitres d’Un Québec libre de ses choix montre l’évolution du contexte depuis la publication en 2005 de l’étude de François Legault. À Ottawa, le nombre de fonctionnaires et le coût des dépenses ont explosé. L’étude se réfère au Directeur parlementaire du budget : «Le DPB souligne que ces hausses, loin d'être ponctuelles, semblent installées dans l'appareil gouvernemental et que la population canadienne n'en ressent pas toujours les effets».

Il souligne «qu’on constate également que les services de la fonction publique se sont même détériorés, et qu'ils ne semblent pas être tous au niveau de ce qu'on s'attendrait de la fonction publique». L’étude du Parti Québécois se réfère encore du DPB pour montrer qu’Ottawa a de plus en plus recours à la sous-traitance, rappelant au passage le contrat de 100 millions $ accordé à la firme McKinsey.

Depuis 2015, le nombre de fonctionnaire a augmenté de 100 000 pour un coût supplémentaire de 20 milliards $, soit une hausse de 50%. Selon les projections de l’étude, la dette fédérale a doublé en dix ans, même s’il ne faut pas oublier que la moitié de cette hausse s’explique par les dépenses de la pandémie, comme la PCU, les subventions salariales et le coût des vaccins.

L’étude montre qu’Ottawa continue à subventionner l’industrie pétrolière : «Par exemple, le plus récent rapport du FMI (Fonds monétaire international) publié en août de cette année chiffrait les subventions canadiennes aux énergies fossiles à 51,5 milliards $ pour l’année 2022 seulement.»

Malgré la crise climatique, l’argent de nos impôts versés au fédéral soutient le développement d’une industrie qui menace sérieusement la santé de la planète. L’étude rappelle les coûts exorbitants de la réfection de l’oléoduc TransMountain et n’oublie pas de comptabiliser l’argent d’Ottawa pour nettoyer les anciens puits de pétrole dans l’Ouest.
 

L’argument économique fondamental

Dans son avant-propos, Paul St-Pierre-Plamondon rappelle que le Québec obtient difficilement sa part dans les choix faits par Ottawa : «Cette capacité à choisir nous-mêmes comment nous souhaitons investir notre propre argent ne se chiffre pas, mais aura bel et bien l’effet économique important de mettre fin au favoritisme du fédéral au détriment du Québec en matière d'investissements directs dans l’économie, comme dans le domaine des chantiers navals (100 milliards $ à Irving, 10 milliards $ à la Davie), des batteries (30 milliards $ à Volkswagen et Stellantis en Ontario, 4 milliards $ à Northvolt), de l’électricité (15 milliards $ pour Muskrat Falls à Terre-Neuve, zéro pour Hydro-Québec), sans mentionner les plus de 30 milliards $ pour l’oléoduc Trans Mountain.»

PSPP fait ici ressortir l’argument économique fondamental, qui milite en faveur de notre indépendance nationale. Plus que la viabilité financière, l’avantage économique d’être un pays est de pouvoir contribuer au développement de nos secteurs clés – comme l’économie verte et la haute technologie – plutôt que ceux identifiés par la nation voisine.

À ce sujet, si l’objet de l’étude est d’abord une analyse pro forma, c’est-à-dire «une projection des finances d’un Québec indépendant s’il faisait exactement les mêmes choix financiers que ceux du Canada actuellement», la dernière partie des Finances d’un Québec indépendant donne une idée de ce qui pourrait être fait avec la marge de manœuvre récupérée. L’étude propose par exemple un réinvestissement de 500 millions $ par année en éducation et une importante bonification des pensions de vieillesse, représentant entre 1,6 et 1,7 milliard $ par année.

Il sera toujours possible de discuter, voire critiquer certains aspects méthodologiques de l’étude, tout comme cela avait été le cas pour les calculs de la Commission Bélanger-Campeau ou de ceux de François Legault. Il n’en demeure pas moins qu’ils s’inscrivent dans une démarche rigoureuse qui reprend la méthode précédemment utilisée à de nombreuses reprises et ici validée par six économistes. La conclusion des calculs est claire et a été reprise par la motion unanime de l’Assemblée nationale : un Québec pays est viable financièrement.

À l’heure ou la nation voisine gouverne pour elle-même sans même chercher à nous accommoder, à permettre une forme d’autonomisme ou même à se justifier, il est à souhaiter que la publication d’Un Québec libre de ses choix soit un premier pas important dans la démarche menant à notre indépendance.