La manipulation génétique de Charles Sirois

 

Albert Jacquard, Ricardo Pétrella, sans oublier Richard Desjardins, nous préviennent contre le saccage des ressources naturelles par les intérêts privés à courte vue. Un autre grand penseur , Charles Sirois, signe un livre prétentieux, Passage obligé, passeport pour l'ère nouvelle 1, prônant la gestion et l'État organiques . Serait-ce une nouvelle méthode de faire des affaires en respectant la vie ?

Le livre de Darwin L'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, était à peine sorti de l'imprimerie (1859) que riches et affairistes se décrivaient comme des êtres supérieurs résultant d'une sélection. Progrès de la biotechnologie oblige, Sirois désigne les chefs d'entreprises comme des codeurs génétiques transmettant les gènes à l' organisme-entreprise et aux cellules-employées dont il faut améliorer la réactivité, l'adaptabilité, la lecture de l'environnement. Il appelle cela gestion organique qu'il oppose à gestion mécanique . Il scénarise l'anéantissement d'un ancien monde mécanique où l'offre déterminait la demande, par un monde nouveau où la demande détermine l'offre. Un monde déterminé présumément par les consommateurs une espèce capricieuse, changeante, instable, toujours volage et infidèle 2 .

La société organique

Pourquoi Sirois entretient-il cette fiction ? Le modèle d'adaptabilité biologique présume un environnement non planifiable par les entreprises 0 Et la roue tourne sans arrêt, actionnée par une demande insatiable 3 . Les entreprises étant modelées par leur environnement, obéissant à la demande, sont disculpées des maux de la civilisation. Les affairistes n'ont pas à s'auto-discipliner, ils répondent objectivement à la demande. McDonald s'infiltre dans les écoles pour répondre à la demande ; la demande insatiable de papier force les affairistes à couper à blanc même si la Commission mondiale sur les forêts prévoit une rupture du stock mondial de bois ; les fabricants d'armes ne font que répondre à la demande...

Or, les entreprises dépensent une grande partie de leur budget à créer des besoins qui sont des constructions à base de harcèlement publicitaire perpétuel. La vague des fusions témoigne d'un désir de contrôle, de réduction de la concurrence. Le marché est un processus de destruction créatrice, un produit chassant l'autre dans un processus créant des besoins de plus en plus marginaux, une rareté dans l'opulence, les besoins premiers étant déjà satisfaits. Il est inutile de rappeler à un homme qui a faim son besoin de manger. On dépense autant d'argent pour promouvoir un film que pour le produire. Sirois lui-même vient de s'associer à des entreprises de ventes pyramidales dont la stratégie agressive consiste à entrer dans les maisons en faisant vendre par la famille, le cercle des amis. Si ce n'est pas une stratégie d'offre pour créer la demande, c'est quoi ?

Quelques héros organiques de l'adaptabilité à la demande 0 Coke avec ses 50 formats et sa douzaine de variétés…, Sony avec sa variété de 260 baladeurs…, Crest avec ses 55 variétés de dentifrice…, National Bicycle Co. et ses onze millions d'options sur ses gammes de bicyclettes (4), Nike, Adidas, Lacoste, Benetton qui ont découvert le travail très bon marché comme d'autres ont découvert les bananes dans le tiers-monde et qui continuent de vendre le gros prix sur leur marché. Sirois fait une apologie des compagnies qui ont su lire les changements de l'environnement technologique, qui ont su congédier à temps ou transférer aux salariés le risque des affaires tout en gardant le profit (sous-traitance, temps partiel sur appel qui se cache sous le concept d'adaptabilité).

L'État organique

Rongeant le même os, Sirois présente la volonté politique, l'État mécanique comme évidemment inférieur à l'État minimal organique qui s'en remet aux forces du marché. Pour Sirois, l'État n'a pas à s'attribuer un rôle dans la pièce où s'agitent les acteurs économiques… ; par exemple, l'État organique se limite à créer les conditions favorables à une demande accrue d'électricité…5 plutôt que d'ériger un barrage et bien sûr facturer les clients… Le gouvernement n'aurait pas dû intervenir dans l'affaire de l'épuisement des stocks de morues… Les pêcheurs de cette région auraient pu eux-mêmes aller aux sources, s'informer et prendre la décision appropriée 6.

Les médias nous ont rapporté que les mêmes bateaux-usines, ayant liquidé la morue ici, sont rendus partout sur les côtes des autres pays et refont la même chose. Ces affairistes amateurs de gestion organique ont fait la lecture de leur environnement 0 une fois la ressource vidée à un endroit, ils sont partis dans d'autres écosystèmes faire la même chose 0 ils s'adaptent… en toute innocence bien sûr, poussés par la demande.

L'éducation-business

Que faire des millions de travailleurs sortis de la course effrénée, jetés hors des entreprises occupées à leur révolution technologique ? Sirois les appelle les esprits mécaniques, formés aux gestes répétitifs des chaînes de montage ; comment transformer des ouvriers-automates en travailleurs qui pensent 7. Par la généralisation de la gratuité de l'éducation ? Jamais de la vie ! Comme l'entreprise organique comprend que son profit futur est dans le savoir, les affairistes doivent s'approprier au plus tôt cette marchandise stratégique qu'est l'intelligence des jeunes. Ils ont déjà réussi à dévier la recherche universitaire vers leurs fins marchandes et ils s'infiltrent dans les écoles sous-financées.

Observez comment Sirois propose une stratégie de financement public des profits privés en rendant les étudiants captifs. L'État organique ne subventionnerait plus les universités qui deviendraient des business vendant leurs services aux étudiants-clients. Les milliards d'argent public seraient plutôt prêtés directement aux étudiants 8 ce qui implique plusieurs dizaines de milliers de dollars pour un baccalauréat et au-delà du cent mille dollars pour aller jusqu'au doctorat. Cela signifie que l'étudiant endetté à vie devrait choisir son éducation strictement en fonction des gains futurs qu'il anticipe sur le marché, ce qui revient à dire que le marché déterminerait les programmes (bien que le marché n'ait pas financé les études).

Plusieurs étudiants voudraient éviter cette incertitude et cette captivité en renonçant à l'université. Imaginez la réaction des étudiants de philosophie, sociologie, écologie, théologie, morale, etc., toutes ces disciplines qui ont justement la mission d'équilibrer les forces matérialistes de l'argent, qui ont charge de faire du monde autre chose qu'un vaste Wal-Mart 0 des artistes renommés comme Madona ou Elton John, ou encore des vedettes sportives adulés ont remplacé les anciens guides moraux… La multiplicité de ces modèles et des valeurs qu'ils charrient a rendu caduc l'attrait de la morale traditionnelle(9).

Ce livre est un paradoxe puisqu'il utilise le modèle de l'adaptation du vivant à son environnement pour prêcher le contraire 0 une folle course en avant, une croissance infinie dans la production-consommation qui est incompatible avec la dimension finie des écosystèmes et qui témoigne plutôt d'un instinct de mort conduisant à l'extinction. Les compagnies ne sont pas des héros organiques survivalistes qui s'acharnent à répondre à une demande capricieuse et infinie 0 elles créent de toutes pièces des besoins de plus en plus marginaux, de la rareté dans un monde d'abondance avec une immense force de persuasion de plus en plus envahissante. Le capital est d'ailleurs de plus en plus anonyme et irresponsable ne s'arrêtant qu'au rendement.

Le revenu minimum garanti selon Sirois

À partir d'une idée de faillite sociale causée par l' excès de droits des citoyens et dans le cheminement vers l'État organique , Sirois prêche pour l'élimination des droits sociaux. Les citoyens devenus bénéficiaires de droits sociaux sont des créanciers de l'État et ils ne perçoivent plus les signes si vitaux du marché qui les obligeraient à évoluer. La gratuité scolaire, les allocations familiales, le régime des rentes et l'aide sociale… font partie du passif social … nous sommes techniquement en faillite sociale 10. Les régimes d'assurance-emploi et d'assurance-maladie et les autres bouées de sauvetage sociales n'ont pas été conçues à partir de paramètres d'espérance de vie aussi longue… Il faut donc repousser l'âge de la retraite et réduire les avantages sociaux 11 comme l'envisagent les Américains, modèles à imiter sans réserve.

Pour les victimes de sa sélection naturelle, il suggère de remplacer tous les programmes sociaux, aide sociale, pension de vieillesse, régime de rentes par une somme annuelle imposable correspondant au strict minimum pour assurer le pain et le gîte qui irait à tout citoyen âgé de plus de 18 ans. Sans suggérer de montant dans son livre, il parle d'une somme annuelle située sous le salaire minimum et au-dessus de l'aide sociale. En entrevue, il parlait de 5 000 $.

Or, les personnes seules pauvres ont actuellement un revenu moyen de 8 531 $ (51% du seuil de pauvreté) compte tenu d'un barème d'aide sociale de quelque 6 000 $. Les familles monoparentales pauvres ont actuellement un revenu moyen de 14 437$ soit 50% du seuil de pauvreté. On peut calculer qu'avec une allocation universelle de 9 000$ par adulte et 4 500$ par enfant, le revenu moyen d'une famille monoparentale de deux enfants serait à quelque 22 000 $ soit 78% du seuil de pauvreté. Alors où voulez-vous qu'ils aillent revirer avec le 5 000$ à Sirois pour adultes seulement ?

1. SIROIS, Charles, Passage obligé, passeport pour l'ère nouvelle. De la gestion mécanique à la gestion organique, Les Éditions de l'Homme, 1999.

2. Page 46.

3. Page 80.

4. Page 49.

5. Page 138.

6. Page 130.

7. Page 18.

8. Pages 134 et suivantes.

9. Page 29.

10. Pages 133-134.

11. Pages 37-38.|180| 
855|Un sommet sur la jeunesse… pour faire face aux vrais problèmes|Dominic Fortin|

Le fléau de l'abandon scolaire



Il n'y a pas de doute, et toutes les données statistiques le confirment, le Québec a connu, depuis plus de trente ans, une progression substantielle de la scolarisation des jeunes. Cependant, ce progrès est relatif à bien des égards, car trop de jeunes quittent l'école avant d'obtenir leur diplôme d'études secondaires (DES).

L'échec scolaire, faut-il le répéter, est un problème social inquiétant qui préoccupe les milieux concernés. Avec raison d'ailleurs car, dans certaines écoles du Sud-Ouest de l'Île de Montréal et de la MRC Denis-Riverin en Gaspésie, près de 50 % de jeunes n'obtiennent pas leur DES. Dans l'ensemble du Québec, en 1996, ce taux se situait à 27 %. Toutefois, de façon générale, les études indiquent que le taux d'abandon scolaire est moins élevé dans les grands centres urbains qu'en régions périphériques, quoiqu'on observe depuis plus de dix ans une diminution des disparités régionales.

Quoi qu'il en soit, les milieux où l'on retrouve plus de pauvreté sont ceux où le taux d'abandon prend les proportions les plus dramatiques. Pauvreté et sous-scolarisation s'influencent l'une et l'autre et engendrent l'exclusion des individus et des coûts élevés pour la société. En effet, en 1992, on estimait à quatre milliards ce que coûteraient les cent trente-sept milles jeunes qui, en 1989, avaient quitté l'école, s'ils n'y retournaient pas. De plus, Renée Pinard, professionnelle de recherche en Sciences de l'éducation à l'Université du Québec à Rimouski, ajoute que l'absence de diplôme a des conséquences terribles sur la qualité de vie, la santé, l'insertion sociale et professionnelle des individus. N'ayons pas peur des mots 0 c'est l'avenir de chaque jeune et de l'ensemble de notre société qui est en jeu. Et à cet égard, les régions périphériques sont gravement touchées et leur vitalité s'effrite peu à peu.

L'exode des cerveaux et l'abandon scolaire

On parle ici de l'exode des jeunes qui quittent leur région d'origine afin de poursuivre des études postsecondaires et de s'établir dans les grands centres urbains, là où l'on retrouve les plus importantes universités et les futurs employeurs. L'exode enregistré au cours de la décennie 1981-1991 était de 31 % pour les jeunes des huit MRC du Bas-Saint-Laurent. Ces milieux font ainsi face à un cercle vicieux 0 les jeunes qui poursuivent leurs études quittent les régions pour bien souvent ne pas y revenir et ceux qui y restent sont sous-scolarisés. Bien que les solutions doivent émerger des régions elles-mêmes, il n'en reste pas moins que l'ensemble du Québec est interpellé, car l'écart entre les régions périphériques et les grands centres urbains s'accentue et l'éducation, au lieu de le réduire, y contribue et devient un effet pervers de notre développement social.

Un sommet sur la jeunesse

Aussi, la mise en œuvre d'un sommet sur la jeunesse au Québec serait l'occasion de poser les problèmes dans toute leur complexité, en abordant à la fois l'abandon scolaire, l'accès à l'éducation, l'environnement scolaire, l'exode, le suicide, la violence… autant d'aspects qui remettent en question notre capacité à permettre aux jeunes de s'épanouir comme être humain et comme citoyen. Cela devrait être notre première préoccupation.

Le Québec des régions

Quand on s'attarde à quelques indicateurs socio-économiques, on constate assez vite le fossé qui sépare le Québec des régions et les grands centres urbains. À preuve, le taux moyen de chômage en 1998 se situait à 22 % en Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine et à 13,6 % dans le Bas-Saint-Laurent, alors qu'il n'atteignait pas 10 % dans les régions métropolitaines de Québec et Montréal. Outre l'aspect économique, le déclin démographique de certaines régions est criant. Ainsi, alors que la population totale du Québec augmentait de 34 % entre 1961 et 1991, elle diminuait de 10 % dans le Bas-Saint-Laurent et de 9 % en Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine. Quand on quitte une région à 16-17 ans, explique Renée Pinard, l'image qu'on en garde est que c'est une région qui ne permet pas de gagner sa vie. Plusieurs décident de ne pas y revenir. Alors, on perd tous ces cerveaux, toutes ces énergies. Ce sont des jeunes qui, par ce qu'ils sont devenus, par leur niveau de scolarité, pourraient venir améliorer la situation, alors qu'ils vont œuvrer à améliorer d'autres communautés. Le poids démographique de plus en plus faible de ces régions contribue donc à leur décroissance et ce, aux profits des grands centres urbains.|180| 
856|Vers un éclatement du réseau collégial ?|Anne-Marie de la Sablonnière|

Les cégeps seraient habilités à décerner eux-mêmes les diplômes



La Commission d'évaluation de l'enseignement collégial (CEEC) prépare actuellement un projet d'habilitation des collèges, qui leur permettrait de décerner eux-mêmes le DEC, un peu comme les universités. Une fois le projet entériné par le ministre de l'Éducation, les cégeps pourront présenter des dossiers à la CEEC pour que celle-ci recommande que le cégep soit habilité.

Actuellement, c'est le ministère de l'Éducation qui décerne le DEC, il se porte donc garant de la qualité des diplômes. Une fois habilités, la responsabilité des collèges dans la qualité de la formation serait accrue. Mais responsable face à qui?

Les inquiétudes du mouvement étudiant

Le projet de la CEEC inquiète le mouvement étudiant. Une fois habilités, les cégeps auront encore des comptes à rendre au MEQ, mais ils seront beaucoup plus sensibles à l'opinion de ceux qui recevront leurs finissants et finissantes, les entreprises et les universités, croit Johanne Paquin, coordonatrice aux affaires pédagogiques de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et plus.

L'habilitation ouvrirait la porte, déjà entrouverte, à l'entreprise privée. Sous prétexte de mieux arrimer la formation au marché du travail, les cégeps permettraient aux entreprises mécènes d'avoir beaucoup plus d'emprise sur le contenu des cours, affirme Johanne Paquin dans son document de travail sur la question. Selon elle, l'habilitation risque aussi de discriminer les étudiants et étudiantes lors du traitement de leurs demandes à l'université.

Les établissements scolaires pourraient conclure de plus en plus d'ententes entre eux pour adapter des programmes collégiaux à des programmes universitaires. De telles ententes avec les universités ou des entreprises risquent d'influencer les étudiantes et étudiants sur leur choix de cégep. Par exemple, on choisirait un programme général dans un cégep en particulier, même s'il est loin de chez soi, parce qu'il a une entente avec l'université où l'on désire poursuivre ses études.

L'exode des jeunes

La même chose se produirait dans le secteur technique où les chances d'embauche seraient plus grandes avec l'entreprise qui aurait conclu une entente avec le cégep. De quoi augmenter l'exode des jeunes et limiter la mobilité étudiante. De plus, il ne serait plus aussi facile de finir une formation ailleurs, les programmes risquant de ne pas être uniformes d'un cégep à l'autre.

Les critères d'admission pourraient aussi se resserrer croit Johanne Paquin; Dans le contexte où la provenance de l'étudiant peut avoir des impacts sur la reconnaissance de la valeur de leur formation, les cégeps auront plus qu'intérêt à être bien cotés. D'où l'importance pour eux de choisir les meilleures recrues. Pour s'assurer une réputation d'excellence, les cégeps auront besoin d'argent et Johanne Paquin craint que tous les vides juridiques possibles soient utilisés pour augmenter les frais étudiants.

Dans un contexte de recherche d'excellence, les collèges, ne pouvant pas être les premiers dans tous les domaines, se choisiront des champs de spécialisation. Les programmes privilégiés bénéficieront de plus d'investissements au détriment d'autres programmes. Mme Paquin soulignait que, dans la course à l'excellence, les cégeps de région risquent de ne pas faire le poids, leur seule chance étant d'axer leurs formations sur l'économie locale. Les jeunes qui désirent maximiser leurs chances d'être admis dans l'université de leur choix ou de décrocher un emploi avantageux voudront évidemment fréquenter le cégep qui leur offre le plus d'ouverture pour l'avenir , conclut-elle.

Un pas de plus vers la décentralisation

L'habilitation est un processus vers une plus grande autonomie des collèges qui s'inscrit dans un phénomène de décentralisation qu'on dit incontournable. L'élaboration des activités d'apprentissage déléguées au local rend les programmes de moins en moins uniformes. Depuis la réforme Marois, n'importe quel cégep peut offrir une attestation d'études collégiales (AEC) dans tous les domaines où il offre déjà un DEC et la loi peut être amendée de telle sorte qu'un cégep puisse autofinancer un AEC par des droits prélevés sur les usagers et les usagères.

Déjà, plusieurs programmes ont des ententes avec des universités et des entreprises. Par exemple, au cégep de Rosemont, les étudiants et étudiantes du DEC-Plus en sciences ont une cote R bonifiée à l'université de Montréal. L'habilitation des collèges n'est pas encore chose faite, mais avec ou sans elle, la décentralisation suivra son cours. Un fois les collèges habilités, tout sera en place pour les DEC institutionnels et la gestion des programmes collégiaux sera faite localement.

La petite histoire de l'habilitation

La Commission d'évaluation de l'enseignement collégial a été crée en 1993 lors de la Réforme Robillard en éducation. L'organisme est autonome et relève directement de l'Assemblée nationale. La CEEC, en plus de sa tâche d'évaluation des programmes, s'est vu confier le mandat, lors de sa création, d'élaborer un projet visant à habiliter les cégeps à accorder la sanction d'études. En 1997, la réforme Marois dessine un forte tendance décentralisatrice au collégial en laissant le choix des activités d'apprentissages à la discrétion de chaque cégep, le ministère imposant seulement les objectifs à atteindre. Au printemps 1998, la CEEC publie L'habilitation, document d'orientation dans lequel elle explique les procédures qu'elle entend employer pour recommander au ministre une habilitation.

Selon Jacques Lécuyer, président de la CEEC, l'habilitation est une preuve de la maturité des cégeps, une reconnaissance de la qualité de leur l'enseignement. On veut, dit-il, éviter de tomber dans le piège des bons et des mauvais cégeps, nous souhaitons donner une chance égale à tous les collèges. Il s'agit d'un processus graduel et éventuellement tous les cégeps seront habilités. Pour ce qui est de la décentralisation, M. Lécuyer croit que la tendance est indépendante du processus d'habilitation.|180| 
857|Falardeau persiste et signe|Jacques Larue-Langlois|

De la suite dans les idées



J'aime mieux radoter et être dans la réalité que prétendument ne pas radoter et n'être pas dans la réalité. Je reste avec les laissés-pour-compte, c'est ma solidarité à moi. Gaston Miron

Comment concevoir en effet tout le mal que se donnent les grands médias pour publiciser la merde inter-galactique de George Lucas produite à coups de dizaines de millions et destinée à une population de demeurés (à l'origine des 10-12 ans, avoue le réalisateur lui- même), alors qu'un créateur, enraciné dans son milieu et qui a lui aussi fait ses preuves, ne parvient pas à soulever l'encouragement que constitueraient quelques milliers de dollars de subventions lui permettant de mener à bien un projet de film que tout le monde attend.

C'est sur cet axiome de Miron le Magnifique que se fonde Pierre Falardeau pour récidiver dans l'écriture et redire dix fois encore et même davantage sa haine de l'oppression colonialiste dont nous sommes victimes depuis maintenant 239 ans. Ce nouveau fourre-tout couvre, en 230 pages de texte, quelque 48 articles différents, tous aussi empreints de son dégoût des institutions et de sa hargne des élites en place que du dur désir de crier à tue-tête le vaste besoin de liberté qui devrait animer tous et chacun de ses concitoyens québécois.

Le cinéaste, en mal de fonds pour produire des films, en est réduit à manier la plume pour prôner des idées avec lesquelles la moitié au moins de la population est d'accord mais que les institutions publiques refusent de cautionner par des mises de fonds pourtant accordées à tant de navets cinématographiques. Comment concevoir en effet tout le mal que se donnent les grands médias pour publiciser la merde inter-galactique de George Lucas produite à coups de dizaines de millions et destinée à une population de demeurés (à l'origine des 10-12 ans, avoue le réalisateur lui- même), alors qu'un créateur, enraciné dans son milieu et qui a lui aussi fait ses preuves, ne parvient pas à soulever l'encouragement que constitueraient quelques milliers de dollars de subventions lui permettant de mener à bien un projet de film que tout le monde attend. Et tout ça survient au moment précis où les ayatollahs de la culture jonglent avec l'idée de subventionner, pour fins de culture populaire, des équipes de jeunes millionnaires tapant infantilement sur une balle en chiquant comme des vaches et que les riches propriétaires des équipes dont ils défendent les couleurs contribuent à nous américaniser chaque jour davantage tout en se bourrant les poches.

La voix du peuple

Le beau titre de son livre, Les boeufs sont lents mais 1a terre est patiente, Falardeau avoue l'avoir volé à un militant anonyme, un combattant inconnu, un sans-grade, venu lui serrer la main à la suite d'une assemblée publique organisée par le Comité du 15 février 1839. Mon seul talent, explique-t-il, non sans fausse humilité, consiste à voler à gauche et à droite, un peu partout, à tout le monde , construisant son œuvre à partir de mots volés autour de lui, comme Vigneault d'ailleurs, rappelle-t-il, qui dit la même chose en plus joli0 avec vos mots, vos pas... avec votre musique. Pour le cinéaste désoeuvré, l'écriture est une absolue nécessité0 Quand j'écris c'est pour partager mon écoeurement. J'écris pour ne pas étouffer dans mes propres vomissures. J'écris pour libérer ma haine dévorante. J'écris pour respirer un peu d'air pur dans toute cette marde.

Cette haine dévorante c'est d'abord aux marionnettes du pouvoir qu'il l'adresse sans réserve, au petit prospect la gueule tout croche de Shawinigan comme à sa contrepartie provinciale, l'Elvis Gratton blond de l'Estrie , une haine qui n'admet aucune forme de censure, surtout politique, et encore moins l'autocensure dont se parent en général préventivement les assis de l'information médiatique. Il l'a exprimée d'abord dans des articles publiés dans tous les médias qui lui ont permis de le faire et sans concession envers les vocations les plus diverses de leurs éditeurs. C'est ainsi qu'il n'a pas hésité à s'afficher (et voilà bien un endroit où le titre lui convient à merveille) dans la chronique Les grandes gueules, du catalogue Canadian Tire de la culture mieux connu sous le nom de Voir, ou même dans Femmes en or, une revue de cul , précise-t-il sans honte, dans Ici, dans Couac comme dans Lectures ou dans Le Devoir. Payé ou pas, explique-t-il, j'écris les mêmes articles depuis toujours... Moi, je suis responsable de ce que j'écris, pas de ce qu'iI y a de chaque côté de mon texte... J'aime mieux voir mon texte entre deux photos de fesses, biens rondes et bien fermes, qu'entre les photos de Lysiane Gagnon et du p'tit Dubuc, dans La Presse. C'est moins déprimant à regarder, non ?

Pierre Laporte et la pègre

Mais Pierre Falardeau n'est pas -et de loin- qu'un amuseur public. C'est aussi un travailleur acharné qui, à l'occasion de l'écriture du scénario de son film Octobre, est parvenu à quelques troublantes découvertes après quelques mois de fouilles dans les archives de la Commission d'enquête sur le crime organisé pour comprendre les liens entre Pierre Laporte, le Parti libéral et la mafia. Il fait état de plusieurs rencontres, dans des endroits très bien, de chics restaurants, mettant en présence des personnages comme Nick Di Lorio et Frank Dasti (à l'époque bras droits de Cotroni, parrain de la mafia montréalaise) en grande conversation avec Jean-Jacques Côté, responsable du comité des finances de Pierre Laporte dans la course à la chefferie du Parti libéral, en 1969, et René Gagnon, président de la campagne de Laporte. Evidemment, tous ces gens ont déclaré aux policiers enquêteurs comme aux commissaires naïfs qu'ils employaient ces rencontres à discuter uniquement de la pluie et du beau temps. Eh bien, conclut-il, le Ministère a apprécié la preuve recueillie. Conclusion0 Y a rien là. Pas de preuves, pas d'accusations. Que du rêve. J'ai rêvé. Vous avez rêvé. Nous avons tous rêvé. Il ne s'est rien passé. II ne se passe jamais rien. C'était un affreux cauchemar. La symphonie des damnés, tel est le titre dont Falardeau a coiffé ce bref chapitre (8 pages denses) qui vaut à lui seul de lire ce livre d'un homme qui se tient debout comme peu savent le faire.

Dans un tout autre style, l'auteur publie enfin le discours qu'il a écrit pour Elvis Gratton, président du Comité des intellectuels pour le Non et que tient ce dernier dans Miracle à Memphis, le dernier en liste des films consacrés à ce roi des totons, un texte où Jojo Savard côtoie Jean Chrétien et où les Amaricains (sic) constituent une garantie contre les séparatisses qui veulent construire une muraille de Chine tsé... comme le mur de Berlin en Bobsnie. (sic).

Une oeuvre à facettes multiples

Polyvalent, Falardeau affiche une grande dignité dans les éloges honnêtes et sans dithyrambe dont il salue les cruels décès de ses amis Gaston Miron et Jean-Claude Lauzon. Deux coups de chapeaux profondément honnêtes et sans courbettes flagorneuses. Mais comme cette admirable grande gueule est avant tout scénariste, c'est encore dans ce genre qu'il triomphe, à travers deux petits textes dramatiques diffusés à la radio de Radio-Canada, en décembre 96 et en novembre 98. Le cauchemar met en scène la rencontre d'un réalisateur de film et de sa productrice avec des fonctionnaires du ministère des Affaires culturelles récalcitrants, cherchant des faux-fuyants pour masquer leur refus de subventionner une production cinématographique. C'est de la fiction, insiste Falardeau et il faut être tordu pour y voir autre chose. Comme d'ailleurs dans l'argument de La complainte de Bambi, diffusée en décembre dernier sous le titre Le souper, où, dit encore le réalisateur, la plupart des critiques ont cru reconnaître mes amis Jean-Claude Lauzon et Julien Poulin, parmi les personnages ... une façon comme une autre de refuser la réflexion en concentrant le problème sur du papotage de magazine de bonnes femmes .

Pierre Falardeau constitue un exemple de la détermination et de la persévérance qui, si elles étaient plus répandues, pourraient accélérer de façon conséquente le trop lent processus de libération nationale dans lequel s'est engagé le Québec. Il faut le lire et le relire car il jette un peu de lumière dans la noirceur d'ici qui gêne le soIeil lui-même (Gaston Miron).

Les boeufs sont lents mais la terre est patiente, Pierre Falardeau, VLB Editeur, Montréal, 1999|180| 
858|Guerre, paix ... et sexe des anges|Pierre Dubuc|Guerre et paix, c'est la dichotomie fondamentale, l'axe autour duquel a tourné l'histoire de l'humanité. Mais, sans doute parce que les baby-boomers des pays occidentaux forment la première génération qui n'a pas connu la guerre et que ce sont eux qui définissent l'opinion publique, notre société aborde avec beaucoup de légèreté, voire d'insouciance, la guerre du Kosovo.

Il est ahurissant de constater qu'il n'y a à peu près pas de débat sur ce conflit dans les pages de nos journaux. On ne cherche pas à en comprendre les causes véritables, encore moins les conséquences probables, au nombre desquelles il ne faut pas exclure les risques d'une déflagration mondiale.

Vers un réalignement des forces politiques

En Europe, le débat s'est enclenché. En France, les intellectuels s'affrontent dans les médias. Les journaux prennent position. Le journal Le Monde a qualifié le conflit de guerre juste , alors que le Monde Diplomatique a pris la position inverse.

Le débat s'est évidemment transposé sur le terrain politique. En France et Allemagne, deux partis politiques membres de la coalition gouvernementale, le Parti communiste en France, le Parti Vert en Allemagne, ruent dans les brancards. Le PC français est contre l'intervention militaire, les Verts la questionnent de plus en plus. En Allemagne, Oskar Lafontaine, le numéro 2 du Parti social-démocrate, le parti au pouvoir, s'est prononcé contre les bombardements.

Il est clair que nous n'en sommes qu'au début et qu'on se dirige vers un réalignement complet des forces politiques. La question de la guerre a toujours été la ligne fondamentale de démarcation des forces politiques.

Pendant ce temps, ici au Canada et au Québec, c'est le calme plat. Souffrons-nous par contagion de l'isolationnisme américain ? Avons-nous la naïveté de croire que le conflit s'éteindra de lui-même, les frappes chirurgicales réussissant à extirper la tumeur maligne ?

De quelques vérités

À la veille de la Première guerre mondiale, le grand socialiste français Jean Jaurès déclarait que le capitalisme portait la guerre comme la nuée portait l'orage . En cette ère de triomphe absolu du capitalisme, les paroles de Jaurès sont-elles caduques ?

Il est fascinant de voir avec quelle facilité on achète — chez des gens, qui pourtant dénoncent avec acuité les thèses du néolibéralisme et le triomphe de cette idéologie et qui sont conscients de la manipulation des esprits par les médias électroniques — les thèses de la face-à-claques Jamie Shea, le porte-parole de l'OTAN, selon lesquelles il s'agit d'une intervention pour motifs humanitaires ! Comme si on avait jeté par-dessus bord tout le droit international, l'ONU, etc. pour des motifs humanitaires !

Le capitalisme, ou si on aime mieux le néolibéralisme, n'agit jamais pour des motifs humanitaires ! C'est vrai aujourd'hui en Yougoslavie, comme ce l'était hier en Bosnie. Les puissances occidentales, au premier chef les Etats-Unis, ont décidé de mettre au pas le seul État récalcitrant de la région, comme l'affirme Ignacio Ramonet dans la dernière édition du Monde Diplomatique.

Après la Yougoslavie...

Il serait bien naïf de croire que là s'arrêterait l'offensive américaine, si jamais elle réussissait à mettre à genoux la Serbie. Dans le collimateur américain, il y a, au-delà de la Yougoslavie, l'ensemble des anciennes républiques soviétiques et leurs immenses richesses naturelles, dont les champs pétrolifères.

Qui dominera la Russie dominera le monde. La lutte est engagée entre les États-Unis et l'Europe, surtout l'Allemagne, qui achève de digérer l'ancienne Allemagne de l'Est, et fait montre de beaucoup d'appétit. Les États-Unis utilisent leur supériorité militaire pour maintenir leur hégémonie sur leurs partenaires européens, mais les contradictions dans le camp de l'OTAN démontrent que de puissantes forces centrifuges sont à l'œuvre et qu'elles menaceront à terme l'unité de l'OTAN. D'où une nouvelle source de conflits majeurs.

D'autre part, qui dit que la Russie voudra se laisser dominer ? Dans une récente entrevue publiée dans le journal de l'Armée russe, Milosevic déclarait aux militaires russes 0 Demain, ce sera sur les villes russes que tomberont les bombes de l'OTAN . Qu'arrivera-t-il le jour où tombera Eltsine ? Ce pantin des États-Unis comme viennent de le confirmer des révélations sur le soutien que lui ont apporté Washington et la CIA.

La nuée dont parlait Jean Jaurès est en train de couvrir le ciel. Au sein de la population, l'inquiétude grandit. On sait bien qu'on ne pourra s'en remettre indéfiniment à une armée de métier. Pendant ce temps, à Ottawa, le Bloc appuie l'envoi de troupes au sol au Kosovo et s'interroge sur l' identité québécoise . En quelque sorte, sur le sexe des anges...|180| 
859|Gilles Duceppe se prononce pour une union économique et monétaire des trois Amériques|André Le Corre|

En clôturant le forum du Bloc québécois sur la mondialisation



Dans un discours prononcé à l'issue du forum sur la mondialisation que tenait le Bloc québécois le 15 mai à Montréal, Gilles Duceppe a décidé de modifier l'axe géographique auquel était rattaché le Québec. Nous passerions donc d'une orientation est-ouest à une orientation nord-sud et remplacerions le D'un océan à l'autre par, selon ses propres paroles, De la Terre de Baffin à la Terre de Feu . En attendant ce voyage à la Terra del Fuego nous nous sommes contentés plus prosaïquement d'assister à l'un des 7 ateliers que comportait la réunion et qui s'intitulait La monnaie dans l'intégration économique des Amériques .

Le conférencier invité était Marc Van Audenrode, directeur du département d'économie de l'Université Laval. Étaient aussi présents Richard Marceau, député du Bloc pour Charlesbourg et l'inévitable Bernard Landry.

Les taux d'intérêts de la Banque du Canada.

Pour Marc Van Andenrode l'union monétaire est la suite logique du libre-échange surtout pour le Québec dont l'économie dépend des exportations. De plus, après l'apparition de l'Euro la vie va devenir de plus en plus difficile pour les petites monnaies qui devront pour se protéger augmenter leurs taux d'intérêts. Or les taux pratiqués par la Banque du Canada sont déjà trop élevés et ont toujours été supérieur de un à deux points à ceux en vigueur aux États-Unis. Les coûts cumulés de cette politique désastreuse, qui dure depuis 30 ans, sont très lourds pour les consommateurs (emprunts, taux d'hypothèque etc.)

D'un autre côté, comme selon lui il est peu vraisemblable de croire que les États-Unis envisageraient l'idée d'une monnaie commune, la seule solution serait l'adoption du dollar américain avec la perte de souveraineté que cela impliquerait d'abord au plan du symbole que représente une monnaie nationale mais surtout de la marge de manoeuvre réduite sur les taux de change et des contraintes sur la politique budgétaire.

Il faut aussi envisager la perte du droit d'émission des billets et donc du rendement sur les titres qui est de 2 milliards de dollars par an. La possibilité de réagir aux fluctuations de l'économie qui, aux USA, peut être compensée par la migration des travailleurs serait problématique au Canada. Il s'agit donc de peser soigneusement le pour et contre dans une telle décision. Actuellement, pour Marc Van Andenrode, une union monétaire serait malgré tout désirable surtout en raison de la question des taux d'intérêts.

Québec, siège de la 14ième banque fédérale régionale américaine.

Richard Marceau, député du Bloc pour Charlebourg, ne fait pas lui, dans la dentelle. Il rappelle d'abord que le Bloc a proposé le 15 mars 1999 la création d'un comité parlementaire spécial de la Chambre des communes afin d'étudier la possibilité pour le Canada de participer à la création d'une union monétaire panaméricaine. Tout de go, il propose que la Banque du Canada devienne la 13ième banque fédérale régionale et un Québec souverain la 14ième (ce dernier échappant ainsi de justesse au chiffre fatidique 13). Que dit le Canada ? Jean Chrétien et le gouverneur de la Banque du Canada, Gordon Thiessen, sont contre quant aux Américains, le président de la Réserve fédérale Alan Greenspan et le secrétaire au Trésor, Robert Rubin, seraient disposés à discuter de dollarisation avec les leaders d'Amérique latine.

L'urgence vient du fait que précisément les pays d'Amérique latine, d'Amérique centrale et le Mexique, dont plusieurs seraient en faveur d'adopter le dollar américain comme devise nationale, pourraient coiffer le Canada et le Québec au poteau et ainsi rendre plus difficile une négociation ultérieure avec les États-Unis. Donc les souverainistes qui depuis le MSA (Mouvement Souveraineté-Association) ont toujours été à l'avant garde pour ce type de négociations doivent le demeurer. D'ailleurs, un sondage récent indiquerait que 47 % des Québécois et 57 % des souverainistes sont favorables à une communauté monétaire.

Quand Bernard Landry sauve le dollar américain

Dans ce genre d'atelier, après que l'on ait permis à quelques participants de s'exprimer, il est d'usage qu'un gros canon vienne au micro, rétablisse l'orthodoxie et rallie les indécis. Ce fut le cas ce samedi 15 mai. Pour Bernard Landry, c'est le nationalisme canadien qui, opposé au premier abord à l'Accord de libre échange avec les États-Unis, refuse maintenant d'amorcer la réflexion sur l'intégration monétaire. Ces dirigeants du Canada font passer le nationalisme et ses symboles avant les intérêt de ses citoyens dit-il. Pour lui, l'Euro c'est la culture de la Deutsche Bank, la magistrature monétaire, l'avenir de la gestion de la monnaie.

Mais, attention, l'Euro va supplanter le dollar américain (grâce aux millions d'Européens). Les États-Unis vont vouloir réagir et pour ce faire ils auront besoin de la moyenne Argentine, du grand Brésil et... du petit Québec (pas le fromage, l'autre). C'est ainsi que le Québec et son ministre des Finances pourraient sauver le dollar américain.

Un peu plus tard, lors du dîner-causerie dont il était l'orateur, Bernard Landry a repoussé un peu plus loin dans le temps les bases de ses convictions libre échangistes en citant Adam Smith et le livre que celui-ci a publié en 1776. Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations. Nul doute que la prochaine fois son texte de référence sera la Bible elle-même.

Les questions qui se posent

Il est difficile de raisonner adéquatement à partir des énoncés qui précèdent parce qu'ils s'appuient sur des données qui ne concordent pas dans le temps ; on ne peut faire coïncider dans la durée la fédération actuelle, un Québec souverain et la formation d'un grand ensemble panaméricain. Pris sous forme d'une équation à trois inconnues, plus de multiples variables, le problème est insoluble.

Il en est tout autrement si l'on aborde les problème dans un ordre chronologique prévisible. En suivant ce schéma, le premier cas de figure est une union monétaire Canada-États-Unis. Pour le moment, aucun des deux pays ne la souhaite (et nous non plus). L'argument selon lequel les petites monnaies sont plus vulnérables à la spéculation ne tient pas si la volonté politique existe de protéger sa devise et il existe actuellement de nombreux exemples de telles monnaies parfaitement stables. En fait, pour le Canada, ce serait se jeter dans la gueule du loup et sacrifier la marge d'autonomie qui peut encore rester à un pays dans le monde contemporain.

Le deuxième cas évoqué est la recherche, à terme, d'une union monétaire panaméricaine du type européen. Cette hypothèse n'est pas beaucoup plus crédible parce qu'il est impensable d'imaginer que les État-Unis abandonnent leur dollar pour adhérer à une monnaie commune. Le plus loin qu'ils puissent aller c'est de permettre à des pays de l'Amérique latine ou de l'Amérique centrale d'utiliser leur devise à condition d'être sûr que cela favorisera la stabilité économique de ces pays et donc les investissements qu'ils y ont faits. La comparaison faite avec l'Euro ne tient pas car il s'agit de deux contextes historiques et économiques complètement différents. D'abord l'Euro est l'aboutissement d'un très long processus, amorcé en 1865 avec l'Union latine et poursuivi avec de nombreuses étapes, dont les dernières ont été l'Union européenne de paiement, le Serpent monétaire et le Système monétaire européen avec la création de l'écu. Ensuite, il existe un équilibre dans le trio France, Allemagne, Grande-Bretagne qui est très loin de la situation prévalant dans les Amériques.

La troisième avenue à explorer est ce qui arriverait au lendemain d'un référendum gagnant qui ferait du Québec un pays souverain. Il faudrait d'abord déterminer la forme de partenariat qui serait négocié avec le reste du Canada. La seule certitude qui existe est que le Québec a parfaitement le droit de conserver le dollar canadien. Le scénario évoqué par monsieur Parizeau selon lequel nous pourrions adopter le dollar américain en cas de difficulté avec le Canada est dénué de tout sens. Ce serait faire d'un Québec enfin libéré un sous-État américain.

Assez curieusement après toutes ces années d'errance à travers l'étapisme, le beau risque et la souveraineté-partenariat on revient à la seule solution qui soit logique 0 l'indépendance pure et simple. Elle seule permettrait au Québec d'avoir sa banque centrale et de contrôler de sa monnaie ce qui pourra encore être contrôlé. Tout le reste est pour le moment pure spéculation intellectuelle.

Le forum du Bloc sur la mondialisation

Les bons points

1. Une excellente organisation matérielle incluant la traduction simultanée et une assistance imposante (plus de 600 personnes).

2. Un certain esprit d'ouverture qui contraste avec le dogmatisme du P.Q. et de son chef. L'avancée la plus significative est une remise en cause, encore timide, du concept de partenariat avec le reste du Canada advenant un référendum gagnant.

3. L'invitation faite à des conférenciers étrangers dont deux se sont taillés un grand succès 0

Antonio Villalba Granados. Directeur des relations. Frente Autentico des Trabajo - (Mexique).

Il était très rafraîchissant d'entendre enfin le langage de la vérité. C'est-à-dire qu'au Mexique, sur 95 millions d'habitants, il y a 40 millions de pauvres, que l'ALENA a été signé par le PRI, parti unique au pouvoir depuis 70 ans, sans aucune participation populaire à cette décision. Que le Front authentique du travail est opposé au GATT, à l'OCDE et à l'ALENA. Que ce qui importe réellement dans les traités internationaux, ce sont les clauses sociales, les droits des femmes honteusement exploitées dans les maquiladoras (zones franches), la liberté pour les indiens du Chiapas. Que la seule façon de retarder le processus d'intégration continental réside dans la création d'une alliance sociale continentale.

Et, chose curieuse, bien que ce discours ait été à l'opposé de ce qui avait été dit jusqu'alors, c'est l'orateur qui a reçu la plus longue ovation. Bravo Antonio !

Yaya Mallé. Responsable Éducation et Culture. Confédération Syndicale des travailleurs maliens (Mali).

Un savoureux discours avec cet accent africain si sympathique prononcé avec un calme à toute épreuve. Pour lui aussi, les institutions économiques internationales existent pour le bénéfice des riches. Le FMI et la Banque mondiale ont ravagé les économies africaines. L'Afrique ne participe que pour 1,8% dans les échanges internationaux. Les produits importés sont moins chers que les productions locales.

Les mauvais points

1- Un temps trop court alloué pour les interventions de la salle dans les ateliers.

2- Une mauvaise foi évidente en ce qui concerne l'ex-AMI. Cette attitude rappelle la France au lendemain de la dernière guerre où tout le monde avait été résistant de la première heure. Au PQ comme au Bloc, chacun se déclare maintenant comme ayant été un farouche adversaire du défunt Accord multilatéral sur l'investissement. Monsieur Parizeau va même jusqu'à en faire un exemple type de la dissimulation du fédéral envers les provinces !

Pourtant un rapport du MAECI (ministère des Affaires étrangères et du commerce international) en date du 9 septembre 1997 indique dans la chronologie des négociations 0

1995 Une première série de consultations à lieu avec les provinces et le secteur privé concernant la négociation éventuelle d'un accord multilatéral sur l'investissement (AMI).

La vérité est que chez les partis politiques fédéraux, seul le NPD avait rejeté l'accord et en avait perçu toute la nocivité. Le Bloc avait donc entérine le rapport du sous-comité présenté aux Communes en 1997 et endossé la position canadienne qui était de présenter quelques demandes d'exemptions. Même chose pour le gouvernement québécois alors de le projet était rejeté par la Colombie Britanique, la Saskatchewan, l'Île-du-Prince-Édouard et le territoire du Yukon.

Le Bloc québécois invente la politique fiction

Tout au long du déroulement de ce forum est apparue la conception que se fait le Bloc du monde actuel. Un monde idyllique dans lequel un Québec souverain occupe la place qui lui revient au sein des organisations internationales et y met au pas les perverses transnationales. Un monde où l'OMC (Organisation Mondiale du commerce) protège les petites nations contre les grandes. Un monde où les bons Américains protégent les gentils Québécois contre les méchants Canadiens et vont jusqu'à leur offrir l'usage de leur monnaie en prime.

Dans ce monde, un Québec très prochainement souverain offrira au Canada plusieurs formules de partenariat que ce dernier étudiera avec la plus grande bienveillance le meilleur modèle sera celui dont les partenaires conviendront à l'issue des négociations, en tenant compte des intérêts de tous. Les affirmations de ce genre pullulent dans les documents remis aux participants. Dans ce monde de rêve où le néolibéralisme ( mot tabou qui n'est jamais prononcé) n'existe pas, le Bloc québécois a eu la révélation d'une nouvelle forme de politique 0 la politique fiction.

Hélas la triste réalité est tout autre. Nul ne voit poindre à l'horizon la moindre condition gagnante . Le Canada devient de plus en plus centralisateur. Les Américains menacent de représailles du FMI (Fonds monétaire international) ceux qui utiliseraient leur monnaie sans permission. Quant aux mythiques organisations internationales, si chères à Bernard Landry, elles concoctent actuellement en grand secret un nouvel AMI encore plus pernicieux que la première version.

Mais surtout l'OMC est loin d'être l'institution de bienfaisance que voit monsieur Parizeau. Pour être fixé sur ce point, il suffit de lire le texte de la conférence prononcée au Forum international sur la globalisation à San Francisco par Martin Khor, directeur du Third World Network, en janvier 1997.

Selon monsieur Khor, lorsqu'en 1995 l'OMC a remplacé le GATT une transformation complète des accords d'origine a été opérée. Le nouvel organisme a étendu son emprise à nombre de nouveaux secteurs. Les règles y sont très contraignantes, tout au moins en ce qui concerne les petits pays. (Les États-Unis, eux, ne sont pas concernés). Les représailles y sont communes ce qui explique pourquoi monsieur Parizeau a pu dire que, des 130 pays qui font partie de l'OMC aucun n'a jamais demandé à s'en retirer 0 qui voudrait être inscrit sur la liste noire ?

L'exemple du Costa-Rica gagnant sa cause contre les États-Unis dans un problème d'importation de textile (cité par monsieur Parizeau) n'est guère concluant. Il faut bien jeter du lest de temps en temps. Nous avons au contraire pu voir les États-Unis faire récemment la guerre à l'Europe sur les importations de bananes des Caraïbes au mépris des accords de Lomé, sans oublier l'actuel conflit sur le boeuf aux hormones. Le blocus de Cuba est-il conforme aux règles de l'OMC ?

Mesdames et Messieurs du Bloc, de grâce, revenez sur terre. Vous avez ouverts des chantiers de réflexion, cela est très bien. Souffrez que ceux qui veulent y travailler puissent y apporter le dur éclairage de la réalité d'un monde sans pitié.|180| 
860|La précarité 0 une vocation à vie pour les femmes ?|Isabelle Lamarche|

Les négociations du point de vue du Syndicat des fonctionnaires



Alors que l'effectif régulier de la fonction publique a chuté de 17,9% depuis le mois de mars 1994, le pourcentage d'employées à statut occasionnel est passé de 16,5% en 1994 à 24,9% en 1998 selon les chiffres du Conseil du trésor 1. Selon Serge Roy, président du Syndicat de la fonction publique (SFPQ) que nous avons rejoint au téléphone, ces occasionnelles sont en majorité des femmes ( 65%).

D'après une enquête réalisée par le SFPQ, un très grand pourcentage de ces occasionnelles sont de fausses occasionnelles. 34% du personnel occasionnel ne vit aucune période d'attente entre deux contrats, soit 42% du personnel détenant un contrat d'un an et plus, 39% du personnel détenant un contrat de moins d'un an et 18% du personnel saisonnier. 54% du personnel détenant un contrat de moins d'un an et 44% du personnel saisonnier travaillent de 10 à 12 mois par année. Pourtant, par définition, ces catégories de personnel devraient en grande partie travailler moins de 10 à 12 mois par année.

Le SFPQ a observé que, dans bien des cas, du personnel saisonnier est utilisé sur une base permanente depuis trois ans et plus. D'autre part, avec la notion de remplacement temporaire, plusieurs syndiquées travaillent aussi de façon permanente depuis trois ans et plus.

Comment expliquer cette situation de précarité alors que, de toute évidence, un fort pourcentage de ces personnes travaillent sur une base permanente ? Quel est l'intérêt du gouvernement à maintenir cette situation ?

Selon Serge Roy, il y a plusieurs facteurs. Tout d'abord, le calcul de l'expérience 0 dans le cas des occasionnelles, le gouvernement ne reconnaît pas l'expérience accumulée de telle sorte que, lors d'un changement de contrat, l'employeur ne reconnaît pas plus de 5 ans d'expérience pertinente pour déterminer l'échelon de l'employée occasionnelle ce qui représente des économies. Le syndicat considère que cette notion devrait être corrigée.

Deuxièmement, les conditions d'embauche sont différentes selon le statut. Selon la loi de la fonction publique, pour avoir accès à un poste permanent, les personnes doivent passer un concours d'aptitude. Comme ce n'est pas une condition d'embauche pour les occasionnelles actuellement, cette situation les empêche d'avoir accès à un poste permanent.

Troisièmement, Serge Roy constate une tendance à la sous-traitance. Selon lui, le Conseil du trésor affirme qu'il a besoin de la sous-traitance pour distribuer des contrats à l'entreprise privée, ce qui va tout à fait dans le sens de la tendance mondiale au désengagement de l'État selon l'idéologie néolibérale. C'est pour avoir la marge de manoeuvre nécessaire pour faire place à la sous-traitance que le gouvernement a tant recours au statut d'occasionnel.

Les principaux enjeux de la négociation

Pour régler la question des fausses occasionnelles, le syndicat revendique que des concours spécifiques soient offerts aux occasionnelles qui occupent dans les faits un emploi permanent. Mais les parties ne s'entendent pas sur la durée d'un emploi sur laquelle ils doivent se baser pour considérer qu'un emploi est permanent. Pour le syndicat, il faut considérer tous les emplois d'une durée de dix mois et plus au cours d'une période de trois ans alors que le gouvernement considère qu'il faudrait retenir les emplois durant en moyenne onze mois au cours d'une période de cinq ans.

Le syndicat propose qu'à l'avenir l'ensemble du personnel soit embauché par voie de concours conformément à la loi sur la fonction publique. Ceci permettrait à tout le personnel occasionnel et saisonnier d'avoir accès aux emplois permanents qui deviendraient vacants avant que l'on procède au recrutement public. La partie patronale se dit prête à adhérer au principe de la déclaration d'aptitude pour combler les emplois occasionnels. Cependant elle veut troquer ces droits contre un plus grand arbitraire patronal.

En effet, le gouvernement s'oppose à ce que l'employé saisonnier ou occasionnel, inscrit sur une liste de rappel ou à l'emploi le 30 juin 1998 soit déclaré automatiquement apte. De plus, il remet en question l'existence de liste de rappel à partir du moment où le principe de la sélection au mérite entrerait en vigueur.

Enfin, il veut abolir les niveaux dans la déclaration d'aptitude ce qui a pour effet d'abolir un ordre de priorités pour des promotions laissant la place à l'arbitraire. La partie syndicale a refusé de troquer des droits de syndiqués contre ceux d'autres syndiqués.

Négocier la classification

Un autre enjeu de la présente négociation est la classification car le gouvernement la change complètement. Or, d'après la loi de la fonction publique, les titres d'emplois ne sont pas négociables. Les changements qui s'annoncent risquent d'avoir des incidences sur les salaires. Le SFPQ veut rendre la classification négociable. Le gouvernement refuse et veut abolir la relation entre la classification et le chef d'équipe. Le gouvernement veut nommer les chefs d'équipe ce qui laisse la place à l'arbitraire.

Le SFPQ est sur le point de rompre les négociations car le gouvernement reste sur ses positions pour ce qui est des principaux enjeux de la négociation à savoir la précarité, les salaires et la classification des emplois. Comme on peut le voir, avec un tel gouvernement, le sort des femmes n'est pas à la veille de s'améliorer.

1 Le soleil le 8 janvier 1999|180| 
861|Les fermetures sauvages d'usines, c'est assez !|Pierre Dubuc| À la fin du mois d'avril, l'aut' journal, en collaboration avec le RAP-Montréal, le PDS et le Comité souverainiste de l'UQAM, organisait une assemblée publique sur les fermetures d'usines avec Denis Boucher et Jocelyn Bouillon du local 7625 du syndicat des Métallos. À l'ordre du jour 0 le bilan du partenariat.

Un peu impressionné au départ de se retrouver dans une enceinte universitaire, — l'assemblée se tenait à l'UQAM —, nos syndicalistes ont vite pris de l'assurance et ont su captiver l'auditoire par leur connaissance des dossiers et l'ampleur de leurs perspectives.

D'entrée de jeu, Denis nous a dit qu'il ne se sentait pas tout à fait dépaysé dans les murs de l'UQAM, ayant travaillé dans l'entreprise qui a fabriqué les briques qui ont servi à construire l'édifice. Puis, il a décliné la longue liste des licenciements collectifs et des fermetures d'usines des dernières années qu'il a relié à la mondialisation. Avec la mondialisation, dit-il, les patrons ont fait un bon coup ; mais pas le mouvement ouvrier .

Il rappelle que la majorité de la main-d'œuvre ouvrière au Québec travaille dans des PME. Des binneries, c'est difficile à syndiquer, c'est difficile aussi lorsqu'on est syndiqués . C'est pour mieux se défendre qu'un syndicat comme les Métallos s'est doté d'une structure comme le 7625, une section locale composée qui regroupe plusieurs unités syndicales.

Mais cela ne suffit pas. Pour Denis, il faut des lois contre les licenciements collectifs et les fermetures d'usines comme il y en a en Europe. (1)

Juger le partenariat à ses résultats

Jocelyn vient d'un syndicat d'une usine de récupération de plomb dans les batteries où il s'occupait de santé-sécurité au travail. Pour lui, tout comme pour Denis, il faut juger le partenariat à ses résultats. La concertation, la mondialisation, on est embarqué là-dedans. Mais après 10 à 12 ans de cette expérience, on constate que ça nous a rien donné de positif. La mondialisation, c'est un argument pour des coupures. La concertation, une façon pour les patrons d'augmenter leurs profits. Plus on va aller dans cette voie, plus on va s'appauvrir dit-il.

Denis donne l'exemple du partenariat à la compagnie Alcatel. La compagnie a fait 19 millions de profits l'an passé sur un chiffre d'affaires de 77 millions. C'est une des usines les plus performantes de la multinationale française. Pourtant, elle vient d'annoncer la mise à pied de ses 160 travailleurs . Les travailleurs n'en croyaient pas leurs oreilles. Dans le cadre du partenariat, ils avaient participé à tous les efforts demandés par la compagnie pour augmenter la productivité.

Depuis, ils ont changé d'attitudes. Jocelyn raconte que lorsque des cadres en provenance des Etats-Unis sont venus dernièrement voir comment on pourrait démanteler l'usine, les travailleurs ont dit aux patrons 0 Ils sortent ou c'est nous qui sortons . Ils sont sortis.

Aujourd'hui, ajoute Denis, le ministre Landry court après l'employeur. C'est pas normal. Landry devrait être celui qui impose des conditions à la fermeture de l'usine, qui pénalise l'employeur qui veut fermer, comme cela se fait dans d'autres pays.

La nécessité d'un retour aux sources

Notre camarade Pierre Klépock, l'organisateur de cette assemblée, a souligné en conclusion que le local 7625 était un des seuls chez les métallos (FTQ) à remettre en question le partenariat. Il a dénoncé le syndicalisme des années 80, un syndicalisme de partenariat et de concertation qui a lamentablement échoué, et a invité le mouvement syndical à retourner à ses origines, à renouer avec ses traditions de luttes, de combat, en rappelant que c'est ce qui nous a valu nos principales conquêtes.

Voir le dossier préparé par Pierre Klépock dans l'aut' journal no. 178.|180| 
862|Encore une menace de fermeture|Pierre Klépock|Sous la menace de déménager les emplois aux États-Unis, les 223 ouvriers en grève de l'usine Cari-All dans l'est de Montréal sont retournés au travail forcé le 18 mai dernier. C'est de plus en plus une pratique courante, pour les patrons, le seul moyen de mater les travailleurs, c'est la fermeture des usines, la menace du chômage. Le patronat cherche ainsi à briser les syndicats. Au Québec, les lois du travail devraient prévoir des mesures suffisantes pour contrer les fermetures d'usines, interdire les menaces et pratiques déloyales des employeurs lors d'une négociation ou d'un conflit de travail. Ça empêcherait des capitalistes pourris d'agir de la sorte , nous explique Daniel Sylvestre, président de l'unité syndicale.

En arrêt de travail depuis le 21 avril, le boss voulait imposer des reculs dans la convention collective et passer par-dessus le syndicat pour négocier. Ce qu'il n'a pas réussi. Du fait de la solidarité des syndiqués, l'ancienneté d'usine sera mieux respectée et le droit des travailleurs accidentés à garder leur lien d'emploi est maintenu dans la convention collective. Ils ont également réduit considérablement les écarts salariaux , obtenu un programme de formation professionnelle et un bon régime de retraite. Mais devant la menace de perdre leur gagne-pain, les salariés ont accepté à contre cœur un contrat de 5 ans.

C'est pourquoi le Code du travail doit limiter, au maximum, de 1 à 3 ans la durée d'une convention collective, comme c'était la pratique jusqu'à tout récemment. Et comme dans certains pays européens, les lois du travail doivent être modifiées, afin de permettre aux travailleurs de faire la grève pendant la durée d'application d'une convention collective, lorsque les patrons portent atteinte à leurs conditions de travail.

Membres de la section locale composée 7625 du puissant Syndicat des Métallos (FTQ), les ouvriers réclamaient, avec raison, leur juste part des profits et un meilleur climat dans les relations de travail. On sent qu'il y a un vent de revendication chez les métallos, il est temps de revenir à un syndicalisme militant. Il est fini le temps de s'excuser d'être syndiqué, notre réponse aux demandes patronales est clair 0 C'est non aux reculs , a déclaré Daniel Sylvestre.|180| 
863|Les Journées Sociales du Québec 1999|Juan José Fernandez|

Entrevue avec Guy Paiement



Sous le slogan À nous le Politique , plus de quatre cent cinquante personnes de différents groupes populaires de presque toutes les régions du Québec se sont rencontrées dans la ville de Hull les 7, 8 et 9 mai pour participer à la quatrième Journée sociale du Québec. À cette occasion, nous avons rencontré Monsieur Guy Paiement, président des Journées sociales 1999

Juan José 0 Monsieur Paiement expliquez-nous ce que sont les Journées sociales.

Guy Paiement 0 Les Journées sociales sont un réseau de personnes chrétiennes engagées socialement qui viennent d'à peu près toutes les régions du Québec. Ce groupe-là se rencontre tous les deux ans pour un colloque annuel, sous un thème qu'il choisit et qui a un intérêt commun. Tout a commencé à Québec en 1991. Il y avait eu à cette occasion un grand colloque pour souligner le centenaire de l'encyclique sociale Rerum novarum (ce qui veut dire 0 Les choses nouvelles) et qui rappelait comment les chrétiens devaient s'engager socialement. Après ce colloque, plusieurs personnes se sont dites 0 Pourquoi ne pas se donner tout de suite des moyens avec des groupes populaires, syndicaux, des groupes à l'intérieur de l'Église et des groupes de solidarité internationale, dans une perspective nouvelle à partir de la base de la société civile pour pouvoir comprendre et agir sur des problèmes majeurs de notre société ?

Dans un premier temps, le thème choisi a été La crise du travail et de l'emploi . Donc le slogan Peut-on vivre sans emploi ? Par la suite, au deuxième colloque, qui a eu lieu à Chicoutimi, on a commencé à chercher des pistes et on a été parmi les premiers, à cette époque, à proposer le revenu de citoyenneté, le partage du travail, etc. Les participants sont donc retournés en région et chacun, dans son groupe respectif, a continué sa réflexion. Comme tu peux le voir, les Journées sociales ne sont pas un mouvement mais plutôt un carrefour d'échanges, de réflexions, à partir des réseaux déjà existants.

Juan José 0 Comment se situe aujourd'hui, face au néolibéralisme et la mondialisation, ce groupe de réflexion ?

Guy Paiement 0Évidemment, il faut savoir où l'on se situe et on s'est dit 0 Oui, on se situe dans une perspective différente du néolibéralisme, oui on veut être critique, oui on veut être à contre-courant. Dans cette foulée, on s'est dit que ce serait intéressant de reprendre le collier et de se demander si la société civile n'est pas en train de se découvrir comme celle qui doit reprendre l'initiative sur les différents terrains sociaux, politiques et économiques.. Ce refus d'être encadré, d'être ratatiné par les marchés, ces redécouvertes du citoyen qui n'a pas d'autre choix, dit-on, que de s'adapter à cette nouvelle économie. C'est ça que j'appelle Le grand carrousel de l'économie. Et, malheur à ceux et celles qui ne peuvent pas embarquer dans le carrousel parce qu'ils n'existeront plus socialement.

Juan José 0 Alors qu'est-ce qu'on fait ?

Guy Paiement 0Il faut prendre acte, une fois que l'on a refusé, qu'il y a beaucoup de monde dans notre société qui sont en train de chercher à reprendre du pouvoir sur leur vie, sur leur milieu. On essaie justement de revoir les choses de façon différente et de faire avancer de nouvelles propositions concrètes dans cette perspective. On s'est dit 0 On prend acte du fait qu'il y a une redécouverte chez le citoyen qui ne veut pas se définir comme un simple consommateur et qui veut avoir une prise sur sa vie, son avenir, et dans son milieu. Donc, on prend acte de ce mouvement du réveil du citoyen.

Juan José 0 C'est dans ce sens-là que dans la Déclaration de Hull vous parlez du réveil démocratique de la société civile ?

Guy Paiement 0Exactement. Il faut se situer autrement par rapport au Politique. Il va falloir l'articuler autrement, dans une société civile plus forte et consciente de son pouvoir organisationnel.

Juan José 0 Sous la forme d'une alternative politique, par exemple ?

Guy Paiement 0Tout à fait d'accord. Mais le problème est que l'on n'a pas eu de mouvement de base suffisant pour permettre justement l'avènement de cette forme d'alternative politique proprement dit. Et c'est pour ça que l'on souhaite un nouveau parti politique qui soit capable d'exprimer ce que la société civile porte en elle de différent et d'innovateur. Mais pour ça, il faut que l'on puisse établir une sorte de rapport de force horizontal dans lequel de plus en plus de gens constituent un tissu social différent pour que l'on puisse avoir vraiment un parti qui ne soit pas simplement un groupe d'aventuriers qui veulent se servir du peuple pour obtenir une promotion et un poste politique. Il faut que l'on change vraiment la façon de faire la politique. Il faut aussi que les gens découvrent que la politique commence par Le Politique c'est-à-dire par des gens qui veulent se donner du pouvoir sur leur vie. Ces nouveaux rapports devront être au-delà d'une simple représentation tous les quatre ans. Il faudrait donc que l'on puisse imaginer un parti politique où les arrimages avec la société civile soient plus nombreux qu'une simple représentation.|180| 
864|D'une lune à l'autre|Élaine Audet|Ma chronique pour le numéro de mai a été écrite avant le massacre de Littleton au Colorado, qui vient donner une terrible actualisation à son propos. Encore une fois, on cherche le dénominateur commun et les causes d'une telle tragédie.

La facilité de se procurer des armes et la violence de la culture américaine sont à juste titre évoquées. Le psychologue William Pollack 1, codirecteur de la clinique pour hommes de Harvard, croit que le dénominateur commun de toutes ces tueries est de manifester une crise nationale des garçons qui, incapables de verser des larmes, pleurent des balles! . Selon Pollack, dès la plus tendre enfance, on leur dit qu'un vrai garçon ne pleure jamais. Jusqu'à ce qu'ils n'en puissent plus et décident d'en finir avec l'humiliation et l'imposture. 2

L'UCK et ben Laden

Plusieurs sources journalistiques et politiques 3 s'inquiètent des rumeurs persistantes selon lesquelles l'Armée de libération du Kosovo (UCK), appuyée par l'OTAN et les États-Unis, serait entraînée par Oussama ben Laden, responsable des attentats contre deux ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie qui ont fait 224 morts en 1998.

La situation est encore plus trouble quand on se rappelle que ce sont les Américains qui ont fourni les armes et les dollars aux Talibans pour prendre le pouvoir en Afghanistan et que c'est dans ce pays que ben Laden a précisément trouvé refuge. Ces mêmes Talibans qui continuent impunément à séquestrer et traiter les femmes comme moins que du bétail.

Apprendrons-nous un jour que les Américains et/ou ben Laden sont derrière les GIA en Algérie? Cette supposition est moins farfelue qu'il n'y paraît quand on sait l'intérêt certain que l'Algérie pourrait représenter pour les Américains au plan économique et comme tête de pont stratégique en Afrique, sans compter que durant la mise à feu et à sang de l'Algérie, aucun des représentants et des biens américains n'ont été touchés. Espérons, qu'après l'Irak et la Yougoslavie, l'Algérie ne soit pas le prochain pays à bénéficier de l'invasion humanitaire de la démocratie armée du $.

Les conditions gagnantes

Après la proposition par Jacques Parizeau d'adopter au Québec le dollar US, celle de Monière et Bouthillier de retourner à l'étapisme et celle du Bloc d'abandonner le concept des deux peuples fondateurs, en arrivera-t-on, parce que la loi 101 indispose les Américains qui la jugent discriminatoire et sous prétexte de lutter contre la balkanisation des langues, à proposer l'anglais comme langue universelle? Serait-ce la définition des conditions gagnantes?

Nos coqs québécois à Paris

Le passage de quelques écrivains québécois à Paris illustre à merveille le propos de Finkielkraut dans L'ingratitude 4 quand ils se font fort de renier leur héritage culturel. Personne ne trouve grâce à leurs yeux qu'il s'agisse de Félix-Antoine Savard, du Refus global, de Gilles Vigneault, de Gabrielle Roy ou de Gaston Miron. Je n'ai aucune reconnaissance pour ceux qui nous ont éduqués. On a vécu dans une province idiote , tranche Jacques Godbout avec sa suffisance habituelle. Et chacun y est allé de son épithète0 littérature du terroir, vieux jeu, et j'en passe, la question nationale en prenant pour son rhume.

Deux poids deux mesures

On comprend mieux quelles sont les valeurs qui animent la justice québécoise après le jugement qui condamne Lorraine Pagé sans absolution possible en lui faisant cadeau d'un casier judiciaire après que Gilbert Rozon ait reçu son pardon, même s'il a reconnu sa culpabilité. Bien sûr, il n'y a aucune commune mesure entre une agression sexuelle et le vol présumé d'une paire de gants ni entre les intérêts supérieurs d'un homme d'affaires et ceux d'une syndicaliste qui n'a jamais cessé de chercher à améliorer les conditions de vie des femmes et des enseignantEs.

À voir la hargne avec laquelle les médias s'acharnent sur ce cas, on peut imaginer, qu'en pleine négociation du secteur public, ça fait plaisir à plusieurs de se débarrasser de cette infatigable batailleuse.

(1) William Pollack, Real Boys0 Rescuing Our Sons from the Myths of Boyhood (Les vrais garçons0 sauver nos fils des mythes de la masculinité), New York, Random House, 1998.

(2) Voir mon article, intitulé Place aux hommes, dans le # 175, décembre/janvier 1999.

(3) Washington Post, 12.08.98, Times de Londres, 26.11.98, Jerusalem Post, 14.09.98, etc.

(4) Alain Finkielkraut, L'ingratitude, Montréal, Québec-Amérique, 1999.|180| 
865|Rencontre avec des artistes cubaines|Caroline Perron| Holguin, ville de la partie orientale de Cuba, 10 h du matin en ce début de mai, il fait déjà chaud sous la tonnelle, mais les sept femmes pimpantes et joyeuses qui font leur entrée sur la terrasse du vieil hôtel Pernik amènent avec elles un vent de fraîcheur. Pendant une heure, je discute avec elles de leur situation comme femme artiste à Cuba. Une heure de pure intelligence arrêtée dans ce temps qui ne compte guère sur l'Isla Grande.

Ces sept femmes sont peintres, graveures, sculpteures et, traits communs à toutes, elles fabriquent leur propre papier ; car à Cuba, embargo américain et effets du glasnost combinés, le papier, comme bien d'autres choses, est une denrée extrêmement rare. Les Cubains ont donc fait leur cette maxime0 La débrouillardise est fille de la nécessité et ils réussissent à faire des miracles avec un rien. Ces femmes font donc le papier, matière première fondamentale pour la réalisation de leurs oeuvres, avec de l'écorce d'arbres, avec le maïs, avec le tabac (qui a dit qu'il n'était fait que pour être fumé ?). Ce papier devient donc en lui-même une oeuvre d'art, ce qui lui confère à mon avis, une plus-value.

Vivre de son art

Les présentations passées, je leur demande pour débuter, ce qui les a amenées à devenir artistes et si cela leur permet de bien vivre. Fait important à savoir, à Cuba, l'artiste reçoit un salaire de l'État, maigre, mais un salaire quand même, l'art à Cuba étant considéré comme un métier à part entière. Ces artistes peuvent donc se vanter de vivre de leur art. Ce qui n'est pas le cas de la majorité des artistes québécois, l'art étant considéré ici plutôt comme un hobby ou une activité non-rémunérée. Autres pays, autres moeurs...

De plus, elles peuvent vendre leurs oeuvres aux touristes, friands d'oeuvres d'art et dispensateurs des précieux dollars américains, ce qui leur permet d'acheter la plupart des articles de la vie quotidienne. Faits curieux, les Cubains sont payés par l'État en pesos, mais la plupart des marchandises sont vendues en dollars américains, et ce, au prix fort. Cependant, ces touristes, des Canadiens, Espagnols, Allemands, Italiens et Japonais n'achètent pas n'importe quoi. C'est dire que l'oeuvre créatrice, celle la plus près de l'artiste, destinée aux expositions et aux galeries ne les intéresse pas beaucoup0 trop grandes pour être apportées dans les valises, trop chères, trop songées ; ils préfèrent les oeuvres plus accessibles, plus petites, plus colorées, plus typiques, quoi ! Cela oblige donc la plupart des artistes, femmes et hommes confondus à produire deux genres d'oeuvres. À cause de la demande, nous sommes donc voués à pratiquer un art à deux vitesses si nous voulons que des gens achètent. de nous dire Tania Alina Paredes.

La nécessité vitale de l'art

Plusieurs de ces femmes disent être venues à l'art par une impulsion vitale, par un sentiment de nécessité. Graver le papier, la pierre, injecter sur le papier des couleurs, pétrir la terre cuite, le bois, deviennent donc des gestes vitaux, des moyens d'exprimer les passions, la vie quotidienne, la vie des femmes. C'est un moyen d'expression sans les mots, car ceux-ci peuvent parfois être dangereux.

Est-ce facile pour elles de pratiquer leur art ? Question très significative pour elles, car même si elles reçoivent un salaire, il n'est pas toujours facile de pouvoir peindre, sculpter, graver. Le temps que ces femmes consacrent aux travaux ménagers, à éduquer la petite famille, mais surtout à attendre dans les files des magasins presque vides pour la plupart est énorme. Des heures sous un soleil implacable, dans la poussière et les gaz d'échappement des voitures. Elles disent recevoir de l'aide de leur mari, mais le mâle cubain n'étant pas ce qu'on pourrait appeler tout à fait un homme rose, elles se retrouvent donc comme la plupart des femmes du monde entier, avec la double journée de travail. Elles doivent donc empiéter sur leurs heures de sommeil ou de loisirs afin de pouvoir créer.

Par exemple, Magalys peint en faisant la cuisine. Autre problème 0 la difficulté de se procurer le matériel. Faire son papier, voilà une solution, mais l'encre, les couleurs sont plus difficiles à produire soi-même et on ne s'étonne guère, à Cuba, que les prix soient astronomiques0 5 $ américains pour un tube d'acrylique, alors que le salaire moyen est de 10 $ américains par mois. Les artistes doivent donc s'organiser pour se procurer leur matériel. Par exemple, Magalys a profité de son séjour à Montréal, pour faire des provisions pour elle et d'autres femmes. D'autres, qui n'ont pas eu cette chance, ne le disent pas trop fort, mais le mot “souterrain” s'échappe subtilement de leurs lèvres.

Sept femmes proposent

Magalys Reyes Pena est une jeune peintre dans la fin de la vingtaine. C'est par son intermédiaire que cette rencontre a pu se faire. À deux reprises, elle est venue exposer quelques-unes de ses oeuvres à Montréal, la dernière remontant à 1996 au Centre Stratern. Elle croit fermement que les femmes artistes ont plus de poids lorsqu'elles se regroupent. Il y a quatre ans, une initiative des femmes artistes de Holguin a vu le jour. Des femmes de toutes les générations se sont associées pour faciliter leur auto-promotion. Ce projet intitulé Sept femmes proposent avait pour but d'organiser une exposition et de produire une vidéo. Nous avons également invité d'autres femmes artistes, des poètes, des écrivaines et toutes ensemble, nous avons participé à l'élaboration d'un livre d'art fabriqué avec notre propre papier. L'exposition à Montréal est venue par la suite.

Les hommes disposent

Lorsque les femmes exposent, hommes et femmes viennent voir ce qu'elles font, mais il semble que ce sont les femmes qui sont le plus attirées par les oeuvres d'autres femmes, cela étant fort compréhensible0 univers semblable, quotidien de même acabit, thématiques chères aux femmes, le corps, l'amour, la famille, les enfants, et trait commun aux cubains0 les pannes d'électricité et le manque de gazoline sont là les sujets traités par ces artistes.

Les hommes sont intéressés par ce que les femmes font, ils sont curieux, mais certains se sentent offensés par certaines images, celles du corps et de la sexualité, par exemple. D'autres sont même jaloux, car ils n'aiment pas jouer les seconds violons, avoir moins de succès qu'une femme, descendre de leur piédestal. de nous dire Xiomara Dominguez, la doyenne de ces femmes qui possède plus de vingt-cinq ans d'expérience. Plusieurs de ces hommes sont bien souvent des artistes eux-mêmes; ils n'aiment pas que leurs consoeurs réussissent trop bien ou mieux.

Libertad o muerte

Pour ces femmes, l'art devient donc un moyen extraordinaire de communiquer avec les autres, ceux de la patrie et ceux d'outremer. Communiquer ce qu'est la vie, comment elle se transmet dans le tamis de l'oeuvre, voilà l'essence même de ce qu'est cet héritage non verbal. C'est aussi un moyen de résister, d'être libre, de s'exprimer avec les images, les couleurs, les ombres, les formes. Le métier d'artiste devient alors un état qu'elles souhaitent ardemment à leurs enfants, parce que disent-elles, il n'y a pas plus beau et plus grand que de vivre sa vie en créant. |180| 
866|Livres reçus|Élaine Audet| Jean-Noël Pontbriand, L'écriture comme expérience, Québec, Le loup de gouttière, 1999.

Michel Bleau, Regards sur le poème,

Québec, Le loup de gouttière, 1999.

Finaliste du prix du Gouverneur général pour Lieux-Passage (1991) et auteur d'une douzaine de recueils de poèmes dont la majorité sont publiés aux éditions du Noroît, ce poète injustement méconnu nous livre ici, sous forme d'entretiens avec Michel Bleau, des réflexions passionnantes sur la démarche propre du créateur, la recherche de l'originaire, la rencontre de l'autre, l'importance de l'écrit dans l'enracinement de la culture, les affinités qu'entretiennent la vie et l'oeuvre. Très bellement illustré par les encres de Lyne Richard, le carnet de notes du poète Michel Bleau poursuit cette réflexion sur la création et la mémoire.

Andrée Lévesque, Scènes de la vie en rouge - L'époque de Jeanne Corbin 1906-1944, Montréal, remue-ménage, 1999.

Andrée Lévesque est spécialiste en histoire des femmes. J'ai déjà dit ici tout le bien que je pensais de son livre précédent, Résistance et transgression (chez les mêmes éditrices, 1995). Elle nous propose cette fois-ci une étonnante biographie de Jeanne Corbin, militante du parti communiste canadien, emprisonnée en Abitibi lors d'une grève de bûcherons en 1933. À partir d'une documentation très fouillée, l'auteure retrace cette époque encore méconnue de notre histoire et met en relief le rôle essentiel joué par les femmes dans les luttes du parti et le mouvement social durant la Crise des années 30 et la Deuxième Guerre mondiale. On ne peut que se réjouir de voir une autre héroïne rescapée de l'oubli.|180| 
867|De Groulx à Falardeau|Michel Lapierre| La postérité spirituelle de Lionel Groulx (1878-1967) est des plus surprenantes. Si le prêtre historien compte parmi ses disciples des hommes de droite comme Jean Éthier-Blais et Jean-Marc Léger, il a eu néanmoins comme amis et admirateurs Michel et Simonne Chartrand, dont il a béni le mariage et baptisé tous les enfants. Et aujourd'hui, Pierre Falardeau se porte à sa défense... Que de monde sous la soutane du chanoine !

À l'heure actuelle, Groulx, bêtement attaqué, attire la sympathie de plusieurs indépendantistes bien intentionnés, mais souvent mal renseignés. Il faut dire, à leur décharge, que le cas de Groulx est fort compliqué. Dans son œuvre verbeuse, le bon se mêle au mauvais et les contradictions foisonnent, au point de nous donner le vertige. Et l'avenir du groulxisme laisse quelque peu songeur. Imaginez ! ce sont les Anglais qui assurent à ce nationaliste d'un autre âge une popularité posthume ! L'anachronisme de l'empire britannique rencontre magnifiquement l'anachronisme de la pensée de Groulx.

Groulx, le prêtre papiste, voilà l'ennemi !

Les Anglais, de plus en plus mythiques en Amérique, détestent ce maître à penser, du moins depuis sa mort, et ne se gênent pas pour le traîner dans la boue. Ils pensent curieusement qu'il est, avec de Gaulle, l'un des deux fondateurs du séparatisme québécois, comme si nous avions été incapables de trouver, par nous-mêmes, une telle idée et qu'il fallût que l'Église romaine et la France nous l'imposassent. Pour les Anglais, notre indépendantisme ne peut être qu'un épouvantail papiste qui porte la soutane. Ils veulent à coup sûr oublier Papineau, libre penseur avant-gardiste qui ébranlait leur bonne conscience protestante. Ils évitent même de s'en prendre à René Lévesque. Groulx, le prêtre papiste, voilà l'ennemi !

Mais les Anglais n'existent guère plus au Québec, du moins les Anglais victoriens, formés à l'école de Macaulay. Ils sont remplacés par les êtres étranges qu'ils se sont créés 0 William Johnson, ex-catholique aux racines irlandaises et canadiennes-françaises ; Mordecai Richler, Juif de Montréal qui chercha longtemps la gloire littéraire à Londres ; Esther Delisle, intellectuelle bien de chez nous qui a un je ne sais quoi de typiquement beauceron. Ce sont ces drôles d'Anglais qui s'acharnent sur un pauvre homme, pathétique, opiniâtre et dépassé, qu'on devrait laisser en paix dans l'ombre de la petite histoire.

Indépendantiste de cœur et fédéraliste de raison

À moins, bien sûr, de s'appeler Julien Goyette, de préparer une thèse de doctorat sur Fernand Dumont, de pratiquer vaillamment l'archéologie des idées québécoises et de faire preuve de la belle neutralité de l'érudit. Goyette a publié, dans la Bibliothèque québécoise, une intéressante anthologie des trop nombreux écrits de Lionel Groulx. On y trouve des textes qui montrent que Groulx était à la fois indépendantiste de cœur et fédéraliste de raison, à une époque où une telle ambivalence était une audace, pas encore une niaiserie. En 1937, le petit abbé pouvait bouleverser beaucoup de monde en s'écriant dans le même discours 0 La Confédération, nous en sommes et notre État français, nous l'aurons !

Que Groulx ait été l'incarnation même de l'Église québécoise, seuls les anglo-protestants et leurs émules aiment le penser. En fait, la majorité de notre bas clergé était bonne-ententiste et les évêques prêchaient la concorde d'une voix unanime. Groulx sortait des rangs en critiquant l'impérialisme britannique.

Groulx et l'Amérique française

Mais il le faisait avec une hauteur, une feinte et une emphase empruntées aux Français, dont il fut paradoxalement l'un des premiers à dénoncer, à l'occasion, le colonialisme culturel. Notre littérature sera canadienne ou elle ne sera pas ! s'exclamait-il dès 1912 ; mais, du même souffle, il disait 0 ... ô littérature de Corneille, de Racine, de Molière, de Boileau, de Pascal, de Bossuet, nulle plus que toi n'est... canadienne ! Sa doctrine littéraire n'était pas plus claire que sa pensée politique.

Esprit sinueux, passéiste, dissimulateur, secrètement tourmenté, Groulx contribua grandement à occulter l'importance, dès le début du XIXe siècle, de notre lutte contre la domination britannique en idéalisant l' empire français d'Amérique, que nos ancêtres, sans trop le savoir, avaient fondé au XVIIe siècle. En s'évertuant à accomplir l'ambitieuse mission à laquelle il se voyait prédestiné, il négligeait quatre petits détails. D'abord, si cette hégémonie continentale a existé, c'était grâce à nos alliances avec les Amérindiens ; en réalité, cet immense territoire était amérindien et canayen avant d'être français. Ensuite, ce territoire n'était occupé que par une poignée de Blancs qui, fort dispersés, ne pouvaient y assurer la souveraineté de la France. Troisièmement, il fut, en partie, conquis par les Anglais et, en partie, vendu aux Américains. Enfin, il fut, à l'exception du Québec, véritablement peuplé et développé par les Anglo-Saxons et les nombreux immigrants de tous pays qu'ils assimilèrent.

Quand Groulx exalte les héros de la Nouvelle-France, il nous ennuie. Il est infiniment plus touchant lorsqu'il nous parle de son propre père, Léon Groulx (1837-1878), mort l'année même de sa naissance. Mon père, écrit-il dans ses mémoires, était un pauvre enfant donné à l'âge de cinq ans, à une famille d'étrangers... Le petit donné n'eut pas la chance de fréquenter l'école. À dix-huit ans... le pauvre garçon partait pour les chantiers de la Mattawan... À vingt-huit ans... il partait pour les États-Unis, travailler à la fabrication de la peinture dans les fours du New Jersey. Ah ! l'Amérique française !

La folie des grandeurs

Groulx n'arrête pas de célébrer notre grande aventure, notre mission apostolique, notre mystique nationale. La folie des grandeurs, qui souvent l'aveugle dans sa vision historique, donne aujourd'hui l'impression que sa trop fameuse méfiance envers les Juifs a quelque chose de terrible, alors que celle-ci n'est qu'un élément très accidentel de sa pensée, une scorie fréquente, à l'époque, aussi bien chez les catholiques que chez les protestants. Mais cette scorie, qui n'avait rien de hitlérien, lui collera toujours à la peau, malgré toutes les preuves de son caractère microscopique; car le culte naïf de la puissance, qu'on trouve au cœur du groulxisme, est un beau gâchis qui donne à des termes tolérés, sinon admis, avant 1945, comme le mot race au sens de nation, un accent impérieux, choquant, qui transcende les époques et les dictionnaires.

Mais il arrive à Groulx d'avoir des éclairs de génie. Tout en restant profondément croyant, il constate, au début des années soixante, le vide de la pensée au Québec et met en cause une sorte d'angélisme, le plus irréel des catholicismes, un catholicisme d'astrologues sans prise sur la jeunesse. Pour remédier à cette religion désincarnée, il se tourne notamment vers Teilhard de Chardin, le jésuite progressiste qui, par sa mère Berthe-Adèle de Dompierre d'Hornoy, descendait, en ligne collatérale, de Voltaire en personne.

Falardeau prend de nouveau la défense de Groulx

Pierre Falardeau a des références bien plus simples et ne coupe, quant à lui, jamais les cheveux en quatre. Dans son dernier livre, Les bœufs sont lents mais la terre est patiente, il prend de nouveau la défense de Groulx. À qui l'accuse de groulxisme, il répond d'un air matois 0 ... de quel Groulx s'agit-il ? De Lionel Groulx, l'historien de droite, ou de Gilles Groulx, le cinéaste de gauche ? Dans les deux cas, au-delà de la gauche ou de la droite, ce qui m'intéresse d'abord et avant tout, c'est le discours anticolonialiste et anti-impérialiste des deux hommes.

Falardeau vise juste, mais il vise toujours la même cible. Personne ne m'émeut plus que cet homme entier lorsqu'il parle d'indépendance, et je suis comblé 0 il en parle tout le temps. Mais les nécessités de la politique l'empêchent sans doute d'avoir une vue d'ensemble de l'œuvre de Groulx. Tant mieux pour lui ! Falardeau ne manque pas grand-chose.

On entre dans l'œuvre de Groulx, on longe péniblement le dédale et on n'en sort guère plus avancé. Un léger étourdissement, et c'est tout. Comme s'il s'agissait des livres des maîtres de l'heure 0 John Saul et Charles Taylor.

Lionel Groulx, Une anthologie, textes choisis et présentés par Julien Goyette, Bibliothèque québécoise, 1998.

Pierre Falardeau, Les bœufs sont lents mais la terre est patiente, VLB, 1999.|180| 
868|Le mythe des frères fondateurs|Jean-Claude Germain| Jusqu'à ce que Gilles Duceppe prenne la parole dans ce qu'il croyait être un bien-cuit et proclame l'Immaculée conception de la Confédération au dernier congrès national du Bloc québécois, les circonstances de la naissance du Dominion of Canada faisaient à tout le moins l'objet d'un consensus.

Personne n'a jamais sérieusement remis en question que la Puissance du Canada-c'est la traduction officielle-a été conçue par un chemin de fer au nom prédestiné, le Grand Tronc, et que son accouchement a été mené à terme par deux fondés de pouvoir, qu'on nomme en ce sens pères fondateurs, qui, pour leur part, étaient deux demi-frères, jumeaux en tout, frères dans le crime et frères dans la magouille, le patronage, l'arrivisme et la duplicité.

Cartier et Macdonald

En 1838, pour sauver sa peau et sa pratique d'avocat, George-Étienne Cartier n'a pas hésité une seconde à renier ses compagnons d'armes patriotes et son ami Chevalier de Lorimier. En 1885, même si tous les chiens du Québec aboyaient, John A. Macdonald n'a eu aucun scrupule à faire pendre Louis Riel pour s'assurer les voix de ceux qui jappaient le plus fort, les chiens orangistes de l'Ontario.

Avides et cupides, Cartier et Macdonald sont deux chevaliers d'industrie qui se reconnaissent bessons sans jamais cesser de se tenir à l'œil et de se méfier l'un de l'autre.

Le canayen n'est pas encore assez French canadian pour se leurrer sur la loyauté personnelle ou politique de son jumeau écossais. Macdonald est un saoûlon magnifique qui ne s'est jamais senti lié par une parole donnée entre deux vins.

En 1886, au moment où la Chambre des Communes de Westminster procède à l'adoption de la nouvelle constitution, Cartier a veillé à ce que lui ou son collègue Hector Langevin soient toujours présents à Londres. Cartier préfère être prudent. Il craint que Macdonald ne profite de leur absence pour refiler son projet d'union législative aux Britanniques plutôt que la confédération acceptée par le parlement d'Ottawa et les Provinces. Ses appréhensions étaient prémonitoires puisqu'à peu de chose près, le projet du vieux Mac c'est le fédéralisme centralisateur, assimilateur, paternaliste, uniculturel et univoque que pratique l'actuel gouvernement Chrétien.

Aux élections de 1872, malgré une contribution électorale de 350 000$ de Sir Hugh Allan, Cartier est battu dans Montréal-Est. De la somme, il s'est réservé 85 000$ et Macdonald a touché sa quote-part mais lorsque la Chambre apprend qu'un promoteur a financé la campagne des conservateurs pour obtenir le contrat du chemin de fer du Pacifique, le jumeau écossais tire son épingle du jeu et laisse Cartier porter le large chapeau du scandale tout seul.

Sir George-Étienne en est sûrement peiné mais il n'est pas étonné. Lui et Sir John ont toujours su qu'ultimement, c'était chacun pour soi. L'image de ces deux frères de raison, jumelés par la nécessité et jumeaux par intérêt demeure à ce jour la métaphore du Canada des pères fondateurs qui, au sujet des pots-de-vin, auraient pu en apprendre aux Turcs. Le commentaire est d'un magnat du chemin de fer qui avait évalué qu'on pouvait acheter tout le parlement pour 25 000 livres.

Les frères siamois de John Saul

Récemment, l'écrivain canadian John Saul a fait une crise d'identiticité, une maladie de l'identité nationale dont les symptômes ont été observés la première fois chez George-Étienne Cartier lorsqu'il s'est défini de plus en plus comme un anglais qui parlait français.

Sans aller jusqu'à se prendre pour un français qui parle anglais, John Saul est néanmoins atteint d'une forme plus contemporaine du délire identiticitaire qui pousse le délirant à croire que l'Ontarien est un Québécois qui s'ignore et inversement que le Québécois est un Ontarien qui se refoule. Bref, que l'un et l'autre sont moins différents qu'ils le prétendent et plus pareils qu'ils le souhaitent.

Fort de son expérience identiticitaire, John Saul s'attaque à la métaphore originelle des frères fondateurs et s'applique à la remplacer par une nouvelle métaphore des relations entre les canadians et les québécois, celle des frères siamois, deux jumeaux dans un même corps qui ne peuvent pas vivre l'un sans l'autre.

Lors des dernières élections québécoises, la publication des Frères Siamois chez Boréal a servi de prétexte pour permettre à son auteur d'intervenir dans la campagne et de prêcher sur toutes les tribunes son fédéralisme identiticitaire à un tronc à deux têtes.

La Fontaine et Baldwin

Chez Saul, le couple Cartier-Macdonald est remplacé par le couple politique qui l'a précédé dans le temps, celui des pères fondateurs de l'Union de 1840 dont ils furent co-premier ministres, La Fontaine et Baldwin. Si Louis-Hippolyte est indubitablement le père spirituel de George-Étienne, Robert n'entretient aucun lien de parenté caractérielle ou politique avec John.

Pour établir la gémellité, le métaphoricien canadian s'appuye sur une convergence politique 0 le Bas-canadien et le Haut canadien sont des réformistes. Une complémentarité stratégique 0 au combat de La Fontaine pour la reconnaissance de la langue française, Baldwin répond par un appui inconditionnel et inusité au biculturalisme. Un geste fraternel 0 Lorsque La Fontaine est défait au Bas-Canada, Baldwin lui offre un siège à Toronto et La Fontaine lui remet la pareille en Gaspésie quand Baldwin est battu à son tour dans sa circonscription du Haut-Canada. Et une coincidence finale 0 en 1851, Baldwin et La Fontaine ont remis leur démission et quitté définitivement la politique le même jour. C'est peu pour être jumeau et nettement insuffisant pour être siamois.

L'enfer des métaphores est pavé de bonnes intentions et de voeux bien pensants. Même après un examen sommaire du caractère des personnages eux-mêmes, il semble évident que le couple paradigmatique de John Saul prouve exactement le contraire de sa thèse identiticitaire.

La Fontaine est un travailleur né. Il a une bonne mémoire et tout jeune, c'est déjà une grosse tête, une forte personnalité et un esprit contestataire qui ne prise ni la philosophie, ni la poésie, ni le roman. Agressif, turbulent et anticlérical avant la Répression de 1837, il en émerge pragmatique. Il a fait un mariage avantageux et s'est mis riche. C'est un gros propriétaire foncier.

Costaud, d'une taille au-dessus de la moyenne, forte, pleine et massive, sa grande fierté est de ressembler à Napoléon Bonaparte. Il se peigne comme lui et met les deux doigts à sa veste. Pour Hippolyte La Fontaine, le patronage c'est le pouvoir et le gouvernement responsable, c'est une réalité profitable dont il se réserve la distribution des postes de juges, de conseillers, d'inspecteurs, de capitaines et de commis. S'il en est venu au nationalisme, c'est par la force des choses 0 le seul levier politique d'une minorité, c'est de voter en bloc.

À quarante ans, ses cheveux sont blancs et son air distant passe pour du désintéressement. La seule personne a avoir entretenu des relations avec lui a été Baldwin dont il a été l'ami et le confident.

De santé délicate, mélancolique et d'un équilibre mental fragile, le jeune Baldwin, pour sa part, écrit des poèmes. Il idéalise les femmes et rêve d'un amour parfait qu'il va trouver pour le perdre après neuf ans de mariage. Morte, sa femme deviendra progressivement pour lui plus réelle que les vivants.

Robert Baldwin est l'un des hommes les plus riches du Haut-Canada. C'est un grand jack qui a le dos voûté, le teint blême, les yeux morts et l'air d'un entrepreneur de pompes funèbres. Admiré pour son honnêteté, son intégrité et son désintéressement, il n'en demeure pas moins un orateur trop désintéressé pour être intéressant.

Empreint d'une passion toute britannique pour la liberté et la justice qu'il traduit -ce qui l'est beaucoup moins- par un souci d'équité envers les Canadiens-français, Baldwin n'a aucun sens de la pratique politique. Il lui arrive d'avoir à retirer des lois qu'il a soutenues sans les avoir lues et de tous les aspects de l'exercice du pouvoir celui qui apparaît le plus désagréable est le favoritisme.

Après la mort de sa mère, en 1851, Robert Baldwin quitte la vie publique et sombre définitivement dans la dépression. Il s'enferme chez lui pour attendre la mort en lisant et en relisant les lettres de sa femme. Elles seront enterrées avec lui. En plus d'avoir demandé que le cercueil de sa chère Elizabeth et le sien soient enchaînés l'un à l'autre, la plus étrange des dernière volontés de Baldwin a été qu'une fois décédé, une incision lui soit faite dans la cavité de l'abdomen, d'une extrémité à l'autre des deux tiers de la linéa alba. On nage en plein délire identiticitaire. C'est la césarienne qui a causé la mort de sa femme.

Si Baldwin et La Fontaine sont frères, c'est en solitude, leur esseulement est abyssal, et si leur jumelage doit se traduire en une métaphore, de toute évidence, c'est celle des deux solitudes de Hugh MacLennan.

Il n'en reste pas moins que si John Saul s'est gourré sur le contenu de son livre, il ne s'est pas trompé sur le titre. La métaphore identitaire des frères fondateurs a effectivement été remplacée dans la conscience collective par celle des frères siamois, lesquels ont été incarnés par un couple schizophrénique à deux têtes, Pierre & Elliot, et un tronc, Trudeau.

Pierre & Elliot Trudeau sont frères et jumeaux, bilingues, biculturels, bisexuels et bissextiles lorsqu'ils démissionnent. N'en déplaise à John Saul, c'est le dernier état de la métaphore du Canada.|180| 
869| On en est rendu à revendiquer le droit à la vie |Pierre Klépock|

Droits humains et syndicaux en Colombie



L'État colombien se livre à un véritable nettoyage social, on revendique non seulement le respect des droits de la personne, mais le droit de vivre, nous déclare Gloria Florès, présidente du Groupe de défense des droits humains en Colombie (Minga-Tous ensemble). Le gouvernement Pastrana criminalise la contestation sociale et réprime les luttes syndicales par l'assassinat, ajoute Ernesto Ramirez, coordonateur pour les droits humains en Colombie, à Montréal. Venus nous rencontrer au mois d'avril dernier, soulignons que Mme Florès a mis en danger sa sécurité pour nous témoigner de la situation de la violence institutionnalisée en Colombie.

Récipiendaire en 1988 du prix Robert Kennedy du Centre des droits humains, Gloria Florès nous invite à renforcer les liens de solidarité pour la défense des droits humains et syndicaux en Amérique latine. Elle nous rappelle que plus de 300 groupes paramilitaires d'extrême-droite sèment la mort et la terreur dans l'ensemble du territoire colombien avec l'appui de l'armée et de l'État. Les premières victimes de ces assassinats sélectifs sont les meilleurs représentants du mouvement ouvrier et populaire, les défenseurs des droits de la personne, les voix qui s'opposent à la guerre contre le peuple que mène l'État colombien. Malgré l'assassinat des dirigeants du mouvement ouvrier et populaire, les massacres sans discernement de populations sans défense, la capacité de mobilisation du peuple colombien pour les droits fondamentaux va en s'agrandissant, nous assure Ernesto Ramirez.

L'appui de l'Oncle Sam

L'appui des États-Unis et sa lutte contre les narco-traficants servent de prétexte pour anéantir le mouvement de démocratisation et d'opposition aux politiques néolibérales du gouvernement Pastrana. C'est que l'impérialisme yankee et les multinationales comme la Texas-Petroleum veulent mettre la main sur le pétrole colombien. Une zone départementale comme Arauca produit plus de 360 000 barils de pétrole par jour. L'USO (Union syndicale ouvrière) mène la lutte contre la privatisation de la compagnie d'État Éco-pétrole. Mais des centaines de militants syndicaux reçoivent des menaces ou sont victimes d'attentats. Et pour s'accaparer des ressources naturelles, des millions de personnes sont déplacées de force par l'État colombien dans des régions entières. Ici, on ne parle pas de nettoyage ethnique, mais plutôt d'un nettoyage social. Pour la classe dominante colombienne, l'ennemi à abattre, ce sont les paysans pauvres.

Les pauvres s'organisent

Face au mécontentement des paysans et en raison de l'exclusion des forces politiques populaires de toute participation à la vie sociale et politique de la nation colombienne, naissent alors des groupes de guérilla comme seule voix et seule alternative possible d'opposition politique. Des groupes d'autodéfense paysannes, tel les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie-Armée du peuple (FARC-EP), exerce leursinfluence sur 60% du territoire national. Depuis les dix dernières années, avec l'aide des USA, l'État colombien met en œuvre une stratégie de guerre intégrale pour mettre fin au mouvement populaire de lutte pour les droits fondamentaux et la souveraineté du peuple colombien.

En guerre depuis 1948

Depuis plus de 50 ans, une sale guerre est menée contre le peuple colombien. Après le 50ième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, célébré en 1998, les pays occidentaux peuvent se réjouir des progrès accomplis en matière des droits humains. Car il faut reconnaître que, malgré les importants reculs que les politiques néolibérales nous imposent en matière de droits civiques et sociaux, les pays occidentaux jouissent, jusqu'à maintenant, du respect du droit inaliénable à la vie, contrairement à des pays comme la Colombie . Voici quelques crimes de lèse-humanité commis contre le peuple colombien 0

- Les 300 000 morts de la Violencia (1948-57)

- Exécutions extrajudiciaires de plus d'un million de personnes

- Des milliers de personnes torturées

- Assassinat d'environ un journaliste par mois depuis 20 ans

- Assassinat de milliers de syndicalistes (le pourcentage le plus élevé au monde)

- Deux millions et demi de personnes déplacées seulement au cours des quatre dernières années

- Extermination des membres des forces de gauche comme 0 Le Front Populaire, le Parti révolutionnaire des travailleurs, le Parti communiste, entre autres.

100% DE TOUS CES CRIMES RESTENT IMPUNIS

Et les pays occidentaux continuent à se fermer les yeux.|180| 
870|Les Basques sur le chemin des Irlandais|Pierre Dubuc|

Rencontre avec une délégation d'indépendantistes basques



Avec la Déclaration de Lizarra du 12 septembre 1998 et le cessez-le-feu de l'ETA quatre jours plus tard, c'est un véritable changement de stratégie que viennent d'opérer les indépendantistes basques de Herri Batasuna (Unité populaire). Un changement qui s'inspire des Accords de paix intervenus en Irlande, un changement qui va dans le sens de la mise en place d'un véritable pouvoir politique parallèle au pays basque. C'est ce qui ressort de notre rencontre avec une délégation d'indépendantistes basques dans les bureaux de l'aut' journal.

Pour les membres de la délégation, il est clair que le conflit au Pays Basque est politique et que la solution est politique. Traçant un parallèle avec l'évolution récente de la situation en Irlande, où le gouvernement britannique et l'IRA ont été conscients que ni l'un et l'autre ne pouvaient vaincre militairement (Déclaration de Lizarra), les indépendantistes basques veulent forcer les gouvernements français et espagnol à s'engager dans un processus politique de résolution du conflit.

Changement majeur de stratégie

L'initiative des indépendantistes est un changement majeur de stratégie. Depuis sa création en 1958, l'ETA (Euskadi Ta Askatasuna) mène la lutte armée contre l'État espagnol pour la libération nationale et sociale du peuple basque. En fait, la lutte armée s'imposait d'elle-même sous la dictature franquiste, alors que la langue basque était interdite, les symboles nationaux interdits, les militants pourchassés, fusillés et emprisonnés.

Après la mort de Franco en 1975, les partis politiques espagnols s'engagent dans le processus d'élaboration d'une nouvelle constitution pour le pays. Cette constitution ne reconnaît pas les droits nationaux des Basques, des Catalans, des Galiciens, des Canariens et fait référence à une Nation espagnole unique formée de régions et de nationalités différentes. La langue basque n'est pas non plus reconnue et l'espagnol est obligatoire. Lors du référendum de 1978, les Basques votent Non à 65% à la nouvelle constitution. Ce rejet est à nouveau confirmé en 1998 par le Parlement autonome basque.

La Constitution prévoit un statut d'autonomie pour les provinces d'Alava, du Guipuzkoa et de Biskaye, la Navarre bénéficiant d'un statut propre. Ce statut d'autonomie pour les trois provinces est approuvé par référendum en 1979 par une faible majorité de 53%, alors que la loi concernant la Navarre, approuvée en 1982, n'est jamais soumise par référendum à l'approbation des Navarrais.

Le Pays Basque a également marqué son caractère de société distincte en votant en 1986 à 62,8% contre l'adhésion de l'Espagne à l'OTAN.

La sale guerre

Après la chute du franquisme, l'État espagnol a continué ses politiques répressives contre le peuple basque et ses organisations. Cela fut particulièrement vrai lors du gouvernement socialiste (PSOE) de Felipe Gonzalez qui mena une lutte implacable contre les indépendantistes 0 législation spéciale contre le terrorisme , tribunaux d'exception, torture systématique, déportation de militants, isolement et dispersion des prisonniers politiques.

Le gouvernement en vint à mettre sur pied des groupes para-militaires comme le GAL. Il sera révélé que les assassinats des militants basques étaient organisés directement par le gouvernement et que Felipe Gonzalez était lui-même au courant.

La situation ne changea pas avec l'arrivée au pouvoir en 1996 du Parti Populaire, qui refusa toute tentative d'engager le dialogue malgré l'offre de l'ETA de suspendre ses opérations militaires. En fait, le Parti Populaire procéda en décembre 1997 à l'emprisonnement des 23 membres de la direction politique de Herri Batasuna sous prétexte de collaboration avec le terrorisme. Ils seront condamnés, sans aucune preuve, à sept ans de prison.

L'influence de l'exemple irlandais

Malgré le refus de dialogue du gouvernement espagnol, les indépendantistes basques ont décidé de revoir leur stratégie. Les événements en Irlande les ont influencés, mais également sans doute le ressac populaire suite aux dernières actions de l'ETA contre les conseillers municipaux basques.

Au-delà de l'appel au dialogue, auquel le gouvernement espagnol reste sourd, l'important, aux dires de la délégation basque que nous avons rencontrée, c'est la construction de l'unité politique des nationalistes basques et, au-delà des organisations politiques, de l'ensemble du peuple basque.

Précisons que le mouvement nationaliste basque a sa tendance modérée, autonomiste, représentée principalement par le Parti nationaliste basque (PNV) et sa tendance indépendantiste avec, au plan politique, Herri Batusana et l'ETA. Alors que le PNV participe aux institutions, Herri Batasuna n'y participe pas, même si elle fait élire ses candidats. La seule institution avec laquelle Herri Batasuna collabore régulièrement sont les municipalités dans lesquelles elle compte plus de 600 élus.

C'est d'ailleurs au plan municipal qu'on retrouve l'initiative la plus originale avec la création, récemment, de l'Assemblée des maires et conseillers, autant du territoire espagnol que français, une assemblée à caractère national, la première du genre. Actuellement, 418 maires sur 666 participent à ce véritable parlement national parallèle. C'est, comme l'affirment nos interlocuteurs, créer une institution nationale basque qui, dans un premier temps, doit affirmer l'existence du Pays Basque en tant que nation, comme un pays différencié et pluriel au nord comme au sud des Pyrénées, dans les six territoires historiques basques, affirmant ainsi sa territorialité .

Par cette initiative politique rassembleuse des différentes forces politiques basques, on compte faire pression sur les gouvernements espagnol et français pour les amener à la table des négociations sur la base de la Déclaration de Lizarra.

Le Pays Basque

Le Pays Basque est un territoire situé au nord de la péninsule ibérique à cheval sur l'Espagne et la France. Il est constitué de six provinces 0 l'Alava, la Biskaye, le Guipuzkoan et la Navarre situées en Espagne et le Labourd, la Basse Navarre et la Soule en France. La Navarre s'étend sur les deux États.

La persistance de la langue basque est considérée par les linguistes comme un des phénomènes les plus extraordinaires de l'histoire des langues et civilisations d'Europe. C'est l'un des symboles les plus évidents de la résistance d'un peuple à être absorbé par d'autres cultures, d'autres langues ou d'autres États.

Actuellement, 25% de la population maîtrise la langue basque et un 20% supplémentaire la comprend en la parlant avec difficulté. Mais la grande majorité de la population se déclare en faveur de son développement. En fait, la majorité des enfants font leurs études en langue basque par la volonté expresse de leurs parents.

Libérez les prisonniers politiques

Au total, il y a plus de 600 prisonniers politiques basques, y compris les 23 membres de la direction politique de Herri Batasuna, dispersés dans une centaine de prisons dans les États espagnol et français, jusque y compris dans les colonies africaines et dans les îles Canaries dans des conditions de détention très dures.

Cette dispersion est illégale selon la propre législation espagnole et les normes internationales. Elle a été condamnée par, entre autres, le Parlement européen et le Comité international de la Croix Rouge.

Au Pays Basque, la majorité des syndicats, des dizaines de municipalités, l'Église basque soutenue par l'Église espagnole, l'Université, des collectifs d'avocats et d'intellectuels, des organisations humanitaires, des groupes pacifistes, y compris ceux qui luttent contre l'ETA se sont associés à la revendication de transfert des prisonniers au Pays Basque.|180| 
871|Le syndicalisme au Pays Basque|Pierre Klépock|Pour le mouvement ouvrier basque, les revendications nationales et les luttes ouvrières sont intimement liées 0 La libération nationale implique la libération sociale . Pour mettre en pratique cette réflexion, la centrale syndicale L.A.B. (Langile abertzaleen batzordeak, Syndicat des travailleurs indépendantistes), se définit comme une organisation de masse pour le peuple opprimé, qui veut la libération de la classe ouvrière basque regroupant tous ceux/celles qui acceptent la lutte pour l'indépendance .

Membres de la Coordination Patriotique Socialiste (K.A.S., formée par des organisations politiques et syndicales), le cadre d'action de L.A.B. se situe au Pays Basque Sud et favorise la réunification territoriale de la nation basque entre les États espagnole et français. La centrale et ses militants luttent pour l'amélioration immédiate de la situation économique des classes laborieuses, revendiquent la conservation de la langue et de la culture basques, sans pour autant perdre de vue le combat pour une société socialiste, ni le processus de libération nationale, tout en développant la solidarité ouvrière internationaliste contre la mondialisation capitaliste.

Le droit à l'autodétermination

Un des premiers objectifs de L.A.B. est la reconnaissance du droit à l'autodétermination. Le refus de pouvoir exercer ce droit est, à ce jour encore la raison de l'affrontement qui se poursuit entre le peuple basque et l'État espagnol. Cette lutte syndicale en faveur des libertés démocratiques vise à garantir la normalisation politique ainsi que la pacification, et non la reddition, du Pays Basque Sud. Parvenir à des changements sociaux en faveur des classes les plus défavorisées font aussi partie des objectifs socio-politiques de L.A.B. Cela implique que les institutions basques posséderont les leviers nécessaires pour développer leur propre politique sociale et de l'emploi.

Dans cette perspective, les syndicalistes basques exigent 0 la leveée des obstacles anti-démocratiques mis en place par l'État espagnol contre la souveraineté du Pays Basque, un cadre de Relations du travail propre au Pays Basque, la création d'un Institut basque de l'Emploi et de la Sécurité sociale, un secteur public basque susceptible de freiner les inégalités sociales qui permettra d'orienter les ressources sociales au service du peuple basque, la réduction de la durée du travail de façon généralisée, la mise en route d'une politique fiscale de redistribution de la richesse et la protection de toute personne sans emploi par des prestations universelles adéquates.|180| 
872|C’est le premier pas qui compte|Patrick Lamoureux|

Le projet de loi contre la pauvreté



« Encore des discriminations ! Ça amène les gens mal pris à se sentir trous de cul parce qu’ils doivent quêter pour bénéficier de telle ou telle mesure. Mais au moins, ça lance le débat vers un éventuel revenu universel de citoyenneté, pis ça va exister un jour ! » nous déclare Michel Chartrand à propos du projet de loi 112 contre la pauvreté et l’exclusion sociale déposé par la ministre de la Solidarité sociale, Linda Goupil.

Cette nouvelle initiative du Parti québécois fait de toute évidence écho à la campagne menée par Michel Chartrand, avec la publication du Manifeste pour un Revenu de citoyenneté, écrit conjointement avec Michel Bernard, et à la démarche de pédagogie populaire mise en branle, il y a trois ans, par le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté qui, disons le d’emblée, reste sur son appétit.

« Allocation ou revenu », ça semble plus qu’un vœu pieux

On nous annonce que les 120 000 assistés sociaux inaptes au travail verront leur sort s’améliorer par une augmentation de leurs prestations allant de 1 000 $ à 3000$ par année. Les personnes déclarées aptes à le faire pourront travailler jusqu’à ce que leurs revenus totaux incluant les prestations atteignent le seuil de décence fixé par un Observatoire de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

Celles qui participeront aux mesures de réinsertion sociale verront leurs prestations bonifiées et celles qui refuseront ne subiront plus les pénalités. La visée générale du projet de loi est de permettre l’accès pour chacun à des revenus qui équivalent au salaire minimum à temps plein.

Le projet du gouvernement a pour préambule une série de vœux pieux qui vont de l’amélioration de la condition socio-économique des défavorisés et du renforcement de la cohésion sociale jusqu’à l’institution d’un Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et de l’Observatoire décrit précédemment.

Parallèlement à ces intentions, la stratégie nationale qui devra impliquer le gouvernement de concert avec les acteurs civiques annonce une série de mesures concrètes qui découleront de l’injection supplémentaire de 1,5 milliard sur cinq ans au Fonds de lutte contre la pauvreté. Les bénéficiaires potentiels restent à déterminer. Le gouvernement propose que le nouvel Observatoire définisse scientifiquement les cibles, comme si la bonne foi scientifique nous garantissait de l’absence de discrimination.

Si le Devoir parlait d’une forme de revenu minimum garanti – ce qui s’avère être inexact – on a aussi pu lire les expressions «revenu de solidarité sociale », « allocation universelle » ou « revenu de citoyenneté ». Mais qu’en est-il précisément ?

Oublions l’universalité, l’inconditionnalité et la permanence des mesures d’aide pour un individu et disons qu’il s’agit en fait de permettre aux gens d’atteindre des seuils de revenus précis, mais qui restent à déterminer. Il y aura, hypothétiquement à partir du printemps 2003, un ajustement des mesures d’aide sociale existantes. Les majorations devront être permanentes et garanties peu importe la situation économique de l’État et les mesures d’insertion promettent d’être moins pénalisables.

Le bémol 0 le gouvernement est-il crédible?

Pendant que les partis d’opposition criaient de concert à l’opportunisme électoral, certains acteurs sociaux se disaient ravis que le débat sur la question prenne enfin vie tandis que d’autres, plus critiques, s’avouaient sceptiques.

Le Conseil permanent de la jeunesse, un organisme paragouvernemental, applaudit la dimension mobilisatrice de ce « projet de société » et attend avec impatience la consultation prévue cet automne pour présenter en détails ses recommandations.

Pour sa part, Camil Bouchard, professeur au département de psychologie de l’Uqam et auteur d’un important rapport sur la pauvreté, salue le fait que le projet soit «fondé sur une reconnaissance des droits de la personne et de la menace que représente la pauvreté pour la dignité humaine et pour la capacité réelle des personnes à participer à la vie citoyenne ».

Le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté a accueilli positivement la nouvelle mais y place quelques bémols. À ses dires, « le cadre législatif propose une approche globale du problème de la pauvreté, chose intéressante, mais par contre, la loi semble peu contraignante pour le gouvernement qui nous a appris à douter de lui ». Le Collectif déplore aussi « la distinction discriminante entre les prestataires inaptes à l’emploi et ceux qui n’ont pas de contraintes sévères, qualifiant la vision du gouvernement d’archaïque ».

Du côté, du Frapru (Front d’action populaire en réaménagement urbain), on se dit déçu de l’aspect compte-gouttes et contraignant du projet de loi et on rage contre l’absence de mesures à court terme dont la nécessité s’impose dans le contexte actuel de crise du logement.

Jean-Yves Desgagnés du Front commun des personnes assistées sociales rejoint Michel Chartrand lorsqu’il affirme avec raison qu’il « y aura toujours des gens qui seront malheureusement exclues du marché du travail et ces gens-là ont le droit de vivre, ce sont des citoyens à part entière et donc on a besoin d’un filet de sécurité sociale qui assure à ces gens un revenu décent ».

Le débat qui s’amorce en est un qui promet… Jusqu’à maintenant, création de richesse rimait avec concentration. Il est peut-être temps de parler de sa redistribution équitable !|211| 
873|Brèves|Pierre Dubuc| Ottawa rembourse les banques avec l’argent des provinces et des sans-emploi

John Manley pavoise en annonçant que le surplus fédéral est de 6 milliards $ qu’il s’empressera de verser aux banques pour réduire la dette fédérale. Faut-il rappeler que, depuis 1995, son prédécesseur aux Finances Paul Martin a enlevé aux provinces 24 milliards, dont le tiers, soit 8,4 milliards, au Québec. Martin a aussi volé le surplus de la caisse d’assurance-emploi, soit 46 milliards de dollars en quelques années.

Aujourd’hui, ils ne sont plus que 40 % des demandeurs d’emploi à pouvoir bénéficier de l’assurance-emploi, alors que tous les travailleurs paient des cotisations. Mais les sans-emploi et les provinces peuvent toujours prendre le chemin de la banque pour emprunter. Elles ont de l’argent 0 elles viennent de recevoir une bonne partie du 6 milliards du surplus fédéral.

Comment faire taire la contestation des banlieues

La police a procédé à l’arrestation d’Irving Grundman et d’un autre conseiller de l’arrondissement de l’ancienne ville de Saint-Laurent pour trafic d’influence. Pendant ce temps, l’administration Tremblay accordait, sans se faire importuner, un contrat de 750 000 $ à la firme de comptables Price Waterhouse Coopers et au bureau d’avocats Fasken Martineau Dumoulin, dont plusieurs associés ont financé la campagne électorale du maire à coups de milliers de dollars. Le message est clair. Dorénavant, l’assiette au beurre est à la nouvelle ville.

Vieillir au Québec

Deux mois après leur arrivée dans un centre d’accueil, 57 % des personnes en perte d’autonomie n’ont encore bénéficié d’aucune évaluation des soins dont elles ont besoin comme l’exige pourtant la loi. Pour 13 % d’entre elles, cette évaluation ne viendra jamais.

Le taux de réponse moyen aux besoins des personnes hébergées n’atteint que 76 %, et cela ne tient pas compte des besoins liés aux problèmes cognitifs des usagers de même que de la physiothérapie, de l’ergothérapie et des services psychosociaux.

C’est ce que nous apprend le Rapport de la vérificatrice générale du Québec, Doris Paradis. Le rapport signé par son prédécesseur, Guy Breton, il y a huit ans, décrivait sensiblement la même situation. Donc, on «tablettera » ce rapport jusqu’au prochain… dans 8ans.|211| 
874|Québec doit intervenir !|Pierre Dubuc|

Conflit chez Vidéotron



Les 2 200 employés de Vidéotron affrontent, les mains attachées dans le dos, un employeur arrogant, un porte-parole baveux, des scabs, une loi fédérale pro-patronale, des médias tendancieux, la police qui effectue des descentes dans les locaux du syndicat et des tribunaux qui penchent tous du même bord. À Québec, le gouvernement se dit progressiste. Hier, le premier ministre se plaisait à se faire photographier avec les lockoutés de Radio-Canada. Qu’il se « branche » aujourd’hui dans le conflit de Vidéotron d’autant plus qu’il a sa large part de responsabilité.

Dans la très grande majorité, sinon la totalité, des conflits, les syndicats affrontent plus puissant qu’eux. C’est doublement vrai chez Vidéotron. Pour briser le moral des lockoutés, Pierre-Karl Péladeau utilise des scabs, « vend » 650 techniciens à une filiale d’Entourage avec la promesse de conditions de travail et salariales réduites, annonce la vente de deux des trois immeubles que l’entreprise possède à Montréal – ce qui signifie que 540 employés devront se rendre travailler, à l’autre bout du monde, dans le parc industriel de Saint-Hubert.

Le « nationaliste » Péladeau n’hésite pas à se réfugier derrière le Code canadien du travail qui permet l’emploi de briseurs de grève. Le Code québécois, qui l’interdit, ne peut être invoqué, le secteur des communications étant de compétence fédérale. Il faut se rappeler qu’il n’avait pas hésité, jadis, à faire imprimer le Journal de Montréal à Cornwall, en Ontario, pour contourner les lois du Québec.

L’article 94 du Code canadien interdit à tout employeur d’utiliser des scabs « dans le but établi de miner la capacité de représentation d’un syndicat ». Mais comment prouver cela devant un tribunal ? D’autant plus que les tribunaux ont accordé une injonction à Vidéotron limitant le nombre de piqueteurs à douze par entrée, tout en leur interdisant formellement d’insulter les scabs !

Le Bloc québécois a déposé, avec l’appui d’un député néo-démocrate, un projet de loi privé visant à interdire l’utilisation de scabs. Mais, même si elle était votée, la loi ne pourrait s’appliquer qu’aux conflits postérieurs à son adoption, excluant donc Vidéotron.

Le petit baveux

Le porte-parole patronal Luc Lavoie juge que la partie patronale n’a rien à se reprocher. « La loi est la même pour tous, déclare-t-il aux médias. Nous nous conformons strictement à la loi et nous souhaitons du fond du cœur que les employés en fassent autant. » (La Presse, 19 juin)

Devant le Conseil canadien des relations industrielles, qui entendait une plainte pour pratique déloyale et négociation de mauvaise foi, le même Lavoie déclarait que Vidéotron « s’est conduit de façon honorable » et « a œuvré énergiquement et avec imagination à tenter de conclure une convention collective ».

C’est sans doute pour faire preuve de sa « bonne foi » que Luc Lavoie « œuvre énergiquement et avec imagination » à saboter toutes les interventions publiques du syndicat en convoquant le même jour des conférence de presse pour traiter, devant des médias complaisants, le président du syndicat de «tarfuffe et de menteur ».

Le spectre de Steinberg

Pierre Dupuis, le directeur général du SCFP-Québec, auquel est affilié le syndicat de Vidéotron, a traité la Caisse de dépôt de «complice de cette situation » et a demandé une intervention du gouvernement.

La ministre des Finances, Pauline Marois, a répondu 0 « Nous n’intervenons pas, comme gouvernement, auprès de la Caisse. » C’est rire des lockoutés en pleine face. Car c’est un secret de polichinelle, comme l’a rappelé Pierre Dupuis, que « c’est la Caisse qui est allée chercher Pierre-Karl Péladeau pour créer, avec lui, Quebecor Média, qui a ensuite acheté Vidéotron et Média ». La Caisse a investi 3 milliards dans cette aventure dont un milliard, provenant de l’épargne des travailleurs québécois, a été radié des comptes à jamais.

Les syndiqués craignent de voir se répéter le scénario de Steinberg. La Caisse s’était alors associée à un prête-nom, Michel Gaucher, pour prendre le contrôle de Steinberg et vendre les magasins d’alimentation pour se débarrasser du syndicat qui avait la meilleure convention collective du domaine de l’alimentation, le tout afin de rentabiliser ses investissements dans les marchés Provigo et Métro.

Si le spectre d’un nouveau Steinberg se précise, il ne faudrait pas se surprendre qu’il y ait, malgré les mises en garde du syndicat contre toute action illégale, plus de sabotage sur le réseau, et que les syndiqués débarquent en masse dans les locaux du Journal de Montréal et du Journal de Québec, dans librairies Archambault et les autres commerces du groupe Quebecor.

Québec doit donc intervenir avant que les lockoutés, sentant qu’ils n’ont plus rien à perdre, jouent le tout pour le tout et que le conflit ne dégénère.

Le scab

Quand Dieu créa le serpent à sonnette, le crapaud et le vampire, il lui restait de la matière affreuse avec laquelle il créa un scab.

Un scab est un animal à deux pattes doté d’une âme en tire-bouchon, d’une tête d’eau et d’une colonne de gélatine. Où les autres ont un cœur, il porte une tumeur de principes pourris.

Quand un scab passe dans la rue, les hommes lui tournent le dos, les anges au ciel pleurent et le diable ferme les portes de l’enfer pour l’empêcher d’entrer.

Aucun homme ou femme n’a le droit de scabber tant qu’il y a une marre d’eau où noyer sa carcasse ou une corde assez longue pour le pendre. Judas était un gentilhomme comparé à un scab. Pour avoir trahi son maître, il a eu assez de caractère pour aller se pendre. Un scab n’en a pas.

Esaü a vendu son droit d’aînesse à son frère pour un plat de lentilles. Judas a vendu son sauveur pour trente pièces d’argent. Benedict Arnold a vendu son pays pour une promesse de commission dans l’armée britannique. Le scab vend son droit d’aînesse, son pays, sa femme, ses enfants et ses confrères pour une promesse non tenue de son employeur.

Esaü était un traître envers lui-même ; Judas était un traître envers son Dieu ; Benedict Arnold était un traître envers son pays ; un scab est un traître envers Dieu, son pays, sa famille et sa classe.

Jack London, écrivain progressiste étatsunien, (1876–1916)|211| 
875|Bush savait... mais la vraie question 0 la CIA est-elle complice ?|Michel Chossudovsky| Le 16 mai, une bombe est lancée dans le New York Post 0 «Bush savait… » En quête de capital politique, les démocrates prennent le train en marche et pressent la Maison blanche de faire la lumière sur «deux documents très secrets » dont le président Bush aurait été saisi avant le 11 septembre et qui l’auraient informé à l’avance des attentats d’Al-Qaeda. Les médias étatsuniens entonnent en chœur la même rengaine 0 « il y a eu des avertissements », des «tuyaux » ont été fournis quant à la possibilité d’attentats terroristes, mais « le président ne pouvait absolument pas savoir » ce qui allait se produire.

Les démocrates conviennent de ne pas faire sortir le chat du sac, en déclarant que « Oussama est en guerre avec les États-Unis », que le FBI et la CIA savaient que quelque chose se préparait mais « n’ont pas pu établir les liens nécessaires ».

À la Chambre, le leader de la minorité, Richard Gephardt, affirme que 0 «Il ne s’agit pas de blâmer qui que ce soit… Nous soutenons le président dans la guerre au terrorisme et nous continuerons à le faire. Mais il faut parvenir à empêcher les attentats terroristes1.»

Le projecteur que les médias ont braqué sur la « préconnaissance» et les supposées « lacunes du FBI» a servi à détourner l’attention publique d’une question plus fondamentale, celle de la tromperie politique. On s’est bien gardé de mentionner le rôle de la CIA qui, depuis la fin de la guerre froide, a constamment soutenu et encouragé le réseau Al-Qaeda d’Oussama ben Laden dans le cadre de ses opérations clandestines.

Évidemment qu’on était au courant ! Cette question de la préconnaissance est un faux-fuyant. Les « brigades islamiques » sont une création de la CIA. Dans le jargon de l’Agence, Al-Qaeda constitue une « source ». L’aide aux organisations terroristes fait partie intégrante de la politique étrangère des États-Unis. Encore aujourd’hui, en 2002, Al-Qaeda participe aux opérations secrètes de la CIA dans diverses parties du monde2. Ces liens entre la CIA et Oussama n’appartiennent pas à une époque révolue, quoi qu’en disent les médias populaires.

Le Congrès étatsunien a documenté en détails les liens qui existaient entre Al-Qaeda et des organismes du gouvernement des États-Unis au cours de la guerre civile en Bosnie-Herzégovine ainsi qu’au Kosovo3. Plus récemment, en Macédoine, quelques mois à peine avant le 11 septembre, des conseillers militaires étatsuniens collaboraient avec des mercenaires moudjahidines financés par Al-Qaeda. Les deux groupes combattaient sous les auspices de l’Armée de libération du Kosovo (UCK) au sein de la même formation terroriste paramilitaire4.

La CIA suit à la trace ses «sources de renseignement ». Elle a toujours été au fait des allées et venues, amplement documentées, d’Oussama ben Laden5. Le réseau Al-Qaeda est infiltré par la CIA6. Autrement dit, il n’y a pas eu de lacunes en matière de renseignement ! En raison de la nature même d’une opération de renseignement bien montée, une « source» dispose (sciemment ou non) d’une certaine marge de manœuvre à l’égard de ses responsables auprès du gouvernement étatsunien mais, en définitive, elle agit toujours conformément aux intérêts de l’Oncle Sam.

Alors que souvent les agents du FBI ne sont pas personnellement conscients du rôle de la CIA, les hauts dirigeants sont très au fait des liens qui unissent la CIA et Al-Qaeda. Les membres de l’administration Bush et du Congrès étatsunien connaissent parfaitement bien ces relations. La question de la préconnaissance qui met l’accent sur les « lacunes du FBI » est évidemment un écran de fumée. Tandis que les dénonciateurs font ressortir les faiblesses du FBI, le rôle que les régimes successifs ont exercé (depuis la présidence de Jimmy Carter) afin de soutenir la « base militante islamique » est simplement passé sous silence.

Une campagne de peur et de désinformation

L’administration Bush a préféré – par une intervention personnelle du vice-président Dick Cheney – non seulement rejeter toute possibilité d’une enquête publique mais encore déclencher une campagne de peur et de désinformation 0 « La perspective d’un nouvel attentat contre les États-Unis m’apparaît presque comme une certitude […] Il pourrait se produire demain, la semaine prochaine, l’an prochain, mais ils vont s’y essayer. Et nous devons nous y préparer7. »

Ce que Cheney veut vraiment dire, c’est que la « source de renseignement » qu’ils ont créée va frapper de nouveau. Or, si cette « créature » de la CIA trame présentement de nouveaux attentats terroristes, on peut s’attendre à ce que la CIA en soit la première informée. Il est fort probable que la CIA contrôle également les prétendus « avertissements » relatifs à de «futurs attentats terroristes » en sol étatsunien, qui émanent des sources de la CIA.

Une opération de renseignement soigneusement planifiée

Les terroristes du 11 septembre n’ont pas agi de façon autonome. Les pirates de l’air suicidaires ont été les instruments d’une opération de renseignement soigneusement planifiée. Les faits confirment que Al-Qaeda jouissait du soutien des services secrets pakistanais, l’ISI ou Service du renseignement interarmées. De nombreux documents montrent que l’ISI doit son existence à la CIA 0 « Avec le soutien de la CIA et l’acheminement d’un volume considérable d’aide militaire étatsuniene, l’ISI s’est développé [depuis le début des années 1980] en une structure parallèle qui exerce un pouvoir énorme sur tous les aspects du gouvernement […] L’ISI disposait d’un effectif composé d’officiers militaires et du renseignement, de bureaucrates, d’agents secrets et d’informateurs dont le nombre atteindrait 150 000 personnes8. »

L’ISI collabore étroitement avec la CIA. Il continue à servir d’intermédiaire pour de nombreuses opérations de renseignement menées pour le compte de la CIA. L’ISI soutient et finance directement diverses organisations terroristes dont le réseau Al-Qaeda.

Mahmoud Ahmad 0 le chaînon manquant

Dans une entrevue accordée à ABC News vers la fin du mois de septembre (et passée à peu près inaperçue), le FBI a confirmé que le chef de bande des attentats du 11 septembre, Mohammed Atta, avait été financé par des sources non identifiées du Pakistan 0 « En ce qui concerne le 11 septembre, les autorités fédérales ont affirmé à ABC News qu’elles ont pu retracer plus de 100 000 $ provenant de banques pakistanaises, qui ont été versés à deux banques de Floride dans des comptes appartenant au chef présumé des pirates de l’air, Mohammed Atta. […] Time Magazine révèle en outre qu’une partie de ces fonds sont arrivés dans les jours précédant les attentats et qu’on peut en retracer l’origine jusqu’à des personnes de l’entourage d’Oussama ben Laden. Tout cela fait partie des efforts fructueux accomplis jusqu’ici par le FBI pour remonter au commandant en chef du pirate de l’air, à ses bailleurs de fonds et à ceux qui ont planifié et orchestré les attentats9. »

Le FBI était déjà sur la piste de l’argent. Il savait pertinemment qui finançait les terroristes. Une quinzaine de jours plus tard, les conclusions du FBI étaient confirmées par l’Agence France Presse (AFP) et le Times of India qui faisaient référence à un compte rendu de renseignement indien officiel (transmis à Washington). Selon les deux articles en question, l’argent ayant servi à financer les attentats du 11 septembre avait été « télégraphié du Pakistan au pirate du World Trade Centre, Mohammed Atta, par Ahmad Umar Sheikh à l’instigation du général Mahmoud Ahmad [chef de l’ISI]10 ». Selon l’AFP (qui citait la source de renseignement) 0 « Les données que nous avons fournies aux États-Unis ont beaucoup plus d’envergure et de profondeur qu’une simple feuille de papier qui aurait relié le général malhonnête à un acte de terrorisme malencontreux11. »

L’espion en chef du Pakistan en visite à Washington

Le général Mahmoud Ahmad, présumé bailleur de fonds des terroristes du 11 septembre, se trouvait justement aux États-Unis au moment des attentats. Il y était depuis une semaine, arrivé le 4septembre pour une tournée dite de consultations régulières avec ses homologues étatsuniens. Selon le journaliste pakistanais Amir Mateen (dans un article à l’accent prophétique paru le 10 septembre)0 « La visite d’une semaine à Washington du chef de l’ISI, le lieutenant-général Mahmoud, suscite de la spéculation quant à l’ordre du jour de ses mystérieux entretiens au Pentagone et au Conseil national de sécurité. Officiellement, il effectue une visite de routine après celle que le directeur de la CIA, George Tenet, a faite à Islamabad. On apprend de source officielle qu’il a rencontré Tenet cette semaine. Il s’est aussi longuement entretenu avec des responsables non identifiés de la Maison blanche et du Pentagone. Mais sa rencontre la plus importante a été avec Marc Grossman, sous-secrétaire d’État étatsunien aux Affaires politiques. On peut facilement supposer que la discussion a surtout porté sur l’Afghanistan… et sur Oussama ben Laden. Cette visite revêt un caractère d’autant plus intéressant en raison du contexte des visites précédentes. La dernière fois que le prédécesseur de Mahmoud, Ziauddin Butt, est venu ici, sous le gouvernement de Nawaz Sharif, il a suffi de quelques jours pour tout chambouler la politique intérieure12. »

Nawaz Sharif a été renversé par le général Pervez Musharaf. Le général Mahmoud Ahmad, qui a ensuite pris la tête de l’ISI, a joué un rôle clé dans le coup d’État militaire.

Conférence de presse de Condaleeza Rice

Au cours de la conférence de presse de Condoleeza Rice tenue le 16 mai (quelques heures à peine après la parution du New York Post annonçant en manchette que Bush « savait »), un journaliste indien accrédité a posé une question sur le rôle du général Mahmoud Ahmad 0

– Madame Rice ?

– Oui ?

– Êtes-vous au courant du compte rendu voulant qu’au moment où le chef de l’ISI était à Washington le 11 septembre, 100000 $ ont été télégraphiés du Pakistan le 10 septembre à ces groupes qui se trouvaient ici dans cette région ? Et pourquoi est-il venu ici ? S’est-il entretenu avec vous ou quelqu’un de l’administration ?

– Je n’ai pas vu ce compte rendu et il ne s’est certainement pas entretenu avec moi13.

Bien qu’il n’y ait pas de confirmation officielle d’une rencontre entre le général Mahmoud Ahmad et Mme Rice, celle-ci a dû être parfaitement au courant du transfert de 100 000 $ à Mohammed Atta, confirmé par le FBI. Perdu dans le battage médiatique sur la « préconnaissance », ce document crucial quant au rôle de l’ISI dans l’agression du 11 septembre implique des membres importants de l’administration Bush dont le directeur de la CIA George Tenet, le sous-secrétaire d’État Richard Armitage, le sous-secrétaire Marc Grossman de même que le sénateur Sam Biden, président du puissant Comité sénatorial des relations étrangères (qui a reçu le général Ahmad le 13septembre)14.

Non seulement l’administration Bush a-t-elle déroulé le tapis rouge pour le présumé bailleur de fonds des attentats du 11 septembre, mais elle a en plus sollicité sa « collaboration » à la « guerre contre le terrorisme ». Les dispositions de cette « collaboration » ont été arrêtées entre le général Mahmoud Ahmad, représentant le gouvernement pakistanais, et le sous-secrétaire d’État Richard Armitage lors de réunions tenues au département d’État les 12 et 13 septembre. Autrement dit, l’administration avait décidé dans la foulée immédiate du 11 septembre de rechercher la « collaboration » de l’ISI pakistanais en vue de « traquer Oussama », malgré le fait (documenté par le FBI) que l’ISI avait financé et soutenu les terroristes du 11 septembre. Contradictoire ? C’est un peu comme si l’on demandait au diable de s’attaquer à Dracula.

La CIA porte ombrage à la présidence

Les propos de Mme Rice touchant le chef de l’ISI lors de sa conférence de presse du 16 mai sont de la dissimulation pure et simple. Au moment où le général Ahmad s’entretenait avec des dirigeants étatsuniens de la CIA et du Pentagone, il aurait également été en contact (par l’entremise d’un tiers) avec les terroristes du 11 septembre. Cela laisse entendre que des personnalités clés des milieux militaires et du renseignement des États-Unis étaient au courant de ces contacts de l’ISI avec le chef de bande de l’agression du 11 septembre, Mohammed Atta, mais qu’ils n’auraient pas réagi. Cette conclusion demeure toutefois un euphémisme. Tout indique que le directeur de la CIA, George Tenet, et le chef de l’ISI, le général Mahmoud Ahmad, avaient établi d’étroites relations de travail. Le général Mahmoud était arrivé une semaine avant le 11 septembre pour des consultations avec George Tenet.

Rappelons que le directeur de la CIA entretient aussi des relations étroites avec le président Bush. Avant le 11 septembre, Tenet avait sa rencontre quotidienne d’environ une demi-heure avec le président, à 8h tapant15. Tous les jours, à Langley, les analystes de la CIA mettent au point des notes destinées au président. Tenet apporte ce document chez lui, le soir. Il le révise personnellement et en communique verbalement la teneur au président à leur réunion matinale du lendemain16. Cette mise au point orale en matière de renseignement est une nouvelle manière de faire. Les prédécesseurs de Bush à la Maison blanche recevaient plutôt des notes écrites 0 « Entre Bush, qui apprécie les briefings faits de vive voix, et le directeur de la CIA, des rapports étroits se sont établis. Tenet est capable d’aller droit au but et même de faire dans l’irrévérence et la truculence17. »

La décision de mener la guerre

Est-ce parce qu’on était mal informé qu’on a déroulé le tapis rouge pour le bailleur de fonds des terroristes du 11 septembre, ou était-ce simplement une affaire de routine ?

Lors des séances du Conseil national de sécurité ainsi que du «cabinet de guerre » tenues les 11, 12 et 13 septembre, le directeur de la CIA George Tenet a joué un rôle crucial afin de faire approuver par le commandant en chef le lancement de la « guerre contre le terrorisme ».

Calendrier du 11 septembre

Vers 9 h45, le cortège motorisé de Bush quitte l’école primaire Booker de Sarasota. À 9 h 55, le président monte à bord de Air Force One en direction de Washington18. À la suite d’une «fausse alerte » selon laquelle l’appareil serait attaqué, le vice-président Dick Cheney exhorte Bush par téléphone (10 h 32) de ne pas atterrir à Washington. Après cette conversation, l’avion est (selon un ordre émanant de Washington) détourné (10 h 41) vers la base aérienne de Barksdale en Louisiane. Quelques heures plus tard (13 h 30), après une brève apparition à la télévision, le président est transporté à la base aérienne Offut du Nebraska, quartier général du Commandement stratégique des États-Unis.

À 15 h 30, une réunion cruciale du Conseil national de sécurité (NSC) est convoquée au cours de laquelle les membres du Conseil communiquent avec le président par vidéoconférence sécurisée en provenance de Washington19. Durant cette vidéoconférence, le directeur de la CIA George Tenet communique au président des renseignements non confirmés. Tenet se dit « à peu près certain que ben Laden et son réseau sont à l’origine des attentats »20. Le président réagit à ces nouvelles de manière tout à fait spontanée, improvisée, sans à peu près aucune discussion et, apparemment, sans en saisir toutes les conséquences.

Au cours de la vidéoconférence (de moins d’une heure), le NSC reçoit du commandant en chef le mandat de préparer la « guerre contre le terrorisme ». Sous l’impulsion du moment, le feu vert est donné par vidéoconférence à partir du Nebraska. « Nous allons trouver ces gens, a dit le président Bush. Et, je vous prie de me croire, ils vont payer cher21. »

À 16 h 36 (une heure et six minutes plus tard…) Air Force One décolle en direction de Washington. De retour à la Maison blanche, une seconde réunion du NSC au complet a lieu dans la soirée (21 h), en compagnie du secrétaire d’État Colin Powell rentré du Pérou à Washington. La réunion du Conseil (qui a duré une demi-heure) est suivie par la première réunion de ce qu’il est convenu d’appeler le « cabinet de guerre ». Celui-ci se compose d’un groupe restreint de hauts responsables et de conseillers de premier plan.

À 21 h 30, au cabinet de guerre, « on cherche à savoir si le réseau Al-Qaeda de ben Laden et les Talibans forment une seule et même entité. Tenet affirme que oui22. » À l’issue de cette réunion historique du cabinet de guerre (à 23h), l’administration Bush décide d’embarquer dans l’aventure militaire qui menace maintenant l’avenir collectif de notre civilisation.

Est-ce que Bush savait ?

Avec sa compréhension rudimentaire de la politique étrangère, Bush était-il au courant de tous les détails concernant le général Mahmoud et la « filière de l’ISI » ? Tenet et Cheney auraient-ils déformé les faits pour que le commandant en chef acquiesce à une opération militaire qui était en préparation ?

L’ironie du sort veut qu’il y ait eu une rencontre de prévue pour le 12 septembre au matin entre le sous-secrétaire d’État Richard Armitage et le général Mahmoud, bailleur de fonds des attentats du 11 septembre, afin de discuter de stratégie.

1. Cité par l’AFP, 18 mai 2002.

2. De nombreux documents confirment sans l’ombre d’un doute les liens entre Al-Qaeda et les administrations étatsunienes successives. Voir Centre de recherche sur la mondialisation, «Foreknowledge of 9-110 Compilation of key articles and documents », http0//globalresearch.ca/articles/CRG204A.html, mai 2002, section 3.

3. Congrès étatsunien, « Clinton-Approved Iranian Arms Transfers Help Turn Bosnia into Militant Islamic Base », Comité du Parti républicain, Communiqué de presse, 16 janvier 1997, http0//globalresearch.ca/articles/DCH109A.html. Voir aussi Michel Chossudovsky, « Osamagate », Centre de recherche sur la mondialisation, http0//www.globalresearch.ca/articles/CHO110A.html, 9 octobre 2001.

4. Centre de recherche sur la mondialisation, « Foreknowledge of 9-11… », op cit. Voir les articles de Isabel Vincent, George Szamuely, Scott Taylor, Marina Domazetovska, Michel Chossudovsky, Umberto Pascali, Lara Marlowe et les quotidiens macédoniens.

5. Voir « Bin Laden Whereabouts Before 9-11 », CBS Evening News avec Dan Rather ; CBS, 28 janvier 2002, Centre de recherche sur la mondialisation, http0//www.globalresearch.ca/articles/CBS203A.html ; A. Richard, « La CIA aurait rencontré Ben Laden en juillet dernier à Dubaï pendant qu’il se faisait soigner à l’Hôpital étatsunien », Le Figaro. http0//www.globalresearch.ca/articles/RIC111B

6. The Boston Globe, 5 juin 2002.

7. Fox News, 18 mai 2002.

8. Ahmed Rashid, « The Taliban0 Exporting Extremism », Foreign Affairs, novembre-décembre 1999. Voir aussi Michel Chossudovsky, « Who is Osama Bin Laden », Global Outlook, no 1, 2002.

9. Déclaration de Brian Ross au sujet de l’information lui provenant du FBI, ABC News, « This Week », 30 septembre 2001.

10. The Times of India, Delhi, 9 octobre 2001.

11. AFP, 10 octobre 2001.

12. Amir Mateen, « ISI Chief’s Parleys continue in Washington », News Pakistan, 10 septembre 2001.

13. Federal News Services, 16 mai 2002.

14. New York Times, 14 septembre 2001, «According to Biden, [Ahmad] pledged Pakistan’s cooperation ».

15. The Commercial Appeal, Memphis, 17mai 2002.

16. Washington Post, 17 mai 2002.

17. Washington Post, 29 janvier 2002.

18. Washington Post, 27 janvier 2002.

19. Ibid.

20. Ibid.

21. Ibid.

22. Ibid.|211| 
876|36 heures consécutives de repos, c’est trop !|Julie Auger|

Normes minimales du travail



Porte-parole de l’organisme Au bas de l’échelle, Françoise David a soutenu avec fermeté, lors d’une conférence de presse tenue le 11 juin dernier, la nécessité de « réformer en profondeur » la Loi sur les normes du travail. Un discours prononcé au terme de la consultation initiée par le ministre Jean Rochon, qui ignore plus de la moitié des revendications prioritaires établies par l’organisme communautaire veillant pourtant depuis 26 ans aux intérêts des travailleurs non syndiqués.

Adoptée en 1980 pour des emplois typiques, réguliers, à temps plein, exécutés sur les lieux mêmes de l’entreprise et pour le compte d’un seul employeur, la loi ne répond visiblement plus à la réalité québécoise actuelle, celle de la prolifération de divers statuts d’emplois, et ne parvient donc plus à assurer son objectif premier, soit « d‘assurer avant tout la protection d’une main-d’œuvre salariée vulnérable et sans pouvoir de négociation », ainsi que l’affirme l’organisme Au bas de l’échelle.

Près de 30 % des postes créés depuis 1980 rapportent ainsi moins de 10 000 $ annuellement, représentant la prolifération de petits boulots, de postes contractuels, autonomes, sur appel ou à temps partiel, autant de titres dont profitent les employeurs pour éviter le paiement des charges sociales, éliminer la sécurité d’emploi, diminuer les coûts de main-d’œuvre, restreindre l’accès à la syndicalisation ainsi que contourner les normes minimales de travail. Un refrain bien connu dont le seul but demeure, naturellement, l’augmentation de la marge de profit.

Si un changement de cap législatif s’impose donc visiblement, c’est plutôt avec réserve qu’agit le ministère, armé d’un mince document de consultation où ont été délaissées quatre des six revendications prioritaires établies par Au bas de l’échelle (voir encadré) et où les recommandations concernant les points malgré tout soulevés demeurent à des lieues des espoirs que nourrissait au départ l’organisme.

Le droit de dire « non »

Alors que le document ministériel s’inquiète ainsi à peine des conditions permettant aux travailleurs non syndiqués de concilier aisément vie personnelle et professionnelle, le sujet demeure pourtant incontournable, en particulier depuis que 70% des femmes adultes sillonnent le vaste marché de l’emploi.

Françoise David précise que, si Au bas de l’échelle réclame un repos hebdomadaire minimal de 36 heures consécutives, le ministre Rochon n’en offre que 32, un compromis que le patronat refuse pourtant d’emblée, tenant mordicus aux 24 heures présentement prévues par la loi.

Même histoire au chapitre des heures supplémentaires, alors que Au bas de l’échelle réclame la possibilité de refus après une journée de 9 heures de travail ou une semaine de 45 heures. Dans une étrange tentative de conciliation et malgré une étude démontrant qu’une semaine de plus de 40 heures de travail risque d’entraîner des conséquences physiques et psychologiques, le ministère préconise ce droit après une journée de 12 heures ou une semaine de 60 heures de labeur, autre proposition ayant cependant essuyé encore une fois le déni catégorique des employeurs.

Un contexte favorable

Le contexte préélectoral représente, selon Françoise David, une occasion idéale pour les travailleurs non syndiqués de faire valoir leurs droits auprès du gouvernement, emporté par l’effervescence de sa campagne. Un nouveau projet de loi pourrait ainsi représenter, affirme-t-elle, «un très beau cadeau, à temps pour Noël ».

Rappelant que 60 % de la main-d’œuvre québécoise est non-syndiquée, Au bas de l’échelle demande enfin au gouvernement de ne pas céder aux pressions des employeurs. « Pourquoi légiférer lorsque l’économie se porte bien et que l’on crée sans cesse de l’emploi? » demandent les porte-parole patronaux. « Et pourquoi pas ? » rétorque Mme David, expliquant que la prospérité économique actuelle ne pourrait pas constituer meilleur moment pour redresser le quotidien boiteux de trop nombreux travailleurs du Québec. Car c’est vers « la voie de la majorité », ainsi que le souligne la porte-parole, que le gouvernement Landry doit tendre l’oreille.

Les revendications de Au bas de l’échelle

Au bas de l’échelle réclame d’importantes modifications à la Loi sur les normes du travail (LNT) qui régit les conditions de travail des personnes non syndiquées 0

1- L’égalité de traitement pour tous les travailleurs quel que soit leur statut d’emploi afin de lutter contre la précarité et d’éliminer les discriminations flagrantes ;

2- L’interdiction aux entreprises de forcer une personne à devenir travailleuse autonome alors qu’elle conserve les mêmes tâches et le même lien de subordination avec l’employeur ;

3- Un droit de recours contre les congédiements abusifs après un an de service continu chez une même employeur ;

4- L’adoption de mesures pour aider les travailleurs à concilier leurs vies personnelle, familiale et professionnelle ;

5- Un recours prévu par la LNT contre le harcèlement psychologique – de tous les dossiers que traite l’organisme Au bas de l’échelle, 39 % en font mention mais demeurent sans ressource, puisque la loi actuelle n’en prévoit aucune à ce chapitre ; et

6- L’inclusion complète des domestiques et gardiennes dans la LNT aux mêmes conditions que l’ensemble des salariés.|211| 
877|La présidence de la CSN passe aux femmes|Pierre Dubuc|

Victoire de Claudette Carbonneau



« Les femmes déléguées ont voté en majorité pour une femme », déclaraient, amers et désabusés, des partisans de Marc Laviolette, qui voyaient dans celui-ci la figure de proue de la gauche à l’intérieur de la CSN. D’autre part, réunies également en congrès quelques jours après celui de la CSN, les membres de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) célébraient la victoire d’une des leurs 0 Claudette Carbonneau ! Que dire de ce « colletaillage » entre la gauche traditionnelle et le mouvement féministe ?

L'élection d’une femme à la tête de la CSN renvoie aux profondes modifications intervenues au cours des dernières décennies avec l’entrée massive des femmes sur le marché du travail et – par voie de conséquence – dans les structures syndicales. Avec 53 % des membres à la CSN, les femmes sont aujourd’hui majoritaires, cependant, il y a une importante distorsion entre les secteurs privé et public. Grosso modo, 80 % des femmes syndiquées à la CSN travaillent dans les services publics et 80 % des hommes se retrouvent dans le secteur privé. Cela s’explique en bonne partie par le développement du secteur des services et la diminution de la main d’œuvre dans l’industrie de transformation.

Une marche des femmes qui dure depuis 30 ans

Il y a une trentaine d’années, on croyait que les femmes allaient – au nom de l’égalité – investir les métiers traditionnellement masculins afin de pouvoir bénéficier de conditions salariales plus avantageuses. Cela s’est fait dans une certaine mesure.

Dans le dernier numéro de la revue L’Apostrophe, on montre comment les femmes, qui n’étaient qu’une cinquantaine en 1980, représentent aujourd’hui le quart des cols bleus de la Ville de Montréal. Mais, règle générale, dans les métiers qui demandent une plus grande force physique, les femmes sont très minoritaires.

Plutôt que de chercher une égalité formelle avec les hommes dans les métiers traditionnels, le mouvement des femmes a choisi de se battre contre la discrimination systémique et pour la revalorisation des conditions salariales dans les ghettos d’emplois traditionnellement féminins. C’est la lutte actuelle pour l’équité salariale.

C’est à ce chapitre que les gains syndicaux les plus importants ont été réalisés au cours des dernières années. Pour prendre un exemple récent, la CSQ vient d’obtenir pour les enseignantes des commissions scolaires un redressement salarial de 256 millions $ qui s’ajoute à un montant de 110 $ millions lors de la dernière négociation du Front commun.

Et d’autres sommes s’ajouteront suite aux négociations en cours sur la relativité salariale. Les gains sont impressionnants. Par exemple, une enseignante de 14 années de scolarité passera de 39 555 $ qu’il était en 1995-1996 à un maximum de 63 000 $ à compter de 2005-2006.

Le mouvement des femmes a éclipsé la gauche traditionnelle

Il n’y a pas qu’au plan syndical que la présence des femmes s’est fait sentir au cours des dernières décennies. Au plan socio-politique, le mouvement des femmes a occupé la plus grande partie de l’échiquier avec la marche « Du pain et des roses », suivie en l’an 2000 de la Marche mondiale des femmes.

Cela ne s’est pas encore traduit sur le plan de la politique partisane, mais il aurait suffi que Françoise David annonce, au terme de la Marche mondiale des femmes, qu’elle lançait un nouveau parti politique féministe pour que la donne politique québécoise s’en trouve bouleversée. Si cela s’était produit, on ne parlerait sans doute pas autant de Mario Dumont aujourd’hui.

La gauche syndicale et politique traditionnelle – dont Marc Laviolette est issu – a connu son heure de gloire dans les années 1960 et 1970. Au cours des années 1980 et 1990, elle a été progressivement éclipsée par le mouvement des femmes. Alors, à la lumière de ces grandes tendances, nous ne devrions pas nous étonner que «des femmes aient voté pour une femme » et fait élire Claudette Carbonneau à la présidence de la CSN.|211| 
878|L’imm-unité canadienne|François Parenteau| On se scandalise beaucoup, ces temps-ci, de découvrir le nombre de firmes de publicité et de relations publiques qui n’existent qu’en raison des accointances libérales fédérales de leurs patrons ; on s’étonne de l’ampleur de leurs contrats et des pitoyables stratagèmes de facturation utilisés pour nous faire payer à tous plusieurs centaines de milliers de dollars trois copies d’un même rapport bâclé.

Mais tout cela m’apparaît comme un cas patent d’arbres qui cachent la forêt. Même le Bloc, dont c’est supposé être la mission, omet de poser la question. Il demande qui, combien, quand, comment, où, par quel canal, en combien de copies et quelle grandeur de drapeau a été exigée. Ils ne demandent pas pourquoi.

Oui, on sait bien que c’est pour l’unité canadienne. C’est toujours pour l’unité canadienne. Mais il ne serait pas inutile de le faire répéter. Et d’abord, pourquoi l’unité canadienne a-t-elle besoin qu’on la défende avec une telle vigueur et un tel empressement ?

De l’avis de tous les spécialistes, de tous les sondeurs et de tous les monsieur-madame-tout-le-monde que les premiers réussissent à convaincre de la chose, la menace séparatiste, loin d’être un incendie, n’est-elle pas supposée n’être aujourd’hui qu’un petit tas de cendres où ne brûle plus qu’une braise si faible que même en exposant un mâche-mâlo tout près, on ne parviendrait pas à lui donner cette belle couleur dorée qui rappelle la tête des fous de Bassan ?

Les Québécois sont la tare du Canada

Alors pourquoi ? La braise serait-elle plus chaude que ce que l’on veut nous faire croire ? Ou alors c’est que tout ça n’est que prétexte ? C’est ce que semble en penser l’inénarrable Diane Francis, émérite chroniqueuse en Quebec-bashing du National Post.

Elle prétend que le Canada est ici victime des mœurs politiques douteuses des Québécois qui, tant au fédéral qu’au provincial, ont de tout temps été plus enclins à ce genre de trafic d’influences que les purs anglo-saxons au fair-play légendaire.

En passant, admirez comment cette spécialiste des figures de littérature haineuse de bon ton exécute ici un magnifique double-bouclé-piqué raciste 0 ce n’est plus qu’une affaire de bons fédéralistes et de méchants séparatistes, ce sont tous les Québécois qui sont la tare du Canada.

On peut même se demander pourquoi elle ne tire pas la conclusion logique de ses propres propos en suggérant qu’on nous foute à la porte de ce pays que nous ne méritons pas.

Les magouilles du « French power »

D’abord, disons-le tout de suite 0 il n’y a aucune commune mesure entre les magouilles des fédéralistes sous prétexte d’unité canadienne et les petits copinages péquistes. Même si des moyens considérables étaient alloués à la promotion de l’unité canadienne, le Parti québécois s’est toujours opposé à l’utilisation de fonds publics pour faire la promotion de la souveraineté.

Bien sûr, ça ne les empêche pas de dépenser régulièrement quelques millions pour crucifier de braves citoyens sur le fleurdelisé afin de souligner à quel point notre gouvernement travaille pour nous. Mais ça n’accotera jamais les budgets fédéraux récurrents des programmes d’infrastructures, du ministère des Travaux publics et de celui du Patrimoine, le ministère des Drapeaux impudiques.

En fait, je crois que, pour l’essentiel et pour une fois, Diane Francis a raison. Mais elle omet de préciser que ces manigances sont d’abord le fait de politiciens fédéralistes issus du Québec et de leurs amis. Tout ça me fait penser à un livre paru en 1997 sous la plume du sociologue québécois Stéphane Kelly, La petite loterie.

Kelly y étaye la thèse que la Canada a gagné la soumission (apparente) des Québécois par l’octroi de toutes sortes de petits privilèges à une certaine élite politique et économique. En clair, en pays conquis, les premiers à s’enrichir et à prendre du pouvoir sont ceux qui acceptent de collaborer avec le conquérant. Les oisillons affamés qui ouvrent grand le bec pour faire commanditer leurs événements par la feuille d’érable en sont les descendants directs.

Plus on collabore, plus on s’enrichit

Pourtant, la doctrine libérale voudrait nous faire croire qu’il n’y a qu’un peuple au Canada et que personne ne domine personne. Or même le chef du Parti libéral prouve le contraire. Jean Chrétien a déjà fait en entrevue une déclaration qui m’a intriguée pendant des années. Il disait que, lui aussi, il aurait bien aimé qu’on gagne la bataille des plaines d’Abraham mais que, que voulez-vous, on l’avait perdue, qu’il en avait fait son deuil et qu’il fallait aller de l’avant.

Qui ça « on » ? Qui a perdu ? Si un bord a perdu et l’autre gagné, c’est qu’il y a donc deux bords, donc deux peuples, non ? Pourquoi alors leur gouvernement a toujours refusé de le reconnaître ? Et puis n’est-ce pas là l’aveu d’une mentalité de collabo ? Quand on fait carrière en politique, c’est soit pour des idées ou une cause, soit par simple soif de pouvoir ou pour s’enrichir.

Jean Chrétien a depuis longtemps prouvé qu’il n’était pas en politique pour ses idées. Et on peut se demander si l’acceptation d’une défaite comme source d’allégeance au Canada n’encourage pas plutôt les vocations politiques cyniques et profiteuses que la réelle défense des intérêts d’un peuple. Ni de l’autre, d’ailleurs.

Il serait peut-être le temps de le dire aux Canadiens anglais qui se font embrigader dans cette obsession stérile, de leur démontrer que, si le Québec fait toujours partie du Canada, ce n’est que le fait de quelques collabos cyniques qui travaillent avec acharnement à maintenir le système qui leur permet de s’en mettre plein les poches sous l’immunité que leur procure le fait de servir l’unité canadienne. Tous les Canadiens paient pour ça.

Et à voir à quel point le Québec leur apparaît comme une société ethnocentrique et inférieure, le reste du Canada finirait sûrement par trouver que c’est beaucoup trop cher payer et nous laisserait partir sans trop nous embêter. Suffirait juste de leur montrer le vrai montant de la facture.

Et il n’y aurait pas besoin de faire trois copies…|211| 
879|Un plan de match pour bloquer l’ADQ|Pierre Dubuc|La triple victoire de l’ADQ de Mario Dumont chambarde le paysage politique québécois. Un parti fédéraliste avec un programme ouvertement néolibéral s’attire un vaste soutien populaire. Cela constitue une menace pour les forces souverainistes et progressistes, mais pourrait également représenter un moment propice pour une nouvelle alliance.

Le Parti québécois doit soigner sa gauche

Au soir de la triple défaite de son parti, Bernard Landry s’est carrément positionné à gauche en rappelant les mesures progressistes récemment adoptées par son gouvernement (équité salariale pour les enseignantes, garderies à 5 $, promesse d’un « revenu de solidarité » pour les bénéficiaires de l’aide sociale) et s’est engagé à combattre le programme néolibéral de l’ADQ.

C’est évidemment mieux qu’une surenchère à droite, mais M. Landry – et le gouvernement du Parti québécois – sont-ils crédibles ? M. Landry a été le plus fervent promoteur du libre-échange et l’un des principaux artisans des politiques du « déficit zéro ». On peut douter que les bonnes intentions exprimées suffisent à ramener la gauche au PQ ou à endiguer la vague en faveur de Mario Dumont.

L’union des forces de gauche doit soigner son punch

La victoire adéquiste constitue également une menace et un défi pour la gauche, qui sort tout juste d’un important congrès. Que la fusion au sein de l’Union des forces progressistes (UFP) de trois partis de gauche soit un important pas en avant, on ne peut en disconvenir. Cependant, la faiblesse de la représentation syndicale, le maintien de la cohabitation de trois partis en son sein, l’absence de leadership reconnu et les réticences devant la joute électorale vont empêcher à court terme l’UFP de constituer aux yeux de l’électorat progressiste une alternative crédible. Plusieurs vont préférer voter PQ pour contrer l’ADQ et un plus grand nombre encore se réfugieront dans l’abstention.

Si la perspective de l’UFP est de présenter des candidatures dans toutes les circonscriptions, elle peut sans doute espérer faire un meilleur score que le Parti de la démocratie socialistes (PDS) qui n’est allé chercher que 0,83 % du vote avec 97 candidatures lors de la dernière élection. Mais ce score, même quintuplé, demeurerait non significatif.

Les seuls alliés du PQ sont à gauche

Le vent de droite qui souffle sur le Québec oblige les forces souverainistes et progressistes à une nouvelle alliance. Cependant, malgré les prétentions contraires de Bernard Landry, le PQ ne peut être le véhicule de cette coalition comme il l’a été au cours des années 1970. Aujourd’hui, la réforme du mode de scrutin est le cadre dans lequel peut se forger l’unité entre souverainistes et progressistes.

Concrètement, cela pourrait prendre la forme suivante. 1) Le PQ s’engage formellement, s’il est élu, à réformer le mode de scrutin et la Commission dirigée par le ministre Jean-Pierre Charbonneau présente des modèles de réforme d’ici le prochain rendez-vous électoral. Évidemment, les promesses ne suffisent plus. 2) Par ailleurs, comme gage de sa bonne foi, le PQ met en pratique l’esprit de la réforme à venir en libérant un certain nombre de circonscriptions « prenables » pour des candidatures de la gauche, soit de l’UFP ou encore des candidatures indépendantes. On peut penser par exemple à des candidatures de Paul Cliche, Françoise David, Roméo Bouchard de l’Union paysanne, etc. Dans un tel scénario, le PQ non seulement ne présenterait pas de candidatures dans ces circonscriptions, mais engagerait ses membres à soutenir les candidatures de la gauche.

En contrepartie, la gauche et, bien au-delà de la gauche politique, l’ensemble du mouvement syndical – dont les acquis sont sérieusement menacés par l’ADQ – s’engagerait à appuyer activement les candidatures du Parti québécois dans les autres comtés.

Les avantages d’un tel scénario sont clairs. Il permettrait de contrer l’ADQ et le Parti libéral. Pour la gauche, ce serait la chance de faire son entrée à l’Assemblée nationale et d’y travailler à la création d’une véritable alternative politique dans le cadre d’une réforme du mode de scrutin. De façon plus générale, nous croyons qu’une telle perspective – par sa nouveauté – stimulerait les troupes souverainistes et progressistes et ouvrirait la voie à un référendum gagnant !

1. Nous en avons expliqué les raisons historiques dans l’aut’journal nº 206, février 2002.|211| 
880|Un projet de loi sur la procréation assistée qu’on attend depuis trente ans|Abby Lippman| Il a eu une longue gestation – presque 10 ans depuis le rapport de la Commission royale sur les nouvelles technologies de reproduction. Mais il y a finalement un projet de loi déposé sur la procréation assistée, qui d’ores et déjà peut devenir loi. Y a-t-il lieu de s’en réjouir? Est-ce que le projet de loi répond aux préoccupations que les groupes de femmes et les groupes de pression du domaine de la santé n’ont cessé de soulever ? Est-ce qu’il empêchera les pratiques qui nous inquiètent le plus, soit l’utilisation permissive des cellules embryonnaires et les expérimentations de clonage reproductif derrière des portes closes ? Est-ce qu’il interdira l’instrumentalisation du corps des femmes à travers la pratique des mères porteuses et la marchandisation progressive du vivant ? Et, surtout, est-ce qu’il imposera une totale transparence quant à la composition et au fonctionnement de la future agence de réglementation?

Les technologies de la reproduction humaine fournissent à certaines femmes des voies pour pallier les causes biologiques de l’infertilité. Pour y arriver, ces technologies enlèvent du corps où ils ont été produits les spermatozoïdes, les ovules et les embryons, et les transfèrent dans des laboratoires où ils peuvent être manipulés, transformés, implantés ou rejetés de toutes les manières possibles, sous le contrôle des médecins et des chercheurs.

Mais ce contrôle ne peut être absolu ; il ne peut non plus être simplement réglementé par une agence gouvernementale octroyant les permis, par des agences fédérales ou provinciales de subvention à la recherche ou par des comités éthiques de révision de la recherche. Nous avons besoin de mécanismes pour répondre aux questions soulevées par ces technologies – leur utilisation et leur développement – qui garantissent une consultation publique transparente et qui tiennent compte de la sécurité et de la justice dans ses évaluations.

La commercialisation du corps

Mais plus encore peut-être, nous avons besoin de procédés qui vont aller « à contre-courant » de l’infertilité 0 qui pourraient la prévenir en éliminant particulièrement ses causes connues – sociales ou environnementales. Parler et légiférer sur la procréation assistée hors contexte ne fait que détourner l’attention de ce dont les femmes ont besoin pour leur santé sexuelle et reproductive, soient des endroits sécuritaires pour grandir, vivre, travailler et jouer.

En y regardant d’assez près, la loi, qui semble pourtant comporter d’assez bons points, se révèle décevante. Contrairement à ce que prétend le gouvernement, cette loi pourra être très permissive quand il s’agira de pratiques (cliniques et de recherche) qui mènent à la commercialisation du corps humain et de ses composantes. Et il n’y a rien, tel quel, qui nous assure qu’il y aura vraiment un contrôle exercé sur quoi que ce soit.

Les embryons « surnuméraires »

À titre d’exemple, prenons la recherche sur les cellules souches embryonnaires, un point qui a retenu beaucoup l’attention depuis que le projet de loi a été rendu public. Fondamentalement, le projet de loi C-56 permettrait que des embryons créés pour provoquer une grossesse soient utilisés à d’autres fins. Il s’agit des prétendus embryons « surnuméraires ».

Bien sûr, les personnes qui feront un don d’ovules, de sperme ou d’embryons devront donner leur consentement écrit et les chercheurs devront prouver qu’il n’y a aucune autre approche possible du problème et que cette recherche est « nécessaire ».

Peut-être ai-je travaillé trop longtemps avec des chercheurs dans le domaine biomédical, mais je n’ai encore jamais vu un chercheur qui ne décrive pas sa recherche comme « nécessaire » ou qui ne trouve pas d’arguments pour justifier l’utilisation d’embryons supplémentaires.

Et au cas où nous voudrions mettre en doute leurs exigences, je parie que, pour faire taire nos critiques, ils seraient prêts à nous montrer des photos ou à nous raconter l’histoire d’enfants malades en quête de traitement ou de femmes « désespérées » désirant des bébés.

La vaste majorité des maladies ne sont pas génétiques

Dans l’immédiat, il n’y a aucun impératif moral motivant les recherches sur les cellules souches embryonnaires puisque la vaste majorité des maladies et des handicaps ne sont pas génétiques. Les promesses trop nombreuses qu’on nous fait à propos des recherches sur les cellules souches embryonnaires sont vraisemblablement plutôt d’ordre promotionnel, pour ce qui pourrait être une activité extrêmement lucrative impliquant le brevetage du matériau biologique humain et l’utilisation d’embryons humains.

Pourquoi le projet de loi ne peut-il pas être clair et bannir totalement toute recherche sur les cellules souches embryonnaires ? Mettre une limite au nombre d’ovules qui peuvent être fertilisés durant le traitement pour l’infertilité afin de s’assurer qu’il n’y aura plus d’embryons surnuméraires ? Et, en créant une telle interdiction, s’assurer que le clonage humain n’est pas en train d’être réalisé derrière des portes closes.

Je pense que je me sentirais plus en sécurité si, au lieu de laisser les décisions sur la « nécessité » de cette recherche à une agence, on avait immédiatement légiféré au moins sur un moratoire complet de trois à cinq ans pour cette activité. Pendant ce temps, il pourrait y avoir un fond spécial pour la recherche sur les cellules souches adultes.

Nous savons très peu de choses sur le potentiel des cellules souches tirées de tissus adultes. Subventionnons la recherche pour découvrir ce que ces cellules peuvent devenir. Et subventionnons aussi les groupes de citoyenNEs afin qu’ils disposent des ressources nécessaires pour prendre part aux discussions concernant les problèmes soulevés par le travail sur les cellules souches embryonnaires, y compris leur potentiel commercial.

L’agence ou le moratoire ?

Qu’en est-il du clonage ? Ici, le projet de loi semble dire « non » sans restriction. Mais j’hésite. En autorisant (quoique aux conditions notées précédemment) l’utilisation réglementée d’embryons in vitro pour la recherche, est-ce qu’on empêchera vraiment le clonage ? Est-ce que nous ne sommes pas déjà « amadouéEs » pour laisser une telle éventualité se produire avec des chercheurs faisant une différence entre le clonage «reproductif » et « thérapeutique » ?

Plus précisément, les chercheurs préconisent même l’utilisation du terme « transfert du noyau de cellules somatiques humaines » pour ce dernier. Mais ce serait utiliser les mots comme un boniment publicitaire plutôt que de donner une description exacte. Le processus (le « moyen ») pour créer un clone est le même, quel que soit le but.

C’est de la poudre aux yeux que de distinguer les types de clonage par leurs prétendues fins. Si nous voulions être précis, nous appellerions au moins une de ces fins «clonage expérimental », parce que c’est ce dont il s’agit.

Les embryons humains ne doivent jamais être clonés, ni les cellules somatiques transplantées dans des ovules vidés spécialement pour devenir une « ressource » pour les expériences médicales ou pour faire un bébé. Voulons-nous que la vie humaine, ses différentes parties et processus soient de simples outils de recherche ? des biens de consommation, des produits manufacturés ?

La porteuse est rénumérée mais la grossesse est bénévole

Un autre exemple de la permissivité du nouveau projet de loi concerne les « mères porteuses ». Oui, le projet de loi interdit de rétribuer ou d’offrir de rétribuer une personne pour qu’elle agisse à titre de mère porteuse. Mais un peu plus loin, il définit les conditions permettant aux mères porteuses d’avoir leurs dépenses payées.

N’y a-t-il pas là une contradiction ? Comment peut-on avoir ses dépenses remboursées pour une activité interdite ? Pourquoi le projet de loi ne met pas en vigueur ce que les groupes de femmes demandent depuis longtemps, soit de bannir totalement tout incitatif financier, y compris le remboursement des dépenses, pour les contrats de grossesse ?

Né de spermatozoide et d’ovule inconnus

Suis-je alarmiste ? N’y aura-t-il pas une agence de contrôle de la procréation assistée qui s’assurera qu’il n’y a que de « bonnes choses » faites avec les ovules, le sperme et les embryons ? Que le corps des femmes et leur santé vont être protégées ? Bon, il y aura une agence, mais qui sera responsable de déclencher la sonnette d’alarme ?

À moins que cette agence ne fonctionne d’une façon moins permissive que sa contrepartie du Royaume-Uni, elle ne fournira pas le type de protection dont nous avons besoin. Nous avons besoin d’une agence qui peut augmenter la liste actuelle des activités interdites ; une agence qui n’énumère pas seulement les conditions d’utilisation, mais garantit aussi que, si une pratique n’est pas documentée à long terme, elle devra être réglementée comme la recherche.

L’agence rassemblera des informations, attendues depuis longtemps et dont on a grandement besoin, concernant le type de procédures actuellement en vigueur au Canada, par qui et sur qui elles sont appliquées, et avec quel taux de réussite ou d’échec. Elle retracera les enfants néEs de ces techniques afin de s’informer de leur état de santé. Elle créera un registre que le public pourra consulter pour savoir ce qui se passe.

Là-dessus, tout le monde est d’accord que c’est essentiel. Il est toutefois très regrettable que la divulgation de l’identité des personnes qui font des dons de sperme et d’ovules ne soit pas rendue obligatoire. C’est sur cela et sur certains autres aspects de la future agence que nous avons besoin d’être plus informéEs et, sur ce point, le projet de loi C-56 ne va pas assez loin.

Il n’y a pas de choix sans risque

Les questions et les problèmes reliés aux technologies de la reproduction et de la génétique humaines sont devenus, au cours des années, de plus en plus complexes et intraitables ; trop souvent les « choix » qui sont offerts aux femmes créent des risques plutôt que de les réduire.

Par conséquent, il est impératif que la législation sur la procréation assistée et la réglementation de la recherche sur les embryons humains et tout autre recherche génétique s’assure qu’on offre aux femmes uniquement des options qui les prennent en considération, elles et leurs enfants.

Des options qui sont développées et approuvées sur la base d’une adhésion rigoureuse aux principes éthiques fondamentaux de la recherche et de la pratique. Des options qui tiennent compte du principe de précaution. Et, finalement, des options qui valorisent la diversité parmi nous et qui évitent scrupuleusement la discrimination envers toute personne handicapée, avant ou après la naissance.

Le projet de loi C-56 pourrait constituer un premier pas vers cet objectif, mais il pourrait aussi nous éloigner de celui-ci. Des changements sont nécessaires maintenant pour nous assurer que la législation va défendre les droits des femmes en termes de santé et de reproduction, bannir complètement toute commercialisation du corps humain et des biomatériaux, et créer une agence de réglementation entièrement transparente et responsable résolue à écouter la voix des citoyenNEs plutôt que celle des lobbyistes du complexe biotechnologique/ universitaire / industriel.

Un Bap sur la procréation assistée

La législation doit faire en sorte que toute personne nommée au conseil d’administration de la future Agence de réglementation sur la procréation assistée y siège comme individu et non comme représentante d’une organisation ou d’un groupe 0 une totale transparence devrait être obligatoire.

De plus, la loi doit s’assurer que personne (universitaire ou membre du public) ne puisse être nomméE à un poste de direction s’il existe quelque conflit d’intérêt que ce soit – c’est-à-dire, avec un revenu personnel reçu pour l’approvisionnement direct ou le développement de toute technologie génétique et reproductive tombant sous la juridiction de l’agence. Si c’est jugé nécessaire, toutefois, ces individus peuvent sûrement être appelés pour des consultations et des conseils.

En ce qui concerne la façon dont l’agence fonctionne dans la poursuite et le renforcement de ses tâches de réglementation, d’octroi de permis, d’enregistrement, de surveillance et d’inspection, un modèle transparent, accessible et fiable devrait être exigé, et des méthodes innovatrices de consultation publique et de prises de décisions encouragées.

Minimalement, toutes les réunions du conseil d’administration devraient être enregistrées et toutes les audiences devraient être ouvertes au public, ce qui inclut l’accès, via Internet ou tout autre moyen, à l’ensemble des documents.

Il est de la plus haute importance que la participation publique aux audiences réglementaires soit obligatoirement permise et encouragée afin que l’ensemble des impacts de ces technologies soit évalué de façon démocratique et participative. Surtout que nous possédons déjà des modèles intéressants de participation publique, avec, par exemple, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (Bape).|211| 
881|Taxer l’eau, c’est mettre un compteur au préjugé|André Bouthillier| Au sortir du Sommet de Montréal, après avoir débattu de questions environnementales, dont l’eau, il faut bien reconnaître que, malgré une preuve accablante contre les compteurs d’eau, la croyance populaire fait toujours office de guide, et qu’il y a des environnementalistes, comme des gens d’affaires, pour qui l’abus individuel est la cause de tous les maux d’eau.

Que ce soit une question posée au passant dans la rue ou lors d’un débat entre spécialistes de l’environnement, la notion d’« utilisateur-payeur » semble avoir fait son chemin dans l’esprit de plusieurs, cela même si le débat porte sur un service essentiel comme l’eau.

Nous pouvons maintenant mesurer l’effet accumulé d’un énorme préjugé charrié par les médias et par certains écologistes à l’effet que ce sont les individus qui abusent de l’eau, et que c’est en taxant ceux-ci à la consommation que l’on diminuera le coût de production de l’eau potable.

Nombreux sont les citoyens et citoyennes qui ignorent les quantités d’eau phénoménales gaspillées par des réseaux d’aqueducs dont le taux de fuites se situe aux environs des 35 %, de la quantité d’eau utilisée par des entreprises pour refroidir leur machinerie ou de celle dont peut se servir un hôpital.

C’est pas la faute au voisin qui arrose son gazon

Mais qui donc consomme toute cette eau filtrée par nos usines ? Dans une ville comme Montréal, les industries, les institutions et les commerces consomment 60 % de l’eau potable. Des 40% consommés par le citoyen, 40% passent par la chasse des toilettes. Il reste donc moins de 20 % pour tous les autres usages, ce qui inclut les méchants enfants qui laissent l’eau couler trop longtemps lorsqu’ils se brossent les dents et votre inconscient arroseur d’asphalte de voisin.

La ville de Sainte-Marie-de-Beauce a analysé le profil des consommateurs, plus particulièrement pendant l’été, où les pénuries sont plus problématiques, ce qui lui a permis de découvrir que la plus grande utilisation d’eau n’était pas due aux piscines ou à l’arrosage des pelouses, mais à l’utilisation de systèmes de climatisation institutionnels et industriels.

Les pauvres coupent l’eau ou se la font couper

Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (Bape), lors de ses recommandations sur la gestion de l’eau au Québec (rapport Beauchamp) n’a pas suggéré aux municipalités d’installer des compteurs car, c’est maintenant prouvé études à l’appui, la tarification au compteur ne ralentit pas la consommation résidentielle.

Si la tarification produit une légère modification des comportements pour l’eau utilisée à l’extérieur (jardin et pelouse, piscine, lavage de voiture…) elle n’arrive pas, même avec des tarifs élevés, à réduire de façon significative la consommation d’eau pour ces activités, comme on peut l’observer dans les États arides du sud-ouest des États-Unis.

C’est ce que l’on appelle la «consommation structurelle des ménages », qui est à peu près stable et pratiquement insensible à la tarification au compteur. Cette réalité à été démontrée par des études étatsunienne, québécoise, française et danoise.

Les même sources confirment que la tarification aura un impact sur les ménages les plus pauvres. Ceux-ci réduisent leur consommation en deçà des seuils souhaitables du point de vue de la santé publique, comme l’ont démontré des pratiques évaluées au Royaume-Uni.

Déjà lorsque le coût de l’énergie (électricité, pétrole ou gaz) augmente, il y a diminution de la consommation d’eau chaude servant à se laver, et pas seulement chez les ménages les plus pauvres.

Cependant, les recherches indiquent que la tarification selon la consommation est efficace pour inciter à des économies d’eau pour ce qui est des gros utilisateurs 0 institutions, commerces, entreprises industrielles et agricoles.

Moins d’eau dans la chasse, plus d’eau dans le verre

Henri Didillon, ancien directeur des affaires municipales chez Raymond Chabot, citait l’exemple d’une municipalité qui amassait à peu près 80 millions de dollars de taxes foncières avec trois employés et 3 millions de dollars en taxes spécifiques pour l’eau et les déchets avec sept employés, soit un rendement per capita 62 fois moindre dans le second cas.

On a aussi constaté que, dans plusieurs villes, le coût d’achat, de remplacement, d’entretien, de lecture et de facturation de la consommation par compteur dépasse la capacité de payer des individus. Alors le montant facturé ne couvre pas les coûts d’opérations.

Rappelons que si on veut réduire la consommation résidentielle, des interventions, autres que la tarification, sont possibles. Des municipalités telles Rosemère, Chambly, Saint-Constant et plusieurs autres ont procédé à l’installation de plaquettes à insérer dans le réservoir de toilettes permettant d’économiser 2 l à chaque chasse.

Cela se traduit par une réduction d’environ 25 % du débit domestique, une économie appréciable. Laval a pour sa part participé à un programme conjoint avec Hydro-Québec baptisé Écol’eau afin de réduire le gaspillage d’eau, notamment d’eau chaude. L’économie d’eau ainsi réalisée a atteint 253 l par jour par résidence.

D’autres mesures, comme l’interdiction de l’arrosage ou la réduction nocturne de la pression dans le réseau d’aqueduc, peuvent permettre de réduire la quantité d’eau perdue par les fuites d’aqueduc.

Qui a dit qu’à Cana, le Christ avait changé l’eau en compteur ?

À l’approche de l’été, vous verrez encore, dans les médias, des comparaisons quant à la consommation de l’eau des Québécois avec celle des Ontariens, des Montréalais avec les Torontois… C’est tout faux. La raison en est bien simple 0 scientifiquement on dit que l’objet étudié est non homogène et donc non comparable.

Comme l’eau est essentielle à la vie, il faut que chaque Québécois ait accès au service de l’eau, qu’il s’en serve ou non et, surtout, peu importe son revenu.

Finalement cette tarification au compteur, appliquée aux ménages, ne rencontre pas la promesse formulée dans le préjugé, même si on la baptise « taxe verte ». Il est temps que nous en prenions tous conscience.

Note au lecteur 0 Afin de faciliter la lecture, chacune des références précises n’apparaît pas dans le texte. Elles proviennent en grande partie de M.Pierre J. Hamel, chercheur à l’INRS-Urbanisation (Institut national de recherche scientifique), du Bape, de la commission Beauchamp, de la Ville de Montréal (Finances publiques – Commentaires sur certains enjeux du Sommet de Montréal), de Cirano (Centre interurniversitaire de recherche en analyse des organisations) et du site de référence d’Eau Secours –la Coalition québécoise pour une gestion responsable de l’eau (www.eausecours.org).|211| 
882|Jake Roulo|Pierre Dubuc|

Un conteur fabuleux



Jake Roulo est l’un des personnages les plus extraordinaires qu’il m’ait été donnés de connaître. Notre première rencontre date de 1985, alors que Jake avait créé un comité environnementaliste pour s’opposer à la construction d’un incinérateur de BPC à Senneterre, en Abitibi, où il habite. Nous avions organisé conjointement une assemblée publique à Montréal et une tournée mémorable de Raymond Lévesque dans différentes villes et patelins de l’Abitibi. Nous avons pu apprécier les talents d’électricien de Jake Roulo, qui a patenté des systèmes de son dans des endroits qui n’avaient pas été conçus pour des spectacles. Je me souviens, entre autres, d’une salle de rangement dans le fond d’un aréna à Barraute…

Aujourd’hui âgé de 85 ans, Jake Roulo vient de publier ses mémoires aux éditions Maxime sous le titre C’est la faute à Johnny Renaud. C’est un livre merveilleux, au style aussi alerte que son auteur. Il y raconte, entre autres comment, à 12 ans, avec son frère cadet de 11 ans, il est monté clandestinement dans le train qui allait de Saint-Tite à Rouleau Siding, en Abitibi, pour retrouver ses parents.

Le livre est une vraie chronique de l’Abitibi des années de crise et de guerre. Du météorite qui s’est écrasé près de chez lui aux espions allemands venus faire secrètement la cartographie de la région. Mais surtout la vie de ces « hobos », « jumpers » et « bums » à la recherche d’un emploi qui voyageaient aux frais de la princesse à bord des trains de marchandise et se présentaient à Rouleau Siding où le père de Jake avait une scierie.

C’est à l’un de ces « bums », Johnny Renaud, que le livre est en quelque sorte dédié. Embauché comme manœuvre par son père, Johnny Renaud devient rapidement l’ingénieur en chef de la scierie. Un jour, pourtant, les choses allaient basculer. Roulo raconte 0

Une nouvelle foudroyante arriva au bureau 0 Johnny Renaud était un communiste ! Le dimanche, dans le camp des employés, il faisait des causeries sur l’économie politique et attaquait les capitalistes et la religion. Mon père était bouleversé. Johnny Renaud fut mandé au bureau. J’étais là, comme d’habitude. Mon père lui expliqua qu’il était au courant de ses causeries et lui interdit de tenir ce langage à l’avenir.

Johnny Renaud répondit calmement 0

– Monsieur Rouleau, je ne suis pas ici pour dire comme vous. Je fais mon ouvrage au moulin et je suis payé pour ça. Ça ne vous donne pas le droit de dicter mes pensées et mes paroles. Je vous ai toujours respecté, mais là, ça ne marche plus. Je suis obligé de m’en aller.

Pour la première fois, je vis mon père capituler. Il aimait Johnny Renaud, il en avait besoin, il voulait le garder. D’ailleurs, il ne savait même pas de quoi au juste parlait Johnny Renaud. Il s’excusa donc, mais ne put s’empêcher d’ajouter 0

– Tout de même, mettez la pédale douce…

Johnny Renaud sourit 0

– Vous me demandez de parler pour ne rien dire… ?

[…] Cette courte scène a marqué ma vie. C’était la première fois qu’il m’était donné de comprendre la valeur de la liberté. Il ne faut jamais se laisser subjuguer.

Plus tard, Jake Roulo allait rencontrer Madeleine Parent, devenir communiste et travailler à syndiquer les employés de Marconi, où il travaillait. Il participa également à la célèbre grève des marins. Sa description de l’assemblée à l’usine Marconi où il a pris la parole devant 2 000 personnes en déjouant la vigilance de deux policiers est une pièce d’anthologie.

Son affiliation au Parti communiste a valu à Roulo bien des embêtements avec la GRC, les tribunaux et les autorités municipales, dont certains sont tout simplement savoureux.

Par exemple, lorsqu’il décide de s’installer à Senneterre après la guerre, sa réputation le suit, et le Conseil municipal décide de l’expulser de la ville. Qu’à cela ne tienne, Roulo se présente à l’assemblée du Conseil.

Avant de traiter de son cas, le Conseil doit discuter d’un problème d’éclairage. Un entrepreneur demande 800 $ pour refaire une ligne électrique. Roulo prend la parole, confronte l’entrepreneur et explique que le problème pourrait se résoudre avec un autotransformateur d’une valeur de 8 $.

Finalement, le Conseil municipal trouve qu’il serait colon de vouloir expulser un homme qui vient de lui faire économiser 792 $. Depuis, Jake Roulo est résident de Senneterre.

« Future » n’est pas « éternelle »

Ses convictions communistes ont valu à Jake Roulo toutes sortes de mésaventures dont certaines sont carrément surréalistes. Par exemple, cette scène où un juge d’Amos essaie de le disqualifier comme témoin.

– Avez-vous fait une prière, ce matin ?

– Non, jamais le matin.

– Avez-vous fait une prière, hier soir ?

– Non, jamais le soir.

– Êtes-vous allé à la messe, dimanche ?

– Non.

– Avez-vous fait vos Pâques ?

– Non.

– Êtes-vous catholique ?

– Non.

Ça y était, le piège était tendu, impossible d’y échapper. […] Vient ensuite l’étape fatale 0

– Croyez-vous en Dieu ?

– Oui.

Ce fut comme un coup de tonnerre. Le juge se redresse.

– Alors, de quelle façon croyez-vous en Dieu, si vous ne priez jamais ?

– J’objecte ! de dire mon avocat, Me Barbès.

– Pourquoi ?

– Ça fait dix mille ans que les hommes se disputent pour ça, et on ne peut pas régler ça dans la Cour d’Amos.

– Accepté, dit le juge mécontent. Continuez.

– Croyez-vous à la récompense et à la punition éternelle ?

– Objection ! dit Barbès. […]

– Comment ça ? dit le juge impatienté.

– Parce que ce n’est pas dans le code, dit Barbès qui voulait gagner du temps pour m’aider à passer à travers ça.

La discussion s’engage, mais on ne trouve pas le code. Ça prend une dizaine de minutes pour trouver un code. Alors on lit 0 « N’est pas admise à témoigner une personne qui ne croit pas en Dieu et à la récompense ou la punition future. »

– « Future », ce n’est pas « éternelle », affirme Barbès.

– Reprenez la question.

Ma réponse est encore « oui ». Le juge sursaute 0

– Expliquez-nous ça ?

– Toute personne qui fait le bien doit être récompensée et ceux qui font le mal doivent être punis.

– C’est suffisant, dit le juge, je dois accepter ça 0 c’est « future » conditionnelle. […]

Le livre est distribué par M. Roulo 0 C.P. 310; Senneterre J0Y 2M0. Coût 0 25 $ plus 6 $ de frais postaux.|211| 
883|La gauche politique s’unit pour rassembler tous les progressistes|Pierre Dostie|*

Congrès de fondation de l’Union des forces progressistes



L’unité de la gauche a franchi un pas historique au Québec. L’Union des forces progressistes, dont le congrès de fondation s’est tenu à Montréal les 15 et 16 juin derniers, regroupe maintenant les membres du Rassemblement pour l’alternative progressiste (Rap), du Parti de la démocratie socialiste (PDS), du Parti communiste du Québec (PCQ) et d’une dizaine d’associations locales de l’UFP composées majoritairement de membres indépendants des trois partis. Dans les plus brefs délais, les partis fondateurs, qui pourront continuer d’exister à l’intérieur de la structure fédérée de l’UFP, statueront sur leur statut juridique de partis autorisés.

L'unité des forces progressistes ne s’est pas faite du jour au lendemain. Elle est le résultat d’un travail de collaboration sur le terrain, d’analyses partagées sur la montée de la droite et d’une maturation de la gauche politique au Québec.Elle est aussi le fruit d’une interaction entre la gauche politique et la gauche sociale qui a longtemps interpellé les petits partis de gauche de cesser de s’entredéchirer pour être davantage crédibles.

Elle est une réponse à ce non-sens de voir les partis progressistes et parfois les candidats indépendants progressistes se faire la lutte électorale pour obtenir un maigre résultat en bout de course.

L’appel de l’aut’journal

L’appel lancé par l’aut’journal et un collectif de militants progressistes en novembre 1997, dont Paul Cliche, Paul Rose, alors chef du PDS, et Michel Chartrand, qui avait rassemblé 700 personnes, est certes un événement pivot dans ce processus de rassemblement de la gauche jusque-là dispersée, divisée et sombrant dans la torpeur en ces moments les plus difficiles de la période de Lucien Bouchard.

Suite à cette initiative, le Rassemblement pour l’alternative politique a été un mouvement qui dans les deux années suivantes a permis de développer une culture politique commune aux progressistes de diverses tendances, que cherchaient à incarner une plate-forme et des statuts de type alternatif.

Toutefois, lors des élections générales de 1998, le PDS et des candidats appuyés par le Rap se sont opposés dans un certain nombre de comtés. Il a été convenu que cela ne se reproduirait plus et que nous avions jusqu’aux prochaines générales pour construire l’unité organisationnelle de la gauche politique.

Le colloque sur l’unité

Un deuxième événement majeur a donné un second souffle à ce processus d’unité amorcé. Un colloque sur l’unité de la gauche politique et des forces progressistes rassemblant encore une fois plus de 700 personnes de toutes les composantes de la gauche politique et de la gauche sociale a été tenu en avril2000.

Plusieurs militants sont restés marqués par l’énergie qui s’est dégagée de ce colloque et par certaines interpellations percutantes en provenance des mouvements sociaux en direction des partis 0 «Réglez donc vos problèmes d’unité entre vous et votre appel à l’unité aura du sens pour nous ». Un comité de liaison assurera le suivi du colloque.

L’effet Mercier

Un an plus tard, c’est Paul Cliche qui se propose de poser sa candidature aux élections partielles dans Mercier à condition d’avoir un appui massif, sinon unanime, de la gauche sociale et politique. Ce qui fut obtenu et ce qui lui permit de récolter 24 % des voix.

Depuis, l’esprit de Mercier continue de souffler au point où des associations locales UFP se mettent sur pied en dehors des structures des parti pour devenir aujourd’hui une composante essentielle de l’UFP.

Un an plus tard, le PDS, puis le Rap, se prononcent en faveur d’abord, d’une coalition électorale, puis d’un parti fédéré. Ces choix ont occasionné des tensions et des déchirements internes mais ils ont été pour le mieux. La gauche politique était maintenant en partie rassemblée, il était le temps de l’unir.

La fondation de l’UFP

Le congrès de l’UFP a réuni plus de 300 membres qui ont fait la démonstration éloquente que la gauche politique québécoise est maintenant prête à sortir de sa marginalité pour offrir une alternative crédible à la population. Les débats ont été menés sous le signe du respect mutuel et de la maturité dans le but de construire et de préserver l’unité.

Malgré la lourdeur procédurale qu’impose la tenue d’un congrès de fondation, les délégués ont pris le temps nécessaire pour rédiger avec soin la position de l’UFP sur la question nationale et sur les priorités de la plate-forme électorale. Le congrès a adopté des statuts qui sont le reflet de notre projet de société alternatif et qui font de la place à toutes les composantes de l’UFP présentes et à venir.

Les suites

La naissance de l’UFP est une invitation aux organisations progressistes de la gauche sociale et politique qui doit être considérée sérieusement. Nous pensons notamment au Parti vert, au mouvement syndical et aux collectifs qui, dans le mouvement féministe et dans les régions, voudraient voir leurs revendications portées sur le terrain politique.

L’UFP enclenchera une grande campagne de promotion et de recrutement dans les semaines à venir. Elle fera l’évaluation de ses effectifs en vue de sa participation à la prochaine campagne électorale.

Elle établira un plan de travail non seulement comme parti électoral mais aussi comme parti de la rue, aux côtés de ceux et celles qui luttent au quotidien pour un monde plus juste et équitable.

Et ce n’est qu’une étape dans le processus. Nous avons maintenant la responsabilité de poursuivre jusqu’au bout le projet de l’unité des progressistes du Québec.

La plate-forme

Outre la résolution sur la question nationale, la plate-forme de l’UFP se dessine en douze points résumés ici 0

1. Non à la mondialisation néolibérale et oui à la solidarité internationale ;

2. Lutte à la pauvreté, pour le logement social et pour une économie alternative ;

3. Pour la protection de l’environnement et une agriculture à dimension humaine, respectueuse de notre santé, de l’environnement et de la vie ;

4. L’instauration d’un mode de scrutin proportionnel avec parité hommes–femmes ;

5. Un réinvestissement massif et immédiat pour des services publics et des programmes sociaux dont des systèmes de santé, d’éducation laïque et de garderie totalement gratuits, universels et publics et arrêt de tous les projets de privatisation dans le domaine de la santé ;

6. Une véritable équité salariale et une réponse satisfaisante du gouvernement du Québec à toutes les demandes formulées par la Coalition nationale des femmes pour l’élimination de la pauvreté et de la violence faite aux femmes lors de la Marche des femmes ;

7. La réduction du temps de travail, des mesures facilitant l’accès à la syndicalisation, le rehaussement des normes minimales du travail, des protections accrues contre les licenciements et les lock-out ;

8. Le soutien accru et efficace au développement économique des régions et la mise en place de structures électives favorisant la maîtrise politique et économique des communautés sur leur propre développement ;

9. La reconnaissance du droit à la libre autodétermination des nations autochtones et une alliance de nation à nation sur la base de traités égaux et réciproquement avantageux ;

10. La révision à la hausse de la taxation sur le capital, les profits et les biens de luxe et l’abolition des paradis fiscaux et un rééquilibrage des revenus fiscaux entre les individus et les entreprises ;

11. Que le Québec soit une terre d’accueil pour les réfugiés politiques et qu’il améliore les politiques d’intégration pour les nouveaux arrivants, notamment par des cours de français de qualité ;

12. Le droit à l’autodétermination des peuples, la sortie de l’Otan et de Norad, l’opposition à tout embargo économique ou opération militaire menées par les États-Unis.

La question nationale

La résolution sur la question nationale affirme clairement que «celle-ci est liée à l’émancipation sociale » et que « l’indépendance n’est pas une fin en soi pour ceux et celles qui en font la promotion, mais un moyen pour réaliser notre projet de société ». Ainsi, l’UFP propose l’indépendance nationale en favorisant l’émancipation sociale, l’équité et la justice sociale pour tous. L’UFP est en faveur de la tenue d’une assemblée constituante chargée de rédiger et de proposer au peuple, par référendum, une constitution pour un Québec progressiste, républicain et démocratique. L’UFP appuie une conception moderne de la nation, définie comme étant la communauté humaine vivant au Québec, ayant le français comme langue officielle de communication dans les institutions et au travail, partageant un ensemble de lois et de conventions sociales, et riche de sa diversité culturelle. Par ailleurs, l’UFP reconnaît le droit à l’autodétermination des peuples aborigènes jusqu’à et y compris leur indépendance.

Les statuts

Les statuts de l’UFP prévoient un nombre au moins égal de sièges aux femmes sur le Conseil exécutif national de douze membres, une structure fédérative permettant d’accueillir des organisations sociales et politiques en plus des membres individuels et un Conseil de l’Union, instance décisionnelle, entre les congrès, composé de délégués des circonscriptions, des régions et des organisations.

La direction du parti n’a rien à voir avec la chefferie des partis de droite qui concentre tous les pouvoirs entre les mains d’une personne. Elle est composée d’un président, de deux vice-présidents agissant à titre de porte-parole (un homme et une femme) et d’une secrétaire générale qui assure la coordination et les fonctions de chef en vertu de la loi électorale.

Le congrès de l’UFP a convoqué un congrès d’orientation dans six mois pour entre autres réviser la plate-forme et les statuts et pour faire le point avant les élections générales.

* Pierre Dostie est vice-président/porte-parole de l’Union des forces progressistes. Pour rejoindre l’UFP 0 (514)278-9014.|211| 
884|Parizeau, l’indépendantiste des péquistes|Michel Lapierre| Vers 1958, à l’École des hautes études commerciales, avenue Viger, François-Albert Angers présente à Jacques Parizeau, encore fédéraliste, un curieux personnage venu de France. « Écoutez, votre bureau est très grand, on va coller deux bureaux face à face et ce monsieur travaillera avec vous quelque temps. » Ce monsieur, c’était Philippe Rossillon.

Le 1er juin 1958, le général de Gaulle est investi chef du gouvernement français. Dès l’année suivante, le diplomate Bernard Dorin, alors attaché à l’ambassade de France à Ottawa, a une rencontre importante à Paris avec l’énigmatique Rossillon. De cette rencontre, révèlera Dorin en 1997, « est sortie la détermination commune de consacrer l’essentiel de notre vie publique au fait français en Amérique du Nord, et plus particulièrement, à l’émancipation politique du Québec ». Sous l’œil bienveillant du Général, cela va sans dire.

En 1968, le nouveau premier ministre du Canada ne peut contenir sa rage. Convaincu que Rossillon fait plus que distribuer des albums Astérix aux enfants, Pierre Elliott Trudeau accuse publiquement le Gaulois d’être un espion.

Le relais de Bourgault

Même si Rossillon ne jouit pas de la faculté d’être, comme le chevalier d’Éon, tantôt un homme, tantôt une femme, le métier qu’il pratique fascine Parizeau. Rossillon n’a exercé sur l’économiste québécois aucune influence directe. Mais son exemple ne peut que conforter Parizeau dans la ferme croyance en la nécessité des opérations secrètes. Après tout, l’activité secrète, n’est-ce pas le propre des grands de ce monde ?

C’est Alice Parizeau, fille d’un capitaine de l’armée clandestine polonaise durant la Seconde Guerre mondiale, qui influence le plus son mari dans ce domaine. «Elle voyait des complots partout», au dire du syndicaliste Marcel Pepin. Dans le tome ii de son indispensable biographie de Jacques Parizeau, Pierre Duchesne consacre un chapitre entier au « réseau Parizeau ». Usant de tous ses talents d’enquêteur, Duchesne révèle qu’au début des années soixante-dix le chevalier d’Éon au service du « baron » péquiste n’était nulle autre qu’une vraie femme. Il s’agissait de Loraine Lagacé, maîtresse, à l’époque, de Pierre de Bané, député libéral aux Communes.

En avril 1972, grâce à l’officier indépendantiste René-Marcel Sauvé, le réseau Parizeau mettait la main sur un document fédéral ultrasecret, Neat Pitch, plan d’invasion et d’occupation militaires du Québec. Mais Parizeau ignorait, à ce moment-là, que le futur ministre péquiste Claude Morin collaborait depuis longtemps avec les services secrets de la Gendarmerie royale du Canada. Quand Loraine Lagacé, devenue directrice du bureau du gouvernement québécois à Ottawa, découvre le pot aux roses en 1981, elle en parle à René Lévesque. Le premier ministre et son entourage se gardent bien de mettre Parizeau au courant de l’affaire, de crainte qu’il ne fasse une terrible colère.

Tous ces faits sortent certes de l’ordinaire, mais le plus extraordinaire dans l’histoire des dessous du Parti québécois, c’est la constance politique de Jacques Parizeau. Et c’est Claude Morin, son ennemi juré parmi les péquistes, qui en a le mieux saisi le sens. Parizeau, dit Morin en 1999, « a pris le relais de Bourgault ». «En somme, il y a, explique-t-il, un courant RIN dans le PQ qui a toujours été minoritaire, c’est évident, et c’est Parizeau qui le représente. Son discours est un discours riniste. » À propos de «l’aile riniste » du PQ, Morin apportera même, en 2000, cette précision féroce 0 « Ça n’a jamais été nettoyé. »

L’argent n’a pas d’odeur coloniale

Parizeau était résolument contre l’idée d’un référendum. À ses yeux, l’Assemblée nationale, expression de la souveraineté populaire selon les principes du parlementarisme britannique, a le pouvoir légitime de proclamer l’indépendance du Québec. Son raisonnement est limpide. Il ne faut pas être plus anglais que les Anglais. Ni la Conquête, ni l’Union, ni la Confédération, que les Anglais ont toujours considérées comme légitimes, ne se sont faites à la suite d’un référendum. C’est pourtant la thèse de Morin sur la nécessité du référendum, où colonisés et colonialistes voteraient sur un pied d’égalité, qui obtient l’assentiment de Lévesque. Le premier ministre souhaite donner aux Anglais et au reste du monde une leçon d’héroïsme démocratique. Admirateur fidèle et sincère de Lévesque, Parizeau s’incline.

Ce qui ne l’empêche pas, par la suite, de s’opposer à ce que la souveraineté s’accompagne nécessairement d’une offre d’association économique avec le Canada. Dans son esprit, il n’y pas de raison pour que le Canada compte davantage, en tant que partenaire économique du Québec, que le nord-est des États-Unis. Pour Parizeau, l’argent n’a pas d’odeur coloniale. Mais Morin pense évidemment le contraire. Selon lui, la souveraineté et l’association forment un concept indivisible. Comme Lévesque se montre fidèle à l’idée de Morin, Parizeau doit plier une fois de plus.

Vous avez dit complexe d’infériorité économique ?

Mais, en 1984, quelques années après l’échec du référendum sur la souveraineté-association, lorsque Lévesque prend le «beau risque » de s’entendre avec Brian Mulroney, premier ministre conservateur du Canada, pour renouveler le fédéralisme en le faisant mieux correspondre aux aspirations du Québec, Parizeau ne suit plus. C’en est trop. Il y a un i de trop. « Cet État-nation, déclare Lévesque, que nous croyions si proche et totalement indispensable… » Parizeau lui demande par deux fois 0 « Est-ce croyions ou croyons ? » Lévesque répond avec insistance 0 « Il s’agit de croyions avec un i. » Jugeant cet imparfait intolérable, Parizeau démissionne et le Parti québécois se déchire.

Après les démissions successives de Lévesque et de son successeur Pierre-Marc Johnson, Parizeau prend le parti en main et efface le i de la résignation. Si Parizeau n’avait pas effacé ce i, il n’y aurait jamais eu de référendum sur la souveraineté en 1995 et nous n’aurions jamais été à un cheveu de la victoire. Mais Lucien Bouchard a fait de ce cheveu un nouveau i, combien plus extraordinaire que celui de Lévesque0 le i de l’impuissance atavique. Et ce terrible i colle aujourd’hui à la peau de Bernard Landry.

Comme Pierre Duchesne le montre avec éloquence, Parizeau a consacré sa vie à tenter de guérir les Québécois du profond complexe de l’infériorité économique. Grâce à lui, le gouvernement québécois a emprunté aux banquiers européens et japonais afin de réduire sa dépendance envers les banquiers américains et canadiens-anglais. Parizeau a été jusqu’à retirer à l’arrogante société canadienne-anglaise A. E. Ames & Co. la mainmise qu’elle avait sur la vente des obligations du Québec, provoquant ainsi la chute de cette entreprise.

Grâce à la Caisse de dépôt et placement et au Régime d’épargne-actions, il a suscité la naissance de grandes sociétés québécoises cotées en Bourse. Plusieurs des plus riches familles du Québec lui doivent en grande partie leur fortune. Le véritable créateur de Québec Inc., c’est Parizeau. Sentant son existence menacée, ce Québec Inc. s’est d’ailleurs rangé à ses côtés, en 1983, pour empêcher Pierre Elliott Trudeau et le Canada anglais de réduire la puissance de la Caisse de dépôt. Et que dire du fédéraliste viscéral Paul Desmarais qui sollicitait et obtenait alors l’aide de Lévesque et de Parizeau pour tenter de s’emparer du Canadien Pacifique ?

Péladeau pogne la chienne

Mais il y a l’argent et la mystique de l’argent. Si riches soient-ils, nos capitalistes ont encore l’originalité de ne pas se sentir chez eux. Ils se voient comme d’heureux intrus dans un univers capitaliste de tradition anglo-saxonne qu’eux-mêmes ont peine à définir. Lors de la campagne référendaire de 1995, Pierre Péladeau, le seul de nos grands capitalistes qui ait été ouvertement indépendantiste, avait promis de se prononcer en faveur de la souveraineté dans un message télévisé officiel du camp du oui. Il s’est désisté à la dernière minute. Dans ces conditions, comment pouvait-on espérer quelque chose de mieux de la part de l’ensemble de la population ?

La mystique de l’argent a ses raisons. À cause du complexe d’infériorité des riches et des moins riches, Lévesque, comme le dit Parizeau, était resté souverainiste « dans ses rêves » et « par désespoir ». Jacques Parizeau, lui, se sera lancé à corps perdu sur la voie du réalisme et de l’espoir pour empêcher l’histoire du Québec de devenir l’histoire de la peur de nous-mêmes.

Pierre Duchesne, Jacques Parizeau, t. II, Québec Amérique, 2002.|211| 
885|Le sport de Duplessis|Michel Lapierre|

Livre



N’en déplaise à son neveu Jacques Godbout, il est trop beau de croire qu’en accordant le droit de vote aux femmes et qu’en rendant l’instruction obligatoire, le libéral Adélard Godbout se montrait l’héritier du progressisme de Papineau et l’annonciateur de la Révolution tranquille. Ce premier ministre ne faisait que suivre les Anglais sans avoir une réelle vision de l’avenir. En ébauchant timidement la nationalisation de l’électricité, Godbout ne devançait pas Lévesque, il agissait en pur politicien pour avoir l’air de couper l’herbe sous le pied de Duplessis.

La politique était un sport, un sport pas très propre. Maurice Duplessis en était le champion incontesté. Voilà pourquoi on le blâme plus que les autres.

La lutte de Duplessis pour l’autonomie provinciale et la création par son gouvernement de l’impôt québécois sur le revenu des particuliers passent objectivement pour de grandes choses, et elles le sont comme l’étaient les initiatives de Godbout. Elles sont mêmes plus courageuses que les prouesses libérales. Mais subjectivement, c’est une autre paire de manches. La subjectivité déterminait la politique du Cheuf. Ce qui intéressait Duplessis, c’était moins le Québec que le pouvoir de Duplessis. Gagner et gagner encore ! Pourquoi ? Pour rien. Gagner pour gagner. Comme son idole Joe DiMaggio des Yankees de New York. Payer une partie du tombeau du frère André, fumer le cigare avec les capitalistes anglo-saxons, hisser le fleurdelisé à la place de l’Union Jack. Ça, c’est du sport !

Maurice Duplessis, Marguerite Paulin, XYZ, 2002|211| 
886|En toute chrétienceté|Jean-Claude Germain| Depuis un bon moment déjà, le cabinet Landry semble atteint d’une profonde mélancolie, une rêverie désenchantée qui n’est que de la ferveur retombée. L’ennui que distille un gouvernement le tue encore plus sûrement que l’incurie, la gabegie ou l’ineptie.

Lorsqu’un parti politique a progressivement perdu tout contact avec les préoccupations réelles de la population, il lui reste toujours un dernier lapin à tirer de son chapeau pour se maintenir au pouvoir 0 divertir la populace.

C’est ce à quoi Jean Chrétien s’applique inlassablement avec un brio qui dépasse de loin le plus grand talent à cet égard qu’on prêtait jadis à Maurice Duplessis. En politique, il y a toujours des gens qui pleurent et ils seront perçus comme des pleurnichards, convient le premier ministre du Canada. Mais j’aimerais bien les connaître pour leur mettre un peu d’épine dorsale dans le dos.

Le Picasso de la bourde

J’ai pris conscience de l’ampleur du génie créateur de Jean Chrétien, il y a de ça quelques années, alors que je tenais la barre de Faut voir ça, une émission hebdomadaire où je commentais un choix d’extraits tirés de diverses émissions de télévision qui avaient été présentées sur les ondes de Radio-Canada dans le courant de la semaine.

Suis-je le seul dans les alentours à avoir une moitié de cerveau? se demandait Jean Chrétien qui ne nous a jamais laissés tomber. Tous les dimanches soirs, on présentait deux de ses nouvelles bourdes sur un choix hebdomadaires de trois ou quatre. C’est une moyenne au bâton insurpassée et insurpassable. On peut véritablement parler d’un Picasso de la bourde ou d’un Edouard Lock de la calembredaine. Qui d’autre que notre Ti-Jean aurait pu s’exclamer devant la Muraille de Chine 0 Voilà un fantastique programme d’infrastructure qui a créé beaucoup d’emplois sur une très longue période.

Le grand Sceau du petit sot

Voilà une distinction qui n’a rien de distingué, disait monsieur Duplessis qui affectionnait le calembour lourd ou léger, l’esprit de bottine, la saillie populacière et la pique bête et méchante. Observant le sous-secrétaire, Jean Bruchési, qui s’avançait avec le Grand Sceau de la Province lors d’une assermentation, il laisse échapper d’une voix assez forte pour que tous l’entendent 0 C’est le petit sot qui porte le grand Sceau.

Bruchési n’était pas la seule victime des mots d’esprit du Cheuf. Chaque fois que le greffier du Conseil législatif rencontrait le premier ministre ce dernier lui offrait un cigare en lui servant la même blague. Tiens, fume, ça me donnera au moins le plaisir de te voir sortir quelque chose de la tête. À chaque nouvelle victoire de l’Union nationale, Maurice Duplessis se réjouissait de la réélection de Georges-Émile Lapalme. C’est le meilleur chef d’opposition que je puisse souhaiter, il a tout ce que ça prend pour le rester toute sa vie.

Le Jackson Pollock du pataquès

Jean Chrétien est un champion du malapropisme qui est l’utilisation de mots savants déformés ou utilisés de façon inopportune. La géographie n’est plus ce qu’elle était, lance-t-il avec une assurance déconcertante. La géographie a disparu dans le monde nouveau.

Le p’tit gars de Shawinigan ne se soucie pas plus d’être hors propos qu’en Chambre il ne se préoccupe d’être hors d’ordre. Il manie le pataquès comme d’autres la patarafe et c’est beau comme un tableau de Jackson Pollock lorsqu’il tente d’expliquer le libre-échange en balbutiant que c’est une stratégie perdante et un «approvisme »… « approvissionnant »… « approvisse »… « appourvissement » culturel pour tout le Canada.

Le combat permanent que Jean Chrétien mène contre les mots pourrait être pathétique, mais le Shawiniganais a élevé la pratique de l’à-peu-près, de l’équivoque et du coq-à-l’âne au niveau d’un art olympien ou d’un sport olympique. Sans oublier toutes ces autres disciplines éjaculatoires que sont le lapsus pavlovien, le barbarisme bilingue, le solécisme, le contresens, le faux sens, l’erreur simple, l’inexactitude composée, l’impropriété de terme, le quiproquo à tiroir et l’errata bouffe.

Le credo du Canadien moyen

Sans gêne ni pudeur, Jean Chrétien ne voit pas son franc parler comme un avatar du dictionnaire des difficultés de la langue française mais comme un diamant brut de l’art naïf. J’aurais pu devenir un snob et parler à la française, mais je ne le voulais pas, nous rappelle-t-il dans sa biographie. Vous savez, je ne fais pas semblant pour personne. C’est facile de mettre un peu de mascara sur un corps. Mais moi, je veux que les gens sachent qui je suis.

Et qui est-il ? La réponse lui vient naturellement dans la langue de sa seconde vérité. Le fait de bien parler anglais n’est pas un problème, confessait-il un jour dans The Gazette. Peut-être que c’est idiot de ma part, mais le plus que je fais d’erreurs en anglais, le plus que je me sens comme le Canadien moyen.

Doit-on s’étonner du laxisme dont le premier ministre fait preuve en matière d’éthique ? Seulement si on ne l’a jamais entendu parler. Personne plus que lui ne peut mieux comprendre les fautes de conduites. Écoutez, vous devez avoir un peu de flexibilité. Il arrive que l’on ne peut pas tout livrer parce que les actions de Dieu interviennent dans l’administration et aucun politicien ne peut voir tout ce qui se passe.

Et encore moins se scandaliser pour un faux pas, un écart, une fredaine, une faiblesse, un travers, une inconvenance, une incongruité ou une maladresse. Et Jean Chrétien sait de quoi il parle. Y’a p’us de place sur mon corps public… euh… sur mon corps politique pour d’autres cicatrices.

Que sait la bouteille du message qu’elle contient ?

Ambidextre du pataquès, le Premier est tout aussi cohérent en anglais qu’en français dans son incohérence. Sans parler de son talent rare pour le cliché, le lieu commun, l’idée reçue et le gros bon sens. Les banques ne sont pas meilleures si elles sont grosses. C’est comme si moi je pesais 350 livres, je ne serais pas nécessairement un meilleur premier ministre.

On se demande parfois si, derrière tous ces lapsus à répétition, il n’y a pas un autre homme en Jean Chrétien qui cherche désespérément à nous communiquer quelque chose. Mais quoi ? Le Jean Chrétien que nous connaissons est comme la bouteille qu’on lance à la mer, il ignore tout du message qu’il porte.

Comme clown, le Shawiniganais est l’envers de Sol. En fait, c’est une sorte d’Oliver Hardy sans grâce, bête et mal dégrossi. Le Canada est à un point tournant de son histoire, déclarait-il en 1963 avec une lucidité prémonitoire. Et ce n’est pas le temps d’envoyer des bouffons à la Chambre des communes pour représenter les Canadiens français.

La seule leçon qu’il a retenue de son maître en pitreries politiques, Pierre Elliott Trudeau, c’est l’arrogance. J’ai travaillé pendant trente ans pour Trudeau et il ne croit toujours pas que je suis premier ministre.

C’est bien la première fois que je suis sur la même longueur que le Pet. Il faut se pincer pour croire que Jean Chrétien est premier ministre. Et deux fois plutôt qu’une même lorsqu’il se fait rassurant. Faudrait arrêter d’avoir peur d’avoir peur. Il n’y a pas de danger avec les produits transgéniques. Regardez-moi… j’en mange!

Toute ces citations sont tirées de ce qu’on peut considérer comme le testament politique de Jean Chrétien, l’opus maximus colligé par Pascal Beausoleil, Les Chrétienneries, tomes i et ii, publiés chez les Intouchables, Montréal, 2000-2001.|211| 
887|Québec–Palestine, solidarité !|Patrick L’amoureux| C’est attroupées par centaines au carré Saint-Louis, ce samedi 8 juin, que les gens répondaient à l’initiative de la Coalition pour la justice et la paix en Palestine. Vers les 14 h, la marche s’est engagée tout en slogans sur la rue Saint-Denis, puis sur le boulevard Saint-Laurent, où l’on criait une fois de plus 0 « Sharon terrorisse, George Bush son complice ! »

Rezeq Faraj, porte-parole de la Coalition qui regroupe quelque 37 organisations, dénonçait entre autres choses la complicité par le silence du gouvernement canadien. Cette inertie est de moins en moins acceptable et nous renvoie l’image d’un Parlement qui ressemble de plus en plus à une simple succursale de la Maison blanche.

L’action citoyenne avait aussi pour but de critiquer la position défendue devant la Commission des droits humains des Nations unies par le Canada, celui-ci ayant voté contre l’envoi d’une mission d’observation et contre une résolution visant à condamner la politique d’Israël envers la Palestine.

La marche avait pour point d’arrivée le parc Jeanne-Mance où l’atmosphère était pluvieuse mais animée. Sur une scène, différents artistes et différentes personnalités ont chanté, récité et discouru sur le problème 0 Paul Chamberland, Raymond Lévesque et sa fille Marie-Marine, Myra Cree, Karen Young et naturellement Luck Mervil.

Entre Le cœur est un oiseau et Quand les hommes vivront d’amour, j’ai pu rencontrer l’artiste visuel Armand Vaillancourt, qui s’indignait de l’éveil très modeste de la société québécoise à cette épineuse question 0 « Y’est pas trop tôt, faut être plus actif car il y a beaucoup à craindre de cette répression, de Sharon et même de son successeur!»

Pour sa part, l’homme de toutes les causes, Luck Mervil, déplorait la gestion d’un tel conflit. Étant donné l’ampleur titanesque des puissances militaires en cause, il trouve absurde et catastrophique le recours à la violence.

David Kalant, de l’Alliance Juive contre l’occupation, réclame pour sa part le retrait d’Israël des territoires palestiniens et trouve déplorable l’incohérence qui sous-tend les volontés divergeantes de Jean Chrétien et du ministre des Affaires étrangères, Bill Graham.

À son côté, M. Faraj s’indignait de la brutalité de l’occupation et rappelait que ceux qui trouvent encore la force de résister sont nommés terroristes. Étaient aussi présents sur les lieux, mais plus silencieuces, la présidente de l’Assemblée nationale, Louise Harel, ainsi que deux députés bloquistes, Christiane Gagnon et Réal Ménard.|211| 
888|¡ Arriba Uribe !|André Maltais| Bien qu’à peine 24 % des Colombiens aient voté en sa faveur, le candidat indépendant d’extrême-droite et va-t-en-guerre Álvaro Uribe a été facilement élu à la présidence de la Colombie, le 26 mai dernier. C’est peut-être là tout ce qui manquait pour parachever l’état de guerre dans le pays et faire déborder la violence chez des voisins préoccupants, tels le Venezuela et le Brésil, que Washington est anxieux d’essayer de déstabiliser.

C'est avec 53 % des votes que le nouveau président et son mouvement « Colombie d’abord » ont été portés au pouvoir ce qui est au-delà des 50 % requis pour être dispensé de second tour.

Mais seulement 10 des quelques 22 millions d’électeurs colombiens ont voté, laissant le nouveau président se débattre avec un taux d’abstention phénoménal de 55 % et une proportion réelle d’électeurs ayant voté pour lui de 24 % !

La guérilla des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie) avait exhorté la population à ne pas voter en plus de saboter elle-même le fonctionnement et le matériel de quelques bureaux de votation tandis que, durant toute la campagne présidentielle, les paramilitaires de droite des AUC (Brigades d’autodéfense de Colombie) menaçaient et intimidaient des villages et communautés entières afin qu’ils votent massivement en faveur de leur candidat, Álvaro Uribe.

Celui-ci a fait de la guerre contre les guérillas son presque unique cheval de bataille de la campagne. Ex-gouverneur de la province d’Antioquia, il y avait mis sur pied une unité paramilitaire légale cyniquement appelée Convivir (vivre ensemble).

Un million de délateurs

En tant que président, il entend presque doubler le nombre déjà impressionnant de soldats professionnels et d’agents de police colombiens en plus d’établir un réseau d’un million d’informateurs civils à la solde de l’armée.

Quelques heures à peine après l’annonce de la victoire d’Álvaro Uribe, l’ambassadrice étatsunienne en Colombie, Anne Patterson, se déplaçait pour aller féliciter le vainqueur et l’assurer de la collaboration de son pays avec le nouveau gouvernement.

Le 31 mai, Otto Reich (sous-secrétaire d’État pour les affaires interaméricaines) débarquait en Colombie pour rencontrer le nouvel élu. Même si celui-ci n’occupera ses nouvelles fonctions que le 7août prochain, il a aussi rendez-vous à Washington avec le président Bush dès le 20 juin.

« Uribe est déjà dans le trouble», selon Larry Birns de l’organisme indépendant Council for Interamerican Affairs. « Reich a déjà commencé à exiger de lui des résultats concrets sur la question de la guerre contre le terrorisme ».

¡Guerillas si…paramilitaires no!

Le FMI guette aussi le nouveau président dont le pays touchera en décembre prochain la dernière tranche d’un prêt de 2,7 milliards $. Dès le 28 mai, l’organisme s’est dit prêt lui aussi à « collaborer» avec le nouveau gouvernement.

Dès son premier discours, Álvaro Uribe semblait vouloir survoler très vite l’étape des négociations avec les rebelles liant celles-ci à deux conditions dont il sait qu’elles sont impossibles à remplir par les guérilleros 0 un cessez-le-feu unilatéral à la grandeur du pays et un arrêt des kidnappings.

Surtout que ces exigences ne s’adressent pas du tout aux paramilitaires qui, eux, resteront libres de commettre les massacres qui leurs sont typiques, comme celui du 18 mai où une centaine d’entre eux, armés jusqu’aux dents, étaient débarqué dans les villages de San Juan Ite et de La Congoja, établissant des barrages routiers pour ne pas être dérangés dans leur sinistre besogne et coupant le service téléphonique, et s’étaient emparé de plusieurs paysans à partir d’une liste de noms.

Gradué de l’École du meurtre

Trois jours plus tard, l’Association des paysans de la Vallée de la rivière Cimitarra (ACVC) rapportait la mort de quinze des paysans enlevés. Dans son communiqué, l’ACVC précise que l’armée colombienne est très présente dans la région et que, malgré cinq opérations menées depuis le début de l’année, elle n’a jamais affronté ni même inquiété les paramilitaires.

Au contraire, comme s’ils n’avaient rien à craindre et tout à gagner, ceux-ci « se déplacent en permanence le long des routes où il y a des points de contrôle de l’armée ».

L’association paysanne accuse le général Martín Orlando Carreño, chef de la deuxième division de l’armée, d’être responsable des attaques paramilitaires dans la région. Carreño est un gradué de la sinistre École des Amériques où il a suivi, en 1984, un cours intitulé « Opérations conjointes – Amérique latine » et, en 1990, un autre cours intitulé «Commandement et personnel général ».

Par ailleurs, suite à l’élection du candidat préféré des paramilitaires en Colombie, plusieurs analystes latino-américains n’ont pas manqué de souligner le dangereux contraste qui prévaut désormais entre les gouvernements voisins de la Colombie et du Venezuela. Autant, souligne-t-on, l’un est militarisé, défend les valeurs de la droite et est aidé par les Étatsuniens ; autant l’autre est respectueux de la démocratie, défend les valeurs de la gauche et est détesté des mêmes Étatsuniens.

Faire monter la violence

Certains n’hésitent pas à dire que toutes les armes des militaires colombiens auraient pu annihiler les Farc depuis longtemps si Washington n’avait pas des visées dans la région qui nécessitent de «faire monter » la violence à un niveau qui lui permettrait de déborder les frontières colombiennes.

Les visées étatsuniennes consisteraient surtout à « installer après guerre » au Venezuela et au Brésil des régimes plus amicaux pour s’assurer du premier un approvisionnement en pétrole à bas prix et faire du second la puissance régionale pro-étatsunienne qu’il se refuse à devenir.

Ce contraste entre la Colombie et le Venezuela est apparu dès le troisième jour après les élections colombiennes, lorsque Bogota a accordé l’asile politique au meneur civil du coup d’État manqué contre Hugo Chávez, le dirigeant du milieu des affaires Pedro Carmona.

Président pendant deux jours

Carmona s’était réfugié à l’ambassade colombienne à Caracas, le 23 mai, après qu’un tribunal eut statué qu’il disposait d’assez de preuves pour l’accuser de rébellion, crime passible de 20 ans d’emprisonnement.

L’ex-président-du-Venezuela-pendant-deux-jours s’est vu tout de suite accorder un passeport diplomatique qui lui permettra de voyager où bon lui semble sur la planète.

Le Brésil, pour sa part, marche de plus en plus « dans la mauvaise direction » (selon le mot de la conseillère étatsunienne en matière de sécurité, Condoleezza Rice, à propos du Venezuela) puisqu’il semble en voie d’élire un gouvernement de gauche lors des élections présidentielles du 20 octobre prochain.

Au secours, la gauche arrive !

Un sondage du 15 mai dernier donnait 43 % des intentions de vote à Luiz Inácio Lula da Silva, candidat du Parti des travailleurs contre seulement 17 % à son plus proche rival, Jose Serra du Parti social-démocrate du Brésil (au pouvoir).

Même si on est encore loin des élections, la firme de courtage new-yorkaise Goldman Sach conseillait déjà au investisseurs, au début du mois de mai, de réduire leurs avoirs au Brésil et de les transférer au Mexique parce que, «après trois essais à la présidence, Lula semble être parvenu à se gagner l’appui de la gauche modérée, ce qui apparaît suffisant pour lui procurer une victoire dès le premier tour ».

Deux autres firmes de Wall Street, Merrill Lynch et Morgan Stanley Dean Witter, commettaient aussitôt des déclarations similaires qui avaient des répercussions sur la bourse de São Paulo (baisse de 4,08 %) et sur la valeur du real qui atteignait son plus bas niveau depuis novembre 2001.

Les partisans de Lula da Silva à New York (New-yorkais pour Lula) ont réagi par une manifestation devant les bureaux de Morgan Stanley, le 10 mai. La firme de courtage n’a pas aimé ça du tout!|211| 
889|À la santé de la famille Desmarais|Pierre Dubuc|

Fin de mandat de Chrétien



Lors de sa démission « anticipée », le premier ministre Chrétien a promis de se consacrer « totalement », au cours des dix-huit prochains mois, à des politiques qui tiennent à cœur aux Canadiens. En tête de liste figure le sort qu’il réservera au rapport de la Commission Romanow sur la réforme du système de santé dont on s’attend à ce qu’elle ouvre la porte à une plus grande privatisation. Nous saurons si M. Chrétien avait en tête les intérêts de l’ensemble des Canadiens ou ceux d’une famille bien précise.

Derrière le débat sur la santé se cachent des intérêts obscurs dont ceux des compagnies d’assurance. Ainsi, au cours des dix dernières années, les primes payées aux assureurs privés de personnes (ce qui exclut les assurances habitation et automobile) ont presque doublé, passant de 23,6 à 44,4 milliards $. Elles ont plus que quintuplé au cours des deux dernières décennies… pour le plus grand bénéfice des compagnies d’assurances.

L’État désassure

Seulement au chapitre des assurances de personnes, les compagnies d’assurances s’accaparent 7,1 % du revenu disponible des particuliers au Canada, comparativement à 5,2 % il y a dix ans. Dix-sept millions de Canadiens ont une assurance-vie, soit deux fois plus qu’il y a dix ans.

Du côté de l’assurance-maladie, 23,5 millions de Canadiens sont couverts par une assurance complémentaire, soit presque un tiers de plus qu’il y a dix ans. Tout cela dans un pays soi-disant renommé pour son régime public d’assurance-santé !

Quand l’État privatise certains soins de santé, les compagnies d’assurances rappliquent immédiatement pour offrir un régime complémentaire. En fait, plus du tiers du secteur de la santé est déjà sous l’emprise d’un secteur privé en constante progression.

Les compagnies assurent…

La privatisation accélérée des soins de santé – et l’explosion parallèle des assurances privées – découle de la réduction des budgets provinciaux. Celle-ci s’explique par la diminution draconienne des transferts fédéraux aux provinces orchestrée au cours des dernières années par le tandem Chrétien–Martin à la faveur de la lutte contre le déficit – 24 milliards$ depuis 1995 – et de la campagne pour une réduction des impôts personnels menée tambour battant par les médias et la classe politique.

Qui profite de cette situation ?

Toute désassurance de soins de santé dans le secteur public amène automatiquement les compagnies d’assurances à proposer un nouveau régime complémentaire privé. Aussi, une bonne partie des réductions d’impôts servent à payer les augmentations de primes d’assurances, si bien que les compagnies d’assurances de personnes s’accaparent aujourd’hui de 7,1 % du revenu disponible des particuliers. Nous assistons à un énorme transfert de richesse collective de l’État vers le secteur privé.

Qui en bénéficie ? Des compagnies comme la Great West et la London Life, deux compagnies d’assurances parmi les plus importantes au Canada. Les deux appartiennent à Power Corporation de la famille Desmarais. À chaque trimestre, les résultats financiers de Power Corporation démontrent que les profits de ces deux entreprises sont en bonne partie responsables des bénéfices de la maison mère.

Une affaire de famille

L’an dernier, une commission d’enquête créée par le gouvernement albertain a produit un rapport prônant une plus grande privatisation des soins de santé. Le rapport a fait scandale dans l’Ouest du pays parce que la commission était présidée par l’ancien ministre conservateur Don Mazankowski, qui siégeait en même temps sur le conseil d’administration de la Great West.

Mais cette information n’a jamais été publiée dans les médias traditionnels au Québec. Par exemple, l’éditorialiste André Pratte du journal La Presse a loué les conclusions du rapport Mazankowski sans jamais mentionner que celui-ci était en flagrant conflit d’intérêt, tout comme Pratte l’était d’ailleurs lui-même.

On sait, en effet, que la famille Desmarais est propriétaire de La Presse et de tous les autres quotidiens du Québec, mis à part Le Journal de Montréal et de Québec, et Le Devoir. Aucun des journaux de Power Corporation n’a mentionné que Mazankowski était à l’emploi du patron.

Le danger est grand que le premier ministre Chrétien suive l’exemple de Mazankowski. Rappelons que sa fille a épousé un membre de la famille Desmarais.

Que ceux qui croient que l’arrivée de Paul Martin à la tête du pays changera quelque chose se détrompent. Le principal actif de Paul Martin, la Canadian Steamship Lines, dont les bateaux sont enregistrés dans des paradis fiscaux, lui a été cédé, à la fin des années soixante, par nul autre que Paul Desmarais !|212| 
890|Brèves|Pierre Dubuc| Ça ferme et on se la ferme !

Fermeture de Murdochville, de GM et de Viandes du Breton à Notre-Dame-du-Lac. Les réactions sont désolantes. À Murdochville, le conseil municipal n’a rien trouvé de mieux que de faire entériner la décision de la Noranda par un référendum ! Comme combativité, on aurait pu imaginer mieux…

À Boisbriand, la fermeture de GM n’a pas suscité beaucoup d’émoi au sein de la population. Le syndicat et les TCA ont mené une campagne de sensibilisation au cours des derniers mois dans l’ensemble du Québec, mais a-t-on bien réalisé les conséquences de cette fermeture ?

Au Saguenay, on fermera éventuellement les installations d’Alcan à Jonquière. Peut-être plus rapidement qu’on ne le croyait, avec la prise de contrôle de l’aluminerie Alouette de Baie-Comeau par Alcan avec la complicité de la Société générale de financement.

Pour remplacer les emplois perdus, on plaçait beaucoup d’espoir dans l’implantation d’usines de fabrication de pièces d’automobile dans une éventuelle « vallée de l’aluminium ». Mais avec une industrie qui fonctionne selon le principe du « just-in-time », il est difficile d’envisager des usines de pièces sans usine d’assemblage.

On comprend que le syndicat de l’aluminium ait appuyé sans réserve le syndicat de GM et ait proposé la tenue d’une grève générale symbolique de dix minutes comme moyen de pression. Mais, cette proposition est tombée à plat dans l’apathie générale.

À Notre-Dame-du-Lac, la population s’est mobilisée contre la réouverture à Rivière-du-Loup de l’usine Viandes du Breton, ravagée par un incendie. 450 emplois et la survie du village, sont en jeu. Aux dernières nouvelles, cependant, le maire Voisine annonçait qu’il jetait l’éponge, mettait fin à la mobilisation et se tournait vers les tribunaux pour récupérer 225 000 $ de la famille Breton. Des peanuts, quoi !

Chrétien signe Kyoto... pour Martin

Le premier ministre Chrétien a, semble-t-il, décidé de terminer son mandat en emmerdant au maximum son successeur potentiel, Paul Martin. À Johannesbourg, il a promis de soumettre la ratification de l’accord de Kyoto au Parlement, laissant à Paul Martin le mandat de réduire de 6 %, par rapport à 1990, les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2010.

Chrétien, quelques semaines auparavant, a annoncé sa volonté de faire passer la route transcanadienne de deux à quatre voies, partout à travers le Canada. Ce qui ne manquera pas d’augmenter la circulation automobile et l’émission de gaz à effet de serre.

Luc Lavoie à CKAC ?

Pierre-Karl Péladeau vient de se porter acquéreur de sept stations d’Astral Média, dont CKAC à Montréal et CFOM à Québec. Bien entendu, Pierre-Karl a promis d’investir pour améliorer la qualité de l’information et de préserver l’indépendance de la salle des nouvelles. Comme garantie de sa bonne foi, il pourrait nommer Luc Lavoie directeur de l’information ! Luc Lavoie, mieux connu sous le nom du « p’tit baveux », est le porte-parole de Vidéotron dans le conflit actuel.

Le 11 septembre des intellectuels québécois

Dans le numéro « automne 2002 » de la revue Possibles, Jacques Pelletier analyse les interventions des intellectuels québécois sur les attentats du 11 septembre 2001. Pelletier a recensé une centaine d’interventions dans le seul journal Le Devoir.

Il y a celles des intellectuels qu’il qualifie d’ « institués » (universitaires, animateurs de revues, etc.), celles des experts et spécialistes des questions géo-stratégiques et, enfin, celles des éditorialistes et chroniqueurs attitrés du journal.

À lire absolument pour réaliser comment nos universitaires et animateurs (Joscelyn Létourneau, Jacques Lanctôt, etc.) sont devenus des « guerriers » proétatsuniens abandonnant tout sens critique. Pelletier démasque également fort bien la pseudo « objectivité » des experts de la Chaire Raoul-Dandurand (Albert Legault, Charles-Philippe David).

« Les prétentions vertueuses d’indépendance et de neutralité, écrit Pelletier, servent de paravent à une politique effective de démission face à la domination impériale que le langage aseptisé de l’expert ne parvient pas à masquer totalement. »|212| 
891|Les femmes ont été trompées|Abby Lippman|

Hormonothérapie



La presque totalité d’un essai clinique très publicisé aux États-Unis, au cours duquel on a administré à des femmes en bonne santé un traitement hormonal censé les protéger d’un ensemble de maladies, a été abruptement interrompu, début juillet, lorsque des données ont démontré que la médication testée était dangereuse plutôt que préventive.

Depuis longtemps, et sans recherches solides, l’industrie pharmaceutique a pris ses désirs pour des réalités scientifiques en présentant de façon racoleuse l’hormonothérapie substitutive (HTS) comme une « arme miracle » capable de prévenir les maladies cardiaques de millions de femmes.

Un remède contre-productif

Mais il semble que l’HTS ait plutôt causé ces maladies chez les femmes préalablement en bonne santé s’étant portées volontaires pour cette Initiative pour la santé des femmes – Women’s Health Initiative (WHI) en anglais –, réalisée aux État-Unis.

Et pour tourner davantage le fer dans la « plaie » causée par cette « arme miracle », on a trouvé des preuves que l’hormonothérapie accroît aussi les risques de développement de cancers du sein, d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) et de thromboses.

C’est payer bien cher pour un éventuel soulagement des symptômes de la ménopause, surtout lorsque les femmes peuvent recourir à d’autres options.

D’ailleurs, même la diminution des cas de fracture de la hanche, et de cancer du côlon et du rectum observée chez les participantes ne peut justifier une exposition aux risques inhérents à l’hormonothérapie, alors qu’un régime alimentaire et un programme activité physique régulière constituent une alternative préventive naturelle et sûre contre ces risques.

Une initiative nécessaire

Les groupes de femmes étatsuniennes peuvent s’attribuer le mérite d’avoir lancé le programme d’Initiative pour la santé des femmes. À titre de rappel, ce programme comprend plusieurs études scientifiques, commencées en 1991 et devant s’échelonner sur quinze ans, dont le but est d’explorer des moyens – pharmaceutiques pour la plupart – de prévenir les maladies du cœur, le cancer du colon et du rectum, le cancer du sein et l’ostéoporose, chez des femmes en bonne santé.

Les groupes de défense pour la santé des femmes, inquiets de la médicalisation croissante de la vie des femmes et de la tendance des médecins à promouvoir les «pilules préventives » de tout, des bouffées de chaleur aux trous de mémoire, sans être sûrs de l’innocuité de celles-ci, ont exercé des pressions sur le gouvernement étatsunien afin que celui-ci finance le programme.

Ces groupes étaient convaincus que seule une étude financée par le gouvernement fédéral permettrait d’obtenir des informations qui ne fussent pas biaisées par l’intérêt des compagnies pharmaceutiques. Ainsi, ils ont réussi à démontrer que les femmes ont besoin de ce type d’information pour faire des choix éclairés quant à leur santé.

Sans l’intervention simultanée du Réseau pour la santé des femmes des États-Unis et d’autres organismes, des millions de femmes recevraient encore des ordonnances pour l’HTS, simplement à cause de ce qu’on a appelé «un triomphe du marketing sur la science », l’industrie pharmaceutique ayant dépensé des milliards en publicité pour convaincre le milieu médical et la population étatsunienne des effets miraculeux de ce type de thérapies.

La bonne santé se soigne-t-elle ?

Nous savons maintenant, comme plusieurs le soutenaient depuis longtemps, que l’hormonothérapie ne constitue pas une panacée. Pas même une aide limitée, sauf pour les femmes qui souffrent de symptômes insupportables à la ménopause.

Mais au-delà d’un message clair et direct donné par les résultats de l’étude – ne pas utiliser d’œstrogènes et de progestérone pour combattre les maladies chroniques –, on doit tirer une leçon plus profonde face à ce nouveau chapitre de la colonisation biomédicale de la vie des femmes 0 les pilules peuvent être dangereuses pour les gens en bonne santé !

Et la publicité des compagnies pharmaceutiques, ainsi que leurs autres activités de marketing, constituent une menace sérieuse, potentiellement mortelle, pour la santé et le bien-être.

Les marchés s’inquiètent

Comme on aurait pu s’y attendre, le marché boursier a répondu encore plus rapidement que les médecins aux résultats de l’étude. Quelques heures après son interruption, la valeur de l’action de Wyeth, la compagnie fabriquant le médicament utilisé dans le cadre de l’étude – un médicament qui avait rapporté plus de deux milliards $ de ventes en 2001 – a chuté de 19 %.

Mais comme on pouvait s’y attendre aussi, les dirigeants et les responsables des relations publiques de la compagnie ont immédiatement accouru à la rescousse, arguant que d’autres médicaments compenseraient les pertes de profit de la corporation 0 ce n’est après tout que la combinaison d’œstrogènes et de progestérone qui est mise en cause, mais il reste encore à étudier l’effet des œstrogènes seuls !

Et sans doute d’autres possibilités, qui nous protégeront – en particulier les femmes âgées – de tous les maux dont nous sommes victimes.

Le chant de sirène de l’industrie pharmaceutique

Toutefois, avant de courir à la pharmacie, avant de succomber au chant de sirène de l’industrie et de contribuer, une fois de plus, à l’escalade du prix des médicaments, nous devons prendre le temps d’étudier les autres leçons données par l’interruption de cette étude.

La plus importante est que la prescription de pilules à tort et à travers rapporte des millions aux compagnies pharmaceutiques, mais constitue une médecine dangereuse pour le reste d’entre nous – en plus de faire grimper le prix des médicaments pour tout le monde.

Les femmes sont mal informées, trompées, manipulées par une publicité qui les définit comme étant « à risque » et donc nécessitant des interventions.

Leurs médecins et même la communauté médicale ne sont pas exemptes du contrôle exercé par les compagnies pharmaceutiques sur le contenu des recherches, des revues médicales, des programmes d’éducation permanente, des conférences professionnelles.

Les études subventionnées par les compagnies pharmaceutiques ont pour objectif de découvrir des médicaments qui seront rentables pour les compagnies. Leur publicité et leur marketing ont pour but, non pas d’éduquer, mais de vendre des médicaments aux patients et aux médecins !

Sinon, pourquoi auraient-elles investi plus de 16 milliards $ US l’année dernière pour nous influencer afin que nous utilisions leurs produits ?

En finir avec les médicaments miracles

Il est temps d’en finir avec le mirage des médicaments miracles et des pilules préventives. Nous devons exiger qu’aucun médicament ne soit prescrit à une personne en bonne santé avant que son efficacité et sa sûreté n’aient été testées rigoureusement par des études indépendantes.

Nous devons exiger que le principe de précaution soit fermement appliqué dans l’élaboration de nos politiques concernant la santé et l’environnement.

Et nous devons nous assurer que ce ne sont pas les compagnies pharmaceutiques qui définissent l’ordre du jour dans le domaine de la santé, que des ressources communautaires soient accessibles pour permettre aux femmes – et aux hommes, et aux enfants – de bien se nourrir, de travailler dans des conditions sécuritaires, de faire de l’exercice et d’autres activités physiques, ainsi que de faire l’expérience d’une vie sociale enrichissante. Voilà une posologie éprouvée pour promouvoir la santé et prévenir les maladies !|212| 
892|Année de la militarisation de la globalisation|Jacques B. Gélinas|

2001



2001 marque un tournant dans la géopolitique mondiale. Le capitalisme global, secoué par l’onde de choc du 11 septembre, rongé de l’intérieur par la cupidité et importuné par la montée de la contestation, a ressenti un pressant besoin, non pas de se réformer, mais de faire appel à l’appareil militaire pour assurer sa protection et sa progression. C’est la militarisation de la globalisation dont les États-Unis ont résolument pris le leadership. Quatre dates emblématiques jalonnent ce changement de cap.

11 septembre — Attentat terroriste contre le World Trade Center et le Pentagone

La jalousie furibonde d’un groupe de desperados a frappé deux des symboles les plus puissants de la capitale de la globalisation triomphante. Ce coup d’éclat d’une extrême perversité, en s’attaquant brutalement à la richesse d’un monde privilégié, a fait apparaître au grand jour l’insoutenable iniquité d’un système qui appauvrit impitoyablement les plus pauvres et enrichi scandaleusement les plus riches.

Le président George W. Bush a fait preuve d’une rare perspicacité dans son analyse à chaud de l’événement 0 « Ils sont jaloux de notre réussite », avait-il lancé. En effet, la civilisation de la technologie et de l’individualisme mercantile est trop fragile pour s’entourer d’un océan de gens en colère.

7 octobre — Début de la guerre sans fin contre le terrorisme

Le pays le plus puissant du monde déploie son formidable arsenal militaire contre l’un des pays les plus désemparés du globe, l’Afghanistan. Et les dirigeants étatsuniens avertissent qu’ils porteront cette guerre dans tous les pays qui abritent des terroristes, c’est-à-dire dans toutes les régions sous-développées où les élites cossues ont dissocié leur destin de celui de leurs malheureux peuples.

Dans les pays riches, les nouvelles lois antiterroriste, votées à la sauvette, serviront à réprimer la contestation montante de la société civile.

Cette campagne d’abord annoncée comme une « croisade », puis comme une « guerre sans fin contre la terreur », vise en somme tous les opposants à la globalisation. Elle vient encadrer militairement un système que ses excès ont rendu exécrable, donc vulnérable. Le discours ne suffit plus à assurer l’adhésion des masses. Les globalisateurs ont recours aux armes.

2 décembre — Implosion de la transnationale étatsunienne Enron

La transnationale Enron s’effondre, emportée par la cupidité de ses dirigeants. Ceux-ci, agissant en complicité avec les plus prestigieuses banques d’affaires et l’une des plus grandes firmes de vérification comptable, ont effectué à leur profit des malversations financières qui ont ruiné la compagnie et dévalisé ses petits salariés. Tout cela en connivence avec la classe politique et les gardiens du temple de la Bourse.

D’Enron à Worldcom, les scandales à répétition qui ébranlent les méga-entreprises ont tous la même racine 0 l’ambition incontrôlée de la global power élite d’accaparer toujours plus et toujours plus vite. Le mot d’ordre 0 « Get rich quick! » L’économiste Paul Krugman a écrit que « le scandale d’Enron, plus que le 11 septembre, constituera une date charnière dans l’histoire de l’Amérique ». En effet, le 2décembre a mis à jour ce mal inhérent au capitalisme global 0 « infectious greed », comme l’a si bien nommé le président de la US Federal Reserve, Alan Greenspan.

20 décembre — Crise du modèle néolibéral et soulèvement populaire en Argentine

En Argentine, un mouvement populaire au-dessus de tous les partis et de toutes les catégories force la démission en cascade de trois présidents indignes. La population en colère, armée de casseroles, rejette en bloc la classe politico-économique qui, en embrassant servilement les dogmes du néolibéralisme, a conduit le pays à la ruine.

L’Argentine en faillite, naguère une des nations les plus prospères de la planète, est la preuve grandeur nature que le FMI et la Banque mondiale, agents de la globalisation, ont engagé les pays du Tiers Monde dans une impasse.

Cette crise démontre le caractère vicieux d’une stratégie de développement fondée sur la libéralisation du commerce, l’investissement étranger incontrôlé et l’endettement extérieur. Elle place par ailleurs la société civile devant un défi inédit, celui de reconstruire un pays sur des bases nouvelles, c’est-à-dire d’inventer des formes novatrices de participation démocratique et d’auto-développement.

Une autre date, non moins significative, marque aussi ce grand tournant de l’an 2001 0 le 30 janvier, ouverture, à Porto Alegre, du premier Forum social mondial où une inquantifiable société civile, venue de tous les coins de la Terre, annonce qu’un autre monde est nécessaire et possible.

Un 11 septembre providentiel

Les auteurs intellectuels des attentats meurtriers du 11 septembre 2001 se sont révélés de bien piètres stratèges. « La règle d’or dans la guerre est de ne point faire ce que ton ennemi souhaite le plus que tu fasses », conseillait un général chinois de l’Antiquité.

À la lumière des événements qui ont suivi, il faut croire que les stratèges terroristes ignoraient cette leçon. Ils ont comblé les dirigeants des États-Unis et les compagnies transnationales (CTN), qui ont rapidement vu le moyen de tirer parti de cette épouvantable tragédie pour effectuer un repositionnement géopolitique et renforcer leur hégémonie.

Concrètement, le tandem EUA–CTN se sert avantageusement de ce nouvel ennemi planétaire, suffisamment dangereux et menaçant, pour donner réponse à sept besoins stratégiques 0

• Besoin pour les États-Unis et leurs grandes pétrolières de se tailler une place prépondérante permanente en Asie centrale, une région riche en ressources énergétiques, au carrefour du Moyen-Orient, de la Chine, de la Russie et de l’Europe ;

• Besoin de légitimer l’intervention militaire étatsunienne partout dans le Tiers Monde, intervention devenue nécessaire pour protéger les intérêts des CTN contre l’exaspération des masses appauvries, de plus en plus « jalouses » du mauvais partage des richesses de la planète ;

• Besoin d’endiguer les flux migratoires en provenance des pays pauvres dont les populations affamées par les politiques globalisatrices du FMI et trahies par leurs propres élites forcent les portes des pays riches dans l’espoir de participer au banquet ;

• Besoin d’alimenter par des contrats importants le complexe militaro-industriel en dépression depuis que l’effondrement du bloc communiste a mis un terme à la Guerre froide ;

• Besoin de justifier un regain de l’aide gouvernementale aux CTN, théoriquement opposées à toute intervention de l’État, mais qui sollicitent constamment son appui financier pour demeurer compétitives dans la jungle globalisatrice ;

•Besoin de rabattre la contestation (« suppressing dissent ») et de refouler par une législation policière, dite antiterroriste, une société civile devenue trop turbulente parce que plus consciente des effets délétères de la globalisation sur l’environnement, la démocratie et les droits sociaux ; et

•Besoin de conférer une nouvelle légitimité à l’actuelle équipe de politiciens de la Maison blanche qui a pris le pouvoir à l’automne 2000 grâce aux dollars électoraux des CTN et à un coup de pouce de la Cour suprême. J.B.G. |212| 
893|L’abolition de la primauté du droit|Michel Chossudovsky| Depuis le 11 septembre, les ressources de l’État ont été réorientées vers le financement du complexe militaro-industriel tandis que le budget alloué aux programmes sociaux fut comprimé. Les crédits de l’État ont été réaffectés et le revenu fiscal a été canalisé vers le renforcement de l’appareil policier et de la sécurité intérieure. Il en est résulté une « nouvelle légitimité » qui menace les fondements du système judiciaire tout en abolissant la « primauté du droit ». Fait ironique, dans de nombreux pays occidentaux dont les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada, ces mesures visant l’abolition de la démocratie furent adoptées par un appareil législatif élu démocratiquement.

Cette nouvelle législation n’a pas pour but de « protéger les citoyens contre le terrorisme ». Elle tend surtout à maintenir et à protéger le système du « libre marché ». Elle vise plutôt à ébranler les coalitions contre la guerre et pour la défense des libertés civiles de même qu’à contenir le mouvement antimondialisation. Avec une économie civile en chute libre, la « sécurité du territoire » et le complexe militaro-industriel constituent les nouveaux pôles de croissance de l’économie américaine.

La législation « antiterroriste »

Aux États-Unis, la loi dite « Patriot Act » criminalise les manifestations pacifiques contre la mondialisation. Ainsi, toute protestation contre le FMI ou l’OMC est tenue comme un « crime de terrorisme national ». En vertu de cette loi, le « terrorisme national » comprend toute activité susceptible « d’influencer la politique d’un gouvernement par l’intimidation ou la coercition » 0 par exemple, « une manifestation qui aurait bloqué une rue et empêché une ambulance de circuler pourrait être assimilée à du terrorisme national […] Dans l’ensemble, la nouvelle loi représente l’une des atteintes aux droits civils les plus significatives des 50 dernières années. Elle est peu susceptible d’accroître notre sécurité mais elle va à coup sûr réduire notre liberté1 ».

Aux États-Unis, la « loi antiterroriste » adoptée en vitesse par le Congrès n’émane pas du processus législatif, mais plutôt de l’establishment militaire et policier intégré à l’appareil du renseignement de la CIA. En réalité, bon nombre de ses dispositions avaient été arrêtées avant les attentats terroristes du 11 septembre, en réaction au mouvement antimondialisation.

En novembre 2001, le président George W. Bush signait un décret visant à créer des « commissions ou tribunaux militaires pour juger les présumés terroristes2 ».

« Aux termes de ce décret, les personnes des États-Unis ou d’ailleurs qui n’ont pas la citoyenneté et sont accusées d’aider le terrorisme international peuvent, à la discrétion du président, être jugées devant l’une de ces commissions. Il ne s’agit pas d’une cour martiale, laquelle offre beaucoup plus de protection […] Le procureur général Ashcroft a exprimé l’avis que les terroristes ne méritent pas de protection constitutionnelle. Ces “ tribunaux ” sont conçus pour condamner, et non pour rendre justice3. »

Des centaines de personnes ont été arrêtées aux États-Unis sous divers prétextes, dans les mois qui suivirent les attentats du 11 septembre. Des élèves du secondaire furent renvoyés pour s’être prononcés « contre la guerre », des professeurs d’université ont été remerciés ou réprimandés pour s’être opposés à la guerre 0

« Un professeur de l’Université de la Floride est devenu la première victime dans la guerre au terrorisme […] Le professeur Sami Al-Arian, qui enseigne l’informatique à la University of South Florida (USF) où il a la permanence, a fait l’objet d’une enquête du FBI, mais sans avoir été arrêté ni accusé de quelque crime que ce soit […] Le professeur a reçu des menaces de mort et il a été rapidement suspendu de ses fonctions, avec rémunération, par la rectrice de l’université, Judy Genshaft […].

« [En novembre 2001] le Conseil américain des administrateurs et anciens étudiants (ACTA) a émis un rapport sur […] le manque de patriotisme des universités et la façon d’y remédier. Le document renfermait les propos de 117 professeurs de collège et d’université ayant osé protester contre la guerre au terrorisme du président ou soulever des questions à cet égard. Dans cette “ défense de la civilisation ”, ces universitaires étaient qualifiés de “ maillon faible” de la réaction de l’Amérique à l’agression du 11 septembre4. »

L’accroissement des pouvoirs du FBI et de la CIA

La nouvelle loi ajoute aux attributions du FBI et de la CIA le droit de mettre sous écoute électronique et sous surveillance les organisations non gouvernementales, les syndicats de même que les journalistes et les intellectuels. En vertu de cette nouvelle loi, la police pourra donc espionner qui elle veut 0

« Aux termes de la nouvelle loi, les tribunaux secrets pourront accorder la permission de mettre un domicile sous écoute électronique et d’y effectuer secrètement une perquisition. Le FBI pourra placer des individus et des organisations sous écoute électronique sans se plier aux exigences de la Constitution. Les tribunaux secrets pourront permettre l’écoute des appareils téléphoniques, ordinateurs ou téléphones cellulaires qu’un suspect serait à même d’utiliser. Le courrier électronique pourra être contrôlé avant même que son destinataire en ait pris connaissance. Des milliers de conversations et de messages seront écoutés ou lus sans qu’il soit nécessaire de les relier à un suspect ou à un crime.

« La nouvelle loi renferme de nombreuses autres dispositions tendant à accroître le pouvoir d’enquête et de poursuite, notamment le recours accru à des agents d’infiltration au sein des organisations [non gouvernementales], des peines d’emprisonnement prolongé et la surveillance à perpétuité de per sonnes ayant purgé leur peine, un plus grand nombre de crimes passibles de la peine capitale et de plus longues prescriptions en matière de poursuite… […]

« [Selon la nouvelle loi] tout mouvement de contestation ou d’opposition à l’encontre des politiques gouvernementales pourrait constituer un crime de “ terrorisme national ”. [Ces mouvements émanant de la société civile] sont vaguement définis en tant qu’actes qui mettent en danger la vie humaine, enfreignent le droit criminel et “ semblent chercher à intimider ou à contraindre une population civile ” ou “ à influencer la politique d’un gouvernement par l’intimidation ou la coercition ”. […] Le mouvement de contestation de Seattle [1999] contre l’OMC correspond à cette définition. Cet ajout au code criminel n’était pas nécessaire; il existe déjà suffisamment de dispositions législatives qui font de la désobéissance civile un délit sans devoir étiqueter de terroristes ces formes de contestation ni les assortir de peines d’emprisonnement sévères. […]

« Le gouvernement américain conçoit la guerre au terrorisme comme une guerre permanente et sans frontières. Certes, le terrorisme effraie chacun de nous, mais il est également effrayant de penser que, au nom de l’antiterrorisme, notre gouvernement soit prêt à suspendre en permanence nos libertés constitutionnelles5. »

La loi canadienne reprend dans ses grandes lignes les dispositions antiterroristes américaines. Dans les deux mois qui suivirent les attentats du 11 septembre, « plus de 800 personnes au Canada sont disparues dans les dédales du système de détention canadien sans pouvoir communiquer avec leur famille ou leur avocat6 ». Et cela s’est produit avant que le Parlement canadien n’ait adopté sa loi antiterroriste 0

« Les mesures antiterroristes font bien davantage que de supprimer les libertés civiles, elles suppriment la justice. Elles nous ramènent à un système inquisitoire d’arrestations et de détentions arbitraires. Les allégations policières sommaires remplacent les dépositions. La notion de preuve est abolie. Mise en accusation équivaut à culpabilité. Le principe selon lequel quiconque est innocent tant qu’il n’a pas été reconnu coupable n’existe plus7. »

La loi canadienne contre le terrorisme

Les deux piliers fondamentaux du droit criminel en matière d'établissement de la culpabilité viennent de disparaître 0 la mens rea (ou « intention criminelle ») et l'actus reus (ou « acte coupable »). Si l'État décide qu'un acte terroriste a été commis auquel vous étiez relié ou associé de quelque façon que ce soit, vous êtes coupable, que vous ayez eu ou non l'intention de commettre cet acte ou que vous l'ayez commis ou non.

Le « droit de garder le silence » n'existe plus. Le principe de la confidentialité entre un avocat et son client n'existe plus (comme si l'on obligeait un prêtre à divulguer le secret du confessionnal). La notion d'un procès juste et du droit à une défense pleine et entière n'existe plus.

Les personnes ou organisations accusées d'être « terroristes « sont inscrites sur une liste. Qui conque est associé à une personne ou à une organisation figurant sur cette liste peut être défini par association en tant que terroriste. Par conséquent, les avocats qui défendent des personnes accusées de terrorisme risquent d'être définis eux-mêmes comme des terroristes.

Quiconque est accusé de terrorisme s'expose à voir ses biens et ses comptes bancaires saisis et confisqués. Les sanctions sont excessives et rigoureuses (il s'agit dans bien des cas de l'emprisonnement à perpétuité). Voilà certaines des horreurs prévues dans le projet de loi C–36, Loi antiterroriste du Canada8.

1. Michael Ratner. « Moving toward a police state (or have we arrived?) », Global Outlook. Vol. 1, no 1, 2002, p. 33. Aussi au Centre de recherche sur la mondialisation (CRM), www.globalresearch.ca/articles/RAT111A.html, 30novembre 2001.

2. Michael Ratner. op. cit.

3. Ibid.

4. Bill Berkovitz. Witchhunt in South Florida, Pro-Palestinian professor is First casualty of post-9/11 conservative correctness. Centre de recherche sur la mondialisation (CRM), www.globalresearch.ca/articles/BER112A.html 13 décembre 2001.

5. Ibid.

6. Cf. Constance Fogal. « Globalisation and the Destruction of the Rule of Law», Global Outlook. Vol. 1, no 1, 2002, p.36.

7. Ibid.

8. Ibid.|212| 
894|Réflexions d’un militant sur son mouvement|Gabriel Anctil|* La gauche s’essouffle. Ayant pour la première fois en vingt ans réussit à rallier autant de gens (80 000 personnes) autour d’une cause, à Québec, en avril 2001, elle subit un important déclin depuis.

Elle s’essouffle parce que les forces du marché, la répression et les médias ont prouvé sa faiblesse psychologique (de moins en moins de gens militent activement) et son manque d’imagination (tout le mouvement est concentré à organiser des manifestations).

La droite est féroce et puissante mais elle est et restera toujours en manque d’arguments pour convaincre la population lucide. C’est sa faiblesse, son talon d’Achille, la preuve de son illégitimité.

Que les économistes, les journalistes, les hommes et femmes d’affaires et ces nouveaux adéquistes expliquent donc au monde les inégalités plusieurs fois séculaires.

Pourquoi par exemple, les richesses s’accumulent-elles au Sud de notre frontière alors que la misère atteint trois milliards d’habitants qui doivent survivre avec moins de deux dollars par jour ?

Ils répondront alors que c’est la loi de la jungle 0 les gros mangent les petits à en devenir obèses comme ces millions d’éléphantesques Étatsuniens à l’appétit sans bornes.

Ensuite il y a plein de subtilités, des chiffres, des faits qui indéniablement renforcent la gauche dans sa bataille. Il n’y a qu’à lire Noam Chomsky, Jacques B. Gélinas, Léo-Paul Lauzon, Omar Aktouf, les pages du Monde diplomatique, du Couac, de l’aut’journal, ou de n’importe quel média sans but lucratif ou intéressé, pour comprendre le système 0 cette situation politique et sociale est le résultat de l’irresponsabilité, de la couardise, de l’abrutissement des générations passées, et aussi présentes, qui ont perdu le réflexe de remettre en question les choses, de critiquer, de regarder le monde comme il est.

La dure réalité nous entoure pourtant 0 même ici à Montréal ou ailleurs au Québec, dans un monde d’opulence, des gens meurent de faim, de froid, de brutalité policière. Pourtant, la révolte ne s’affirme pas.

C’est un tour de force que de s’aliéner une population qui souffre. Cette gauche de la rue qui a démoli le mur de la honte est en manque d’inspiration et tâte très mal le pouls de ces perdants modernes. Elle devra se réinventer pour rejoindre cette majorité constituée de laissés pour compte, de travailleurs, d’étudiants et d’intellectuels.

La déconfiture des muscles

Qui a déjà cru sérieusement qu’une manifestation rassemblant une centaine de manifestants pourrait renverser le pouvoir ? Personne qui fût le moindrement réaliste.

Alors pourquoi continuer, s’acharner à organiser d’autres manifestations quand celles-ci ne regroupent toujours que les mêmes irréductibles, se terminent toujours par des arrestations et se concluent par la démoralisation de tous les participants ? Il y a d’autres tactiques aptes à conscientiser plus de gens.

Jouer le jeu des muscles c’est jouer le jeu de la droite, de ceux qui ont à perdre, de ces élus manipulés, des ces propriétaires milliardaires qui, possédant les médias, les armes, les pantins et les chiens, s’amusent ferme à voir tant d’énergies s’envoler en fumée.

À Québec, lors de cette historique prise de conscience politique, le mur se devait de tomber, le symbole était trop arrogant et les manifestants bien organisés étaient soutenus par des milliers d’autres réalisant toute l’ampleur de l’affront.

Un an et quelques semaines après, le mur s’est déplacé 0 il se resserre, s’équipe des derniers modèles de matraque, se déplace et crie en anglais des « move, move, move… » en frappant sur son bouclier. Ce mur il est entraîné par les sans-pitié de la police et de l’armée qui ne dorment que dans une ville sans contestation.

Se battre contre les chiens lobotomisés, les gardes de sécurité de la propriété privée, c’est oublier les vrais ennemis, les vrais maîtres. De tous temps, le pouvoir a fait s’affronter les malheureux entre eux. Ils sont malins.

Casser de la police, quoi que j’en rêve souvent, n’est pas la solution. Ce serait s’abaisser à leurs manipulations à coup de matraque sur la gueule, de poivre de Cayenne dans les yeux et de gaz lacrymogène dans les poumons.

Laissons-les donc poireauter au poste entre deux rapports, ça leur rongera les nerfs.

Multiplier les fronts

La seule façon de battre la droite et d’organiser un véritable changement c’est de lutter sur le champ des idées. C’est un lieu de bataille où la gauche peut rassembler les gens, où elle peut les rallier à des concepts tout simples et universels comme la liberté, l’égalité, la fraternité.

Mais pour ce faire il faudra que le mouvement militant délaisse son piédestal et la perception que certains de ses militants entretiennent de constituer l’avant-garde éclairée du peuple. Il devra surtout se débarrasser de cette douce et naïve illusion qui lui fait encore parfois croire que les médias de masse transmettront un jour ou l’autre leur message à ses consommateurs.

Les nombreuses manifestations qui ont eu lieu à Montréal, à Québec, à Toronto et à Ottawa lors de la dernière année nous ont prouvé hors de tout doute que les médias pouvaient mieux que quiconque tomber dans les clichés et le spectaculaire en laissant de côté les raisons politiques de tels événements.

En fait, plus que la police et la répression, les médias ont réussi à creuser un véritable fossé entre la population et les manifestants que celle-ci perçoit comme des voyous sans argument, sans projet véritable, sans vision.

Il faut donc couper les liens avec les médias de masse une fois pour toutes, ne plus rien attendre d’eux et alors prendre la responsabilité du message 0 allez voir les gens sur leurs lieux de travail, allez parler aux étudiants dans leurs écoles secondaires, collégiales, universitaires, impliquez-vous dans toutes les sphères de la société pour la transformer, la conscientiser.

De cette façon, briser ce front unique annoncé et public que représentent les manifestations que la partie de la population en droit d’être armée (les policiers) n’a qu’à bloquer.

En multipliant les fronts on devient subitement invisible et beaucoup plus difficiles à contrecarrer. On devient dangereux pour l’ordre établi parce qu’on le met face à ses propres contradictions 0 laissera-t-il des gens parler, penser librement même s’ils deviennent une menace à sa propre existence ? Ou les musellera-t-il au prix d’afficher sa véritable nature fasciste ?

Lutter pour gagner

Il faut attaquer. Changer le domaine des idées, des livres, de la philosophie, de la sociologie, de la politique, du cinéma, de la musique, du théâtre, de la peinture, mais aussi de l’éducation, de la santé, du logement, de l’alimentation, de l’énergie, de l’environnement…

Partout en même temps le mouvement doit changer les esprits. Travailler dans les syndicats (il faudrait d’ailleurs aider les grévistes sur les piquets de grève comme le faisait jadis les militants du FLQ), les associations étudiantes, les comités de quartier mais aussi individuellement, quotidiennement, changer les choses et l’entourage de chacun 0 donner des cours sur les médias de masse, expliquer l’importance démesurée des multinationales, proposer des améliorations concrètes aux conditions de travail de tous et toutes…

En fait, n’en déplaise à certains militants qui regardent encore la télévision en attendant la prochaine manifestation, la révolution viendra au terme d’une période où les éléments de la gauche travailleront encore plus fort et mieux que ceux de la droite qui ont pourtant tous les moyens de leur côté, mais très peu d’idées.

Changer le monde ça veut dire se mouiller, se salir les mains, prouver la critique du système, mais aussi proposer des solutions, dans tous les domaines.

Il faut innover en étant positif, jamais se dire anti-quelque chose, ça serait tomber dans le jeu de la droite et des médias qui nous ont déjà étiqueté « d’antimondialistes » alors que le mouvement est au contraire pour les échanges et la justice mondiale. Ils mélangent tout comme toujours.

Il faut continuellement présenter une solution, abandonner le négativisme et le nihilisme. Il faut se dire pour une société où l’information serait véritablement critique et au service de la collectivité, une société où les énergies seraient non polluantes, une société où l’éducation, l’alimentation et la santé seraient gratuites, une société fondamentalement démocratique où l’implication personnelle serait valorisée…

On est loin de tout cela, mais on peut y arriver prochainement. Dans l’action, uniquement, nous rejoindrons les autres. Par l’exemple, mais aussi le resserrement du tissu social, nous atteindrons nos buts.

Il est important de faire de l’éducation politique pour contrer les médias et les faiseurs d’images qui se spécialisent depuis bien trop longtemps dans l’abrutissement politique. Il faut passer des tracts, écrire des journaux, faire des films, diffuser, parler, s’exprimer.

Chacun dans son domaine doit éveiller les esprits endormis et créer la discussion, la réflexion qui mènent aux propositions d’une lutte locale, d’un véritable projet de société.

S’unir au Québec pour changer notre monde avant de changer le monde. Démontrer ici avant tout qu’il est possible de faire autrement et ne pas tomber dans un autre piège de la droite voulant que les véritables problèmes se situent à l’autre bout de la planète, pour mieux cacher sous le tapis les inégalités qui nous entourent. Ne pas devenir des universalistes sans communauté de lutte.

Il faut plonger et aller convaincre la population du bien de notre cause, qui alors, s’apercevra que l’image que les médias transmettaient de nous était fausse et manipulée, que nous avons un discours, des idées, un but et rien à y gagner sans le partager.

Après un an de ce travail ardu et continu, après deux ans peut-être, revenir dans la rue mais cette fois beaucoup plus nombreux et légitimes pour créer un véritable changement, jusqu’au bout je l’espère, mais sans quémander de l’aide ni aux policiers ni aux médias.

Chacun doit trouver sa voie. Au travail !

* Co-réalisateur du film « Ce n’est qu’un début… » sur le Sommet des Amériques et le mouvement militant.|212| 
895|Le ton|François Parenteau| On a beaucoup entendu parler ces dernières semaines du bouillant député de Chambly, Ghislain Lebel. « Le bouillant député de Chambly », avouez que c’est joli comme formule, non ? J’aime bien ce genre de sous-titres que donnent les médias aux acteurs de l’actualité, comme Guy Chevrette (j’aimerais-tu ça qu’y revienne, lui, d’après vous ?) qui restera toujours « le coloré député de Joliette ».

Des fois, les noms sont difficiles à retenir et ça aide à suivre. C’est comme dans le sport. Je me souviens d’un gardien de but russe qu’on surnommait « le blond de l’Oural », mais je ne me souviens même plus de son nom.

En politique, au delà des surnoms personnalisés, il y a aussi quelques appellations contrôlées qui sont des castings immuables. Il y a des « souverainistes de la première heure » et des « ardents fédéralistes », des « hommes de terrain», des « grands mandarins», des « passionnarias » et des « députés de comté ».

Et c’est toute une promotion que de sortir de ces définitions génériques pour accéder à son propre surnom, comme dans le cas du bouillant député de Chambly. C’est comme devenir le ministre de soi-même.

Le bouillant député de Champly

Dans ce cas-ci, pas étonnant que le député Lebel bouille, ça fait quelques semaines qu’il est dans l’eau chaude. Le rond allumé sous cette ébullition, c’est le projet d’entente proposée aux Innus de la Côte-Nord et du Saguenay–Lac-Saint-Jean par le gouvernement du Québec, tel que mené par le négociateur chevronné Louis Bernard.

Dans le coin droit Ghislain « le bouillant député de Chambly » Lebel, et, dans le coin gauche, Louis « le négociateur chevronné » Bernard…

En gros, le bouillant estime que la « paix des Braves » si chère à Bernard Landry n’est ni plus ni moins que « la grande braderie des cachottiers », et il s’en est ouvert de bouillante façon. Personne n’a remis en cause son droit à de telles déclarations. Mais il y a le ton.

Duceppe s’indigne

Dans toute cette histoire où la famille éclatée des souverainistes s’entre-déchire entre ceux qui se laissent aller aux pulsions de l’écœurement et ceux qui tiennent le cap de l’abnégation optimiste, les faits sont si techniques et spécialisés qu’il est difficile de s’ostiner sur les termes de l’entente. C’est donc, depuis le début, une affaire de ton.

Gilles Duceppe a d’abord dit que Ghislain Lebel avait tout à fait le droit d’exprimer ses inquiétudes et de soulever des questions sur le traité avec les Innus mais que c’était le ton de sa déclaration qui était inacceptable. Un ton frustré, alarmiste, voire haineux.

Et ça, on sait que ça ne pogne pas beaucoup politiquement au Québec et qu’il vaut mieux garder ce ton pour d’exutoires conversations de tavernes.

Refusant de s’excuser pour son ton, Ghislain Lebel a décidé de quitter le jeu de Bloc Québécois, qui s’en trouve fragilisé. Nul doute que, pour un « indépendantiste de la première heure », ça doit faire un beau buzz de siéger enfin comme indépendant.

Parizeau s’indigne mais approuve

Mais avant de quitter, il a tenté de rallier à sa cause « le pape de la souveraineté », Jacques Parizeau (dixit Ghislain Lebel…), qui, après réflexion, a refusé d’embarquer.

S’expliquant là-dessus, Parizeau a lui aussi dénoncé le ton de Ghislain Lebel. Puis, s’exprimant à son tour sur l’entente, Parizeau en a rajouté. Il fallait le voir.

Chaque fois qu’il disait « Les aspirations des autochtones sont tout à fait légitimes », on entendait « Je m’en fous mais il faut bien leur en donner un peu sinon j’aurai l’air trop l’air méchant. »

Chaque fois qu’il réitérait son appui à la démarche, le ton était désinvolte, et il prenait bien soin de rappeler, dans chaque cas, le peu de personnes que cela touchait.

Chaque fois qu’il évoquait son respect des autochtones, ça fleurait le mépris.

À Stéphan Bureau, c’est comme si Parizeau avait dit « Ce que le député Lebel a dit est inacceptable mais je suis tout à fait d’accord avec lui. »

À un moment, il a même avoué avoir été touché par le témoignage vu à la télé d’un fermier (blanc) qui rappelait qu’il avait défriché cette terre et qu’il considérait que c’était son droit d’y rester.

Parizeau aurait trouvé « gênant » qu’on l’en déloge, ou même qu’il se retrouve un jour chapeauté par une autorité innue. Ça ne vous rappelle pas un peu les colonies juives en Palestine ?

Et cette inquiétude de voir un jour des populations blanches passer sous une juridiction innue, ça ne vous rappelle pas un peu les partitionnistes ? Ça en avait le ton, en tous cas…

Ne pas sous-estimer le ton

Louis Bernard a répliqué cette semaine et, lui aussi, tout en clarifiant le plus possible plusieurs points de cette démarche complexe, il a surtout dénoncé le ton de ces critiques et leur effet sur les négociations.

Il ne faut pas sous-estimer le ton. Ce n’est pas qu’une affaire d’image superficielle. Puisque les mots sont devenus tabous, le ton est le seul langage toujours honnête des politiciens. D’ailleurs les électeurs s’y trompent rarement.

Et ça me cause un bizarre de malaise de voir des souverainistes traiter des droits des autochtones avec le même ton que les fédéralistes traitent des aspirations indépendantistes du Québec.

Je ne sais pas si le libellé actuel du traité est dangereux pour le Québec ou s’il sacrifie les droits de populations blanches sur l’autel de la bonne image internationale.

Ce que je sens, c’est que ceux qui critiquent ce projet d’entente aimeraient autant qu’il n’y en ait pas du tout, alors que quand Bernard Landry parle de l’importance de définir un rapport harmonieux entre les peuples autochtones, et le peuple québécois, son ton me dit qu’il y tient vraiment.

Et si on cherche l’harmonie, le moins qu’on puisse faire est d’abord de suivre le bon ton.|212| 
896|L’Union des forces progressistes exige une réforme préalable du mode de scrutin|Molly Alexander* et Pierre Dostie|*

En réponse au « plan de match pour bloquer l’ADQ » de l’aut’journal



Dans l’édition de juillet–août 2002 de l’aut’journal, l’éditorial de Pierre Dubuc proposait un plan de match pour bloquer l’ADQ qui ne comprend rien de moins qu’une alliance des progressistes avec le PQ. Celle-ci reposerait sur un engagement ferme de réformer le mode de scrutin et libérerait un certain nombre de comtés « prenables », soit pour l’UFP, soit pour des candidatures indépendantes de prestige. Le mouvement syndical et populaire serait alors enclin à appuyer cette alliance, et le tout, en plus d’éviter une victoire électorale de l’ADQ, paverait la voie à un référendum gagnant.

Il y a belle lurette que le PQ soigne plutôt sa droite

Le PQ a largement investi le créneau néolibéral, principalement au cours de ses deux derniers mandats, se vidant en bonne partie de ses éléments progressistes et contribuant largement à dégoûter les gens de la politique. Nous dénonçons d’ailleurs le pseudo-progressisme de ce parti, les belles paroles des deux côtés de la bouche de ses dirigeants, cherchant à plaire aux capitalistes de New York et à récupérer du même coup le Forum social mondial de Porto Alegre. Plutôt que de s’allier au PQ, il est nécessaire de le démasquer et d’accentuer la rupture avec celui-ci.

L’opération charme prévue à l’automne pourrait bien plutôt renforcer le néolibéralisme du PQ

L’opération de maquillage « progressiste » que veut lancer le premier ministre Landry à l’automne pourrait bien être compromise par la crise interne dans ce parti et la montée d’un courant franchement néolibéral autour de Facal, Legault, Boisclair. Ou encore si jamais un nouvel emballage progressiste est imposé par la vieille garde qui tient – tant par nostalgie que par calcul interne et électoral – à conserver la rhétorique social-démocrate (Landry, Marois, etc.), celui-ci sera marqué d’une division au sein du parti et il ne sera pas perçu comme crédible par la population. Après deux mandats consécutifs au pouvoir, la population jugera incontournablement ce parti à ses actions plutôt qu’à ses promesses de la veille des élections. L’éminence de la défaite électorale ne fera qu’attiser les tensions au PQ. Il nous semble donc plutôt probable que le courant néolibéral, majoritaire, soit plutôt tenté, au gré des « vents dominants «, de faire alliance avec l’ADQ, bien davantage qu’avec les progressistes de l’UFP.

On demande encore aux progressistes de « ne pas diviser le vote »

Cette notion de « diviser le vote » ou « vote utile » est indissociablement liée aux comportements électoraux induits par le mode de scrutin actuel. Voter « pour le moins pire » signifie que l’électorat ne dispose pas d’un véritable choix. Or depuis sa fondation, le PQ promet de réformer le mode de scrutin. Ce qu’il n’a pas fait et ce malgré ses engagements et les mille signaux envoyés par la société civile. Que la direction péquiste cesse de plaider sa propre turpitude et assume. Ils seront d’ailleurs les prochaines victimes, sur le plan de la députation, de l’effet de distorsion de ce mode de scrutin.

La tentative de la direction péquiste de « culpabiliser » la gauche, en invoquant l’argument de la division, est dérisoire. Le résultat des dernières partielles démontrent que le PQ est tout a fait capable de perdre seul les élections aux mains de l’ADQ même lorsqu’il n’y a pas de candidature progressiste… La machine péquiste est de plus en plus incapable de mobiliser. Et pour cause.

Les progressistes doivent compter sur leurs propres bases

Le mirage porté par l’ADQ pourrait se dissiper si la gauche est sérieuse, crédible et visible. L’UFP doit s’efforcer d’être le meilleur critique du programme adéquiste. La direction péquiste sera, soit du même discours de droite, soit trop divisée pour le faire jusqu’au bout. L’UFP représente une véritable alternative et le défi des progressistes est « d’en faire la démonstration sur le terrain » comme le dirait notre camarade Paul Cliche.

C’est en s’appuyant sur la jeunesse et le mouvement antimondialisation que l’UFP consolidera ses premières bases. L’UFP est en rupture avec le néolibéralisme. C’est sur la base de cette rupture, et de ce qu’elle porte en elle d’alternatives, que l’UFP trouve sa raison d’être.

Enfin, la mise en œuvre de la proposition de Pierre Dubuc présuppose 0

• Des tractations d’états-majors au détriment du choix des membres au sein des circonscriptions et

• Que l’électorat péquiste et progressiste potentiel suive les consignes de vote de ces états-majors. Rien n’est moins sûr… Les gens n’aiment pas trop ces petits « deals » politicards.

L’UFP aspire à faire autrement la politique et à le faire maintenant dans ses pratiques démocratiques. Les beaux discours ne leurrent plus les gens, nos actions doivent traduire nos valeurs et nos principes. Autrement, nous faisons du vent comme les autres partis. Nous rejetons cette conception « presse-bouton depuis le sommet » de la politique. Ce serait un beau début de carrière pour l’UFP ! Cela veut dire pour les progressistes qu’il n’y aura pas de raccourci vers le pouvoir électoral. Que le pouvoir, ce n’est pas seulement être à l’Assemblée nationale à tout prix. Que le pouvoir, ce n’est pas un but en soi mais c’est pour en faire quelque chose, quelque chose qui doit être visible maintenant dans la pratique du parti, qui est un avant-goût de ce qu’on veut faire à l’échelle de la société.

Non plus «souveraineté d’abord, démocratie ensuite » mais bien « démocratie d’abord ».

En conclusion, nous pourrions faire une contre-proposition à celle de M. Pierre Dubuc. Il reste quinze mois de gouvernement péquiste avant la fin de son mandat. Il est encore possible de réformer le mode de scrutin en faveur d’une proportionnelle. Cette réforme est une promesse maintes fois faite, puis écartée depuis trente ans. On la ramène aujourd’hui comme une nouvelle promesse ! Or, nous l’avons dit, la population va juger le PQ sur ses réalisations des deux derniers mandats et non sur ses promesses. C’est une loi fondamentale de la politique. Mais si le gouvernement agissait avant la fin du présent mandat, la gauche unie pourrait enfin, lors des prochaines élections, être modestement représentée à l’Assemblée nationale et la démocratie s’en porterait mieux. Même le PQ y gagnerait 0 l’effet de sa prochaine déconfiture électorale sur l’ampleur de sa députation serait en partie contré.

* Vice-présidents porte-parole de l’Union des forces progressistes|212| 
897|La gauche doit se sortir de l’infantilisme politique|Pierre Dubuc|

Notre réplique à l’Union des forces progressistes



Notre éditorial « Un plan de match pour bloquer l’ADQ », paru dans le dernier numéro de l’aut’journal, a suscité bon nombre de commentaires, plutôt favorables du côté des membres du Parti québécois et dans le mouvement syndical, mais défavorables du côté de la direction de l’Union des forces progressistes (UFP) dont nous reproduisons le texte en page précédente. Nous voulons ici répondre aux principales critiques formulées par l’UFP.

L’objectif d’un parti politique 0 le pouvoir

Quand on fonde un parti politique, ça doit être en vue de prendre le pouvoir. Sinon, on crée un mouvement d’éducation politique, un groupe de pression ou un club social. Bien entendu, on ne peut espérer prendre le pouvoir à la première occasion, ni même former l’opposition officielle. Mais on doit chercher rapidement à faire élire quelques députés pour assurer notre participation au débat.

Le mode de scrutin uninominal à un tour qui est le nôtre désavantage énormément les tiers partis et les condamne quasiment à la marginalité. C’est pour cela qu’il faut absolument revendiquer une réforme du mode de scrutin.

Mais une telle modification des règles électorales est peu probable avant le prochain scrutin, qui doit avoir lieu d’ici un an. Il y a donc tout lieu de penser que celui-ci se déroulera selon les règles actuelles. Dans ces conditions, quelle doit être la tactique de la gauche ?

On peut vouloir rééditer l’expérience du Parti de la démocratie socialiste (PDS), qui, lors des dernières élections, a récolté, avec 97 candidatures, 0,83 % des suffrages.

Dans un contexte électoral où l’attention des grands médias sera centré sur la « lutte à trois » entre le PQ, le PLQ et l’ADQ, quel score peut espérer l’UFP? Même si elle quintuplait les résultats du PDS, cela demeurerait insignifiant.

Profiter de la dégringolade du PQ

Michel Chartrand ne rate jamais l’occasion de souligner l’effet néfaste et démobilisateur d’une déconfiture électorale de la gauche. « On fait la preuve, dit-il, que nos idées sont impopulaires, alors que ce n’est pas le cas. »

Pour ces raisons, Chartrand propose, depuis plusieurs années, de concentrer nos efforts sur quatre ou cinq circonscriptions, où nous pourrons présenter des candidatures crédibles appuyés par un minimum d’organisation et de ressources financières.

Notre proposition va plus loin. Elle vise à faire élire quelques députés dès la prochaine élection, en tenant compte d’une conjoncture potentiellement favorable avec la dégringolade du PQ dans les sondages.

Au passage, nous ne partageons ni ne comprenons l’analyse de l’UFP, qui prévoit une alliance du PQ avec l’ADQ ! Cela n’a aucun sens. Au contraire, le PQ cherche plutôt à se positionner à gauche, en réhabilitant la social-démocratie et la souveraineté.

Notre proposition est la suivante 0 la gauche et le mouvement syndical devraient troquer leur appui au PQ en échange de l’engagement de ce dernier à libérer un certain nombre de circonscriptions « prenables» pour des candidatures de la gauche.

Nous avons mentionné, à titre d’exemples, Paul Cliche, Françoise David, Roméo Bouchard de l’Union paysanne… Mais on pourrait également envisager des candidatures syndicales.

L’UFP ne voit dans cette proposition que l’appui au PQ qui lui pue au nez. Nous y voyons surtout la possibilité de faire élire des candidatures de gauche qui, une fois à l’Assemblée nationale, pourront y représenter les intérêts des classes ouvrière et populaire. Des députés qui pourront utiliser leur prestige et l’accès aux médias qui l’accompagne pour faire réaliser un bond de géant à la création d’un véritable parti de gauche.

L’art de la politique

Évidemment, il y a des gens qui refusent tout type d’alliance conjoncturelle, alors que tout l’art de la politique est précisément de savoir profiter d’alliances temporaires, circonstancielles, pour faire avancer sa cause.

D’autres n’y sont pas réfractaires en principe. Ils vous justifieront les alliances circonstancielles de Mao avec Tchang Kaï-shek, de Staline avec Roosevelt et Churchill, mais ne leur parlez surtout pas d’une alliance de la gauche avec le PQ !

La direction de l’UFP réduit notre proposition à des « tractations d’états-major », à des « petits deals politicards». À quoi cela rime-t-il ? Si on veut faire de la politique, il faut se doter d’un « état-major » qui ira rencontrer les « états-majors » des autres formations politiques pour explorer les différentes possibilités d’ententes, d’alliances. Si un accord est possible, celui-ci est alors soumis aux différentes instances du parti pour approbation ou rejet. Cela n’a rien à voir avec de « petits deals politicards ».

C’est une pratique courante dans le mouvement syndical où « l’état-major » syndical recherche une entente de principe avec « l’état-major » patronal et le soumet par la suite aux membres.

Comment l’UFP entend-elle se comporter dans le système proportionnel qu’elle revendique à grands cris, où la règle de fonctionnement est précisément les « tractations entre états-majors » pour dégager des majorités sur les questions politiques en jeu ?

Notre proposition cherche à tirer profit d’une conjoncture potentiellement favorable pour la gauche avec les difficultés du PQ et le sentiment très palpable dans le mouvement syndical de vouloir faire « quelque chose » pour bloquer l’ADQ.

L’UFP est-elle prête à relever ce défi ? Sinon, il faudrait envisager des candidatures indépendantes de gauche bénéficiant de l’appui des organisations syndicales favorables à tel plan de match.|212| 
898|Prostitution – Droits des femmes ou droit aux femmes?|Élaine Audet| D’octobre 2001 à janvier 2002, Françoise David a effectué pour la Fédération des femmes du Québec (FFQ) une tournée dans tout le Québec, qui a réuni près de 550 femmes, pour débattre et réfléchir sur le problème de la prostitution. Les recommandations du comité responsable seront soumises pour discussion et adoption à la prochaine assemblée générale de la FFQ, le 22 septembre prochain. Stella, un organisme montréalais d’aide et de défense des prostituées créé en 1995, revendique la décriminalisation totale de la prostitution et la reconnaissance des droits des « travailleuses du sexe ». Une position qui ne fait pas l’unanimité. Pour la majorité des féministes, la prostitution relève de l’exploitation sexuelle des femmes et constitue une violation des droits humains, nécessitant son abolition et la criminalisation des clients et des proxénètes.

Dans le cadre restreint de cet article, je me bornerai à parler de la prostitution des femmes adultes sans aborder, autrement qu’en passant, la prostitution infantile, masculine et le trafic transnational. Depuis les années soixante-dix, il existe ici, en Europe et aux États-Unis un courant en faveur de la reconnaissance du concept de « travailleuses du sexe », pourvoyeuses de services sexuels, au même titre que d’autres le sont de services sociaux.

Dans une telle perspective, les prostituées ne seraient pas différentes des autres personnes exploitées, broyées par la mondialisation et la mise en marché de tout ce qui vit. Il n’y aurait donc aucune raison pour qu’elles ne bénéficient pas des mêmes droits que l’ensemble des travailleurs.

Au Québec, ce sont les membres de l’organisme Stella qui se font les porte-parole de ce courant de libéralisation de la prostitution. Elles refusent qu’on traite les prostituées en victimes, affirmant que la plupart ont choisi librement de se prostituer et y trouvent une source d’affirmation de soi (empowerment).

On peut cependant s’interroger sur de telles affirmations quand une étude internationale démontre que 92 % des prostituées quitteraient la prostitution si elles le pouvaient (CSF, 2002).

Quant au courage des prostituées, il est indubitable, car pas un témoignage qui ne dise, à l’instar de Jeanne Cordelier dans ses mémoires de prostitution 0 « Quand la porte de la chambre a claqué, il n’y a plus d’échappatoire… Voie sans issue, pas de porte de secours. » (Cordelier, 1976)

Un glissement progressif vers la déshumanisation

Dans ce débat, tous les mots sont piégés, particulièrement les concepts de droit, de libre-choix des travailleuses du sexe. À propos de cette dernière notion, l’ex-prostituée Agnès Laury croit qu’une définition plus conforme à la réalité serait celle de « marchandises vendues par des hommes à des hommes » (Laury, 1981).

L’existence de la prostitution banalise l’esclavage sexuel des femmes et renforce l’image qu’elles sont de simples objets interchangeables devant être accessibles et disponibles pour tous les hommes en tout temps et partout. La culture patriarcale repose sur le principe que l’unique devoir et pouvoir des femmes réside dans l’art de satisfaire sexuellement les hommes dans le mariage ou la prostitution.

Nous vivons dans un univers consommationnaire où la primauté va à l’individualisme, à la consommation effrénée des êtres et des choses, le nec plus ultra étant de nous consommer les uns les autres. Dans un tel contexte, la notion de travailleuses du sexe sert à faire tomber l’opposition féministe à la mise en marché des femmes à l’échelle planétaire.

Et les clients ne demanderont pas mieux que de croire que c’est par choix, voire par goût, et non par nécessité comme le démontrent toutes les enquêtes, que des femmes se prostituent.

À qui ça profite ?

Quand je me demande à qui profiterait la libéralisation de la prostitution, je pense que ce ne serait ni aux prostituées ni à l’ensemble des femmes. Ça profiterait d’abord aux souteneurs, aux dealers, au crime organisé en général, aux clients pour qui il importe peu que la sexualité soit un acte machinal dépourvu de réciprocité et de toute responsabilité, l’essentiel étant que tous, quel que soit leur statut social, puissent s’acheter à volonté le pouvoir sur une femme.

Quant aux prostituées, il est impossible d’en parler en bloc, parce que leur situation diffère considérablement selon qu’elles soient call girls, escortes, danseuses nues, qu’elles travaillent dans la rue ou dans les salons de massage, selon qu’elles soient autonomes ou doivent donner une bonne partie de leurs rétributions à un proxénète.

Elles sont recrutées en moyenne vers l’âge de treize ans, vulnérabilisées par la violence de leur milieu, la pauvreté le chômage, la drogue. La majorité d’entre elles subissent un dressage forcé de la part des souteneurs ou des gangs de rue qui vise à les dépersonnaliser jusqu’à ce qu’elles n’aient plus la faculté d’agir et même de penser par elles-mêmes. Plusieurs passent par les centres d’accueil et la prison, plus de la moitié sont toxicomanes. Comment dans de telles conditions parler du choix librement consenti de se prostituer ?

Certaines d’entre elles ont de toute évidence intérêt individuellement à la libéralisation totale de la prostitution et cherchent à entraîner le mouvement féministe, qui en est le plus sérieux adversaire, à défendre cet objectif.

Qu’importe que le résultat d’une telle position soit de légitimer la mise en marché générale des femmes par l’industrie du sexe et d’entraîner une perte totale de crédibilité pour les féministes qui renieraient ainsi leurs principes mêmes. En effet, sur quels rapports d’égalité la prostitution peut-elle déboucher ?

À l’échelle internationale, les revenus de la prostitution sont de l’ordre de 52 milliards par année, les troisièmes en importance après le trafic des armes et de la drogue, soit des millions de dollars au Canada, où un proxénète fait en moyenne quelque 144 000 $ par année pour chaque prostituée (CSF, 2002).

À Montréal seulement, 5 000 à 10 000 personnes en vivent. Il est clair que nombreux sont ceux qui ont intérêt à l’expansion d’un marché si rentable. Bénéficiant de complicités à tous les échelons de la société, ils ont les moyens financiers et médiatiques pour faire d’une étincelle un incendie inextinguible en exagérant l’importance de la division au sein du mouvement féministe et en surmédiatisant la position d’une minorité prétendant parler au nom de toutes les prostituées.

Le mouvement actuel de libéralisation de la prostitution prend racine dans la libéralisation générale de l’économie et sert objectivement ses intérêts. Il est de plus en plus fréquent d’entendre, aux Nations unies ou dans les médias, un discours dans lequel on présente l’industrie du sexe comme une alternative aux problèmes économiques, voire même un chemin vers le développement.

L’Organisation internationale du travail (OIT) a fait, en 1998, la promotion d’un rapport favorable à la légalisation de la prostitution dont « la possibilité d’une reconnaissance officielle serait extrêmement utile afin d’élargir le filet fiscal et couvrir ainsi nombre d’activités lucratives qui y sont liées» (Lim, 1998 ; Raymond, 1998).

On admet ainsi carrément que la prostitution a pris les dimensions d’une industrie et contribue, directement ou indirectement à l’emploi, au revenu national et à la croissance économique des pays !

Un droit légitime ou un coup de force ?

La prostitution constitue une des formes les plus violentes de l'oppression collective des femmes et, à part de rares exceptions, elle est toujours sous le contrôle coercitif des proxénètes. Dès lors, peut-on invoquer, comme un droit humain, celui de disposer de son propre corps dans des conditions qui contreviennent si explicitement au respect de la dignité et de l'intégrité de la personne, reconnu par la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui, adoptée le 2 décembre 1949 par les Nations unies ?

Les nombreux témoignages de prostituées, qui ont brisé la loi du silence, montrent qu’elles sont constamment en butte aux humiliations de toutes sortes, aux vols, aux agressions physiques et sexuelles, quand ce n’est pas à la roulette russe des rapports sans préservatif.

« J’avais peur, consciente que la situation pouvait déraper à tout moment », dit Mylène (témoignages nº 1). Ce ne sont certes pas tous les hommes qui sont violents mais, fondamentalement, ce qu’ils achètent tous, c’est le pouvoir de l’être impunément.

« Les filles battues qui ne portent pas plainte ont intégré le message que la société leur renvoie 0 la prostitution, c’est un package deal… il faut encaisser, même l’inacceptable. » (Palmer, ibid.) Combien de temps encore confondra-t-on systématiquement le droit des hommes avec les droits de l’Homme ?

Il faut avoir complètement intériorisé les valeurs patriarcales pour accuser les féministes d’être responsables de la stigmatisation et de la victimisation des prostituées plutôt que ceux qui, jour après jour, profitent d’elles, les coupant du reste des gens, rendus hostiles par l’envahissement et la transformation de leur milieu de vie en marché ouvert de sexe et de drogue.

L’urgence d’agir

Pas une femme ne peut rester indifférente face à un problème qui, en bout de ligne, nous concerne et nous atteint toutes. Il est clair que la libéralisation de la prostitution, tant des proxénètes que des clients, réclamée par Stella, ne saurait constituer une véritable alternative à la misère croissante des prostituées mais serviraient à les y enfoncer plus inexorablement encore.

Il en est de même d’ailleurs de la proposition de retour aux maisons closes, préconisée par le Bloc québécois. Cette solution ferait de l’État le principal proxénète de la même façon qu’il a remplacé ici la mafia dans les casinos.

L’exemple des Pays-Bas montre que la légalisation institutionnalise et légitime l’«industrie » du sexe, camoufle les proxénètes en contremaîtres et entrepreneurs légaux, et rationalise la mise en marché des prostituées au plan local et transnational.

Le seul espoir réside dans l’exemple de la Suède qui, depuis 1999, a promulgué une loi criminalisant non plus les prostituées, mais les proxénètes et les clients.

Cette politique a permis de diminuer de moitié le nombre de prostituées, même si elle n’a pas encore réussi à enrayer complètement la prostitution clandestine.

Le gouvernement suédois continue toutefois de poursuivre ses efforts en injectant sans cesse de nouvelles sommes pour la désintoxication, la réinsertion des prostituées et la responsabilisation des clients.

Il est aussi encourageant de noter que le Lobby européen des femmes, constitué d’environ 3 500 groupes, a pris position en faveur de l’adoption par leurs gouvernements d’une politique similaire à celle de la Suède (Guénette, 2002).

Au Québec, il y a un consensus pour que tous les niveaux de gouvernement cessent de traiter les prostituées comme des criminelles et leur fournissent l’accès aux services sanitaires, sociaux, judiciaires et policiers qu’elles réclament.

Là où il y a débat, c’est sur la criminalisation des clients, les proxénètes tombant déjà sous le coup de la Loi au Canada et au Québec.

Le Québec pourrait s’inspirer de l’expérience suédoise et de ce qui se fait à Toronto, Winnipeg, Vancouver et dans d’autres villes (dénonciation des clients dans les médias locaux, rééducation, incarcération en cas de récidive, campagnes de sensibilisation comme pour l’alcool au volant, mises sur pied de maisons d’hébergement sécuritaires pour les prostituées), en affirmant sa volonté d’arriver un jour à éradiquer les causes de cette inacceptable réduction des femmes à de simples objets de consommation.

Ceci suppose de s’attaquer aux causes de la prostitution, aux rapports sociaux, économiques et sexuels de domination, donc aux valeurs capitalistes et patriarcales qui en sont indissociables.

« Pour s’en sortir, dit Agnès Laury, prostituée québécoise, il faut la volonté inébranlable de ne plus retourner sur le trottoir, être aidée et surtout totalement coupée du milieu.» (Témoignages nº 2) Bref, passer du statut de victime à celui de « survivante », de femme qui n’accepte plus et se bat.

Il est grand temps de briser le silence sur le rôle de l’acheteur de services sexuels en se demandant si ce n’est pas le droit et le pouvoir discrétionnaire aux sévices sexuels qu’il achète.

Il ne s’agit pas ici d’un reste de puritanisme judéo-chrétien mais d’une question éthique fondamentale concernant la marchandisation du corps. Au lieu d’invoquer le libre-choix de vendre son corps, ne faudrait-il pas plutôt en appeler au principe d’humanité, à une limite librement consentie, comme on l’a fait pour l’inceste et l’esclavage, face à la mise en marché du vivant, tant de la sexualité que de la reproduction?

Témoignage nº 1 0 survivantes françaises. membres.lycos.fr/survivantes/temoignages.htm

Témoignage nº 2 0 prostituées québécoises. www.canoe.qc.ca/ArtdevivreSociete/aou14_prostitution.html

Nicole Castiani. Le soleil au bout de la nuit. Paris, Albin Michel, 1998.

Conseil du statut de la femme. La prostitution 0 profession ou exploitation ? Une réflexion à poursuivre. Québec, 2002. www.csf.gouv.qc.ca

Jeanne Cordelier. La dérobade. Paris, Hachette, 1976.

Fédération des femmes du Québec. Rapport du Comité de réflexion sur la prostitution et le travail du sexe. Montréal, 2001. www.ffq.qc.ca

Yolande Geadah. « La prostitution, un métier comme quel autre ? » Le Devoir. 3 juillet 2002.

Françoise Guénette, entrevue avec Gunilla Ekberg. «Le modèle suédois », La gazette des femmes. Vol. 23, no 6, mars–avril 2002.

Agnès Laury. Le cri du corps. Paris, Pauvert, 1981.





Lin Lean Lim. The Sex Sector — The Economic and Social Bases of Prostitution in Southeast Asia. Genève, Organisation internationale du travail, 1998.

Lobby Européen des Femmes. Sanctionner les clients de la prostitution et renforcer les politiques contre le proxénétisme.

www.womenlobby.org/Document.asp?DocID=362&tod=65156

Stéphanie Pryen. Stigmate et métier — Une approche sociologique de la prostitution de rue. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1999.

Janice Raymond. Legitimating prostitution as sex work — UN Labor Organization (ILO) calls for recognition of the sex industry. 1998. www.hartford-hwp.com/archives/26/119.html

Danielle Stanton. « Prostitution un crime ? » La gazette des femmes. Vol. 22, no 1, mai–juin 2000.

Claire Thiboutot. Position Stella, pp. 6-9 dans le rapport de la FFQ, et sur le site www.cybersolidaires.org dans la rubrique «Prostitution — travail du sexe ».|212| 
899|Un syndicat en congrès « familial »|Pierre Dubuc| Quand nous sommes arrivés au début de l’après-midi à l’hôtel rimouskois où devait se tenir le congrès du syndicat des techniciens d’Hydro-Québec (section locale 957 du SCFP–FTQ), la salle était déserte. Finalement, on nous informe que les congressistes passent l’après-midi au parc du Bic et que nous sommes invités au méchoui en fin de journée. « Drôle de congrès, que je me dis… au moins je comprends pourquoi ils font ça au mois d’août. »

Arrivés au méchoui, nouvelle surprise ! Alors que j’avais prévenu ma conjointe de s’attendre à trouver une « gang de gars » – les techniciens sont en très grande majorité des hommes – les femmes sont en nombre aussi important et il y a une trâlée d’enfants.

Nous sommes-nous trompé d’endroit, trompé de congrès ? Mais non, nous sommes bientôt accueilli par Pierre Rousseau, le président du syndicat, qui a tôt fait de nous expliquer que nous participons à un « congrès familial », un concept original, peut-être unique au Québec. Le lendemain, Pierre Rousseau, avec Pierre Beaubien, le secrétaire-trésorier, allaient nous en expliquer l’origine et le fonctionnement.

Les conjointes ont fait évolué le concept

Le lendemain matin, dès 8 h, je me retrouvais devant une salle plus conforme à mes attentes – une forte majorité d’hommes – pour présenter l’association Les AmiEs de l’aut’journal. Pendant ce temps, les enfants prenaient le chemin de la piscine et les femmes – de même que quelques hommes – s’apprêtaient à participer à l’atelier des conjointes… et conjoints. La veille, les enfants et les adolescents avaient eu droit à un atelier sur le syndicalisme.

Quand, finalement, les deux Pierre peuvent se libérer quelques instants, j’ai déjà une bonne idée du fonctionnement d’un « congrès familial ». Ça commence tôt – je ne le sais que trop bien. Mais ça se termine également tôt 0 13 h.

L’après-midi et la soirée sont consacrées aux activités familiales. Hier, c’était le parc du Bic. Aujourd’hui, c’est la visite au Jardin de Métis. Il y a aussi partie de balle molle « familiale », piscine, golf, minigolf, visite au Musée de la mer, canot, pédalo, ateliers de théâtre et danse sociale, selon le programme du congrès.

« C’est le quatrième congrès familial que nous tenons, mais le concept a beaucoup évolué depuis le premier, il y a douze ans, m’explique Pierre Rousseau. Au départ, l’horaire était de “ 8 à 5 ”. Ça ne laissait pas grand-place aux activités familiales. Les conjointes avaient l’impression de faire du gardiennage. On a alors convenu de réduire l’horaire, mais de l’étaler sur un plus grand nombre de jours. »

Est-ce que le secrétaire-trésorier, Pierre Beaubien, a senti venir ma question sur les coûts supplémentaires occasionnés par un tel congrès, toujours est-il qu’il s’empresse d’ajouter 0 « Sur quatre jours de congrès, deux sont des libérations syndicales, les deux autres sont aux frais des congressistes, pris sur leurs journées de vacances.»

C’est dire la popularité du concept. Déjà, les chiffres sur la participation en témoignaient 0 54congressistes, 15 conseillers, 50conjointes, 80 enfants.

La reconnaissance par la famille de l’implication syndicale

Les deux Pierre sont convaincus du bien-fondé de l’approche. « Les gens se voient sous un nouvel angle. C’est la reconnaissance par la famille du travail syndical.

« Cette solidarité qui se crée est importante pour un syndicat comme le nôtre qui a des membres dispersés sur l’ensemble du Québec. Quand je téléphone à un délégué à son domicile et que sa conjointe répond, on se connaît. Ça donne un syndicalisme à visage humain, raconte Pierre Rousseau.

« Mais un congrès reste un congrès. Il faut que les règles soient claires au départ. C’est d’abord un congrès. Ça peut nous obliger à tasser certaines activités », nous précise un Pierre Rousseau quand même un peu inquiet de savoir s’il pourra se libérer pour participer aux activités sociales de l’après-midi.|212| 
900|La loi antiscab est payante pour le monde ouvrier|Pierre Dubuc| Bien qu’elle se proposait de toute évidence à nous démontrer le contraire, l’économiste Norma Kozhaya de l’Institut économique de Montréal (IEDM) a prouvé que la loi antiscab est payante pour le monde ouvrier. Dans son article paru le 20 août dans la Presse, l’économiste du think tank néolibéral favori de l’ADQ cite une étude effectuée par des chercheurs étatsuniens sur la situation dans l’ensemble du Canada et du Québec.

Selon les auteurs, la probabilité d’une grève lors de la négociation de contrat lorsqu’il y a une loi antiscab est presque de deux fois supérieure que quand il n’y en a pas.

De plus, nous apprend Mme Koszhaya, « la durée moyenne d’une grève est de 86 jours s’il y a restriction sur l’embauche de travailleurs de remplacement et de 54jours en l’absence de telles lois ». 32 jours de grève de plus constituent « un chiffre statistiquement très significatif », conclut l’économiste.

Des grèves plus nombreuses et plus longues, mais qui donnent des résultats. Citant toujours la même étude, Mme Koszhaya nous apprend que « l’effet réel sur les salaires réels de ces législations est une augmentation moyenne de 2 % par an sur la durée des contrats, comparativement à une situation où les firmes peuvent embaucher des travailleurs de remplacement ».

Mais est-ce que ce gain salarial compense les pertes encourues par les travailleurs lors des grèves ? « Oui, affirment les chercheurs. Les gains en salaires plus élevés dépassent les pertes en termes de jours additionnels de grève et de plus grande fréquence de grèves. »

Les faits contredisent l’idéologie

Alors, on se demande pourquoi Mme Koszhaya a titré son article « Efficace, la loi “ antiscabs” ? De récentes études remettent en question l’efficacité de telles lois ».

C’est que Mme Koszhaya travaille pour un organisme pro-patronal et d’orientation néolibérale. Elle essaie bien de nous convaincre, à la fin de son article, que ce qui « peut sembler avantageux à court terme pour les travailleurs » ne l’est peut-être pas à long terme si la hausse des salaires réels n’est pas associée à une hausse de la productivité. Car cela aurait, selon elle, comme conséquence de rendre la main-d’œuvre plus coûteuse et d’en réduire la demande.

Cela n’est rien d’autre que le charabia néolibéral habituel pour s’opposer à toute mesure progressiste. Les choses sont pourtant simples. Les gains de productivité signifient produire plus avec moins de main-d’œuvre. Ils ne créent pas d’emplois, mais du chômage. Ils ne sont pas répartis en salaires, mais sont accaparés en profits par les employeurs.

La grève permet aux travailleurs d’en récupérer une part et, selon l’étude des chercheurs étatsuniens, la loi antiscab améliore leur rapport de forces.

Remercions Mme Koszhaya de nous avoir fait connaître cette étude et souhaitons lui longue vie à l’Institut économique de Montréal.|212| 
901|Les scabs, un autre bienfait du fédéralisme|Gabriel Sainte-Marie|

Conflits chez Vidéotron et Sécur



Les conflits chez Vidéotron et Sécur pourrissent depuis de longs mois parce que les entreprises ont recours à des scabs. Le Code du travail du Québec interdit l’utilisation de scabs, mais les activités de Vidéotron et de Sécur sont régies par le Code du travail du Canada.

Depuis le 8 avril dernier, des briseurs de grève remplacent les 1 800 syndiqués du local 2815 les 370 du local 1417 du SCFP–FTQ. Les scabs sont embauchés par des compagnies sous-traitantes. Comme l’explique Yves Lalonde, président du 2815 0 « Même avant le début du lock-out, Vidéotron recourait à la sous-traitance de façon illégale, pour les services d’installation, ou dans les centres d’appel. »

Une fois le conflit amorcé, la sous-traitance devient plus ou moins légale. Le Code du travail canadien permet à l’employeur de se servir de scabs pour atteindre des « objectifs légitimes ». Il lui est cependant interdit d’en faire usage pour miner la capacité de représentation d’un syndicat. Mais nous fait remarquer Yves Lalonde, «l’article de loi est vague et il revient au syndicat de prouver qu’il y a mauvaise foi de la part de l’employeur ».

600 scabs chez Vidéotron

Il y a au moins 600 scabs actuellement impliqués dans le conflit chez Vidéotron, selon Yves Lalonde. De ce nombre, 300 travaillent dans des centres d’appels. « Les effectifs du centre d’appels Joncas, qui appartient aussi à Pierre-Karl Péladeau, ont triplé depuis le début du conflit. »

D’autres compagnies embauchent des scabs pour s’occuper de la facturation, des services technologiques, de l’installation de câbles, de réseaux, ou encore d’ajout de prises. À cela s’ajoutent environ 500 cadres. M. Lalonde note que « les scabs reçoivent de 8,88 à 10 $ l’heure, des salaires bien inférieurs à ceux normalement payés. »

Luc Lavoie déteint sur les scabs

Le climat est tendu sur les lignes de piquetage. « Les scabs nous harcèlent, nous insultent. Les doigts d’honneur sont au rendez-vous. Des briseurs de grève ont foncé sur nous avec nos camions de travail ! » s’indigne Yves Lalonde. «Cette attitude se marie bien avec celle du porte-parole de Vidéotron, Luc Lavoie 0 jeter de l’huile sur le feu. »

Internet est également mis à profit. Le site Jobboom affiche depuis le début du lock-out les postes des employés de Vidéotron. On retrouve les mêmes titres et les mêmes tâches, sans toutefois nommer la compagnie.

Les scabs font pourrir le conflit

L’utilisation des scabs débalance le rapport de force en faveur de la partie patronale. « Avec autant de briseurs de grève, on perd notre arme principale, celle de priver l’employeur du fonctionnement régulier de son entreprise », explique Yves Lalonde . « Sans eux, le conflit serait réglé depuis longtemps. »

Il ne semble pas y avoir d’issue au conflit à court terme. « On est passé de l’espoir avec la médiation au désespoir lorsque Vidéotron s’est retiré de la table », précise-t-il. « Les dernières offres patronales étaient inférieures aux premières. Elles ont aussi été rejetées à quasiment 100 %. »

Le recours aux briseurs de grève et la provocation continuelle de la part des patrons donnent les résultats qu’on connaît (vandalisme, sabotage, etc.), malgré les appels répétés du syndicat à ne pas tomber dans le jeu patronal.

Péladeau à La Presse

Yves Lalonde ne s’étonne pas des entrevues accordées par Pierre-Karl Péladeau à des journaux concurrents comme La Presse 0 « Péladeau se retrouve dans une situations inconfortable. Il est mal pris. Mais il ne bougera pas pour autant, au risque de mettre l’existence de l’entreprise en péril. Il a la tête dure. »

Lorsque Péladeau et Lavoie affirment que les salaires des employés de Vidéotron doivent baisser pour que l’entreprise demeure compétitive, Denis Plante, conseiller syndical et négociateur, réplique 0 « Bell est le principal concurrent de Vidéotron. Leurs travailleurs ont déjà de bien meilleures conditions que les nôtres. »

Dignité et respect n’ont pas de prix

En faisant appel à des briseurs de grève et en ayant recours à la provocation, Pierre-Karl Péladeau joue gros jeu. Pour les travailleurs, la dignité et le respect n’ont pas de prix. Le mépris ne les rend que plus combatifs et plus solidaires.

Quand Desjardins se cache sous les jupes du fédéral

Les 900 employés de la compagnie Sécur, une filiale du Mouvement Desjardins, sont en grève depuis le 5 juillet. « Une trentaine de scabs, loués à des compagnies concurrentes, transportent de l’argent entre les différentes succursales », selon Joscelyn Tremblay, le président du syndicat local 3812 du SCFP–FTQ. De plus, les employées des Caisses populaires sont réquisitionnées pour alimenter les guichets automatiques.

Sécur–Desjardins a profité de la présence de quelques succursales en Ontario pour obtenir d’être régi par les lois fédérales plutôt que provinciales. « La juridiction fédérale permet à l’employeur d’épargner 10 % sur les frais reliés à la CSST. On parle de 800 000 $ d’économies sur six ans », de nous dire Joscelyn Tremblay. C’est un beau cas de fédéralisme rentable.

Le changement de juridiction a également permis de fusionner dix syndicats en un seul. « Certains employés n’ont pas eu d’augmentation depuis 8 ans ; la plupart étaient sans contrat de travail depuis 5 ans », ajoute Joscelyn qui nous rappelle que le salaire maximal d’un employé de Sécur est de 11 $ l’heure. « C’est le salaire d’un livreur de légumes», dit-il. Pourtant, les employés de Sécur véhiculent chaque jour des sommes d’argent importantes au péril de leur vie.

Une autre revendication majeure est la sécurité d’emploi. « 45 % de nos membres travaillent sur appels. On veut que Sécur les engage sous une base régulière, avec un statut de travailleur à temps partiel », explique le président du syndicat.

Des situations inquiétantes

« Depuis le 10 juin, soit près d’un mois avant le déclenchement du conflit, la direction avait déjà embauché ses briseurs de grève », déclare Joscelyn, qui trouve risqué de confier le travail difficile et dangereux des employés de Sécur à des sous-traitants.

« Les scabs sont mal équipés, dit-il. Par exemple, ils n’ont pas de matériel pour communiquer entre eux. De plus, un peu n’importe qui, dont plusieurs étudiants, se retrouvent avec un permis d’arme à feu. Ce qui n’est pas rassurant. »

Depuis le début du conflit, plusieurs problèmes sont survenus selon Joscelyn Tremblay. « Il y a eu des vols à l’interne. On a retrouvé des portes de guichet déverrouillées. Des alarmes partent pour rien. Les interventions sont de deux à trois fois plus longues. Il y a eu quelques cambriolages à Montréal et la Sûreté du Québec a eu vent d’un complot qui aurait pu se dérouler entre Québec et Montréal. »

Le mépris des patrons

Comme chez Vidéotron, le syndicat a déposé une plainte contre l’employeur pour pratique déloyale et réclame que le Code du travail canadien soit amendé de façon à protéger les syndiqués.

De son côté, Alban D’Amours, le président du Mouvement Desjardins, joue à l’autruche et se comporte comme si Sécur était une entreprise indépendante de Desjardins. Fleuron économique du nationalisme québécois, Desjardins a découvert, comme Quebecor, les bienfaits du fédéralisme canadien. Preuve, une nouvelle fois, que le patronat québécois n’a que mépris pour la classe ouvrière québécoise.

Le 10 juillet dernier, les offres patronales étaient rejetées à 99 %. Les grévistes ont occupé pacifiquement les bureaux administratifs de Desjardins et effectué bénévolement un lav-o-thon au bénéfice de la fondation Enfant Soleil. D’autres actions sont à prévoir au cours des prochaines semaines.|212| 
902|Encore 298 ménages sans logement|Patrick Lamoureux|

À Montréal



Deux mois après la date fatidique du 1er juillet, la situation ne s’est guère améliorée en matière de logement locatif. Les derniers chiffres en termes de taux d’inoccupation étaient de 0,6 % pour Montréal et Gatineau et de 0,8 % pour Québec. Du côté de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), on nous informe qu’après l’émission des 759 lettres disponibles pour suppléments au loyer il restait 298 ménages sans logis à Montréal, seulement parmi ceux qui étaient éligibles à ce programme.

En fait, le problème n’est pas nouveau et la situation se corse depuis 1997. Le Frapru, qui étudie la question de près, y voit l’effet pervers qu’a pu avoir le retrait des investissements du fédéral dans le logement social en 1994.

D’autre part, l’immobilisme du provincial est d’autant plus déplorable qu’il a coupé sa mesure de supplément au loyer. Cela aurait pour effet de pousser la Ville de Montréal à renvoyer les nécessitants aux CLSC ou aux comités logements de quartier qui ne possèdent pas les ressources nécessaires. Cul de sac.

La solution néolibérale miracle

Pendant que François Saillant, porte-parole du Frapru, fait pression auprès de Jacques Côté, ministre délégué à l’Habitation, l’IEDM publie une étude qui tente de faire contre-pied aux positions défendues par le Frapru.

Franchement néolibérale et miraculeuse, leur étude prône une déréglementation de l’industrie de la construction, un allégement du Code du bâtiment et une altération du mandat et des règles de fixation des loyers de la Régie du logement.

Au téléphone, M. Saillant me rappelait qu’environ 1 % seulement des loyers avait été fixé par la Régie du logement et que les causes de la crise actuelle ne pouvaient donc pas se situer de ce côté. Aussi, il me lançait que, avec son étude, « l’IEDM se tire une balle dans le pied ».

Il y a logement et logement à prix abordable

Il est vrai, en effet, que cette recherche comporte sa part de contradictions et d’hypocrisie. En affirmant pouvoir régler la crise par une déréglementation profitable au secteur privé, l’étude apporte une solution au manque de logements, mais pas au manque de logements à prix abordable.

On peut y lire que, avec la politique de réglementation du prix du loyer de la Régie, « les ménages les plus pauvres sont paradoxalement les plus touchés, car l’offre de nouveaux logements abordable chute rapidement dès que l’on instaure cette politique».

Mais si l’on fait sauter cette politique, les loyers augmentent de sorte qu’il soit payant pour le privé de construire des logements locatifs. Or si c’est payant pour les propriétaires, c’est que ce n’est pas abordable pour les ménages à faibles revenus…

Comment l’IEDM, qui préconise l’approche économique dans l’étude des politiques publiques, résout-il cette contradiction ? Par une intervention de l’État (!) sous forme d’aide monétaire directe aux plus démunis, m’a confié son auteur, Pierre Desrochers, rencontré dans les jolis locaux de l’Institut.

Parallèlement, l’ADQ, qui trouve l’étude intéressante, parle de réduire le rôle de l’État. C’est inquiétant, lorsqu’on pense que, d’après les chiffres de 1996, 273825 ménages locataires devaient dépenser plus de la moitié de leurs revenus en loyer.

Les leçons ontariennes

Au Frapru, où l’on pense, de concert avec la Commission des droits de la personne, en terme de droit au logement plutôt qu’en terme de profit, on défend les qualités et les acquis du logement social en ses différentes formules.

François Saillant rappelle le cas de l’Ontario où, après l’abolition du contrôle des loyers, le taux de logements inoccupés est demeuré très bas et les loyers ont connu une explosion remarquable. Avec des leçons de déréglementation semblables, il y a lieu de poursuivre la lutte pour les logements sociaux, conclut-il.

« Même s’il continue de croire qu’il faut en priorité s’attaquer à la pénurie même de logements locatifs, en accélérant et en augmentant la réalisation de logements sociaux, le Frapru croit que le gouvernement et les autorités municipales ont la responsabilité d’aider les ménages présentement sans logis et ceux qui le deviendront dans les prochains mois. »

À cet effet, les débats de l’automne devront porter, entre autres choses, sur l’option d’un allégement fiscal, avancé par la Communauté métropolitaine de Montréal, de même que sur le nombre de logements sociaux nécessaires (jusqu’à maintenant 8 000), à revoir à la hausse.

A–D–Cul

On pouvait lire dans l’édition du 27 juin de la Presse, sous la plume de Marie-Claude Girard, que l’Action démocratique du Québec défendait sensiblement les mêmes idées en matière de crise du logement que l’Institut économique de Montréal (IEDM). De son côté, François Gaudreau, député adéquiste de Vimont et responsable du dossier logement, confiait au journal que son parti n’avait pas encore de position officielle sur la question. Un air connu ?

Sans trop s’avancer, le député affirme considérer les propositions de l’étude Comment résoudre la crise du logement ? de l’IEDM. Ça aurait pu s’appeler Comment empirer la crise du logement ? mais cela n’empêche pas l’ADQ, du moins son chef, d’adhérer aux grandes lignes de l’étude. Pour l’instant, il est difficile d’en savoir plus sur leur position évasive en matière de logement, car le programme du parti éclipse cette question.|212| 
903|Salut Louis !|Émile Boudreau| Au salon funéraire, après avoir rendu un dernier hommage à Louis, qui repose dans son cercueil, et avoir offert mes condoléances à sa femme, Lucille, et aux membres de sa famille, je rencontre, au hasard de mes déplacements, un certain nombre de personnes qui l’ont côtoyé de près, qui ont travaillé avec lui, et même qui ont eu à l’affronter lors de litiges comme il s’en présente souvent au cours d’une carrière dans le monde des relations de travail. La plupart d’entre eux et elles évoquent des souvenirs, émettent des commentaires sur la personnalité de Louis, sur sa contribution à l’essor de la FTQ et du mouvement ouvrier dans son ensemble, et du rôle important qu’il a joué dans l’évolution de la société québécoise dans le domaine social.

Un des membres de l’équipe de la FTQ au sein de laquelle j’ai eu le privilège de travailler au cours des dernières années de ma propre carrière me dit 0 « Une des choses qui ont fait la force de Louis à la présidence de la FTQ fut qu’il savait reconnaître les compétences au sein des membres de l’équipe, qu’il leur faisait confiance pour mener à bien les dossiers dont ils étaient chargés et qu’il les appuyait de tout le poids de la centrale lorsque nécessaire. »

À mon avis cette remarque exprime, mieux que tout ce qui a été dit sur Louis, la façon dont il a su s’acquitter de la lourde responsabilité qui était la sienne comme président de la centrale. C’est l’histoire de la plupart des grands dossiers auxquels la FTQ a été associée au cours des années.

C’est presque l’histoire, par exemple, du Fonds de solidarité. Qui se souvient des noms des membres de l’équipe très réduite qui a eu l’idée d’un tel fonds et a soigneusement mûri cette idée pour en faire un projet bien documenté avant de la soumettre aux instances décisionnelles de la centrale ? Une utopie, ont dit certains. D’autres, dont Louis, ont écouté. Ils ont pesé le pour et le contre.

En dernière analyse, qui a réussi à convaincre les instances politiques de la centrale qu’il fallait que la FTQ se lance dans cette aventure ? Une idée géniale, porteuse d’avenir, un rêve qui aurait sans doute sombré dans l’oubli sans l’adhésion totale de Louis, dont le poids politique a fait que le rêve de quelques collaborateurs, est devenue une réalité qui demeure l’un des plus beaux héritages que Louis pouvait laisser à la centrale et à l’ensemble de la société québécoise.

Le Fonds de solidarité, c’est Louis. Parce que, dans l’opinion publique et dans l’esprit de la très grande majorité des membres des syndicats affiliés, la FTQ c’est Louis, et Louis c’est la FTQ. Cela, Louis le savait dès le moment de son élection à ce poste à l’automne 1964. Sur le plan politique, il représentait quelques centaines de milliers de travailleurs et travailleuses, mais l’affiliation, qui est facultative, n’était que d’à peine 50 %.

Il fallait corriger cette situation. Il devait donc être un rassembleur, Il l’a été. Magnifiquement. Je dirais même « majestueusement » ! En plus d’être un organisme politique de première importance, la FTQ devait aussi faire la preuve qu’elle pouvait fournir des services à ses composantes, les syndicats affiliés et les conseils du travail. Cela aussi, Louis l’avait bien compris.

Il disait 0 « La FTQ doit faire la preuve qu’elle est utile. Si les syndicats jugent qu’elle est utile, c’est qu’ils la jugent nécessaire. De là, il nous appartient de faire le nécessaire pour devenir indispensable. »

Indispensable ! Louis ne voulait rien de moins pour la FTQ. Sur le plan syndical, bien sûr, par son appui aux syndicats affiliés lorsque ces derniers avaient à faire face à une crise, mais indispensable aussi dans son rôle de composante majeure de la société québécoise.

Et c’est là que s’est révélé l’homme d’État que tous et toutes reconnaissent en lui. Il a su faire de la FTQ un instrument indispensable entre les mains des travailleurs et travailleuses du Québec sur les plans social et politique.

J’ai évoqué le dossier du Fonds de solidarité. Parmi les autres dossiers majeurs, il y a eu celui de la prévention et de la réparation des accidents et des maladies du travail. Personnellement, c’est surtout dans ce dossier que j’ai pu mesurer toute la dimension d’homme d’État du syndicaliste Louis Laberge. Parce que dans ce dossier il fallait agir sur le plan législatif.

Dans le domaine de la prévention, les règlements qui existaient relevaient de plusieurs législations sectorielles, (établissements industriels et commerciaux, construction, mines, etc.) et ils étaient tous totalement inadéquats.

Dans celui de la réparation, c’était l’antique Loi sur les accidents du travail, loi «moisie » s’il en fut, pour utiliser une expression de L’ancien président Maurice Bellemarre.

Le cahier des revendications de la FTQ avait été adopté lors du congrès de la centrale tenu en décembre 1975. C’était sous le régime du Parti libéral.

En novembre 1976 ce fut l’élection du Parti québécois. René Lévesque, le nouveau premier ministre, proclame immédiatement que l’une des priorités de son gouvernement sera la santé et la sécurité du travail.

En mai 1977, à la demande de Louis, je mets fin à une carrière de 26 ans au services du Syndicat des métallos et j’entre au service de la FTQ comme responsable du service « santé et sécurité du travail », un service que la FTQ est tenue de mettre sur pied en vertu de la résolution adoptée au congrès de 1975.

À ce sujet, une anecdote. Lorsque Louis m’avait offert le poste, j’avais posé une condition 0 que l’on m’identifie non pas comme « responsable du dossier», mais comme « directeur du service ». «Ça va mieux pour correspondre avec le patronat, avec les médecins et avec les ministres », avais-je dit.

Louis avait été immédiatement d’accord… «pourvu que tu ne te désignes pas comme président», avait-il dit avec un sourire en coin. C’était une approbation, mais c’était aussi un avertissement… comme j’ai pu m’en rendre compte à quelques reprises par la suite.

Quoi qu’il en soit, à partir du moment où ce dossier est devenu l’un des dossiers majeurs de la FTQ, ce fut la collaboration la plus totale entre le président de la centrale et le directeur du service santé et sécurité du travail. On connaît les résultats.

J’ai parlé du dossier que j’ai le mieux connu et auquel j’ai consacré le plus clair de mon temps pendant les quelques années au cours desquelles j’ai fait partie de l’équipe de la FTQ. Il y a eu d’autres dossiers, dont certains, d’une importance majeure, ont accaparé les efforts de tel ou tel membre de l’équipe et parfois l’implication de tel ou tel syndicat.

Partout, Louis était présent et partout il ne craignait pas de se « mouiller » et de faire sentir le poids politique qui était le sien en tant que président de la FTQ.

Il suffit de regarder un peu en arrière pour réaliser pleinement que ce fut ce genre de direction, de confiance mutuelle et de collaboration qui a fait de la FTQ la plus grande centrale ouvrière du Québec et un « partenaire » à part entière dans les domaines politique et social.

Salut Louis.|212| 
904|L’américanité, c’est le contraire de l’américanisation|Michel Lapierre| Comment un Acadien originaire du Nouveau-Brunswick, professeur à l’université d’Ottawa, peut-il affirmer que les Québécois révèlent leur schizophrénie identitaire lorsqu’ils définissent leur américanité ? L’Acadie, pays émietté à l’échelle du continent, n’est-elle pas, elle-même, l’une des définitions les plus bouleversantes de l’Amérique ?

Dans son livre Critique de l’américanité, le sociologue Joseph Yvon Thériault ne se pose pas ce genre de questions. Pour lui, l’Acadie se trouve à Caraquet, là où il est né. Et Caraquet ne se trouve pas en Amérique. Caraquet se trouve à Caraquet. C’est là que commence le Canada bilingue de Jean Chrétien. À cause de son lourd héritage colonial, ce Canada, qui fête à l’heure actuelle le jubilé du couronnement d’Élisabeth ii, n’a pas encore reconnu tout à fait qu’il appartient au Nouveau Monde.

La plupart des « Acadiens » vivent hors d’« Acadie »

Que l’Acadie historique se trouvât dans la très anglaise Nouvelle-Écosse d’aujourd’hui, cela ne trouble guère Joseph Yvon Thériault. Le sociologue a tendance à oublier l’occupation britannique de l’Acadie et la déportation de ses habitants. Thériault ne s’inquiète pas qu’il y ait plus de descendants d’Acadiens au Québec que dans l’ensemble des Maritimes. À titre de descendants d’Acadiens, Louis Cyr et Maurice Richard ne comptent pas à ses yeux.

Les Acadiens ne constituent qu’une minorité au Nouveau-Brunswick même. Thériault trouve ça normal. Pour lui, qu’importe l’anglicisation ! Qu’importe la discontinuité des zones de peuplement acadien au Nouveau-Brunswick ! Et pourquoi Thériault tiendrait-il compte outre mesure des nombreux Acadiens de Louisiane et de Nouvelle-Angleterre ?

Le beau Canada de Jean Chrétien

L’Acadie de Thériault ne saurait être un pays en pièces détachées, un continent de l’imaginaire. Aux yeux de notre sociologue, elle n’apparaît pas plus occulte que l’imagine Antonine Maillet, la plus illustre des bonnes sœurs défroquées du Nouveau-Brunswick. Même lorsqu’il songe aux Acadiens du Poitou et à ceux de Belle-Île-en-Mer, au large de la Bretagne, Thériault rêve à l’Acadie paroissiale de Caraquet dans le beau Canada de Jean Chrétien. Serait-il, au bout du monde, dans les îles Malouines, près de l’Antarctique, à la recherche de l’Acadie perdue, qu’il aurait encore les yeux tournés vers Ottawa. L’argent vient toujours d’Ottawa.

Thériault refuse de croire les intellectuels québécois lorsqu’ils soutiennent que l’américanité, vision identitaire dans le cadre continental, n’a rien à voir avec l’américanisation, assimilation aux formes les plus populaires de l’identité étatsunienne. Il ne se rend pas compte que l’américanité est un vaste concept, sujet à mille interprétations. On trouve assurément des intellectuels québécois qui, sans trop s’en apercevoir, confondent, du moins en partie, l’américanité et l’américanisation. Mais Thériault a tort de penser qu’il s’agit de la majorité. Comment peut-il croire que, dans la bouche d’un Québécois, le terme américanité porte déjà en lui-même la marque de la perversité ?

La logique du maître et de l’esclave

Thériault n’hésite pas à soutenir que nos intellectuels séduits par le concept d’américanité obéissent à « la logique du maître et de l’esclave, dans laquelle l’esclave, qui n’a plus de mot pour dire sa réalité, emprunte le langage du maître ». Ainsi, l’esclave québécois, conclut Thériault, « accentue son impuissance ». Sous la plume d’un Acadien, de telles affirmations ont une saveur bien particulière. Thériault ne se doute pas un seul instant qu’il est en train de transposer la tragique condition acadienne dans l’incertaine condition québécoise.

Il déplore en particulier l’aveuglement des écrivains québécois qui, tel Victor-Lévy Beaulieu, se laissent fasciner par l’Amérique québécoise. Si, comme Beaulieu nous l’a révélé dès 1972, Jack Kerouac a pu incarner l’américanité québécoise, c’est que le Québec, pays concret, servait de bouée à cet Américain dans son merveilleux naufrage identitaire. Le naufrage se révélait merveilleux parce que Kerouac sondait les profondeurs québécoises de l’océan américain. Comme l’Acadie est un pays abstrait qui ne retrouve sa réalité qu’au Québec, la naissance d’un Kerouac néo-brunswickois est très improbable. Si Thériault ne reconnaît pas la dimension nord-américaine de l’Acadie perdue, c’est qu’il lui manque le prisme québécois et kerouacien pour en déchiffrer tout l’arc-en-ciel onirique.

L’américanité est une invention québécoise

Le sociologue acadien fait grand cas d’une assertion du sénateur libéral Jean Le Moyne, selon laquelle « l’invention et la forme de l’Amérique ne sont pas françaises ». Il s’y appuie pour nous dénier le droit d’habiter en rêve et en réalité notre propre Amérique. Soit, le continent n’a jamais été vraiment français, mais il porte depuis des siècles l’ineffaçable tache québécoise pour la simple raison qu’il est, avant toute chose, amérindien. Comme le note Philip Roth, si la littérature américaine actuelle a pu se renouveler, c’est, en particulier, grâce à une romancière complètement inattendue 0 la métisse Louise Erdrich. À partir du Midwest, Louise Erdrich, qui a écrit Love Medicine et The Last Report on the Miracles at Little No Horse, réinvente l’Amérique métisse de Riel et de nos voyageurs des siècles passés en exprimant les interrogations les plus profondes de l’Amérique d’aujourd’hui.

L’américanité québécoise pourrait amplement se justifier si l’on considère seulement les millions d’Américains aux racines québécoises. Le double sens d’Amérique, terme qui désigne à la fois les États-Unis et le continent tout entier, fait partie depuis longtemps de l’ambiguïté québécoise. Mais il y a beaucoup plus. L’américanité québécoise se justifie par elle-même.

En Amérique du Nord, l’américanité tout court est une invention québécoise. Les Américains et les Canadians ne parlent pas d’américanité. Ils n’ont jamais tenté de se définir par rapport à l’imaginaire du continent. Ils n’en ont jamais ressenti le besoin, car leur identité d’anglophones n’a jamais été menacée. Whitman avait l’intuition de l’Amérique mieux que personne, mais ne s’appliquait pas à donner du continent une définition conceptuelle. En Amérique du Nord, l’américanité est un concept forcément québécois. Pris au sérieux, il devient, par la force des choses, une critique de la société à l’échelle continentale. Réfléchir sur l’américanité, c’est la seule façon sérieuse de s’opposer à l’américanisation au sens courant du terme. On lutte ainsi contre l’uniformisation et la déshumanisation du Nouveau Monde. Voilà bien ce que Thériault n’a pas compris. Son pays, le beau Canada de Jean Chrétien, ne connaît de l’Amérique que la stérilisante américanisation qu’il a subie.

Réfléchir sur l’américanité, c’est aussi tenter de fournir des explications historiques, sociales, économiques, politiques, voire philosophiques, à la profonde solitude que connaissent en Amérique du Nord les intellectuels et les artistes. Cette solitude explique pourquoi l’écrivain américain, comme le dit Philip Roth, ne s’exprime vraiment que par la fiction. À cause de l’anti-intellectualisme ambiant, l’Amérique du Nord ne peut pas se définir par le discours aussi facilement que l’Europe. Il faut à la pensée nord-américaine le masque régénérateur de la fiction pour triompher des interdits tacites. C’est là une réflexion qui a bien quelque chose à voir avec l’obsessive pudeur acadienne. Mais elle ne se lit pas dans le ciel de Caraquet.

Sans américanité, pas d’indépendance

Au bout du compte, Thériault n’a pas saisi que l’expression de notre américanité était la façon la plus naturelle d’affranchir notre mouvement d’émancipation nationale de l’étouffante tradition des nationalismes européens. Fruit de la Révolution tranquille et conséquence d’une redécouverte du continent, la réflexion sur l’américanité québécoise n’est rien d’autre que le chemin, dicté par les exigences de la géographie et de l’histoire, pour aboutir à la reconnaissance de l’universalité québécoise.

Dans l’expression littéraire de l’universalité, Paul Theroux, la voix américaine, et secrètement québécoise, de la World Fiction, nous précède déjà. En relatant, dans The Pillars of Hercules, sa traversée de la mer Ionienne, Theroux se plaît à rapporter l’allusion d’un voyageur montréalais anglophone à ce qu’on peut définir comme l’ouverture définitive des Québécois à l’Amérique entière et au reste du monde. Cette ouverture, que Joseph Yvon Thériault voit avec horreur comme le monstre de l’américanité et la fin de Caraquet, c’est bien entendu l’indépendance du Québec.

Joseph Yvon Thériault. Critique de l’américanité. Montréal, Québec Amérique, 2002. |212| 
905|Du perma press au valet service|Jean-Claude Germain|Mario Dumont est le jeune des vieux et le vieux des jeunes. Il a déjà prouvé hors de tout doute qu’il peut être tout pour tout le monde, ce qui serait précisément impossible s’il était objectivement jeune. La jeunesse est un âge qui ne veut ressembler à aucun autre et encore moins à tous les autres. Mario est bien pensant comme d’autres sont bossus. Il a d’ailleurs la bosse de la rectitude. C’est un cliché qui rêve d’être une idée reçue. Mieux encore, un lieu commun élu ! Il incarne le changement comme les saisons. À l’été, il fait campagne pour l’automne et répète sur toutes les tribunes que les vieux partis sont pour la répétition de la même saison. Son seul sens politique est d’avoir compris que le temps est venu de porter un complet veston et une cravate comme si c’étaient une chemise à manches courtes et des bermudas et inversément une chemise à manches courtes et des bermudas comme si c’étaient un complet veston. Malgré toute l’importance qu’il accorde à l’insignifiance vestimentaire, ce n’est toujours pas l’habit qui fait un Mario Dumont, c’est le perma press !

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La télévision a cinquante ans. Jadis les gens s’émerveillaient d’être à la télé. Ils n’arrivaient pas à croire que c’étaient bien eux qui étaient devant les caméras. C’était rafraîchissant. Aujourd’hui, ils s’émerveillent à qui mieux mieux d’être ce qu’ils sont. C’est désolant.

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Le pouvoir des synonymes. Il est possible de ne jamais changer les choses pourvu qu’on change les noms. Et le peuple, mobile dans ses passions, qui détestait la gendarmerie, l’applaudit si on la désigne garde nationale et, repoussant la conscription, l’approuve quand elle devient recrutement. On peut gouverner avec des synonymes, écrivait Alphonse Karr dans Les Guêpes (1839–1876), une revue satirique mensuelle dont il fut le directeur, l’éditeur et l’unique rédacteur pendant trente-sept ans. Le pouvoir des synonymes n’a jamais été autant d’actualité. Encore tout récemment on apprenait que les chômeurs qui sont à la recherche d’une djobbe se sont glorieusement métamorphosés en chercheurs d’emploi qui ont repris confiance dans le marché du travail. À quand la prochaine promotion au titre encore plus noble de prospecteur d’emploi ? Je ne suis pas un méchant homme, se plaisait à répéter Alphonse Karr. Je ne demande pas qu’on tue immédiatement tout les avocats ! Et les synonymistes ?

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Le visage à deux faces de la presse. Avant d’être un auteur de romans policiers, Haning Mankel a sûrement fréquenté les salles de rédaction de la presse écrite suédoise. Dans Le guerre solitaire (Seuil, Points, 1999), son héros détective croise un personnage que l’auteur ne peut avoir inventé. C’était un vieux rédacteur qui ne supportait pas les textes bâclés. Je me souviens encore de la colère qu’il a piquée une fois à cause d’un reportage vite fait mal fait 0 il a déchiré les feuillets en mille morceaux et il les a mangés. Il a mâché les morceaux de papier. Puis il a dit 0 Ça ne mérite pas de sortir autrement que comme de la merde ! Il disait aussi qu’il existait deux types de journalistes 0 Il y a le journaliste qui creuse pour trouver la vérité. Il est au fond du trou et il sort des pelletées de terre. Mais au-dessus de lui, il y en a un autre qui rebalance la terre au fond. Il est journaliste lui aussi. Et entre ces deux-là, c’est la guerre permanente. Tu as des journalistes qui veulent dévoiler, dénoncer. Tu en as d’autres qui jouent le jeu du pouvoir et qui travaillent à masquer ce qui se passe vraiment. Aujourd’hui, à l’université, on enseigne aux étudiants en communication qu’ils se doivent de présenter les deux points de vue dans un même article pour en garantir l’objectivité. Devinez alors lequel des deux journalistes lance toujours la dernière pelletée de terre ? Celui qui déterre ou celui qui enterre ?

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Ni goupillon, ni tuque. Pierre Gauvreau peut en témoigner. Jean-Paul Riopelle n’avait pas perdu un poil de sa vigueur anticléricale en vieillissant. Dans ses dernières années, un jeune musicien de son entourage avait manifesté le désir de lui faire entendre sa musique. Comme il était organiste, il invite donc le peintre à venir l’écouter dans une église où il a l’habitude de jouer. À sa grande surprise, Jean-Paul Riopelle refuse catégoriquement d’entendre sa musique à moins qu’il puisse l’écouter du parvis. Pas question pour l’ancien automatiste de mettre les pieds à l’intérieur d’une église. Au diable le goupillon et la tuque ! Il honorait toujours sa signature du Refus global.

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La cote des sciences est au plus bas. Un récent colloque nous révélait que, au niveau collégial, les jeunes boudent les carrières scientifiques et manifestent peu d’intérêt pour les sciences. La mauvaise image que les savants et les chercheurs ont dans l’opinion publique serait l’explication de cette désaffection. Une image négative qu’on attribue principalement à une contre-propagande orchestrée en permanence par les écologistes et les environnementalistes de tout poil et de toute feuille. Quelle a donc été la solution proposée ? Il fallait s’y attendre ! Une nouvelle campagne publicitaire pour revamper l’image des scientifiques auprès des jeunes. Que les prestations publiques des scientifiques puissent être responsable de la détérioration de leur propre image n’a, semble-t-il, jamais effleuré l’esprit des premiers intéressés. Si les scientifiques veulent absolument améliorer la teneur positive de leur image, les chercheurs n’ont qu’à cesser d’être les larbins et les laquais des diverses compagnies qui financent leurs recherches. On n’a pas besoin d’être idéaliste comme on l’est au niveau collégial pour se rendre compte que la science est dévalorisée par tous ces scientifiques, professeurs, savants ou chercheurs, qui ont troqué leur silence pour une commandite. La science ne peut s’en prendre qu’à elle-même si elle est devenue un valet service !|212| 
906|Être témoin de la Palestine|Stéphanie Beaupied| Le texte en exergue est tiré de l’introduction du rapport né du voyage d’enquête de neuf députés fédéraux en Israël, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza au printemps dernier. L’aut’journal a rencontré Francine Lalonde, députée de Mercier et porte-parole du Bloc québécois en matière d’affaires étrangères, qui était du nombre. Sur place, la délégation a rencontré des gens de tous les milieux, des élus palestiniens, des porte-parole d’ONG, du personnel médical, des groupes de jeunes ou de femmes, mais surtout des gens ordinaires. Ils ont constaté l’état inhumain dans lequel vivent les Palestiniens.

Nous avons pu traverser les régions grâce à notre chauffeur qui connaissait les endroits précis où passer, raconte Francine Lalonde. Les routes sont éventrées, il y a des fossés immenses et des piliers de ciment. Il faut passer dans les montagnes et les champs de patates.

« Le pire pour les Palestiniens, nous explique-t-elle, c’est ce que l’on nomme le “ bouclage ”. C’est le point de départ des problèmes quotidiens des Palestiniens.

« Depuis la réoccupation par Israël des territoires déclarés indépendants, la population palestinienne est littéralement refoulée. D’une part, les militaires israéliens bouclent aléatoirement des villes ou des morceaux de ville. C’est-à-dire qu’il est impossible pour les Palestiniens d’en sortir.

« D’autre part, la population est soumise au couvre-feu permanent. Par couvre-feu, on entend vingt-quatre heures par jour sans sortir sous peine d’être tiré à vue par un tireur embusqué. Les militaires laissent les gens sortir environ deux heures chaque deux ou trois jours pour aller chercher de la nourriture. »

Au moment de l’entrevue, Mme Lalonde recevait un télécopieur qui confirmait le 67e jour consécutif de couvre-feu à Naplouse. « Et ce bouclage des populations, nous explique-t-elle, a des conséquences désastreuses à tous points de vue. »

Sans travail, sans nourriture et sans aide

« Lorsque nous sommes allés à Hébron, poursuit Mme Lalonde, c’était une ville morte sans activité et de surcroît, coupée en deux par les autorités israéliennes. L’activité économique est impossible, les gens ne peuvent pas aller travailler. Ils n’ont pas accès non plus aux hôpitaux qui se trouvent de l’autre côté des postes d’Hébron. »

Le rapport indique que la ville d’Hébron est soumise au couvre-feu depuis 300 jours. Partout en territoires palestiniens les postes d’accès aux périmètres sont littéralement bloqués par les gardes-frontières israéliens. L’approvisionnement en nourriture et l’aide internationale parviennent très difficilement aux populations. Les Palestiniens sont laissés à eux-mêmes.

Quelles Autorités palestiniennes ?

Quand on entend « Sharon demande aux Autorités palestiniennes », on peut se demander à quelles autorités palestiniennes il fait référence. Selon Francine Lalonde, « les élus du Conseil législatif ne se sont pas réunis depuis septembre 2000, car ils sont eux aussi victimes du bouclage et des couvre-feux. De plus, leurs locaux sont complètement à plat. C’est contradictoire de leur demander de déclencher des élections ou de faire cesser les attentats. »

Une occupation coloniale

« Les colonies sont de plus en plus présentes et toujours là pour narguer les Palestiniens. Selon des ONG israéliens, 42 % des territoires palestiniens sont contrôlés par les autorités israéliennes, » nous confie-t-elle.

Depuis le dernier voyage de Mme Lalonde en Palestine, en 1994, l’étendue des colonies de peuplement israéliennes en territoires palestiniens ont doublé. « À l’époque de l’accord d’Oslo, les esprits étaient positifs quant au règlement du conflit. Mais déjà les Palestiniens n’y croyaient pas. Déjà, ils se sentaient menacés. »

Elle nous raconte que « les colonies de peuplement sont généralement situées sur les faîtes des collines. Elles disposent d’eau potable en abondance tandis que les paysans palestiniens vivent une pénurie. Les colonies israéliennes disposent d’aide du gouvernement. Ce sont des régions luxueuses pour ces pays. »

Pire encore, les colonies possèdent un réseau routier exclusif qui coupe les territoires palestiniens. Par exemple, explique-t-elle, « la bande de Gaza, petit territoire de 42 kilomètres par 12, est scindée par deux routes appartenant aux colonies israéliennes. Un trajet, qui durait autrefois vingt minutes, peut prendre deux heures aujourd’hui, car les Palestiniens doivent contourner ces routes. »

L’occupation d’un peuple par un autre

Loin d’être une question religieuse, les racines du conflit proviennent d’un déséquilibre économique et social profond et de l’occupation d’un peuple par un autre. Les premières victimes, ce sont les populations civiles.

« Les Palestiniens ne savent pas que les attentats leur font mauvaise presse, raconte Francine Lalonde, mais pour plusieurs, c’est une façon de résister aux souffrances infligées par l’armée israélienne.

« Quant aux Israéliens ordinaires, ils ne savent pas ce que les autorités israéliennes font subir aux populations palestiniennes. Une manifestation de 80000 Israéliens à Tel-Aviv réclamait la fin de l’occupation des territoires palestiniens. »

Ce que la délégation a vu et entendu

• En 2001, le salaire annuel moyen en Israël est de 26 000 $ CA, celui des Palestiniens est tombé à 900 $.

• Selon la Banque mondiale, 70 % des Palestiniens vivent sous le seuil de la pauvreté, c’est-à-dire avec moins de deux dollars par jours.

• Les Palestiniens consomment 37,5 m3 d’eau annuellement tandis que les colons juifs en consomment près de 700.

• Les terres agricoles palestiniennes ont été dévastées, 50 000 oliviers et 20 000 orangers ont été volontairement saccagés.

• Israël ne transfert plus de fonds publics. Ils doivent 1,2 milliards $ aux Autorités palestiniennes.

• Les transports sont entravés 0 140 000 conteneurs de marchandises sont bloqués dans les ports.

Selon les ONG palestiniens…

• Les Palestiniens sont victimes d’exécutions, d’arrestations et de fouilles sommaires.

• 80 % des personnes tuées sont des civiles et le quart sont des enfants.

• Le personnel médical est directement attaqué et son matériel est détruit.

• On craint une poussée épidémique de rougeole et d’hépatite C.

• L’eau est contaminée.

www.missiontopalestine.com|212| 
907|Les deux tiers des Brésiliens favorisent la gauche|André Maltais|

Élection présidentielle le 6 octobre



La gauche a plutôt le vent dans les voiles en Amérique du Sud. Après la Bolivie, où le candidat Evo Morales du Mouvement vers le socialisme est arrivé deuxième aux élections du mois dernier, voilà que le Brésil, dixième économie mondiale, fait bien plus que pencher à gauche. Pour l’internationale capitaliste, il ne faut absolument pas que le Parti des travailleurs de « Lula », obstinément en tête des sondages, remporte la prochaine élection ! Quitte à lui mettre un autre candidat « de gauche » dans les pattes.

Pour la quatrième élection présidentielle consécutive, « Lula » est au rendez-vous. Après trois échecs (1988 contre Fernando Collor de Mello, 1994 et 1998 contre Fernando Henrique Cardoso), le candidat du Parti des travailleurs (PT) était jusqu’à récemment tellement populaire que les sondages n’étaient même pas intéressants.

Le 5 juin, dans le pays le plus inégalitaire du monde, « Lula » recueillait 41,6 % des appuis contre 18,4 % pour son plus proche rival, Jose Serra, du Parti social-démocrate de l’actuel président Fernando Henrique Cardoso.

Deux semaines plus tard, le club des amis des marchés financiers se mettait à l’œuvre. Le président Cardoso prédit d’abord le « chaos économique » et une possible « transformation du Brésil en Argentine » si Luiz Inácio Lula da Silva remporte la victoire.

Puis le secrétaire étatsunien au Trésor, Paul O’Neill, laisse clairement entendre que son pays ne soutiendrait pas une nouvelle aide du FMI au Brésil pour calmer les craintes des marchés financiers provoquées par les incertitudes liées à l’élection présidentielle du 6octobre.

On s’excuse !

Allan Greenspan, président de la Réserve fédérale étatsuniennes, en rajoute 0 « Le problème du Brésil, dit-il, est 100 % politique. »

Ces déclarations et bien d’autres sont toutes hypocritement suivies d’excuses et de « clarifications » d’autant plus faciles à apporter qu’à chaque fois le mal est fait et que les auteurs des déclarations sont les mêmes que ceux qui y réagissent.

Ainsi, le 21 juin, le réal (monnaie brésilienne) atteint un plancher historique de 35,2 cents étatsuniens et les agences de cotation chiffrent le « risque-pays » brésilien (indice censé mesurer les dangers qu’il y a à investir dans un pays donné) à 1 706 points, ce qui constitue la deuxième pire cote mondiale après l’Argentine.

Le spectacle destiné à influencer le vote était commencé avec des acteurs tous du même bord. Des industriels et économistes tel Maurício Costin, directeur des relations internationales de la Fédération des industries de São Paulo, y ajoutaient leur réplique 0 « Le capital a peur, les capitaux étrangers vont fuir » parce que « Lula » pourrait « décréter un moratoire sur le remboursement de la dette du pays. »

Une droite trop nulle

Le 24 juin, l’appui à Lula da Silva avait fondu de quatre points (à 36,1%) malgré une alliance contre-nature du PT avec le Parti libéral (droite) du riche industriel et sénateur Jose Alencar.

Mais, un mois plus tard, le Parti social-démocrate de Jose Serra ne décollant toujours pas (il n’a que 20,9 % des intentions de vote), la monnaie brésilienne dégringole encore plus. Elle ne vaut plus que 29,7 cents étatsuniens, 27 % de moins qu’en janvier 2002.

Le 28 juillet, Paul O’Neill avait déclaré une nouvelle fois que les États-Unis ne prêteraient ni au Brésil, ni à l’Argentine. À quelques jours d’une tournée devant le conduire dans les deux pays, O’Neill avait ajouté que ceux-ci devaient d’abord « instaurer des politiques empêchant l’argent reçu de s’en aller aussitôt dans des comptes de banque en Suisse » (New York Times, 31 juillet).

Mais, quoique volontairement exagérée, la peur des marchés n’en est pas moins réelle. C’est pourquoi, le 4 août, les États-Unis annoncent l’octroi de prêts à court terme d’une valeur de 1,5milliard $ à l’Uruguay, petit pays coincé entre le Brésil et l’Argentine et dont le système bancaire est au bord de l’effondrement.

Culbutes gouvernementales

Le jour même, en effet, le congrès uruguayen avait voté une loi restreignant les retraits bancaires des épargnants. Cette loi venait au retour d’un « congé bancaire » de quatre jours décrété par le gouvernement et ressemblait étrangement à celle qui avait mis le feu à l’Argentine en décembre dernier faisant culbuter deux gouvernements en quelques jours !

Enfin, le 7 août, les électeurs brésiliens n’étant toujours pas intimidés (les deux tiers d’entre eux appuient des partis de gauche), le FMI, largement dominé par les États-Unis, finit par accorder au Brésil 30 milliards $ en prêts échelonnés sur les quinze prochains mois.

Trois jours auparavant, le New York Times avait mis en garde contre un effondrement de la dixième économie mondiale avec sa dette de 264 milliards $ (plus du double de celle de l’Argentine) 0 « Un revers au Brésil, peut-on y lire, ralentira assurément les réformes vers le libre marché entreprises partout ailleurs en Amérique du Sud, surtout que ce continent paraît déjà fatigué d’attendre de ces mêmes réformes une prospérité générale qui tarde à venir. »

Allusion à peine voilée au futur Accord de libre-échange des Amériques (Zlea), qu’une crise brésilienne, après celle de l’Argentine, mettrait à coup sûr en danger. Déjà que le Brésil hésite !

Fabricants de voitures en danger

De plus, d’importantes banques (Citigroup, Fleet Boston, J.P. Morgan Chase) et compagnies étatsuniennes (General Motors et d’autres fabricants de voitures) sont profondément engagées au Brésil et auraient fait pression sur l’administration Bush.

Les banques américaines ont jusqu’à 25,6 milliards $ en suspens sur des prêts effectués à des emprunteurs brésiliens. Citigroup à elle seule détiendrait des créances de 9,7 milliards $ et l’un de ses directeurs actuels est Robert H. Rubin, ex-secrétaire étatsunien au Trésor du temps de Bill Clinton et architecte principal des compromis d’« aide » au Mexique, à la Russie et à plusieurs pays asiatiques lors des crises économiques de la fin des années quatre-vingt-dix.

Quant aux fabricants étatsuniens de voitures, ils auraient dépensé des milliards pour moderniser leurs usines au cours des dernières années, et le Brésil représente leur plus grand marché étranger des Amériques.

Le prêt sert donc les intérêts économiques de l’Oncle Sam. Pour qu’il serve aussi ses intérêts politiques, on a pris bien soin de l’assortir de conditions bien spécifiques.

Ainsi, dès l’an prochain, l’État brésilien doit dégager un surplus budgétaire équivalant à 3,75 % de son produit intérieur brut ce qui force les deux principaux candidats de gauche à la présidence à se positionner immédiatement sur la question de l’austérité budgétaire.

Esprit de famille

Les deux hommes (« Lula » et aussi Ciro Gomes du Parti populaire socialiste) se sont engagés à respecter cette condition ce qui en fait déjà, dans la tête de leurs électeurs, des candidats un peu moins différents des autres.

Ensuite, et surtout, plus de 80 % des crédits accordés ne seront accessibles qu’après l’élection présidentielle du 6 octobre.

Selon le Financial Times (9août), les titres des compagnies étatsuniennes bien implantées au Brésil ont subitement remonté sur les bourses new-yorkaises quelques heures avant même l’annonce officielle faite par le FMI. Comme quoi prêteurs et investisseurs internationaux forment une famille très proche !

Le suspect est à gauche

C’est au cours du mois de juillet qu’un second candidat « de gauche » est apparu dans les plates-bandes du Parti des travailleurs. Jeune et populiste, Ciro Gomes traînait la patte dans les sondages quand il s’est mis tout à coup à grimper en visibilité… et en popularité ! Le 2 août, il apparaît soudainement en tête des intentions de vote avec 34,3 % contre 33,6 % pour Lula da Silva.

Ancien ministre des Finances, Gomes dirige un parti (le Parti populaire socialiste) qui défend un programme de gauche aux accents nationalistes. Si certains milieux financiers disent se méfier de lui autant que de Lula da Silva, il n’en reste pas moins que sa montée rapide est suspecte.

Comme sont suspects les liens étroits qu’il entretient avec une pléiade de politiciens de droite parmi les plus corrompus tels l’ex-président du pays Collor de Mello et l’ex-président du sénat Carlos Magalhães.

Gomes vient tout juste d’annoncer qu’en cas de victoire, il s’adjoindrait Jose Alexandre Scheinkman, champion du libre-marché et professeur d’économie à l’université étatsunienne Princeton, pour veiller au respect des conditions liées au prêt du FMI.

Tout se passe comme si, ne pouvant battre Lula sur sa droite (son principal rival de droite est à 11 % dans les sondages du 2 août !), on s’essayait sur sa gauche. Aux dires du Miami Herald (3 août) 0 « Gomes est venu à la rescousse. Il a le style de Lula mais il n’effraie pas les investisseurs bien qu’il promette une augmentation des dépenses sociales et une plus juste distribution de la richesse. »|212| 
908|L’opposition à la mondialisation passe par l’opposition à la guerre|Pierre Dubuc| Je téléphonais à Michel Chossudovsky pour le féliciter pour son livre Guerre et mondialisation – La vérité derrière le 11 septembre – plus de 250 personnes ont participé au lancement – qui s’est vite retrouvé dans la liste du palmarès des best-sellers, malgré l’absence d’intérêt des grands médias. J’ai eu droit à un exposé sur les manipulations en cours pour justifier la guerre contre l’Irak et à une critique acerbe, courageuse et ma foi fort juste du mouvement antimondialisation québécois.

Je sais que tu m’appelles pour mon article pour l’édition du mois d’octobre, me dit-il, mais je n’ai pas eu le temps de l’écrire. J’ai dû m’occuper de la publication de mon livre qui paraît simultanément en six langues 0 français, anglais, italien, espagnol, allemand et coréen. » On l’aurait excusé pour moins ! Évidemment, Michel ne pouvait s’empêcher de commenter l’actualité, et moi de prendre des notes.

C’est une guerre de conquête

Ce matin-là, les médias commentaient les déclarations de Jean Chrétien reliant le terrorisme à la pauvreté, propos qui lui ont valu d’être violemment attaqués pour complaisance à l’égard du terrorisme par le National Post et d’autres publications de droite au Canada anglais.

« C’est un faux débat qui est lancé pour camoufler la vérité », tranche Chossudovsky en rappelant qu’« Oussama ben Laden est une création de la politique étrangère étatsunienne et les attentats du 11 septembre, un prétexte pour le déploiement d’une guerre de conquête étatsunienne qui menace l’avenir de l’humanité ».

Les lecteurs de l’aut’journal sont évidemment familiers avec cette analyse que Michel a développé depuis un an dans nos pages. Mais un article de journal ne permet pas le même développement qu’un livre.

Et je sais que certains ne voient dans la thèse de Michel sur la complicité des autorités étatsuniennes dans les événements du 11 septembre qu’une hypothèse, certes intéressante, mais non prouvée. Ceux-là doivent au plus tôt lire Guerre et mondialisation. La démonstration est époustouflante.

L’histoire secrète des relations entre Washington et le terrorisme international – que ce soit en Bosnie, au Kosovo, en Macédoine, en Tchétchénie, au Pakistan ou en Afghanistan – est mise à nu.

Puis, au-delà de la mouvance terroriste, Michel décortique avec la précision d’un chirurgien les intérêts économiques, pétroliers, militaires, mafieux en jeu.

Le tout jette un éclairage nouveau sur les contradictions entre l’axe anglo-étatsunien (auquel participe le Canada) et l’Europe, le jeu ambigu de la Russie et la volonté étatsunienne de contrer l’émergence de la Chine.

Mais surtout apparaît au grand jour la volonté guerrière étatsunienne de conquérir et de dominer le monde en tirant profit d’une énorme supériorité militaire, et en recourant au besoin aux armes nucléaires.

En refermant le livre, on a envie de dire que « rien ne sera plus pareil après le 11 septembre », mais en termes politiques plutôt qu’émotionnels.

Michel Chossudovsky nous fait réaliser que certains groupes politico-militaro-financiers ont profité de l’attentat contre les tours jumelles pour procéder à ce qu’on pourrait qualifier de coup d’État.

Mais est-ce que nous l’avons bien compris, et en avons tiré les conclusions qui s’imposaient ? Michel ne le croit pas.

La complaisance de la gauche

« Où est le mouvement contre la guerre ? Où sont les pacifistes ? » demande-t-il. « En Angleterre et dans plusieurs autres pays, les gens manifestent contre la guerre. Il y a peut-être beaucoup d’illusions sur les interventions possibles de l’organisation des Nations unies, qui est manipulée par Washington, mais au moins on agit ! » tonne-t-il.

Il s’étonne que les mouvements sociaux continuent de s’opposer au libre-échange, à la Zlea, en dissociant ces revendications de la lutte contre la guerre.

« La donne est changée depuis le 11 septembre, mais pour les mouvement sociaux, ça semble être business as usual. Pourtant, on ne peut se cantonner dans une approche locale, alors que la guerre va s’approprier les budgets des gouvernements.

« Il n’y a pas non plus de projet souverainiste possible sans compréhension des enjeux que pose la guerre de conquête de l’empire étatsunien présentement en cours. Qu’on pense seulement que les États-Unis viennent d’établir une structure de commandement militaire unique pour l’ensemble de l’Amérique du Nord. C’est le volet militaire de l’Alena. »

Il interpelle le mouvement antimondialisation et la gauche, qu’il qualifie de complaisante. « Ces mouvements s’en prennent au FMI et à la Banque mondiale, mais non aux États-Unis dont on sait pourtant qu’ils tirent les ficelles de ces deux organisations. »

Il critique également le rituel des contre-sommets et de la soi-disant « participation de la société civile ». « On ne remet pas en cause le pouvoir. On crée l’illusion d’une démocratie constitutionnelle. Ce n’est pas surprenant dans la mesure où ces conférences et teach-ins internationaux sont souvent financés par les gouvernements ou des fondations privés comme la Rockefeller ou la MacArthur Foundation. » Clairement, ces sommets parallèles internationaux ne peuvent pas constituer la base de la lutte contre la guerre.

« Pour désarmer l’empire américain, écrit-il dans son livre, nous devons passer à un niveau supérieur et lancer des mouvements de masse dans nos pays respectifs. Ce sont les forces populaires qu’il faut mobiliser en vue de contester ceux qui menacent notre avenir collectif ».

Pour mobiliser le peuple, il faut l’informer, démasquer le mensonge officiel, enlever toute légitimité aux gouvernants qui appuient la guerre, en révélant au grand jour les mécanismes du système totalitaire qu’on est en train de mettre en place.

C’est ce que fait admirablement bien son livre Guerre et mondialisation. À lire absolument !|213| 
909|Brèves|Pierre Dubuc| Cet homme est un imposteur

Lors du dernier congrès de l’ADQ, Claude Castonguay a apporté son appui aux projets de privatisation des soins de santé. Mario Dumont s’est servi de la caution que lui apportait M. Castonguay en le présentant comme le « père de l’assurance-maladie », et les médias ont véhiculé l’information sans la moindre critique.

Il faut dénoncer cette imposture. M. Castonguay se présente comme un hon_nête homme, mais il n’en est pas un. M. Castonguay est un renégat.

M. Castonguay a bel et bien présidé à la mise en place de notre système public de santé durant la courte période de temps – de 1970 à 1973 – où il a été ministre dans le cabinet Bourassa. Mais sa vie professionnelle ne s’est pas arrêtée là.

De 1982 à 1989, il a été président du groupe d’assurance La Laurentienne et officiait comme vice-président du conseil d’administration et membre du comité exécutif de la banque Laurentienne. Est-il besoin de rappeler que les compagnies d’assurance sont les principales bénéficiaires de toute privatisation des soins de santé ?

En 1996, M. Castonguay a participé à un comité gouvernemental dont le rapport intitulé L’assurance médicaments, des voies de solution, proposait un régime d’assurance mixte public-privé qui laissait la grosse part du gâteau aux assureurs privés.

M. Castonguay a également siégé sur le Conference Board du Canada – un organisme ayant pour but de promouvoir le secteur privé – à titre de vice-président de 1985 à 1989 et de président de 1989 à 1991.

Pourquoi La Presse et Le Devoir continuent-ils à publier régulièrement les opinions de M. Castonguay en faveur de la privatisation du système de santé en le présentant comme le « père de l’assurance-maladie », tout en omettant de mentionner le reste de son CV ? Est-ce parce que le propriétaire de La Presse, Power Corporation, possède également les deux plus importantes compagnies d’assurance du Canada, la Great-West et la London Life ? Est-ce parce que le mouvement Desjardins, qui comprend Assurances Desjardins, est un des principaux bâilleurs de fonds du Devoir ?

L’art d’enterrer une importante révélation

« Un projet secret de domination globale par les États-Unis révèle que le président Bush et son cabinet songeaient à une attaque préméditée contre l’Irak, pour y changer de régime, avant même son élection en janvier 2001 », écrit le journaliste Jooned Khan de La Presse en reprenant une information du Sunday Heral d’Écosse.

Préparé par un centre de réflexion néoconservateur nommé Project for the New American Century, le texte montre qu’un « cabinet Bush entendrait prendre le contrôle de la région du Golfe, que Saddam Hussein fut ou pouvoir ou non en Irak ».

Information intéressante, n’est-ce pas ? Qui jette un nouvel éclairage sur les attentats du 11 septembre et apporte de l’eau au moulin de la thèse de Michel Chossudovsky. On se serait attendu à ce que les chroniqueurs et les éditorialistes de La Presse reprennent cette information, la commentent, la dissèquent et examinent à la lumière de ces révélations les justifications apportées par Bush à une intervention contre l’Irak. Mais non, on continue à relayer le discours de Bush et à préparer l’opinion à la guerre.

La Commission de la langue contredit le rapport Larose

« Si j’avais pu faire des enquêtes de mon propre chef, des accusations pour infractions à la Loi 101, il y en aurait à la tonne », a déclaré à La Presse Odette Lapalme au terme d’un mandat de cinq ans à la tête de la Commission de la langue française, l’organisme chargé de faire respecter la Loi 101.

Si tout cela est vrai – et nous n’avons aucune raison d’en douter –, pourquoi le rapport Larose nous a-t-il dépeint un portrait si optimiste de la situation ?

Quand le pouvoir finance la dissidence

Un beau cahier de seize pages est paru dans Le Devoir de la fin de semaine du 28 septembre intitulé Place à la démocratie. Le cahier a été produit pour le Forum international de Montréal (Fim) dont l’objectif déclaré est de « définir la démocratie mondiale ». Le Fim se définit comme « une alliance mondiale d’individus et d’organisations ayant pour but d’accroître l’influence de la société civile internationale sur les Nations unies et le système multilatéral ».

La liste des commanditaires de l’événement nous indique les sentiers dans lesquels ne s’aventurera pas ce Forum. Ce sont l’Agence canadienne de développement international, différents ministères du gouvernement du Québec, la Ford Foundation et la Rockefelle Foundation. Surpris que la guerre contre l’Irak ne soit pas à l’ordre du jour ?|213| 
910|Noranda veut revenir cent ans en arrière|Gabriel Sainte-Marie|

650 travailleurs en grève à Rouyn-Noranda



Depuis le 18 juin, les 650 travailleurs de la fonderie Horne à Rouyn sont en grève parce que la multinationale Noranda veut réduire leurs conditions de travail déjà épouvantables. Noranda refuse également, avec la bénédiction du gouvernement, d’investir les millions nécessaires à la réduction des émissions toxiques qui empoisonnent ses employés et toute la population de l’Abitibi. Nous avons rencontré les membres de l’exécutif du syndicat.

La situation décrite par les travailleurs est surréaliste. On a l’impression de revenir cent ans en arrière ou encore de se retrouver dans un pays du Tiers-Monde.

Quarante-huit victimes du béryllium

Les travailleurs font face à un nouveau problème médical 0 l’intoxication au béryllium. Comme m’explique Raymond Desabrais, le président du Syndicat des travailleurs de la mine Noranda (CSN), « les gars d’entretien qui sablent les pièces de la fonderie contaminées par ce produit radioactif respirent sa poussière et développent la bérylliose trois mois plus tard ».

Le problème est apparu il y a dix ans. Pendant la guerre froide, on retrouvait du béryllium dans l’équipement militaire. « Aujourd’hui, il y en a presque partout, révèle Stéphane Langlois, vice-président du syndicat, il y en a dans l’avionique, dans l’électronique, les autos, les bâtons de golf et même dans les soudures de bicyclettes ».

Il est dangereux d’en respirer la poussière. La maladie s’attaque d’abord aux poumons et elle est incurable. Raymond Desabrais s’indigne 0 « Il y a déjà trente de nos hommes qui l’ont, plus dix-huit dans une filiale de Noranda à Gaspé. »

Pour Jean-Claude Larouche, conseiller syndical à la CSN, il est inacceptable que « les travailleurs qui ont sablé le produit n’en soient informés qu’un mois plus tard, quand il est déjà trop tard pour faire quoi que ce soit. À Gaspé, poursuit-il la direction de Noranda était au courant du sort des travailleurs et ne les a jamais avertis. » Ces derniers poursuivent présentement Noranda en justice.

À la Horne, la compagnie avait choisi de régler le problème à la source et d’installer des dépoussiéreurs. Mais, comme dit Desabrais, « elle a tout abandonné 0 trop cher, pas assez de profit à leur goût, et maintenant la grève ».

Les travailleurs, leur famille et toute la population de la région sont depuis longtemps empoisonnés par la fonderie. Gaétan Guindon, conseiller syndical à la Fédération de la métallurgie de la CSN résume les faits 0 « La cheminée crache de façon démesurée de la poussière de plomb et d’autres métaux, de l’arsenic et de l’anhydride sulfureux [responsable des pluies acides] sur la ville. »

Chacun de ces produits attaque sévèrement le corps humain. Pire, les études ont démontré que leurs effets combinés sont dévastateurs. Le président du syndicat s’indigne en constatant qu’un syndiqué sur deux n’atteint pas l’âge de la retraite, et que le niveau de santé de la population de Rouyn-Noranda est très médiocre.

16 % du travail confié à la sous-traitance

Les employés font également face à une concurrence déloyale avec le recours à la sous-traitance. « Ils ont la moitié de notre salaire, aucune pause, des heures de travail non réglementées et aucune sécurité d’emploi », affirme Stéphane Langlois.

« Le personnel syndiqué a été réduit de 16,5 %. Tout l’entretien est passé à la sous-traitance. » Ces travailleurs à statut précaire n’ont aucun recours en cas d’accident ou de maladie professionnelle. Raymond Desabrais résume la situation 0 « L’employé estropié ou malade n’a d’autre ressource que l’aide sociale. »

Le gouvernement complice

L’exécutif syndical sait que la grève accommode bien la direction de Noranda. La compagnie devait s’adapter aux normes environnementales avant 2001, mais elle a obtenu deux années de grâce du gouvernement québécois… à cause de la grève !

Noranda doit réduire ses émissions de poussières polymétalliques de 70 % et d’anhydride sulfureux de 90 %. Cela nécessitera des centaines de millions d’investissement. C’est ce qui fait dire à Raymond Desabrais que « cette grève est un lock-out déguisé. Les offres qu’ils nous ont proposées sont tout simplement ridicules. »

Stéphane Langlois précise que les offres dites « finales, globales et totales » présentées le 26 septembre par la compagnie retirent aux travailleurs le peu d’acquis obtenus jusqu’ici et ne reconnaissent plus le principe de l’ancienneté. De plus, la direction n’offre aucun régime de retraite et demande le libre accès à la sous-traitance.

Après les sous-traitants, les scabs…

Pour ajouter au portrait, la compagnie emploie des briseurs de grève. « Noranda engage trois sous-traitants pour conduire un camion », affirme Stéphane Langlois. De toute évidence, les deux autres « conducteurs » remplacent les grévistes.

Malheureusement explique Desabrais, « l’usine est si grande qu’il est impossible de surveiller toutes les entrées pour prouver qu’il y a des scabs, ce qui est de toute évidence illégal. C’est un mépris et un manque de respect total envers nous. »

Pour mettre davantage de pression, la direction de Noranda évoque la fermeture de la fonderie, en donnant en exemple le sort de Murdochville. Rouyn-Noranda, faut-il le rappeler, est également une ville mono-industrielle. La compagnie menace aussi de déménager ses installations en Amérique latine, où les salaires sont plus faibles et où il n’y a aucune loi environnementale.

Ces menaces n’effraient pas les syndiqués. « La direction n’avance aucun chiffre pour appuyer ses menaces, rétorque Stéphane Langlois. La fonderie est très rentable et la compagnie dépend de la formation et de l’expérience des syndiqués. Le smelter représente beaucoup d’investissement et ne peut pas être déménagé. »

Ajoutons que la situation n’est guère meilleure pour les 600 syndiqués (TCA) de fonderie de Falconbridge, présentement en grève dans le Nord-Est de l’Ontario, dont la Noranda vient de faire l’acquisition. La multinationale exige là aussi un grand recul des conditions de travail de ses ouvriers…

Noranda, la pieuvre

Presque aucune information sur Noranda et ses pratiques malhonnêtes ne perce dans les médias même si la grève dure depuis le 18 juin. C’est que la Noranda a le bras long. Propriété de la famille Bronfman, une des familles les plus riches au Canada, son réseau d’influence englobe les médias de masse, tant publics que privés.

Filiale de Brascan, Noranda en mène large au Québec. Il n’y a pas que le conflit à la fonderie de Rouyn. À Murdochville, c’est la fermeture de la fonderie avec le versement d’indemnités ridicules aux travailleurs. À Thetford Mines, c’est l’usine polluante de Magnola qui inquiète à juste titre la population.

Noranda est aussi impliquée dans les coupes à blanc de nos forêts par le biais de sa division Foresterie, et dans des dizaines d’autres entreprises.

Avec des actifs de 12 milliards $, dont 2,3 milliards au Québec, 16 000 employés à travers le monde, dont 6 800 au Québec, Noranda est un géant qui dicte ses ordres aux gouvernements et considère l’ensemble du Québec comme une company town.

Il est plus que temps que le mouvement ouvrier et la population du Québec en général s’intéressent de près à la compagnie Noranda et aux multiples tentacules qu’elle étend sur le Québec.|213| 
911|L’Alliance des profs riposte|Pierre Dubuc|

Poursuite de 30 millions



La Cour supérieure du Québec a autorisé un recours collectif réclamé par M. Alfred Gagné au nom de tous les parents de la Commission scolaire de Montréal (CSDM) pour des dommages compensatoires et exemplaires évalués à 30 millions $ pour les trois jours de grève illégale des professeures de l’Alliance en faveur de l’équité salariale.

Pourtant, rappelle Pierre Saint-Germain, président par intérim de l’Alliance, nous nous étions pliés à une ordonnance du Conseil des services essentiels en mettant en place un plan rattrapage scolaire dans chaque école pour récupérer les trois journées de classe manquées lors de la grève. Le tout à la satisfaction du Conseil des services essentiels, de la CSDM et du Comité central des parents. »

Mais la Cour supérieure a vu les choses autrement et la facture risque d’être salée 0 la réclamation est de 100 $ par jour de grève pour les parents de chacun des 100 000 élèves. L’amende pourrait donc atteindre 30 millions $, soit l’équivalent de 5 000 $ par membre de l’Alliance !

De toute évidence, l’objectif de la Cour supérieure est de casser le syndicat des profs et d’intimider toutes les organisations syndicales du secteur public.

Aux parents de se désister

L’Alliance a décidé de ne pas attendre passivement le jugement. Elle a lancé une campagne invitant les parents à se désister de la poursuite, même si la mécanique pour y parvenir est assez complexe. Il faut savoir que tous les parents sont, bon gré mal gré, associés à ce recours et ont le fardeau de s’en dissocier.

Pour ce faire, ils doivent normalement envoyer, individuellement, une lettre certifiée, au coût de 4 $, au greffe de la Cour supérieure, à l’intérieur d’un délai de soixante jours.

Pour simplifier la procédure et réduire les frais, l’Alliance a produit des formulaires de désistement et des enveloppes pré-affranchies. Les parents qui sont solidaires des professeures de leurs enfants et veulent se désister de ce recours collectif doivent contacter l’Alliance le plus rapidement possible au 514-383-4880.

« Depuis que l’opération est en cours, les lettres de désistement rentrent au rythme de deux cents par jour », explique Pierre Saint-Germain. L’Alliance évalue le nombre de parents concernés à environ soixante mille.

Les tribunaux ont remplacé la police

Plusieurs ne croient pas que les tribunaux condamneront les profs à de telles amendes. Mais il faut se rappeler que le syndicat des chauffeurs d’autobus de la Société de transport de la Rive-Sud de Montréal avait été condamné à verser un montant équivalent à une journée de transport gratuit par suite d’un recours collectif.

D’autre part, nous avons l’exemple récent des membres de la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec (Fiiq) forcés de payer des amendes mirobolantes pour avoir enfreint la loi 160 suite à leur grève illégale.

Jadis, c’est la police qui mettait fin aux grèves illégales à coups de matraque. Mais, au cours des dernières décennies, les moyens de répression sont devenus plus sophistiqués. Les gouvernements ont mis en place une véritable panoplie de moyens judiciaires qui rendent le droit de grève dans le secteur public à toute fin pratique inopérant.

Au même moment, les tribunaux acquéraient une fausse respectabilité avec l’entrée en vigueur des chartes des droits et libertés. L’idéologie des droits humains s’est imposée. Les juges sont présentés – et souvent perçus – comme impartiaux, honnêtes, objectifs et sans partisanerie politique.

Ne serait-il pas temps que les organisations syndicales questionnent l’appareil judiciaire, critiquent l’idéologie dominante des droits humains et se demandent si – malgré des changements purement cosmétiques – nous ne faisons pas face aujourd’hui comme hier à une justice de classe au service des possédants ?

Pour en finir avec la logique comptable dans l’éducation

Le 3 octobre dernier, la Fédération autonome du collégial (Fac) rendait public le manifeste Pour un monde libre et responsable par lequel les 4 000 professeurs de cégep que la Fédération regroupe à travers le Québec s’engageaient à défendre le droit fondamental à l’éducation contre la marchandisation en cours. Jean-Claude Germain a assuré la lecture du manifeste et partagé avec l’auditoire quelques observations sur le milieu de l’éducation.

Parmi les principaux points du manifeste, soulignons la volonté de « défendre le droit à un enseignement gratuit pour toutes et tous » et l’importance d’« investir dans l’enseignement donné en classe en diminuant le ratio élèves/maître ».

À l’encontre de l’approche « obligation de résultats » en vigueur actuellement au ministère de l’Éducation, la Fac affirme que « les ressources en éducation ne sauraient être déterminées par une simple logique comptable liée au rendement ».

De même, la Fac défend le concept d’une « école du vivre ensemble » par opposition à une « école guerrière dont l’objectif serait d’assurer le triomphe des seuls meilleurs en fonction de critères de performance, de concurrence ou de réussite ».

À la défense des cégeps

Le syndicat enseignant réaffirme dans son manifeste son adhésion à l’objectif qui a présidé à la création de ce niveau d’enseignement original à la société québécoise qu’est le cégep, c’est-à-dire de « rendre l’éducation supérieure accessible à toutes et à tous sans égard au sexe, à l’origine sociale ou à la provenance ».

Pour ces élèves, le manifeste propose une conception large de l’éducation à l’encontre des « contenus hyperspécialisés » ou des « connaissances instrumentales qui subordonnent l’éducation aux besoins du seul utilitarisme économique ».

La Fac se porte également à la défense des conditions de travail de ses membres et plaide en faveur de « la stabilité et de la permanence du corps professoral », ce qui implique que la discipline dans laquelle un prof est spécialisé doit « être reconnue et maintenue comme son principal lien d’appartenance, puisqu’elle affirme son identité professionnelle ».

Le manifeste se conclut sur la conviction des profs qu’« enseigner est une œuvre de mémoire et d’évolution qui nous permet de léguer un héritage commun et de contribuer à la marche de la société et du savoir collectif ».

« On ne forme pas des élèves comme on formate des ordinateurs ; et si on poursuit dans cette voie, on s’expose à ce que les prochaines générations d’élèves subissent le même sort que les générations d’ordinateurs avec lesquelles notre système d’éducation semble les confondre 0 elles seront d’ores et déjà obsolètes dès leur sortie de l’école ou, pour parler administratif, dès leur entrée sur le marché de l’employabilité. » — Jean-Claude Germain|213| 
912|Protégez-nous de Protégez-vous !|Pierre Dubuc| La revue Protégez-vous est bien connue pour exercer la défense des intérêts des consommateurs et du public en général. Aussi, quelle n’a pas été notre surprise de retrouver, dans son édition de septembre 2002, un dossier sur les écoles privées, présenté comme un « Guide unique – Les caractéristiques de près de 100 écoles privées ».

Pas moins de quinze pages de la revue sont consacrées à cet « imposant dossier comportant toutes les questions à poser avant d’inscrire votre rejeton » qu’on présente comme un « guide pratique, unique en son genre, qui brosse un portrait détaillé de plus de 90 écoles secondaires du Québec ».

Un dossier « embarrassant »

Le dossier, écrit par Julie Gobeil en collaboration avec Jesse Caron, s’intitule « L’embarras du choix ». On y explique les conditions d’admission, d’inscription, les tarifs, l’enseignement et l’encadrement, le pensionnat, le transport.

Le tout est ensuite résumé dans un tableau présentant 91 écoles privées sous 17 rubriques. Difficile d’être plus complet, dira-t-on. Sauf que, curieusement, on passe sous silence le fait que plusieurs de ces écoles aient une vocation religieuse !

La revue reconnaît que l’école privée est subventionnée, mais nulle part elle ne dit qu’elle l’est à hauteur de 85 %. On précise que certains frais sont déductibles d’impôt et on mentionne même que certaines écoles obligent les parents à faire un don pouvant dépasser 1 000 $ à la fondation de l’école.

Dans ce dernier cas, on ne mentionne pas qu’il s’agit d’une entourloupette, d’une façon de contourner la loi et d’émettre un reçu de charité aux parents pour des frais de scolarité déguisés en don. Protégez-vous nous avait habitué à plus de rigueur !

Dans un contexte où l’école publique est sérieusement menacée au Québec par l’expansion de l’école privée à même les fonds publics, il est absolument renversant de voir une revue vouée à la défense de l’intérêt public se joindre à la campagne de promotion de l’école privée de L’Actualité et à l’Institut économique de Montréal, le think tank néolibéral de Mario Dumont.

Au moins le palmarès de L’Actualité reconnaît-il que la réputation de plusieurs écoles privées est surfaite et que des écoles publiques dament le pion à plusieurs établissements privés.

Comment justifier un tel dossier de la part d’une revue dont le mandat est la protection des droits des consommateurs ? La direction de Protégez-vous a-t-elle mesurée l’impact du développement du réseau des écoles privées sur les « consommateurs » des écoles publiques ?

Le dossier est pourtant bien documenté des effets de l’« écrémage » des écoles publiques par le privé 0 baisse du niveau général d’éducation de la population prise dans son ensemble, violence accrue dans les écoles, etc.

Comment une revue comme Protégez-vous dont l’essentiel du financement vient de fonds publics, sous forme de publicité gouvernementale – les seules dans le numéro dont nous parlons –, peut-elle ainsi s’associer au démantèlement de notre réseau public d’éducation ?

En vertu de sa propre politique publicitaire, publiée dans la revue, Protégez-vous devrait refuser toute publicité émanant d’une école privée !|213| 
913|Robert Burns se souvient de l’adoption de la loi antiscab|Stéphanie Beaupied| Mardi 2 octobre, les travailleurs de Vidéotron manifestent dans la rue. Le lock-out dure depuis des mois et il ne semble pas y avoir de perspectives de règlement à l’horizon. Cela n’empêche pas Pierre-Karl Péladeau de manger 0 ses affaires roulent quand même… avec des scabs parce que Vidéotron tombe sous la juridiction fédérale, qui ne prévoit pas de loi antiscab. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler les circonstances de l’adoption de la loi antiscab québécoise, en 1977. Ce qu’a fait l’ex-ministre péquiste Robert Burns – jusqu’à tout récemment juge au Tribunal du travail – dans l’entrevue qu’il nous a accordée.

Avant l’adoption de la loi antiscab, raconte Robert Burns, qui fut négociateur syndical à la CSN avant d’être élu député péquiste en 1970, les conflits dégénéraient lorsque des briseurs de grèves étaient employés. Les grèves se terminaient devant les tribunaux avec des plaintes au criminel. Entre autres, en 1974, la grève de la United Aircraft, a donné lieu à des excès.

« C’est autour de cette grève que s’est concrétisée la nécessité d’adopter une loi anti-briseurs de grève, rappelle Robert Burns. Il fallait protéger le droit de grève par une loi qui empêcherait les scabs de briser l’équilibre entre les travailleurs et l’employeur. Le droit d’exercer la grève, continue M. Burns, c’est un rapport de force. Et la seule force du travailleur, c’est de pouvoir retirer son travail.

« À Ottawa, précise-t-il, il n’y a pas eu de gouvernement qui ont voulu de cette loi. Regardez qui finance la caisse électorale du Parti libéral du Canada, les grandes entreprises qui y contribuent, ce n’est pas vraiment dans leurs intérêts ! »

Le PQ dans l’temps !

Les années 1970 fourmillent de grèves exemplaires, longues et dures. Les plus connues sont celles de la United Aircraft – aujourd’hui la Pratt & Whitney – (vingt mois), celle de la Firestone et de la Canadian Gypsum à Joliette (dix et vingt mois), de la Robin Hood, de la Westinghouse, de La Presse…

Mais les plus violentes sont sans aucun doute celles où l’on a utilisé des briseurs de grève. « Dans ce contexte, nous explique M. Burns, le Parti québécois, alors dans l’opposition, avait pris l’engagement de faire passer une loi antiscab lorsqu’il arriverait au pouvoir. »

Ce fut chose faite en 1976 et plusieurs anciens syndicalistes firent partie de la députation péquiste et du premier conseil des ministres. Burns se souvient des noms de Pierre Marois, de Guy Bisaillon, ou encore de Guy Chevrette.

« À cette époque, ajoute-t-il, les milieux syndicaux étaient très écoutés tant au Conseil national et dans les associations de comté du PQ qu’au Conseil des ministres. Pour ces raisons, l’adoption de la loi anti-briseurs de grève en 1977 s’est faite sans objection.

« Le PQ n’était pas un parti d’extrême gauche, mais il avait (dans le temps) un préjugé favorable aux travailleurs, comme le voulait l’expression consacrée… »

Selon Robert Burns, « la loi anti-briseur de grève modifiant le Code du travail est la plus importante loi des trente dernières années ».

De son point d’observation au Tribunal du travail, il affirme que « cette loi est sans aucun doute bénéfique et utile aux les deux partis. Elle a assaini l’atmosphère lors des conflits et, après, lors de la reprise du travail. La loi antiscab a rendu de grands services dans les relations de travail. »

La grève de la United Aircraft

Longue de vingt mois, la grève de la United a marqué l’imaginaire québécois. En janvier 1974, 2 500 travailleurs unis de l’automobile et de l’aérospatiale entrent en grève. L’arrogante United Aircraft continue à fabriquer des moteurs d’avions à l’aide de scabs protégés par une milice armée, tout en inondant le syndicat de poursuites judiciaires.

Ça brasse sur les lignes de piquetage et la police intervient souvent. Le conflit dégénère lorsque certains travailleurs retournent à l’usine avec les scabs.

Puis, après seize mois de grève, trente-quatre grévistes réussissent à occuper l’usine de Longueuil. La police intervient, investit les lieux. Les travailleurs sont battus. C’est un massacre. D’ailleurs, l’événement restera dans les annales connu comme « Le massacre des 34 ». Par la suite, les « 34 » seront poursuivis devant les tribunaux.

Le conflit de la United Aircraft a donné lieu à une mobilisation générale d’une grande ampleur en solidarité avec les grévistes 0 manifestations, spectacles, gestes de soutien. Même si les ententes finales furent mitigées, la grève de la United Aircraft est à l’origine de gains syndicaux majeurs, dont évidemment l’adoption de la loi antiscab.|213| 
914|Un consensus à l’arraché|Élaine Audet et Micheline Carrier|

Débat sur la prostitution à la Fédération des femmes



Lors de l’Assemblée générale annuelle de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), le 22 septembre 2002, les déléguées en sont arrivé à un consensus pour « décriminaliser les pratiques exercées par les prostituées et les travailleuses du sexe ». Une position, peut-on lire dans un communiqué de la FFQ1, qui se situe « dans le cadre de la lutte contre la violence faite aux femmes ». Après avoir adopté une vingtaine de propositions soumises par le conseil d’administration à la suite d’une tournée provinciale sur la prostitution, l’assemblée a confié au conseil d’administration le soin de former un comité chargé de poursuivre la réflexion sur la nature de la prostitution 0 travail comme un autre ou forme d’esclavage et de violence envers les femmes.

La division des déléguées de la FFQ sur ces deux positions reste entière2. L’appui par d’influentes militantes de longue date, dont Françoise David, à l’utilisation de l’expression travailleuses du sexe, revendiquée comme « identitaire » par Stella, a permis d’inclure les deux formulations, soit celle de prostituées et de travailleuses du sexe, dans ce consensus partiel obtenu à l’arraché. Et ce, malgré l’opposition, notamment, des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (Calacs) et en dépit de l’indécision d’une partie des militantes présentes qui ne semblait pas avoir été préparées pour une telle tournure du débat.

Dans son document de travail3 de février 2002, le Regroupement québécois des Calacs affirmait qu’« en nommant les femmes travailleuses du sexe, on minimise la violence, la pauvreté et l’oppression qui mènent des femmes et des filles à la prostitution et les y confinent. On légitime également l’industrie du sexe comme un secteur économique au lieu de la voir comme un système d’exploitation. » Stella, un groupe d’aide et de défense des droits des « travailleuses du sexe » créé en 1995 s’est prononcé, à plusieurs reprises et dans divers forums, pour la décriminalisation de tous les aspects de la prostitution, y compris pour la décriminalisation des proxénètes et des clients.

Selon le communiqué de la FFQ, les propositions adoptées visent principalement 0

• « la mise en place de service adéquats et l’affectation des sommes nécessaires pour aider les travailleuses du sexe à défendre leurs droits et les protéger ;

• « la poursuite de la réflexion au sein des groupes féministes et la sensibilisation 0 former et éduquer les groupes qui interviennent auprès d’elles ;

• « la décriminalisation des pratiques exercées par les femmes qui font de la prostitution ou tout autre forme de travail du sexe 0 on sait que, légalement, le fait de payer pour un service sexuel n’est pas criminel ; cependant, les policiers peuvent arrêter les travailleuses du sexe pour sollicitation dans la rue, pour avoir amené un client chez elle (sous l’accusation de tenir un maison de débauche), etc. ;

• « la protection des femmes victimes de trafic sexuel à l’international. »

Le conseil d’administration de la FFQ et le mouvement des femmes ont du pain sur la planche pour les prochaines années. Ils auront à établir des priorités et à traiter également, selon leur importance, d’autres questions urgentes telles que la lutte contre la pauvreté et la violence, l’exploitation des immigrantes, les effets de la mondialisation sur les femmes, la mobilisation contre la guerre.

1. Source 0 www.ffq.qc.ca/communiques/comm-23-09-2002-prostit.html

2. Pour plus d'information sur les positions en présence, on peut consulter les références sur le site 0 www.sisyphe.levillage.org.

3. Source 0 www.sisyphe.levillage.org/article.php3?id_article=132|213| 
915|Une poésie ouverte au monde|Élaine Audet|

Le 11 septembre des poètes du Québec



Le 11 septembre dernier a eu lieu à la Bibliothèque nationale le lancement du recueil collectif Le 11 septembre des poètes du Québec*. L’initiative de ce livre, rassemblant cent vingt-deux poètes, revient à Louis Royer, qui a assuré la mise en scène de la soirée (récital, guitare, harmonium, images...), à laquelle il a contribué en chantant deux de ses poèmes avec une sensibilité et une présence inoubliables.

Une quarantaine de poètes représentant toutes les générations, notamment Cécile Cloutier, Yves Préfontaine, André Brochu, Claire Varin, Isabelle Miron et Marie-Geneviève Cadieux, ont lu leurs poèmes de façon très émouvante. La communauté afghane était représentée par les poèmes de Safia Siddiqui et de Mohammad Asif Safi qui ont enthousiasmé l’auditoire.

Tant la lecture du livre que cette lecture publique m’ont permis de constater l’extrême vigueur de la poésie québécoise, son ouverture au monde et la présence d’une relève de grand talent. On y compte beaucoup de femmes qui expriment leur propre vision de cet événement déchirant, avec des références et des images ancrées dans l’expérience d’être femmes dans ce monde d’inégalités. Parmi beaucoup d’autres, le poème suivant, de Denise Joyal, illustre ce propos 0

Poursuites

Dans le désarroi d’un jour

qui a mortifié le monde

une femme comme toi comme moi

comme nous

déploie les ailes d’un poème

pour s’élever au-dessus de la rage

de la rancœur du désespoir.

Elle abandonne du haut d’une tour

ses lamentations dans le regard des sauveteurs

impuissants devant la folie d’un Dieu fabriqué

par l’instinct de justice l’instinct de vengeance

l’instinct de mort.

Cette femme du haut de cette tour éclatée

se lance dans le vide

à la poursuite d’une métaphore

filée par l’éclat du soleil imprégnant sa main

par une pléiade de rêves encerclés

d’amour de rire et d’apaisement venue du large.

Elle sait qu’elle va mourir

en laissant derrière elle ses étoiles errantes

qui uniront tous les arcs-en-ciel

colorés par ses enfants.

Je laisse le dernier mot à Louis Royer qui déclarait à propos du lancement qu’« une grande place serait accordée aux femmes, puisque ce ne sont pas elles qui font la guerre ». Espérons que leurs voix seront de plus en plus entendues et, surtout, écoutées.

Point de rupture

Depuis trop longtemps le fusil des injustes visait l’envol

Au fond des gorges au front du rêve au vif du chant

L’amour en vrac l’amour vandale vidé de sens

Se faisait du mauvais sang du sang de mort en série

Les grandes finalités éthiques roulaient dans les bouliers

Le courage se fourvoyait dans des bolides suicides

Mardi onze septembre 2001 neuf heures dix-huit le temps s’arrête

La haine sans visage troue les tours de l’indifférence et du mépris

Calcine le cœur sec de l’avidité qu’aucune mort n’a jamais ému

La haine chauffée à blanc la haine sans pitié jette la vie par les fenêtres

Depuis trop longtemps la terre perd ses eaux le ventre des mères

N’accouche plus que d’adultes sans enfance ridés de ressentiment

Ah vivre vivre enfin libre une trêve en eau douce

Le vent du lac comme un souffle de grand large

Plus de mépris plus d’orthodoxie plus de dépôts

Pour d’obscures rentabilités au creux des yeux

Dis-moi pourquoi mourir toujours et vivre si peu

Je vois des femmes indomptables pourvoir à la bonté

Leur anonymat serein troquer la veine de l’envie

Contre de chaudes cartographies voyageuses

Je vois des femmes audacieuses le cœur en proue

S’adonner pour rien à de multiples splendeurs

Je me lève de mon livre avec l’ivresse des mots

J’entre sans sommation dans l’oasis de l’amour

Élaine Audet

Paru dans Le 11 septembre des poètes du Québec

* Sous la direction de Louis Royer. Le 11 septembre des poètes du Québec. Montréal, Trait d’union, 2002.|213| 
916|Le human interest|François Parenteau| Il fallait commémorer le 11 septembre. C’était un passage obligé. Et j’ai même été agréablement surpris de la sobriété de la plupart des cérémonies et des « spéciaux » sur le 11 septembre. Mais mon esprit tordu me fait faire un Colombo. Ce que j’appelle un Colombo, en l’honneur du célèbre détective à l’imperméable, c’est ce mouvement qui vous fait revenir sur vos pas en disant 0 « Y’a un p’tit détail qui me chicote… »

Avez-vous remarqué que, quand un acte terroriste fait des victimes, et d’ailleurs c’est la même chose pour les catastrophes naturelles, ces victimes, du moins celles dont on nous parle dans les médias, sont toujours des personnes fantastiques. Ce sont toujours des enfants modèles, des pères de famille exemplaires, des épouses admirables. On nous ressort leur plus belle photo devant la dinde de l’Action de Grâces, on croirait avoir affaire à une annonce de banque ou de compagnie d’assurance. En plus, il me semble qu’ils sont plus beaux que la moyenne.

Être méchant 0 un antidote au terrorisme

Je vais vous donner un truc 0 pour éviter d’être un jour victime d’un acte terroriste, soyez méchant. Insultez vos enfants une fois de temps en temps, rendez la vie misérable à votre conjoint, et il ne vous sera jamais fait aucun mal. Ou alors trompez votre femme, tiens.

Voilà une histoire que j’ai lue dernièrement dans un entrefilet 0 le 11 septembre, un homme se rend à son travail au World Trade Center. Sa femme reste à la maison. La télé est allumée. Quand elle voit un avion s’encastrer dans la tour où son mari travaille, elle capote et tente immédiatement de le rejoindre sur son cellulaire. Il est calme. Elle est paniquée.

« Chéri, ça va ? Tu es en sécurité ? — Mais bien sûr, je suis au bureau… » Évidemment, pour ne rien savoir de ce qui angoissait tant sa femme, il n’était pas au bureau pantoute. Imaginez l’étrange émotion que ça doit faire d’apprendre avec soulagement que son mari est en vie une fraction de seconde avant de découvrir qu’on voudrait le tuer. Ce fut le premier divorce relié au 11 septembre.

Moi, ça m’a comme rassuré. Ça m’inquiétait un peu de voir à la télé que l’Amérique n’était peuplée que de gens courageux et formidables.

Je me targue d’un antiaméricanisme universitaire

Loin de moi l’idée de faire de l’antiaméricanisme primaire. Je crois que je peux même humblement me targuer d’un antiaméricanisme collégial si ce n’est universitaire. Je trouve juste que, dans cet exercice pourtant nécessaire de deuil social et de félicitations des héros, il se glisse une autre utilité à toutes ces commémorations 0 celle de marquer encore plus de quel côté est le bien et de quel côté est le mal. Que ce soit volontaire ou non n’y change pas grand chose.

Car enfin, avez-vous vu d’aussi beaux reportages sur les victimes civiles des bombardements en Afghanistan ? Avez-vous vu le brave Abdoulaye quitter sa femme le matin du 13 octobre pour se diriger avec sa charrette de figues vers le marché qui fut bombardé pour punir des Talibans avec lesquels il n’avait rien à voir ? Avez-vous vu cette jeune Palestinienne décapitée par un obus israélien alors qu’elle allait rejoindre son amoureux pour se fiancer ? Avez-vous entendu l’histoire de ce charmant bambin tchétchène, qui voulait devenir médecin pour guérir la jambe de son oncle blessé par des éclats d’obus russe, fauché par un autre obus ?

Personne ne peut être contre les pompiers

Ce n’est pas tant dans l’information que nos médias sont biaisés et trop souvent utilisés par le pouvoir. C’est dans le « human interest ». C’est pourtant inattaquable. Personne ne peut être contre la vertu. Personne ne peut être contre les pompiers, les enfants modèles, les pères de famille exemplaires ou les épouses admirables. Mais à force de se montrer sans arrêt ceux de notre côté, on renforce la perception de l’Autre en tant que méchant informe et sans visage. Un ennemi générique. Une cible méritante. C’est justement ce que font les terroristes qui, par ailleurs, ne manquent pas de héros et de martyrs.

Il faut commémorer, on ne pouvait pas passer à côté. Mais ce qui me réjouit, c’est de voir le courage d’une humoriste comme Reno, une Étatsunienne que le 11 septembre n’a pas empêché de continuer de trouver Bush simiesque et de se moquer du patriotisme obligé de tout ces kids-kodaks de la douleur qui confondent la saine critique avec la traîtrise. CTV nous l’a montrée sur scène au Festival du film de Toronto. Drôle, punchée, virulente et pourtant jamais froide ou insensible. Elle est mon héroïne de l’après-11 septembre à moi.

Maintenant, j’ai juste hâte de voir un reportage sur les pompiers de Kaboul.|213| 
917|L’alliance doit d’abord se faire au sein de la gauche|Pierre Dostie et Molly Alexander| À mesure que les sondages confirment la montée de l’ADQ et que le programme de ce parti est dévoilé, l’inquiétude monte dans les rangs progressistes. Dans les mouvements sociaux, on discute de la possibilité d’un appui tactique au PQ pour éviter le pire. La question de savoir quels sont, dans la conjoncture actuelle, les intérêts de la gauche, et comment celle-ci peut contribuer à contrer la montée de la droite à court terme, tout en renforçant ses propres bases, se pose avec acuité.

L’UFP et le renouvellement de la politique à gauche

L’UFP est le résultat d’un processus de rassemblement et d’unification des forces progressistes qui s’est intensifié au cours des cinq dernières années et dont le cœur de la plateforme s’articule autour de la rupture avec la mondialisation néolibérale.

Ce processus a permis une recomposition et une importante maturation de la gauche politique. L’UFP se perçoit non pas comme une avant-garde éclairée dépositaire de la ligne juste mais comme une organisation agissant sur le front de la lutte politique, en continuité avec les luttes sociales.

Ce sont les luttes sociales qui donnent un sens à notre combat politique et électoral. Ce processus peut prendre la forme d’alliances avec d’autres composantes de la gauche sociale et politique, dans le respect de l’autonomie, de la fonction spécifique et des règles démocratiques de chacune.

L’UFP se veut un pôle, une contribution à ce processus de rassemblement et de construction de l’unité de la gauche québécoise, un processus qui, nous l’espérons, mènera à un grand parti de masse capable de relayer les luttes sociales, d’en faire la synthèse, de définir une alternative politique crédible pour la population et éventuellement de prendre le pouvoir.

Un mouvement populaire à construire

Lors du Colloque sur les mouvements sociaux et l’action politique de gauche des 20 et 21 septembre, il a été question d’un mouvement d’éducation politique devant se mettre en marche le plus tôt possible pour contrer la montée de la droite. Ce mouvement permettrait aux diverses composantes de la gauche (partis, syndicats, groupes populaires, mouvement féministe, de jeunes, anti-mondialisation, etc.) de faire converger leurs efforts vers cet objectif commun.

Certaines personnes ont suggéré que, lors des élections, il y ait des candidatures progressistes, vertes, indépendantes, en provenance du monde syndical ou populaire, mais toutes unies dans ce grand mouvement. Nous appuyons cette idée. À cet égard, l’exemple du Brésil est inspirant pour faire de la politique autrement. Toutes les composantes de la gauche convergent dans un processus qui mène à une véritable démarche de démocratie participative avec la population (exemple 0 le budget municipal de Porto Alegre) et qui rend le pouvoir accessible.

Le processus est aussi important que le but visé

Nous avons la conviction profonde que la formule à privilégier pour contrer la montée de la droite au Québec doit se faire dans le cadre d’un tel processus. Il est de la plus haute importance que 0

• L’ensemble de la gauche (sociale et politique) élargisse et renforce sa base, d’abord et avant tout, dans le cadre d’un grand mouvement d’éducation et d’action politique progressiste ;

• Ensuite, que ce soit sur ses propres bases que cette coalition considère éventuellement les possibilités d’alliances tactiques et que ce soit cette coalition qui mène les négociations en conséquence, en vue de réaliser des gains significatifs pour la gauche ;

• Quels que soient les résultats des prochaines élections, l’ensemble de la gauche doit en ressortir plus forte.

De plus, on peut se demander qui peut le mieux faire reculer les valeurs de la droite 0 le gouvernement péquiste qui est divisé et dont une bonne partie du cabinet a des idées assez proches de celles de l’ADQ ? Serait-ce messieurs Facal, Boisclair et Legault qu'il faut envoyer en première ligne, ou les militants de la gauche sociale et politique, les porteurs les plus conséquents des valeurs d'égalité, de paix et de justice sociale ?

L’UFP se prépare à la prochaine campagne électorale. Nous avons lancé une campagne de recrutement et de financement, et nous sommes à mettre sur pied des associations de circonscription dans la plupart des régions du Québec.

L’UFP dispose d’une plateforme et d’une structure souples et accueillantes pour l’ensemble des progressistes de la gauche sociale désirant œuvrer sur le front politique. Nous sommes également ouverts à toute proposition qui aurait pour effet de renforcer l’unité de la gauche.

Nos statuts sont cependant clairs 0 seules les associations de circonscription décident des candidatures UFP ou de l’appui à d’autres candidatures. Si l’UFP participe à un large processus unitaire, nos membres sauront considérer à sa juste valeur toute proposition d’alliance avec des forces progressistes. L’UFP s’est construite sur la base de cette approche.

La partie n’est pas encore jouée

La gauche ne peut être perdante si elle renforce ses alliances. Nous croyons qu’elle a la maturité politique qu’il faut pour accroître son unité devant les dangers que représente la montée de la droite. Ce qui nous rapproche est mille fois plus important que ce qui nous divise.

Par ailleurs, au moment d’écrire ces lignes, le ministre Charbonneau affirmait que la réforme du mode de scrutin était encore possible avant les élections, ce qui permettrait plus facilement à la gauche de s’engager sur ses propres bases. Nous croyons qu’il n'est pas encore trop tard et qu’il y aurait lieu de maximiser la pression sur le gouvernement.

Enfin, il serait suicidaire à plusieurs égards de ne pas réagir à la montée de la droite. S’en tenir à un simple mot d’ordre en faveur d’un appui tactique au PQ serait insuffisant en plus de reléguer la gauche dans l’ombre.

Seul un mouvement politique d’animation et d’éducation populaire, dans le respect de ses différentes composantes, peut contrer une victoire électorale de l’ADQ. Sans la gauche, personne ne pourra battre la droite !

Molly Alexander et Pierre Dostie

Vice-présidents porte-parole de l’Union des forces progressistes|213| 
918|Les syndicats, l’ADQ et les prochaines élections|Pierre Dubuc|Avec ses propositions de système de santé à deux vitesse, de « bons » d’éducation ou de réduction de la taille de l’État, ses déclarations à l’emporte-pièce contre la sécurité d’emploi dans la fonction publique et ses affirmations à l’effet de « ne pas laisser dicter sa ligne de conduite par les syndicats », Mario Dumont oblige lesdits syndicats à considérer sérieusement leur éventuelle implication dans la prochaine compagne électorale.

La politique du pire n’est pas une politique

Plusieurs se demandent si la gauche et le mouvement syndical québécois ne se retrouvent pas aujourd’hui dans une situation analogue à celle à laquelle étaient confrontés leurs collègues ontariens à la fin du mandat du gouvernement néo-démocrate de Bob Rae en 1995. On se rappellera que, déçus de l’adoption par le NPD de politiques à saveur néolibérale, les syndicats ontariens lui ont retiré leur appui, ce qui a laissé la voie libre au parti conservateur de Mike Harris et à sa « révolution du bon sens », une entreprise de démolition à la tronçonneuse des acquis sociaux.

Sommes-nous placés devant une situation similaire ? Notre choix pour les quatre prochaines années se limite-t-il à se faire servir l’huile de ricin néolibérale à la petite cuillère par le PQ ou à en boire toute la bouteille d’un trait avec l’ADQ ? Nous croyons, au contraire, que la gauche et le mouvement syndical peuvent tirer avantage de la situation.

Apprendre de l’exemple ontarien

Les syndicats ontariens avaient fait le pari qu’une défaite du NPD serait, somme toute, bénéfique. Le parti pourrait être épuré des éléments à la Bob Rae gangrenés par le néolibéralisme et reconstruit sur de nouvelles bases. La réaction syndicale et populaire prévisible aux politiques de Mike Harris aurait – croyait-on – un effet régénérateur. La mobilisation a effectivement été au rendez-vous. Des actions de grande envergure, comprenant la fermeture complète de certaines villes lors de grèves générales, ont été organisées. Mais cela ne s’est pas traduit par un renouveau politique. Mike Harris a été réélu en juin 1999 et le NPD n’a pu faire mieux qu’aboutir en troisième place, son nombre de sièges chutant de dix-sept à neuf. Aujourd’hui, les mouvements syndical et populaire sont essoufflés, et il n’y a toujours pas d’alternative politique en vue.

Cela illustre bien que les mouvements sociaux et l’action politique partisane ont chacun leur dynamique propre. Aussi, quand l’Union des forces progressistes (UFP) aborde, en page précédente, la question des tactiques à mettre de l’avant lors des prochaines élections en renvoyant au développement d’un vaste mouvement d’éducation politique, d’un « mouvement populaire à construire », elle parle en dehors du sujet. Qu’on nous comprenne bien. Nous souhaitons ardemment qu’il y ait plus d’éducation politique dans les syndicats et les organismes populaires, et un mouvement dédié à cette cause serait le bienvenu. Mais le débat porte sur l’action politique électorale dont il ne faut surtout pas sous-estimer le rôle éducatif.

Donnons un exemple. Si, au terme de la Marche mondiale des femmes, Françoise David avait appelé à la création d’un nouveau parti politique, avec le capital politique qui était alors le sien, sa crédibilité médiatique, et la mobilisation de milliers de femmes et d’hommes autour du programme de la Marche, le parti qui en serait issu occuperait aujourd’hui le terrain où trône Mario Dumont. Et quel travail d’éducation politique aurait pu faire ce parti ! Beaucoup plus rapidement et plus efficacement que le mouvement populaire à la création duquel appellent aujourd’hui l’UFP et Françoise David.

Pour mille et une raisons, cette occasion historique a été ratée. Mais il s’en présente une autre aujourd’hui que le mouvement syndical devrait saisir. Résumons l’essentiel de la proposition présentée dans les deux derniers numéros de l’aut’journal.

Pour des candidatures indépendantes de gauche ou syndicales

La gauche et le mouvement syndical devraient négocier leur appui au PQ en échange de candidatures indépendantes de gauche ou syndicales dans un certain nombre de comtés « prenables » où le PQ ne présenterait pas de candidat.

Des personnalités bien connues du PQ nous ont fait savoir qu’ils voyaient un intérêt à cette proposition. Mais, bien entendu, si le PQ pense pouvoir obtenir l’appui du mouvement syndical sans devoir faire cette concession, il se gardera de la faire. C’est à la gauche et au mouvement syndical de négocier leur appui éventuel au PQ. Examinons quelle forme pourrait prendre une éventuelle entente.

Dans l’article publié en page 5, l’ex-ministre Robert Burns rappelle les conditions ayant mené à l’adoption de la loi antiscab par le premier gouvernement de René Lévesque 0 une longue série de grèves militantes, l’adoption de propositions en faveur de cette loi dans les différentes instances du PQ et la forte présence de syndicalistes à l’intérieur du PQ et du cabinet. Des conditions qui, manifestement, n’existent plus.

Nous croyons que la forme future de l’alliance entre souverainistes et syndicalistes passe par le scrutin proportionnel et des coalitions entre différentes formations politiques. À défaut de la proportionnelle pour le prochain rendez-vous électoral, nous pourrions en avoir une préfiguration avec une entente entre le PQ et des candidatures de gauche ou syndicales indépendantes.

Au mouvement syndical de relever le défi

Imaginons des députés de gauche ou syndicaux à l’Assemblée nationale. Ils y seraient la voix du monde syndical et populaire, la voix de sans-voix. Les médias ne pourraient les ignorer. Autour d’eux s’articulerait la construction d’une véritable alternative politique progressiste.

Pour différentes raisons, seul le mouvement syndical a le bargaining power nécessaire pour relever ce défi et tirer profit d’une conjoncture politique aussi favorable. Un simple appui au PQ ne ferait que prolonger la morosité ambiante et la politique du pire n’est garante de rien, comme l’a prouvé l’exemple ontarien. Par contre, des candidatures syndicales bousculeraient la donne politique, galvaniseraient le monde syndical et rétablirait un nouveau rapport de forces. La partie est encore à jouer.|213| 
919|Les « bons » présidents ont étudié aux États-Unis|André Maltais|

Amérique latine



Si les postes de présidents latino-américains paraissaient aujourd’hui dans la section « Carrières et professions » de nos journaux, voici ce qu’on pourrait y lire 0 « Sous l’autorité du supérieur immédiat, le candidat doit avoir complété des études universitaires en économie, en gestion ou en droit. Une telle formation suivie aux États-Unis serait un atout majeur. » L’aut’journal a examiné les CV des meilleurs employés de George W. Bush.

Gonzalo Sánchez de Lozada 0 Bolivie

L’un des hommes les plus riches du pays, il possède la compagnie minière Comsur. Éducation toute étatsunienne, du secondaire (Iowa) à l’université où il est diplômé en philosophie et en littérature (Université de Chicago, Illinois). On dit de lui qu’il parle mieux l’anglais que l’espagnol.

Membre et président de nombreuses organisations patronales à vocation interaméricaine, il a pratiqué son américanisme, à la fin des années 1980, en tant qu’auteur intellectuel du féroce plan d’ajustement structurel du FMI connu par les appellations « nouvelle politique économique » et « décret 21060 ».

À coup d’états d’urgence, il a littéralement vendu le pays aux étrangers lors de son premier mandat (1993–1997) en privatisant électricité, chemins de fer, hydrocarbures, sidérurgie, télécommunications et transport aérien.

Ricardo Lagos 0 Chili

Il a fait toutes ses études supérieures (maîtrise et doctorat) en économie à l’Université Duke (Caroline du Nord). Membre du Parti socialiste de Salvador Allende, il s’enfuit en Argentine puis aux États-Unis pendant la dictature du général Pinochet.

L’économiste « socialiste » revient rénover le parti d’Allende en 1982 en créant une alliance de partis « non extrémistes » opposés à la dictature. En 2000, le soir de son élection, il refroidit ses partisans qui exigent que Pinochet soit jugé en répondant qu’il serait le « président de tous les Chiliens ». De plus, le Chili ne s’embarque pas dans le Mercosur, préférant attendre la Zlea.

Vicente Fox 0 Mexique

Il étudie la gestion d’entreprise au Mexique puis, en 1978, obtient son diplôme de « haute administration » à l’Université Harvard (Massachusetts). Il est longtemps administrateur, puis PDG (1975-1979) chez Coca-Cola, section Mexique et Amérique centrale.

Élu en 2001, l’ex-vice-président de la Chambre de commerce mexicano-étatsuniennes ne fait quasiment aucune différence entre la gestion d’un pays et d’une compagnie.

Rafael Hipólito Mejíam 0 République Dominicaine

Étudie les « procédés industriels relatifs au tabac » en Caroline du Nord et applique son savoir dans toutes les Caraïbes en représentant la firme étatsunienne de fertilisants agricoles Rohm & Haas et en présidant l’Institut national du tabac de son pays.

Opposé au dictateur Joaquin Balaguer, le président propriétaire d’entreprises de produits agrochimiques entend poursuivre les politiques pro-marché et faciliter les investissements étatsuniens dans son pays.

Alejandro Toledo 0 Pérou

Fil de paysans et pêcheurs pauvres, cet indien quechua gagna une bourse pour étudier l’économie aux États-Unis en 1966 et il ne s’arrêtera plus. Dix ans plus tard, il est docteur en « économie des ressources humaines » de l’Université Stanford (Californie) et entame une carrière d’économiste et de fonctionnaire international (Onu, Banque mondiale, Banque interaméricaine de développement, Agence américaine d’aide au développement, OCDE, Fondation Ford, Université Harvard, etc.).

Il prodigue ses « conseils économiques » à beaucoup de pays latino-étatsuniennes. En 2000, fort de ses contacts étatsuniens et internationaux, il ne craint pas d’appeler l’armée péruvienne à lâcher Alberto Fujimori et à lui permettre d’imposer à son pays le virage de la « modernité » économiste.

Enrique Bolaños 0 Nicaragua

Fils de grand patron agro-industriel, il est à la tête de Bolaños Saimsa, le plus grand groupe d’entreprises nicaraguayen. Diplômé en ingénierie de l’Université de Saint-Louis (Missouri) et en « haute administration » de l’Institut centraméricain d’administration des entreprises.

Durant le régime sandiniste de Daniel Ortega, il organise le patronat contre la révolution au niveau tant national qu’international. Il fonde son propre parti en 1990 parce qu’il trouve que l’Union nationale d’opposition de Violeta Chamorro n’est pas assez dure.

Plus de 500 chefs d’entreprises en provenance de 28 pays assistent à son investiture présidentielle en 2001, dans le deuxième pays le plus pauvre d’Amérique latine.

Ricardo Maduro 0 Honduras

Après des études secondaires en Pennsylvanie, il obtient une licence en économie et un post-doctorat en génie industriel de l’Université Stanford (Californie). L’ex-PDG de la filiale hondurienne de Xerox, se monte un empire familial dans les années 1980.

Avant son élection (2001), il avait appliqué son savoir étatsunien comme président de la Banque centrale et coordonnateur du cabinet économique de son pays en parrainant les mesures néolibérales du FMI.

Álvaro Uribe 0 Colombie

Fils d’un grand propriétaire terrien, diplômé en sciences politiques et en droit, l’ex-sénateur a mis du temps à aller étudier aux États-Unis. Mais en 1993, il obtient deux diplômes de l’Université Harvard (Massachussets) 0 « spécialisation et gestion » (destiné à former des PDG d’entreprises) et « négociations de conflits ».

L’année suivante, il devient gouverneur de la province d’Antioquia et l’université étatsunienne parraine son programme de « coopératives de sécurité privée » baptisé « Convivir » par lequel il arme 82 000 citoyens volontaires entre 1995 et 1997. Plusieurs de ces volontaires iront ensuite grossir les rangs des paramilitaires des Autodéfenses unies de Colombie jusqu’à leur conférer une dimension nationale.

Élu en 2002, celui qui se dit « démocrate avec le sens de l’autorité » et « capitaliste à vocation sociale » veut maintenant armer un million de citoyens qu’il qualifie à l’avance de « casques bleus à la colombienne ».

Francisco Flores Pérez 0 EL Salvador

Diplômé en sciences politiques du collège Amherst ( Massachussets), il complète des études de philosophie aux université Harvard et Oxford (Angleterre). « Colombe » dans l’Alliance républicaine nationale fondée par Roberto d’Aubuisson pour combattre férocement la guérilla du Front Farabundo Martí de libération nationale, il est l’architecte du plan de paix négocié en 1992.

La « respectabilité » qu’il apporte à cet autre parti des escadrons de la mort lui permettra d’être élu président en 1999. Il annoncera aussitôt la dollarisation totale de l’économie que la gauche salvadorienne qualifie « d’expérience des milieux financiers étatsuniens » avec le Salvador comme rat de laboratoire.

Les moins bons ont étudié dans leur propre pays

Fidel Castro (Cuba), Hugo Chávez (Venezuela) et Luís Inacío Lula da Silva (Brésil) sont sans doute les trois « pires » présidents latino-américains aux yeux des États-Unis. Comme par hasard, ils n’ont jamais étudié aux États-Unis. Castro est diplômé en droit de l’Université de La Havane tandis que Chávez est diplômé de l’Académie militaire du Venezuela (génie, puis communications et électronique) et de l’Université Simon Bólívar à Caracas (sciences politiques).

Quant à Lula, fils de paysan pauvre du Nord du Brésil, il a vécu son enfance à São Paolo et a dû interrompre ses études à l’âge de douze ans pour travailler. Après avoir livré de la buanderie, il a travaillé dans un magasin général et dans une manufacture de boulons, puis s’est inscrit dans une école de métiers de l’État de São Paolo pour y apprendre la métallurgie.|213| 
920|506 000 personnes seules extrêmement pauvres|Patrick Lamoureux|

Un barème plancher s’impose



Le Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ) déposait, en septembre, son mémoire à la Commission des affaires sociales qui est chargée d’étudier le projet de loi 112 contre la pauvreté et l’exclusion. Ce projet de loi tant attendu, bien qu’accueilli positivement en juin dernier, a suscité une part justifiée de critiques et de revendications.

Les revendications du FCPASQ visent à améliorer ce projet de loi qui doit entrer en vigueur en mars 2003. D’entrée de jeu, le collectif salue « le courage politique du gouvernement du Québec pour avoir déposé le projet de loi 112 0 un document imparfait mais nettement à contre-courant du vent de droite et d’individualisme égoïste préconisé par Mario Dumont et, plus récemment, par Jean Charest avec son plan d’action pour réinventer le Québec ».

Après avoir rappelé que la pauvreté prend de l’ampleur au Canada, que la discrimination se généralise au niveau des banques, des gouvernements et par les propriétaires immobiliers, le document expose les ratés d’Emploi Québec et du système d’aide sociale actuel.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes 0 en 1999, le nombre de personnes seules extrêmement pauvres s’élevait à 506 000, soit 65 % de plus qu’en 1990.

Trois mesures minimales

Le document, qui expose clairement les lacunes du système d’aide sociale, propose une série de mesures devant agir à court, moyen et long termes.

À court terme, trois mesures s’imposent, la première étant l’instauration d’un « barème plancher » visant à rétablir le « droit à un revenu décent » grâce auquel une partie ou la totalité de la prestation d’aide sociale versée ne pourrait être touchée sous quelque prétexte que ce soit.

Le rétablissement de la gratuité des médicaments représente une autre nécessité immédiate, selon le mémoire qui condamne les conséquences du virage ambulatoire de 1996, cette coupure ayant « entraîné une augmentation du nombre d’hospitalisations, d’institutionnalisations et de décès, de visites médicales et de visites à l’urgence ».

Troisièmement, la nécessité immédiate recommande d’exempter fiscalement les pensions alimentaires versées au bénéfice d’un enfant. Cette exemption existe déjà au niveau de l’impôt que paient les travailleurs, alors pourquoi pénaliser ainsi les bénéficiaires et leurs enfants ? Pour le Front, « il s’agit simplement d’une question d’équité et de justice sociale. C’est également une façon concrète et simple de s’attaquer directement à la pauvreté des enfants. »

À moyen et à long terme, le Front revendique des mesures s’attaquant aux causes et aux racines du problème de la pauvreté.

En ce sens, un débat public doit être mis de l’avant par le gouvernement sur la garantie de revenu. De plus, la loi devrait être amendée de façon à répondre aux huit recommandations émises en 1996 par le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté.

Enfin, la démarche du FCPASQ se conclut sur la nécessité à long terme d’instaurer un revenu de citoyenneté, faisant ainsi écho à la campagne menée par Michel Chartrand, avec la publication par l’aut’journal du Manifeste pour un revenu de citoyenneté, écrit conjointement avec Michel Bernard.

Aussi, le premier plan d’action prévu par la loi 112 devra, selon le collectif, apporter une majoration du revenu des prestataires aptes au travail sinon, nous promettent-ils, il y aura une montée aux barricades !

Descendons dans la rue

Jean-Yves Desgagnés, porte-parole du FCPASQ, nous confiait en entrevue que des actions militantes sont prévues pour les mois à venir.

Du 21 au 28 octobre, il y aura une occupation du parc de l’Esplanade à Québec, où se tiendra une agora d’éducation populaire sur les enjeux relatifs à la loi 112.

Le 30 novembre se déroulera à Montréal une manifestation, doublée d’une mobilisation culturelle avec la participation d’artistes.

Après ces événements, rendez-vous lors des prochaines élections provinciales, au cours desquelles les différents fronts sociaux mèneront une campagne parallèle.

Quant à la question électorale, la rumeur concernant la candidature indépendante de Jean-Yves Desgagnés dans la circonscription de Jean-Lesage n’est pas démentie. Les modalités à cet effet doivent se préciser d’ici décembre, si tout va bien.

Comme quoi la solution à l’écœurement face aux vieux partis ne passe pas seulement par l’ADQ.|213| 
921|550 millions pour exporter de l’électricité aux États-Unis|Jean-François Blain|*

La centrale thermique du Suroît



Parmi ses nombreux projets de développement de marchés, Hydro-Québec envisage la construction prochaine, à Beauharnois, d’une centrale thermique à cycle combiné alimentée au gaz naturel. Cette centrale, d’une puissance de 800 MW, produirait annuellement 6,5 TWh (térawattheures) d’énergie, ce qui signifie qu’elle fonctionnerait à plein régime 24 heures sur 24, 365 jours par année, pour un facteur d’utilisation de près de 93 %. Son coût de construction et de mise en service, 550 millions $, serait entièrement assumé par la société d’État. Prix de revient de chaque kilowattheure produit 0 environ 6 ¢, soit plus de deux fois et demie le coût moyen de production du parc existant. Ce projet est actuellement soumis à l’examen du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (Bape).

Ayant maintenant le champ libre, Hydro-Québec justifie publiquement ses projets en vertu de trois critères qu’elle a elle-même établis 0 leur rentabilité économique, leur acceptabilité sur le plan environnemental et l’accueil favorable de la communauté locale.

Le prix du consentement régional 0 4 000 000 $

La question de l’accord des communautés locales est réglée préalablement, efficacement, entre les représentants d’Hydro-Québec et ceux des municipalités régionales de comté (MRC), des municipalités, des chambres de commerce et des centres locaux de développement.

Dans le cas du projet de centrale thermique du Suroît, le prix du consentement de la communauté locale se résume à la création d’un fonds de développement de 4 millions $, négociée en décembre 2001 entre Hydro et les représentants de la MRC de Beauharnois-Salaberry et de la municipalité de Beauharnois.

Pratique et expéditive, cette approche permet de réduire le règlement des enjeux sociaux à une simple mécanique de patronage régional. La prise en compte de l’intérêt collectif dans le cadre d’une évaluation publique et intégrée des projets est ainsi court-circuitée d’avance.

Hydro possède déjà une capacité excédentaire

Pour établir la rentabilité économique du projet, encore faudrait-il connaître le marché auquel est destiné ce bloc d’énergie additionnel. Sur ce point, les explications d’Hydro-Québec sont tout aussi floues que changeantes, voire contradictoires.

On affirme d’abord que la production d’électricité de l’éventuelle centrale du Suroît sera destinée à satisfaire les besoins québécois dans l’horizon 2005–2010 et que les délais de construction et de mise en service d’une centrale thermique, beaucoup plus courts que ceux d’un projet hydraulique, permettrait à Hydro-Québec de répondre à la croissance de la demande québécoise à court terme.

Pourtant, depuis les amendements apportés à Loi sur la Régie de l’énergie, l’obligation de la division Production d’Hydro-Québec à l’égard des clients québécois est limitée aux premiers 165 TWh de consommation annuelle.

Or, avec ses installations existantes, Hydro-Québec dispose déjà d’une capacité annuelle de production d’environ 190 TWh ; la consommation québécoise d’électricité, pour sa part, s’élèvera en 2002 à 154 TWh, tout au plus.

Pour ce qui est des besoins de puissance d’Hydro-Québec à la pointe de la demande hivernale, l’ensemble des données disponibles démontre que la puissance installée dont dispose déjà la société d’État excède largement les besoins québécois.

En effet, alors qu’Hydro-Québec peut mobiliser jusqu’à 38 GW de puissance sans même recourir à des importations via ses interconnexions aux réseaux voisins (un autre 7 GW), la puissance maximale requise pour rencontrer ses obligations à l’égard des clients québécois et ses contrats fermes à l’exportation n’a jamais excédé les 32 GW.

Et, compte tenu du réchauffement du climat et de la diminution marquée de ses contrats d’exportation à long terme, cet appel de puissance à la pointe hivernale a régressé de façon constante depuis quatre ans pour s’établir à 30,1 GW en 2001–2002.

Des mégawatts pour l’exportation aux États-Unis

Il y a là des indications claires à l’effet que le projet de centrale thermique du Suroît, comme de nombreux autres projets qui échappent à tout examen public, s’inscrit dans la nouvelle orientation commerciale de la société d’État qui consiste à saisir toutes les « opportunités d’affaires » (occasions, en français) dans le but de « créer de la valeur ajoutée ».

En traçant un portrait sommaire des projets d’Hydro-québec déjà en construction (SM3, 880 MW ; Eastmain 1, 480 MW ; Toulnustouc, 525 MW ; Grand-Mère, 220 MW) et des autres, en attente d’autorisation (Suroît, 800 MW) ou au stade d’avant-projets (Eastmain-1A et dérivation Rupert, 770 MW ; Péribonka, 450 MW ; La Romaine, 220 MW ; Chute-Allard et Rapides des Cœurs, 150 MW), sans compter les dérivations de rivières projetées ou déjà autorisées (Manouane ; Sault-aux-cochons), la phase 2 de Churchill Falls (1200 MW) et les visées de la société d’État sur des rivières à grand débit du Nunavik (Aux Feuilles, George, Caniapiscau) situées à des milliers de kilomètres des marchés, on constate que ce virage commercial, poussé par l’appétit insatiable de l’actionnaire gouvernemental et accommodé à coups de décrets à l’entière discrétion du conseil exécutif, prend des proportions démentielles.

Comme dans le cas de la centrale thermique du Suroît, la puissance additionnelle de plusieurs milliers de mégawatts que fourniront ces projets sera destinée en grande partie, sinon exclusivement, aux marchés extérieurs. Avec des coûts variant de 5 ¢ à 7 ¢ par kWh, ces projets contribueront à relever significativement le coût moyen du parc de production hydroquébécois.

Or, si le Québec a pu bénéficier par le passé d’avantages concurrentiels importants, le contexte énergétique du Nord-Est américain lui est désormais de moins en moins favorable. L’écart entre les coûts de production d’Hydro-Québec et ceux de ses compétiteurs s’amenuise.

La faible hydraulicité des vingt dernières années et des ventes à l’exportation souvent inconséquentes ont hypothéqué sérieusement nos réserves énergétiques et annulé en bonne partie l’avantage que devrait nous procurer notre capacité d’emmagasinage.

Les distances considérables qui séparent nos centrales des marchés convoités, l’importance des coûts de transport et des pertes électriques, constituent maintenant un handicap concurrentiel qui s’aggrave au fur et à mesure que des producteurs étatsuniens construisent de nouvelles installations à proximité immédiate des grands centres urbains.

La congestion des réseaux de transport voisins, la capacité limitée des interconnexions, de même que les très brèves périodes pendant lesquelles les hausses de prix persistent dans un marché essentiellement de court terme sont autant de facteurs qui empêchent Hydro-Québec de profiter véritablement de sa capacité d’exportation lorsque les prix le justifient.

Plus d’énergie avec la même eau

Pour toutes ces raisons, les marchés d’exportation comportent des risques croissants pour Hydro-Québec. Mais puisque les risques financiers qui découlent de ces investissements seront supportés, en fin de compte, par les tarifs d’électricité des clients québécois, rien ne contribue à modérer la boulimie gouvernementale.

Pourtant, plutôt que de chercher par tous les moyens à tout harnacher, tout détourner, pour faire plus d’énergie avec plus d’eau, même à un prix déraisonnable, la prudence la plus élémentaire devrait inciter Québec à relever le facteur d’utilisation du parc existant pour en tirer le meilleur bénéfice, à promouvoir les économies d’énergie, et à poursuivre très modérément le développement du potentiel résiduel des cours d’eau déjà aménagés en privilégiant l’exploitation en cascade de manière à faire plus d’énergie avec la même eau.

À l’encontre de Kyoto

Si ce projet se réalise, la centrale à cycle combiné du Suroît relâchera annuellement dans l’atmosphère environ 2,4 millions de tonnes de CO2 et ce, en plein dans l’axe du corridor Montréal–Québec, déjà aux prises avec des épisodes de smog de plus en plus fréquents.

À elle seule, cette centrale alourdirait le bilan québécois d’émissions de gaz à effet de serre (GES) de 2,8 %, ce qui équivaut à 9 % des émissions de l’ensemble du secteur énergétique.

Et cela, au moment même où la mise en œuvre éventuelle de l’accord de Kyoto engage ses signataires (dont le Canada et le Québec) à ramener leurs émissions à un niveau de 6 % inférieur à ce qu’elles étaient en 1990 !

Mais Hydro-Québec prétend que la part de sa production hydraulique « propre » qui fut destinée aux marchés extérieurs au cours des dix dernières années a permis de remplacer une production « sale » d’origine thermique et d’éviter l’émission d’environ 78 millions de tonnes de CO2.

En conséquence, elle soutient que des crédits pour émissions de gaz à effet de serre évitées devraient lui être attribués et qu’elle « annulera à même son bilan de crédits d’émissions l’effet du projet du Suroît ».

Cette éventualité a été décrite comme « très peu probable » par les représentants des ministères de l’Environnement fédéral et national présents aux audiences puisque, dans le cas où Hydro-Québec se verrait attribuer des crédits d’émissions évitées pour ses exportations « propres », ses partenaires commerciaux (étatsuniens) devraient accepter un « débit » équivalent.

Imaginez comment l’administration étatsunienne, déjà ouvertement opposée aux objectifs de l’accord de Kyoto, considérerait un alourdissement de sa contribution environnementale équivalent aux crédits accordés rétroactivement à Hydro-Québec pour des émissions de GES évitées depuis 1990 ! Une hypothèse complètement farfelue.

Le Bape n’a plus juridiction

Le Bape, faut-il le rappeler, ne dispose que d’un pouvoir de recommandation auprès du ministre de l’Environnement, son mandataire. Le Bureau recommanderait-il le rejet pur et simple du projet que le ministre et, ultimement, le Conseil exécutif, en disposeraient à leur entière discrétion.

Car depuis les amendements apportés à la Loi sur la Régie de l’énergie par l’adoption, sous le bâillon, du projet de loi 116 en juin 2000, le secteur de la production d’électricité échappe à toute juridiction réglementaire.

Résultat 0 alors que la création de la Régie de l’énergie devait contribuer à résoudre la situation de conflit d’intérêt entre les rôles de l’État – actionnaire d’Hydro-Québec, législateur et représentant présumé de l’intérêt public – la déréglementation du secteur de la production a perpétué ce conflit d’intérêt, l’a aggravé, l’a exacerbé.

* Analyste en énergie|213| 
922|Réforme du mode de scrutin et du système politique|Paul Cliche|

Deux consultations populaires



À quelques mois des élections générales, les citoyens québécois vont être consultés à deux reprises sur les réformes à apporter à leurs institutions démocratiques.

La première consultation portera sur le mode de scrutin, c’est-à-dire le mécanisme permettant de transformer les votes en sièges parlementaires. Elle sera effectuée par la Commission des institutions de l’Assemblée nationale sur laquelle siègent des députés des trois partis représentés à l’Assemblée nationale.

Rappelons que l’Assemblée nationale s’est donné un mandat d’initiative suite à une pétition présentée à l’ensemble des députés par le Mouvement pour une démocratie nouvelle (MDN), une coalition non partisane regroupant des citoyens de toutes les tendances politiques

Ce mouvement citoyen réclame que le mode de scrutin majoritaire à un tour, qui régit les élections québécoises depuis 1792, soit remplacé par un mode de scrutin de type proportionnel afin que la composition de l’Assemblée reflète fidèlement le choix de l’électorat en traitant avec équité tous les partis en lice.

Le MDN veut mettre fin aux distorsions souvent aberrantes qui favorisent le parti vainqueur et conduisent même, comme en 1944, en 1966 et en 1998, au renversement de la volonté populaire en mettant au pouvoir le parti qui s’est classé deuxième dans les suffrages.

Il veut aussi que tous les votes comptent dans le choix des députés, et non pas seulement celles exprimées en faveur des candidats qui, ayant obtenu la pluralité des voix dans leurs circonscriptions, sont déclarés élus.

Des états généraux

La deuxième consultation, d’origine gouvernementale, prendra la forme d’états généraux sur la réforme des institutions démocratiques dont l’organisation a été confiée à un comité dirigé par M. Claude Béland, l’ex-président du mouvement Desjardins.

Elle portera sur le contenu du document de réflexion qu’a publié, en juin dernier, le ministre responsable de la Réforme des institutions démocratiques, Jean-Pierre Charbonneau*.

Ce dernier y soulève la possibilité de modifier de grands pans de notre système politique, notamment…

• En remplaçant notre régime parlementaire de type britannique par un régime présidentiel à l’étatsunienne où le premier ministre serait élu au suffrage universel et où les ministres ne seraient pas membres du parlement ;

• En remplaçant le mode de scrutin majoritaire par un mode de scrutin de type proportionnel ;

• En prévoyant la tenue des élections à date fixe ;

• En créant une Chambre des régions à l’Assemblée nationale et en y institutionnalisant la représentation des nations autochtones, soit en créant des circonscriptions qui leurs seraient réservées, ou en créant un Conseil des nations autochtones siégeant conjointement avec les autres chambres du parlement ;

• En permettant la tenue simultanée d’un référendum et d’élections générales, sauf en matières constitutionnelles ;

• En permettant l’initiative parlementaire et populaire pour le déclenchement de référendums ; etc.

« Pour que mon vote compte vraiment »

Tel est le slogan retenu par le Mouvement pour une démocratie nouvelle afin d’inciter les organismes et les citoyens à participer à la commission parlementaire qui étudiera la question du mode de scrutin.

Le budget de cette campagne d’information, d’éducation populaire, se limite à quelques milliers de dollars dont la plus grande partie a été consacrée à la publication d’un journal tabloïde de huit pages imprimé en quelques dizaines de milliers d’exemplaires.

Mais la force du mouvement citoyen repose avant tout sur la mobilisation des organisations de travailleurs, d’étudiants, de femmes, de groupes populaires et communautaires, du mouvement nationaliste et de membres des communautés culturelles qui relaient le message à leurs membres.

Des assemblées publiques et des séances de formation ont déjà eu lieu à Montréal et à Québec. Un groupe s’est formé dans l’Outaouais et a commencé ses activités avec un débat auquel ont participé des représentants de partis dont le ministre Charbonneau. Des activités se préparent aussi dans l’Estrie.

On prévoit que des groupes se formeront ainsi dans la plupart des régions du Québec pour souligner le passage de la commission parlementaire et en profiter pour sensibiliser la population.

Un site à visiter

La principal instrument d’information du MDN est son site Internet, www.democratie-nouvelle.qc.ca, sur lequel on peut trouver notamment un « mémoire à la carte » conçu pour aider les personnes à préparer leur présentation à la commission parlementaire.

Le contenu du journal y est aussi reproduit et peut être téléchargé, et on trouvera en outre une « présentation assistée par ordinateur » conçue pour tenir des séances de formation. Une visite du site s’impose donc pour les personnes qui veulent participer à la campagne.

En plus des éléments mentionnés ici on trouve aussi des dossiers élaborés et fort instructifs sur les différents modes de scrutin utilisés dans le monde

Par ailleurs, le MDN met l’accent sur la signature d’une pétition appuyant les principes qu’il met de l’avant pour obtenir une réforme en profondeur du mode de scrutin québécois. Cette pétition peut être signée en ligne en se rendant sur le site.

Le MDN se chargera de transmettre les noms des signataires à la Commission des institutions. Ces derniers seront considérés comme ayant participé à la consultation. Le texte de cette pétition peut être aussi téléchargé et imprimé afin de la faire circuler pour obtenir des signatures.

La coordonnatrice à la mobilisation du MDN est Valérie Eme. On peut la rejoindre par téléphone au 514-807-5974, ou par courrier électronique à l’adresse veme@democratie-nouvelle.qc.ca.

1. Le pouvoir aux citoyens et aux citoyennes. Document de réflexion mis au point par le Secrétariat à la réforme des institutions démocratiques reproduit sur le site Internet www.pouvoircitoyen.com.|213| 
923|La gauche hésite|Patrick Lamoureux|

Action politique



Les passions, les espoirs, et leurs corollaires, les tensions et le pessimisme, étaient au rendez-vous que s’était donné la gauche politique, les 20 et 21 septembre, à l’Uqam. Le colloque, intitulé « Les mouvements sociaux et l’action politique de Gauche au Québec », organisé par la Chaire d’études socio-économiques de l’Uqam, avait pour but la définition d’une ligne d’action politique répondant aux nouvelles préoccupations de la société civile.

Comme le rappelait Arthur Sandborn, président du Conseil central du Montréal métropolitain de la CSN, aucun des trois principaux partis politiques québécois ne se positionne sur des questions fondamentales et d’importance historique comme la mondialisation, la Palestine ou la guerre contre l’Irak.

D’autre part, si la dialectique libéraux–péquistes a sclérosé le débat politique, le succès surprise de la candidature de Paul Cliche dans Mercier, mais aussi, malheureusement, la montée aberrante de Dumont, expriment clairement le désir collectif d’une nouvelle voie.

Françoise David n’y croit pas

Après que Sandborn eut insisté sur la nécessité pour la gauche d’investir énergiquement la prochaine campagne électorale, Françoise David, pour sa part, mit l’emphase sur la réflexion éthique qui s’impose avant toute action politique.

Sa pensée s’articule autour de deux questions 0 quoi faire pour unifier et développer les forces progressistes ? et comment agir dans le contexte d’une déroute du PQ et d’une montée de l’ADQ ?

D’entrée de jeu, Françoise affirme ne pas croire en une action électorale de la gauche d’ici six mois. Des réflexions s’imposent, poursuit-elle devant son auditoire de quelque 350 personnes, et la classe moyenne connaît encore trop peu les idées progressistes qui font contre-pied à la mondialisation néolibérale.

Elle se lance ensuite sur les paradoxes qui sous-tendent les débats 0 « Les gens veulent une chose et son contraire 0 payer moins d’impôts mais avoir plus de services publics. Aussi, il y a des contradictions qui animent la gauche qui, à son tour, doit avouer qu’elle n’a pas toutes les réponses. »

Sur ces questions, elle souligne la nécessité d’une campagne d’éducation populaire s’articulant autour du modèle de société désiré, à savoir individualiste ou solidaire. En concluant, elle soulignait que la gauche devra être plurielle au niveau éthique et politique, mais unie dans l’action pour le bien commun.

Jean-Marc Piotte le déplore

Un peu avant, Jean-Marc Piotte, professeur au département des sciences politiques de l’Uqam, faisait un survol et une réflexion sur les différentes expériences de la gauche depuis les années soixante.

Efficace et franchement drôle, son exposé retraçait la genèse et l’apocalypse du mouvement socialiste québécois des 1960–1970, épinglant au passage l’engagement de Pierre-Karl Péladeau dans le mouvement En lutte ! « Voilà quelqu’un qui a su appliquer la leçon de la lutte des classes », a-t-il lancé à un auditoire plié en deux.

À cette déconfiture de la gauche, il reconnaît plusieurs raisons dont l’échec des pays socialistes et l’absence de bons modèles ; et là, on ne parle pas de Tony Blair. Aussi, il est important, dit-il, de mettre les efforts sur ce qui unit la gauche plutôt que sur ce qui la divise.

Quant à la récente montée de la droite, il compare l’ADQ à l’Union nationale et à Margaret Thatcher, et souligne que ce parti n’a aucune expérience en politique.

Côté solutions, Piotte voit d’un bon œil les forces en place que représentent les jeunes et le mouvement antimondialisation.

D’un œil plus critique, il déplore le fait que le mouvement ne s’occupe pas assez d’élection et qu’il écarte la nécessité d’un leader.

Enfin, il a conclu sur l’interrogation que suscite la question nationale 0 comment pourra-t-elle unir la diversité ethnolinguistique qui caractérise le Québec ?

Après avoir suivi différents ateliers thématiques, le public a participé à un débat en plénière qui clôturait le colloque. Gaétan Breton, François Saillant, Amir Khadir et quelques autres personnalités étaient sur la scène pour répondre aux nombreuses interventions.

Bien animé autour des possibilités qu’offre l’UFP et des menaces que représente l’ADQ, le débat n’a malheureusement pas dégagé de consensus. S’il est nécessaire d’agir rapidement, la façon de faire reste à définir. Dans ce grand brassage d’idées, plusieurs thèses se sont affrontées 0 la poussière va retomber, une synthèse devrait émerger.|213| 
924|Un premier forum social régional|Tonatiuh García1 et Sébastien Bouchard2|

Dans la région de Québec—Chaudière-Appalaches



Plus de deux cents participants se sont réunis lors du Forum social régional (FSR) de Québec–Chaudière-Appalaches, s’étant tenu du 27 au 29 septembre derniers au cégep de Limoilou. Sous le thème « De Porto Alegre à Québec – Un autre monde est possible », des gens de tous les âges, de tous les milieux et de toute la région ont pris part à ce premier forum social régional en Amérique du Nord.

On a pu voir des militants et représentants de groupes du milieu syndical (CSN, SFPQ, etc.), du milieu populaire et communautaire (avec une forte présence des groupes de femmes), des groupes de solidarité internationale et « altermondialiste », de la gauche politique et du mouvement étudiant, sans oublier plusieurs citoyens engagés.

L’appel à la mobilisation a eu un fort écho et des gens se sont déplacés de plusieurs régions du Québec, et même de Toronto, qui organisera aussi sous peu un forum social régional.

Serge Roy, coordonnateur politique du Forum, a signalé la richesse de la diversité des groupes participants. « Il faut miser sur les convergences même si des divergences peuvent exister. Il ne faut pas remplacer cette diversité, qui fait la force du mouvement, par un discours dominant, comme on en entend à l’Assemblée nationale », a-t-il signalé.

Des perspectives régionales

En guise d’introduction, la table ronde intitulée Perspectives régionales et mondialisation a permis des échanges entre participants et invités 0 Emilia Castro, Robert Jasmin d’Attac–Capitale-Nationale, Sophie Savard des Amies de la Terre de Québec et Simon Carreau de l’Association des étudiants en sciences sociales de l’Université Laval.

Ces derniers ont donné le ton en dressant un portrait de la situation actuelle et en fixant les grandes lignes des discussions de la fin de semaine.

Des ateliers aux sujets aussi divers que le travail, l’éducation, l’alimentation les alternatives politiques, les relations Nord–Sud et les enjeux du mouvement communautaire, ont donné aux participants la possibilité d’identifier les réalités vécues en lien avec la mondialisation néolibérale et de proposer des alternatives.

Le dimanche, tous les ateliers avaient un seul thème 0 comment coordonner les luttes au niveau régional. À la suite de ces discussions, les participants ont discuté et adopté une déclaration commune.

Les participants ont insisté sur la nécessité de promouvoir l’éducation populaire, les médias alternatifs, le budget participatif et le commerce équitable, de faire la lutte à la Zlea et d’établir un calendrier commun d’activités.

« Le gouvernement a échoué dans son rôle de redistribution des richesses », ont témoigné en plénière les participants de l’atelier Fiscalité et rôle de l’État.

On a fait le lien entre le déficit démocratique croissant et la montée de la droite dans les trois partis québécois traditionnels.

Les participants ont également dénoncé l’aliénation culturelle que la mondialisation néolibérale entraîne. « La culture, c’est toujours pour plus tard. Il ne faut pas se laisser berner par la réconfortante culture hollywoodienne du divertissement. Car cette culture ouvre la porte à l’homogénéisation culturelle, voire à l’assassinat des cultures », a affirmé Robert Jasmin.

De plus, toute la fin de semaine a été imprégnée d’une analyse féministe qui a fait évoluer les réflexions. Comme l’a indiqué Emilia Castro, vice-présidente du Conseil central de Québec – Chaudière-Appalaches de la CSN et porte-parole de la Coalition régionale des femmes contre la pauvreté et la violence, « un autre monde est possible, mais encore faut-il s’en donner les moyens ».

Plusieurs actions sont donc organisées, dont les mobilisations contre la Zlea initiées par les étudiants et devant culminer le 31 octobre, et une consultation populaire sur la Zlea.

Il faut aussi prévoir des débats publics sur différentes alternatives politiques 0 démocratie participative, réforme du mode de scrutin et construction d’une alternative politique de gauche.

La déclaration finale est une large synthèse de tous les éléments de la fin de semaine et exprime une volonté de faire perdurer l’expérience de ce premier forum social régional du Québec. On peut consulter cette déclaration sur le site Internet du Forum 0 www.oqp2001.org/forumsocial.

Le comité promoteur du Forum a tenu à rappeler que ce n’était qu’un premier pas. Nous pouvons affirmer que c’est un nouveau départ, très mobilisateur, pour le mouvement social de la région.

Une volonté d’agir ensemble et de créer un lieu de convergence permanent en vue d’effectuer des actions concrètes pour la région a été exprimée. Le comité de suivi du Forum organisera donc une assemblée constituante cet automne pour mettre en œuvre les propositions adoptées dans la fin de semaine.

Le FSR s’est inspiré du Forum social mondial de Porto Alegre, d’où une nouvelle vague d’implication citoyenne est née. Le désir de répéter localement cet événement a jailli suite au post mortem de plusieurs groupes ayant pris part aux mobilisations autour du Sommet des Amériques.

1. Étudiant à l’Université Laval ; Cmaq–Québec

2. Alternatives|213| 
925|Alfred DesRochers, père occulte de la littérature québécoise|Michel Lapierre| « Moi, je suis connu aujourd’hui, disait Alfred DesRochers en 1976, parce que je suis le père de Clémence, bien plus que comme l’auteur d’À l’ombre de l’Orford… Quand Saint-Denys Garneau est arrivé, il a tout effacé ce qui avait été écrit avant lui. »

Sous cet aveu narquois, se cache beaucoup d’amertume. En 1976, deux ans avant sa mort, DesRochers se défend toujours d’être un poète du terroir. « S’il y a un gars, déclare-t-il, qui s’est fait jouer un coup de cochon dans sa vie, c’est bien moi ! J’ai écrit À l’ombre de l’Orford pour prouver que je n’étais pas capable d’en faire des vers du terroir. » La nouvelle génération de poètes et de critiques ignore en général sa tentative de définir et de créer une poésie nord-américaine concrète. DesRochers rêvait à un chant des premières heures du monde. Il espérait l’avènement d’une poésie qui sortirait de la bouche d’un plébéien indigène au lieu de jaillir de la plume de mandarins européanisés comme Alain Grandbois et Saint-Denys Garneau.

Le continent infini

La patrie de DesRochers, ce n’est pas le terroir, mais l’Amérique entière, vue comme un continent infini. Le poète ne la considère pas seulement, de l’extérieur, comme un territoire immense, mais aussi, de l’intérieur, comme un espace aux frontières politiques indéfinies, sans traditions agricoles vénérables, sans clôtures dressées par les hommes, sans paysannerie fossilisée. Pour lui, les croix de chemin ressemblent plus aux signaux des nomades qu’aux stèles d’une civilisation impalpable qu’on dit venir de l’Ancien Monde. Ces croix, DesRochers les voit comme des nouveaux totems, des totems écartelés. Elles évoquent le choc des deux mondes, expriment le paradoxe du sauvage savant, rappellent en même temps ces bêtes mythiques, protectrices des hommes rouges durant les millénaires qui précédèrent l’arrivée des Blancs. Comme des montagnes au nom légendaire, elles émanent de la nature toute-puissante.

Tu dressas tes Shickshocks effarés dans les nues ;

Pays des bois géants, pays des étendues

Sans bornes...

Si DesRochers resta fidèle à la versification traditionnelle, il n’en produisit pas moins une œuvre novatrice. Il fit aussi preuve d’originalité comme critique et surtout comme théoricien de la littérature. Il fut le premier, chez nous, qui associa l’identité ancestrale à la communion mystique avec la nature en faisant du passé non plus un simple modèle mais une véritable utopie. Il fut le premier à se sentir vraiment le frère des poètes américains. Il croyait qu’un cœur amérindien bat dans la poitrine de tout poète authentique de notre continent.

Dès 1929, dans la première édition d’À l’ombre de l’Orford, DesRochers veut mener jusqu’au bout l’expérience risquée du Nouveau Monde. Il sera hanté par The Ghost of Buffaloes, de Vachel Lindsay, où l’Esprit marche sur la splendeur dorée des grandes plaines peuplées d’aigles et d’hommes rouges. Il sera fasciné par The Bridge, de Hart Crane, où le pont de Brooklyn devient à la fois la « harpe » de l’Amérindien et l’« autel » de son holocauste, la frontière entre la terre et l’océan, le duel entre le passé et l’avenir.

DesRochers résiste au charme de la modernité européenne. Si la modernité nord-américaine exerce sur lui une véritable fascination, c’est qu’elle lui apparaît très différente. N’est-elle pas plus près des temps immémoriaux ? Dans l’esprit du poète, la découverte du Nouveau Monde a bouleversé pour toujours le temps européen. Sur le continent infini, le passé se mêle au présent, le xixe siècle appartient encore à la légende. L’Amérindien, ultime héros, survivant de l’âge d’or, reste là pour en témoigner, fût-il muet. Le massacre de Genou-Blessé (Wounded Knee), qui ne date que de 1890, occupe dans l’imaginaire nord-américain une place semblable à celle de la prise de Troie.

Mourir en Parisian French

Fait exceptionnel pour l’époque, DesRochers s’intéresse énormément à la littérature américaine. Dans l’ensemble, il la préfère à la littérature française. Vers la fin des années trente, il affirme lire à toutes les semaines The Nation, chaque mois Harper’s, Scribner’s, Atlantic Monthly et Esquirer. « Je lis aussi, ajoute-t-il, les poètes américains. J’ai longtemps cru, et je crois encore, qu’ils sont en voie de constituer une littérature américaine (par opposition à l’européenne) et que dans quelques quarts de siècle, cette littérature se différenciera autant de la littérature européenne que cette dernière se distingue des lettres asiatiques. » Cette vision de l’avenir était loin d’être évidente à l’époque.

DesRochers reproche aux Québécois, aux « Vieux-Canadiens » comme il les appelle, de considérer leur culture comme une simple imitation de la culture française. Si nous n’édifions pas une culture nord-américaine originale de langue française, c’est-à-dire une culture québécoise, nous courons, selon lui, à notre propre perte. Mourir en Parisian French, quel destin ! C’est, explique le poète, la culture française elle-même qui, en anémiant la vie intellectuelle des Québécois, assurera le triomphe de la langue anglaise. Selon DesRochers, cette culture européenne est inadaptée à notre continent. « La culture française, écrit-il, riche d’une tradition millénaire et issue d’un milieu où tout est composé, dirait un peintre, n’a rien d’apparenté à notre pays, où tout est démesuré. La raison, qui est le fond même de la culture française, est un handicap dans une contrée où l’audace et l’impulsion sont les premiers facteurs de succès. Quand notre province de Québec comptera quelque cent millions d’habitants de langue française, nous pourrons peut-être avec avantage nous abreuver à Paris, mais d’ici là le champagne de l’esprit français risque fort d’avoir sur nous le même effet que l’alcool sur un toutou naissant 0 celui de nous faire rester petit. »

Les groulxistes, ce « tas d’émigrés »

Dans À l’ombre de l’Orford, le poète va jusqu’à soutenir que les nationalistes canadiens-français de son époque, « ce tas d’immigrés », n’ont pas de véritable patrie en Amérique.

Votre patrie à vous est au-delà des mers !

Ce n’est pas un séjour de trois siècles à peine,

Même miraculeux, qui fait qu’une âme humaine

S’identifie à l’air et s’incorpore au sol !

Dans cette véritable provocation, on décèle une attaque contre le nationalisme de Lionel Groulx, qui faisait alors figure de maître à penser. Mais on doit juger l’antinationalisme de DesRochers avec précaution. La question de l’indépendance du Québec échappera au poète lorsqu’elle deviendra une idée de gauche. Pour DesRochers, cette idée nouvelle continuera d’évoquer le nationalisme traditionnel, incarnée par Groulx. Le Parti québécois, qui, dans l’esprit de DesRochers, propage une version modernisée de ce nationalisme, serait « peut-être une idée merveilleuse si elle avait derrière elle un Lénine », déclare le poète en 1976. « Mais, ajoute-t-il, ce n’est pas le cas. Ça va tomber en pourriture… » La désillusion et une pointe d’anarchisme marquent plus la pensée de DesRochers que le fédéralisme. Le procès civique que pourraient lui intenter les tenants de l’indépendance aboutirait à un non-lieu.

Le Québec préhistorique et cosmique

Malgré l’académisme qui affaiblit souvent son œuvre, le poète de l’Orford a mieux senti la dimension cosmique du pays que les poètes de l’âge prétendu de la parole. À la différence de DesRochers qui regarde la patrie comme une « flamboyante anarchie », « toute faite de force et de fécondité », comme la nourrice de l’univers, la terre qui, dans le chaos, répondit « au Seigneur la première », les poètes de la nouvelle génération ouvriront les yeux devant « le paysage inconscient du fleuve sans mémoire » (Hénault), la « tache sous le pôle », le « fait divers », le « film sans images » (Pilon), la « contrée de geôles invisibles » (Préfontaine), le pays dont l’homme « sort à peine de terre » (Gatien Lapointe), le « dépaysage sans retour » (Giguère), le « pays sans nom », la « terre sans racine » (Chamberland), le « pays de mort anonyme », le « pays né dans l’orphelinat de la neige » (Brault), le « pays chauve d’ancêtres » où la vie est un « débarras de l’Histoire » (Miron). Sous un mode beaucoup plus populaire, Gilles Vigneault pourra proclamer dans une chanson qui deviendra presque, pour un temps, un hymne national 0

Mon pays ce n’est pas un pays c’est l’envers

D’un pays qui n’était ni pays ni patrie.

C’est que ces poètes, qui publient après la Deuxième Guerre mondiale, entendent créer un pays neuf à la place du Québec traditionnel, qui leur apparaît comme un désert que le mot cléricalisme traduit, à leurs yeux, très facilement. Certes, ils repoussent d’instinct « notre maître, le passé », la pensée de Groulx, l’histoire hagiographique ; mais ils rejettent tout autant notre mère, le passé antérieur, le temps paradisiaque, la préhistoire mythique que DesRochers ne cesse d’adorer. On comprend sans doute qu’Hénault puisse stigmatiser le « peuple adorateur de chasubles », mais fallait-il qu’il s’en prenne aussi à la « patrie des 25 % légendaires/Et des loups-garous… » ?

Pourquoi ce refus total, cette confusion entre la religion dictée par le pouvoir et le merveilleux jailli du peuple ? se demanderait DesRochers. Le poète de l’Orford affirme naïvement 0 « Le passé me possède et m’astreint à sa loi. » Il n’associe pas le passé à l’aliénation, mais voit ses aïeux rouges comme des guerriers indomptables qui ont « blasphémé d’horreur vers des cieux impassibles » et ses aïeux blancs comme les « contempteurs d’édits des seigneurs et des prêtres ». On en finit plus d’opposer DesRochers à ses cadets. Mais le père dédaigné se moque bien des conflits de générations. Imperturbable, Alfred DesRochers rêve au pays perdu et jouit tranquillement de l’archipel épargné, présence paléontologique qui illumine encore le monde.

Alfred DesRochers. À l’ombre de l’Orford. Bibliothèque québécoise, 1997.|213| 
926|Sainte–Rectitude–des–grandes–noirceurs|Jean-Claude Germain| Peu importe la tribune choisie ces jours-ci, c’est une idée reçue que, dans tous les conflits, les femmes n’ont, par nature, aucune position politique, et qu’elles en sont les premières victimes avec les enfants. En tout temps et en tout lieu, le statut de mère les mettrait à l’abri de tous les préjugés, lesquels d’ailleurs seraient un produit exclusif de la masculinité et, de façon plus pointue, de la testérone. En somme, pour la rectitude, les filles d’Ève n’auraient pas encore obtenu le droit au libre arbitre. Comme dans le bon vieux temps !

Récemment, sur l’heure du midi, en lieu et place de La Tribune du Québec, j’écoutais une émission spéciale, concoctée par le Service d’information de Radio-Canada, qui se voulait un portrait documentaire des femmes islamiques au Québec. Au fil des propos, je me suis surpris à exécuter malgré moi plusieurs culbutes par en arrière dans le temps.

Subitement, je me suis retrouvé plongé dans l’atmosphère de la Grande noirceur québécoise avec des femmes qui, au lieu de s’interroger sur le port du mouchoir de tête ou du chapeau avec voilette dans une église, s’inquiétaient cette fois de l’absence d’un objet domestique dans les maisons, à savoir celui d’un bidet, qui avait pour conséquence de rendre leurs triples ablutions quotidiennes et rituelles de pieds plus acrobatiques. À tout moment, je m’attendais à ce qu’un ancien curé de paroisse fasse irruption dans la conversation pour rappeler aux femmes que le port des shorts à l’extérieur des maisons et de la plage est, non seulement indécent, mais interdit.

Un joug que toutes les femmes du Québec ont connu

Quelques jeunes musulmanes, pour leur part, auraient bien aimé qu’on leur donne une preuve de l’existence de Dieu. Elles comprenaient mal pourquoi on s’obstinait à leur répondre que ce n’était pas une question de preuve, mais de foi. Ça ne vous rappelle pas des souvenirs de retraite fermée ? Ou l’ineffable pari gagnant–gagnant de Pascal ? Vous avez tout à gagner en gageant sur le fait que Dieu existe puisque, de tout manière, s’il n’existe pas, vous ne perdez rien. Pourquoi serions-nous tenu de faire preuve d’ouverture d’esprit devant un type d’aliénation que nous avons très bien connu et un joug que toutes les femmes du Québec ont subi pendant plusieurs siècles ?

La réalité islamique qui nous était présentée à la radio par ces femmes, tout à fait ordinaires et au demeurant sympathiques, n’avait rien d’exotique ou de mystérieux, c’est la pensée d’Henri Bourassa sur la famille et le rôle de la femme dans le couple, complétée par celle du père Marcel-Marie Desmarais sur la contraception. Pourquoi prendre la pilule lorsque vous n’avez qu’à avaler une de mes capsules d’optimisme ?

Une impression de déjà vu

Lorsque je croise toutes ces femmes dans la rue, la tête couverte et le corps emmailloté dans leurs robes comme des bonnes sœurs, je ne ressens pas le choc de la différence mais je suis envahi par une impression de déjà vu et le sentiment que le couvercle est retombé sur la marmite du Québec. Il fait soudainement plus froid et le temps se noircit en plein soleil. Peu importe qu’on me vante les joies de la sérénité intérieure ou le bonheur qu’apporte la soumission totale à une volonté supérieure, la Grande noirceur fait toujours de l’ombre en plein jour.

Comment peut-on avoir oublié l’oppression suffocante de ces années noires de soutane pour ne pas reconnaître la couleur, la musique, la texture, le ton et l’odeur de la Sainte Rectitude ? Sans doute parce que nous étions si peu nombreux à la combattre à l’époque et que la plupart avaient fait avec le goupillon comme ils ont fait avec la liberté par la suite et comme ils s’apprêtent maintenant à faire avec la rectitude. ‘Faut se faire une raison ! comme on répétait dans les années cinquante.

Comment oublier tous ces milliers de curés québécois, de frères et de sœurs qui ont subitement défroqué en bloc après avoir chanté la continence et prêché l’obéissance ? Peut-on les avoir oblitérés de notre mémoire collective au point de ne pas reconnaître les victimes de leurs émules ? Pourquoi les femmes de ma génération ont-elles l’air plus jeunes aujourd’hui que sur leurs photos de jeunes adolescentes ? Parce qu’elles étaient déjà en deuil d’une vie qu’elles n’étaient pas invitées à vivre.

La même tristesse et la même désespérance qui imprégnaient tous ces souvenirs de famille du temps jadis m’envahissent lorsque je constate à nouveau que la religion peut confisquer aux femmes leur liberté, leur conscience et leur voler en toute impunité leur vie comme le catholicisme l’a fait pendant tout son règne au Québec.

Lorsque j’entends ces musulmanes proclamer les mêmes niaiseries que les bonnes catholiques de mon enfance, je soupçonne que c’est obscurément pour s’en convaincre comme c’était le cas des Québécoises du temps passé. Cela dit, rien ne pourra me faire avaler que les mêmes niaiseries sont moins sottes parce qu’elles sont prononcées aujourd’hui avec un accent différent. Pour les femmes, la répression religieuse parle la même langue dans toutes les langues et avec tous les accents.|213| 
927|Les images d’une résistance|Gabriel Anctil|

Squat !



Squat est un film nécessaire, puissant et beau, réparateur. Un film qui fait du bien à voir, qui soulage. Rappelez-vous l’été 2001 0 en pleine crise du logement, une cinquantaine de jeunes et de moins jeunes, de mal-logés ou de sans-abri prennent courageusement d’assaut un bâtiment désaffecté de la rue Overdale. Commencera alors une longue lutte pour le droit au logement, à la dignité et à la différence. Quelques jours plus tard, grâce à un maire Bourque en campagne électorale, la ville leur propose de s’installer loin du centre-ville, au centre Préfontaine, énorme édifice de la rue Rachel. Ils y resteront alors deux mois avant de se faire expulser à coups de matraque et de charges électriques par les policiers « anti-émeute », grands défenseurs de la propriété privé, lobotomisés, prêts à tout pour plaire à leurs maîtres.

En réalisant ce documentaire engagé, Ève Lamont renouait avec un sujet qui lui était familier et qui lui tenait à cœur 0 elle avait déjà connu et observé des squats à Genève, à Toulouse, à Amsterdam et à New York, et y avait participé à sa façon.

C’était par contre la première fois qu’elle vivait l’expérience à Montréal 0 « Quand les squatteurs ont pris possession du squat d’Overdale, j’étais sur la Côte-Nord. Je ne savais pas encore que j’allais faire un film sur eux mais déjà je me voyais là-bas.

« Ensuite, on m’a invité au squat Préfontaine pour présenter un documentaire que j’avais réalisé sur les femmes squatteuses en Europe (Des Squatteureuses, 1988). C’est à ce moment là que je suis tombée dans le sujet, que j’ai décidé de suivre leur projet et de faire un documentaire sur leur lutte. »

Un lien de confiance s’est développé entre elle et les nouveaux résidents du squat Préfontaine. Ils ont accepté en assemblée générale que le film se réalise avec leur participation. Certains d’entre eux ont même conseillé la réalisatrice au montage, pour faire en sorte que le film reflète vraiment ce qui s’était déroulé.

Une voix aux squatteurs

Parce que la force première du film est de prendre le temps de raconter les faits à travers les mots et les gestes des squatteurs. Loin de l’approche des médias de masse qui les ont condamné sans tenter de les comprendre, le film donne la voix aux squatteurs qu’on apprend à connaître et à respecter.

Un ex-itinérant responsable de la bouffe communautaire, un ébéniste sans emploi et sans logement qui s’occupe des travaux de rénovation, un travailleur au salaire minimum, père de trois enfants, qui n’arrive plus à payer son logement, une jeune mère monoparentale et son fils, une punk qui a connu les squats sauvages, un toxicomane qui veut s’en sortir…

Rapidement on comprend que le squat, en plus d’être un logement fixe et gratuit, est un défi qu’ils doivent relever collectivement, un projet qui les rattache plus que tout à la vie, qui leur donne la force et l’espoir de pouvoir enfin, en dehors des contraintes imposées par le capitalisme sauvage, prouver la viabilité et la nécessité d’une alternative politique à une société où les exclus sont de plus en plus nombreux et de plus en plus pauvres.

Comme l’exprime si bien Ève Lamont, « dans nos société capitalistes, le logement devient un produit de consommation et de spéculation plutôt qu’un droit fondamental. Le squat offre une solution immédiate pour qui doit subvenir au besoin vital de se loger sans qu’on lui en donne les moyens. »

La lutte des squatteurs de Préfontaine rejoint celle de millions de personnes dans le monde qui agissent aujourd’hui, bâtissant dans l’urgence des conditions de vie plus respectables au lieu de quémander pour demain un monde meilleur.

Les médias s’attaque au squat

Squat montre, comme rarement au cinéma, la manipulation des médias qui, tels des chiens enragés, ont littéralement attaqué le squat, s’introduisant, comme les « journalistes » de TQS, à l’intérieur sans autorisation, au nom du droit à l’information et du bien public, jouant les détectives et les policiers zélés en manque de sensations fortes, allant jusque, comme le Journal de Montréal, à prétendre avoir trouvé sur le terrain de la merde humaine et animale.

Les journalistes ont concocté une véritable campagne de salissage, passant d’observateurs à acteurs des événements, demandant clairement au maire Bourque d’expulser ces « punks », détournant le public des véritables enjeux (la crise du logement et le logement social).

« Il y a eu une campagne médiatique superficielle, grossière et caricaturale. Les journalistes se sont retrouvés devant un monde qu’ils ne connaissaient pas et l’ont complètement méprisé, déplore Ève Lamont. Avec ce film, j’ai voulu m’adresser à l’intelligence des gens, ce que les médias ne font pas. »

Le sort de ces squatteurs fut à la hauteur de la campagne de désinformation des médias 0 le 3 octobre, au petit matin, les policiers sortent les occupants du lit et les expulsent sauvagement du squat qui était devenu leur maison.

Plusieurs arrestations et hospitalisations ont lieu. Un peu plus d’un an plus tard, rien n’est réglé, la crise du logement s’est aggravée et les médias gardent encore la population dans l’ignorance.

Pire encore 0 rien n’a été fait pour les anciens squatteurs qui, laissés à eux-mêmes, démolis physiquement et psychologiquement, ont perdu leur logement, leur espoir et leur combat. Ils sont de retour dans la rue, entourés du mépris et de l’inhumanité d’une société égoïste, injuste et sans cœur.

Comme une justice à la lutte

C’est un film à voir, à faire voir comme arme d’autodéfense contre les médias. Tout comme dans cette mémorable scène d’Orange mécanique, les Pierre Bourque, Gérald Tremblay, Michel Prescott, les policiers de l’escouade anti-émeute et les journalistes devraient voir ce film, les yeux grands ouverts, pour réaliser toute la barbarie de leurs rôles, toute l’imbécillité et la profonde répression de leurs gestes.

Répression de vérité et de justice, répression d’espoir, répression de courage, répression de leurs semblables. Un film à voir et à faire voir. Un film d’espoir.

Vive la révolution des images !

Nous sommes les Lucioles. Nous sommes un collectif de vidéastes prêts à tout pour mettre en images la réalité dure et injuste qui nous scandalise quotidiennement, prêts à tout pour prouver la manipulation des médias, prêts à tout pour montrer la force d’une information démocratique et populaire qui prend aussi le courage de proposer.

Dans une démarche qui s’oppose à celle des médias de masse, nous ne croyons aucunement en l’objectivité parce qu’elle est une notion d’absolu qui n’existe pas. Loin de nous la prétention extrêmement manipulatrice de pouvoir, à l’aide d’un jugement sans faille, être les seuls détenteurs de la vérité.

En dehors des cadres institutionnels, nos vidéos ont pour but de créer des discussions, lancer des idées, dénoncer des injustices et proposer des solutions pour une société libre et égalitaire.

Je suis les Lucioles, vous êtes les Lucioles, nous sommes les Lucioles, et nous prenons nos caméras pour défendre les faits et redonner leur voix aux sans-voix, à ceux dont les médias de masse ne parlent jamais, à ces oubliés et ces laissés pour compte qu’ils cachent dans le silence pour mieux nous garder dans l’ignorance.

On dit que c’est assez, qu’il faut briser ce mur du silence et cette pensée unique. On a donc fait des vidéos sur la déportation de ce millier de réfugiés algériens que le gouvernement canadien expulse en ce moment, sur ces étudiants pacifiques de l’Université Concordia qu’on a démonisés lors de la manifestation du 9 septembre dernier alors que les journalistes n’ont pas tout dit, du cas des prisonniers politiques du groupe Germinal qui croupissent en prison pour avoir rêvé d’une société meilleure…

C’est pour eux mais aussi pour vous et avec vous tous qu’on lutte pour proposer une alternative aux bulletins d’information sensationnalistes, réducteurs, bourrés de clichés et de préjugés.

On vous invite donc mercredi le 23 octobre prochain à l’Alizé (900, rue Ontario Est), à 20 h, pour une soirée différente avec une dizaine de courts-métrages, où pour une fois, c’est la population qui a le droit de parole.

Contribution volontaire

Il y aura une projection par mois. Pour information ou pour commander des vidéos 0 leslucioles@ziplip.com.|213| 
928|Enquête sur un massacre ciblant les femmes aux Indes|Élaine Audet| Le 1er mars dernier, au Gujarat en Inde, des hindous intégristes massacraient 2 000 musulmans, dont une majorité de femmes. Le silence général des médias sur de telles réalités montre une fois de plus la mesure de la désinformation à laquelle on nous soumet. En appuyant tant l’Inde que le Pakistan, en semblant s’accommoder des sanglants conflits ethno-religieux comme celui du Gujarat, les États-Unis se réservent-ils le droit d’appuyer plus tard les deux protagonistes, comme ils ont appuyé à tour de rôle pour l’Irak et l’Iran, les jetant l’un contre l’autre dans une longue guerre fort lucrative pour les marchands d’armes ? Poser la question c’est y répondre.

J'ai assisté à une conférence d’information sur ces événements, donnée à Montréal, en septembre dernier, par Mme Syeda Hameed. Selon son rapport, du 28 février au 3 mars, une foule fanatisée de plusieurs milliers de membres d’un mouvement extrémiste hindouiste (RSS) envahit la ville d’Ahemedabad, capitale du Gujarat, au Nord-Ouest de l’Inde et s’attaque sélectivement aux familles musulmanes.

Comme au temps des pogromes nazis, ils ont leurs adresses en main, violent systématiquement les femmes et les enfants, puis brûlent leurs corps, leurs maisons, leurs commerces et leurs mosquées. Derrière eux, ils laissent un désert de cendres et quelque cent cinquante mille réfugiées terrorisées, réunies dans des camps de fortune.

Comme si ce n’était pas suffisant, le gouvernement a coupé l’eau à ces réfugiées, afin de les chasser et d’effacer toute preuve de ce massacre avant les élections du 6 octobre. Mais la télévision locale a filmé tous ces événements, laissant ainsi des preuves irréfutables.

J’ignorais tout de ce carnage et, je crois, qu’il en est de même pour la plupart des gens, en particulier dans le milieu francophone. Mme Hameed fait partie d’une équipe composée de six femmes mandatées par des groupes communautaires d’Ahemedabad pour enquêter et recueillir sur place des témoignages sur les atrocités commises contre les femmes de la minorité musulmane du Gujarat.

Le but premier de cette mission d’enquête était de faire en sorte que la voix des quelques survivantes soit entendue. Elles ont, en plus, interviewé des membres des milieux intellectuel, politique, journalistique et administratif, ainsi que les leaders du parti au pouvoir (BJP), dont la députée Maya Kodnani, accusée d’avoir appuyé le massacre.

Dans leur volumineux rapport1, les enquêteuses disent avoir été ébranlées et sidérées par l’étendue et la brutalité des actes de violence commis au Gujarat. Même si elles avaient lu les journaux, elles ne s’attendaient pas à voir encore une telle peur et une telle angoisse dans les yeux et les mots de femmes ordinaires à qui le droit humain fondamental de vivre dans la dignité venait d’être si violemment arraché.

Préméditation dans la sélection des victimes

Pour justifier le pogrome, les porte-parole des extrémistes hindous et les médias du Gujarat ont allégué l’incendie d’un train, commis présumément par des musulmans, à Godhra, le 27 février, dans lequel cinquante-huit personnes appartenant à la communauté hindoue, en majorité des femmes et des enfants, ont péri.

Mais en juillet dernier, la police indienne publiait son enquête sur le massacre de Godhra, avec la surprenante conclusion que l’incendie de février avait pris naissance à l’intérieur du train, et ne fut pas provoqué de l’extérieur2.

L’étude des événements du Gujarat montre clairement la préméditation, l’organisation et la précision dans la sélection des victimes. Il existe des preuves irréfutables de la violence exercée envers les femmes. Parmi les survivantes, réfugiées dans les camps, un grand nombre ont subi les formes d’agression sexuelle les plus bestiales, soit les viols de masse, l’insertion d’objets dans leur corps, etc.

Plusieurs témoignages parlent de femmes enceintes violées, leur corps éventré, le fœtus sorti à la pointe du sabre et jeté dans le brasier avant qu’elles n’y soient précipitées elles-mêmes. La majorité des victimes de viol ont été brûlées vives.

Il existe des preuves abondantes de la complicité de la police d’État et de la police locale dans la perpétration de ces crimes contre les femmes. L’armée n’est intervenue que de cinq à six jours plus tard. La police n’a rien fait pour protéger les musulmanes.

La complicité à l’égard de ces crimes continue encore aujourd’hui, la police empêchant les survivantes de porter plainte contre leurs agresseurs. Il n’y a pas de mécanismes institutionnels au Gujarat pour leur permettre d’obtenir justice !

Ces femmes ont tout perdu. Le carnage a eu un impact physique, économique et psychologique. L’État ne montre aucune velléité de fournir à ces femmes de l’aide dans l’un ou l’autre de ces domaines où elles sont extrêmement vulnérables.

Les conditions de vie effroyables dans les camps d’aide aux survivantes où les mères luttent pour garder leurs enfants en vie et les compensations monétaires ridicules qu’on a consenties aux victimes montrent la détermination de l’État de décliner toute responsabilité à leur égard.

On étouffe les voix qui dénoncent ce massacre comme étant contraire à la religion hindoue.

Faire de l’Inde un État religieux

Il existe aussi une multitude de preuves selon lesquelles les nationalistes intégristes hindous, avant même le massacre, ont provoqué et exagéré la tension entre les deux communautés.

Pour la première fois, on peut constater une tentative inquiétante d’enfermement dans de véritables ghettos de la communauté musulmane dans les zones rurales. Une partie de la presse locale a joué un rôle criminel en faisant la promotion de la violence sexuelle envers les musulmanes.

Comme en Bosnie et dans toutes les opérations de « nettoyage ethnique », les femmes sont violées pour humilier et déshonorer les hommes de la communauté ennemie dans ce qu’ils considèrent leur virilité, en violant « leurs » femmes et « leurs » filles devant eux.

Il y a donc eu fusion, dans l’accomplissement de ce carnage, entre la violence nationaliste hindoue et la violence patriarcale misogyne. Et le pire, c’est que personne n’a été jugé et qu’aucune plainte pour crimes de guerre n’a été déposée devant Tribunal pénal international. Il n’y a eu aucune protestation d’importance, pas même du côté de la communauté arabe.

Depuis 1947, l’Inde est un pays indépendant et laïque. Le plus inquiétant dans les événements du Gujarat, c’est l’indifférence totale de la communauté internationale devant les menées d’un mouvement nationaliste fondamentaliste qui prétend faire de l’Inde un État religieux exclusivement hindou, forçant toutes les minorités à s’assimiler à la religion d’État.

Dans ce contexte, le massacre du Gujarat n’est qu’un prélude au génocide musulman qui se trame à l’échelle du pays si le mouvement nationaliste intégriste arrive à prendre le pouvoir lors des prochaines élections, prévues en octobre.

Pour en savoir plus long et apporter son aide aux victimes du Gujarat, on peut s’adresser au Centre d’études et de ressources sur l’Asie du Sud au 514-983-2522 — adresse électronique 0 ceras@insaf.net — site Internet 0 www.alternatives-action.org/ceras.

La filière étatsunienne

Pourquoi les Étatsuniens, si étroitement impliqués au Pakistan, n’ont-ils pas condamné publiquement le massacre de la communauté musulmane au Gujarat ? Dans un article très éclairant*, le chroniqueur Paul Watson révèle que, selon le Moscow Times, le premier ministre britannique Tony Blair a fait, cette année, une visite en Inde et au Pakistan dans le but déclaré d’apaiser les tensions ethniques entre les deux pays.

En réalité, il essayait de réaliser une entente très lucrative avec le marchand d’armes BAE Systems pour soixante nouveaux avions de combat. On peut s’imaginer quelle « influence apaisante » cela aura sur la balance du pouvoir, au moment où le sous-continent indien est à deux doigts de la guerre nucléaire ! « Le même type d’influence apaisante qu’a l’huile sur le feu », poursuit Watson. Bien sûr, si Blair peut mettre ces milliards dans les coffres de BAE, Bush saura lui témoigner sa reconnaissance.

Pour sa part, la BBC situe ces négociations entre BAE et l’Inde à août 2002. Et voilà qu’on apprend que BAE est associé au puissant Groupe Carlyle, dans lequel la famille Bush possède des actions. Ce même groupe, en train d’ériger une fortune grâce à la guerre contre le terrorisme, se prépare, selon la même source, à récolter des profits énormes avec le conflit Inde–Pakistan. La CIA et BAE veillent soigneusement à entretenir les deux machines de guerre !

Qu’importe, dans un tel contexte, la mort des malheureuses victimes du Gujarat et de toutes celles qui seront immolées dans les conflits ethno-religieux un peu partout dans le monde, quand elle permet la vente de milliards de dollars d’armes par la filière Bush–BAE–Carlyle ?

* Paul Watson. « The Pakistan-India Conflict is Being Funded and Fomented by the Same Faces that Brought you the War on Terrorism », Centre de recherche sur la mondialisation. Montréal, 11 juin 2002. www.globalresearch.ca/articles/IND206A.html

1. Syeda Hameed et al. « How has the Gujarat Massacre Affected Minority Women? — The Survivors Speak », Citizen’s Initiative. Ahmedabad, 16 avril 2002.

2. Jooned Khan. « Entre hindous et musulmans, vieux démons et lourd contentieux », La Presse. Montréal, 19 juillet 2002.|213| 
929|100 000 personnes manifestent contre l'invasion de l'Irak !|Linda Davis|

À Washington



Des dizaines et des dizaines de manifestantes et manifestants ont convergé vers Washington le 26 octobre dernier pour s'opposer à l'invasion de l'Irak par l'administration Bush. Ils répondaient à l'appel de International A.N.S.W.E.R (Act Now to Stop War & End Racism – Agissez maintenant pour empêcher la guerre et mettre fin au racisme). Des manifestations ont également eu lieu dans d'autres villes américaines dont une autre de plus de 100 000 personnes à San Francisco.

À Washington, tous les secteurs de la population américaine étaient représentés. Des familles entières, des étudiantes et des étudiants des high schools et des collèges, des aînés, des syndicalistes, des pacifistes, des vétérans du Vietnam, de même que représentants de différentes églises ont marché ensemble.

Les gens étaient venus à Washington pour dénoncer la guerre et le soutien apporté par le Congrès américain aux résolutions de guerre de l'administration Bush. Leur colère était particulièrement dirigée contre les congressistes et les sénateurs qu'ils ont accusés de ne pas refléter l'état d'esprit de la majorité de la population américaine.

Pour les manifestants rassemblés à Washington, il était clair que la guerre d'agression contre l’Irak vise à accaparer ses ressources pétrolières et non à rendre inopérantes les « armes de destruction massives », comme le prétend l’administration Bush. Les slogans sur les pancartes étaient éloquents 0 « No Blood for Oil » (Pas de sang pour le pétrole), « Regime Change Begins at Home » (Commençons par changer notre propre gouvernement), « Impeach Bush » (Destituons Bush), « Money for Jobs not War » (De l’argent pour l’emploi, non pour la guerre) et « Money for Health, Education and Housing, not Bombs » (De l’argent pour la santé, l’éducation et le logement, non pour l’armement).

Une intervention remarquée des débardeurs

Clarence Thomas, le secrétaire-trésorier du Syndicat des débardeurs (International Longshore and Warehouse Union, Local 10), a prononcé un discours fort écouté qui liait les mesures prises par l’administration Bush contre les débardeurs de la côte ouest aux préparatifs de guerre. Les débardeurs sont sans contrat depuis plusieurs mois et la Pacific Maritime Association qui regroupe les armateurs les a mis en lock-out, les accusant de ralentir le travail.

L’administration Bush les a forcés à retourner au travail en recourant au Taft-Hartley Act, une législation anti-ouvrière, pour une période de 80 jours. Bush a déclaré que tout ralentissement ou arrêt de travail au cours de cette période serait considéré comme du terrorisme intérieur et il a menacé de recourir à l’armée pour remplacer les débardeurs.

Clarence Thomas a appelé les syndicats à prendre position contre la guerre en Irak et la guerre contre le mouvement ouvrier. Il a terminé son discours par ce slogan repris par la foule « No War in Irak, Stay off the Docks » (Pas de guerre en Irak, pas d’intervention sur les quais). Le San Francisco Labor Council – le Conseil du travail de San Francisco – a appelé à une grève générale des travailleurs de la région de San Francisco si l’administration Bush avait recours aux militaires pour remplacer les débardeurs.

Vers un congrès de la paix

La manifestation s’est terminée sur un appel à participer à un référendum populaire contre la guerre. Les gens peuvent voter en postant des cartes postales ou encore sur le site Internet VoteNoWar.org. Le libellé du référendum se lit ainsi 0 « Je vote non à la guerre. Le congrès américain ne me représentait pas lorsqu’il a voté pour autoriser George W. Bush à mener une guerre illégale contre l’Irak. Je me joins aux millions de personnes qui croient que les 200 milliards $ prévus pour la guerre contre l’Irak devraient plutôt être consacrés à la création d’emplois, à l’éducation, au logement, à la santé, aux garderies, au soutien aux personnes âgées et à satisfaire les besoins de la population ».

Les résultats de ce référendum, organisé par la coalition A.N.S.W.E.R., seront dévoilés lors d’une manifestation monstre et la convocation d’un Congrès de la paix des organisations de base à Washington, les 18 et 19 janvier 2003. Le Congrès de la paix comprendra des délégations de toutes les communautés qui se rassemblent aujourd’hui dans la rue pour constituer l’opposition aux visées guerrières de l’administration Bush.|214| 
930|Brèves|Pierre Dubuc| Parizeau favorable à la proportionnelle

Dans une intervention devant des militants péquistes du comté de Mercier, l'ancien premier ministre Jacques Parizeau s'est prononcé en faveur d'un mode de scrutin proportionnel. « Je favoriserais, a-t-il déclaré, une proportionnelle à l'allemande, où les deux tiers des députés représentent des circonscriptions et l'autre tiers des partis politiques selon le pourcentage du vote qu'ils ont reçu. » M. Parizeau ajoutait qu'un parti devrait cependant recueillir un minimum de 5 % des votes pour pouvoir siéger à l'Assemblée nationale.

Au cours de la même allocution, M. Parizeau a reconnu que le Parti québécois ne pouvait plus prétendre pourvoir rassembler en son sein l'ensemble des différentes tendances souverainistes. Il a préconisé la mise sur pied d'un Conseil de la souveraineté, financé à même les deniers publics, qui regrouperait différents organismes et formations politiques souverainistes.

Nous aurions aimé crier « Bravo Lysiane », mais…

Depuis des années, nous dénonçons l'imposture de Claude Castonguay qui plaide en faveur de la privatisation des soins de santé, en s'auréolant du titre de « père de l'assurance-santé » alors qu'il a passé l'essentiel de sa vie professionnelle à l'emploi de compagnies d'assurances. Dernièrement, Lysiane Gagnon a rappelé, elle aussi, que Castonguay n'avait été ministre que pendant trois ans (1970-1973) avant de se joindre au Groupe La Laurentienne.

Il aura fallu que Castonguay donne sa caution à Mario Dumont pour que le journal La Presse – toujours d'obédience libérale – attaque enfin sa crédibilité. Mais la dénonciation de Lysiane Gagnon était bien timide et fort circonscrite. Elle s'est bien gardée de mentionner les intérêts de son patron, Paul Desmarais, dans les assurances. Power Corporation est propriétaire des deux plus grosses compagnies d'assurances au Canada, la Great-West et la London Life. Cela explique que les reportages et les analyses de La Presse soient si biaisés en faveur de la privatisation des soins de santé dont les compagnies d'assurances seraient les premières à tirer profit. |214| 
931|« Le Prix Nobel de la guerre »|Michel Chossudovsky| Le Prix Nobel de la paix 2002 a été décerné à l’ancien président des États-Unis, Jimmy Carter, pour « ses décennies d’efforts infatigables en faveur d’une résolution pacifique des conflits internationaux, des progrès de la démocratie et des droits de l’homme ainsi que de la promotion du développement économique et social ».

Aux États-Unis, les analystes libéraux tendent à percevoir la décision du Comité Nobel comme une rebuffade aux plans de guerre de l’administration Bush. Au contraire de George W., l’ancien président Carter aurait, dit-on, placé les droits de la personne « au centre de la politique étrangère américaine ». Selon le président du Comité Nobel norvégien Gunnar Berge, cette récompense doit « être interprétée comme une critique de la politique de l’administration actuellement au pouvoir aux États-Unis vis-à-vis de l’Irak ».

L’histoire dénaturée

Ces mots populaires de « droits de la personne » et de « paix » servent à dénaturer l’histoire de la politique étrangère américaine. Les médias états-uniens passent de nouveau sous silence un « chaînon manquant » qui est crucial 0 un fait survenu sous la présidence de Carter et susceptible de nous éclairer sur la crise qui sévit depuis le 11 septembre de l’année dernière.

Bien qu’il en ait rarement été question dans les articles parus à la suite du 11 septembre, le fait demeure, amplement documenté, que le « Réseau islamique militant » (prédécesseur du réseau al-Qaïda d’Oussama ben Laden), a été créé durant la présidence de Jimmy Carter (1976-1981). En juillet 1979, Carter a signé un décret visant l’adoption d’un plan d’aide secret aux moudjahidines afghans. Confirmé par l’ex-directeur de la CIA, Robert Gates, dans son livre intitulé From the Shadows, ce « plan secret » a joué un rôle essentiel dans le déclenchement de la guerre soviéto-afghane.

Dans presque tous leurs manuels d’histoire, les élèves des écoles secondaires américaines apprennent que les Soviétiques ont envahi l’Afghanistan sans provocation aucune et en faisant usage d’une force écrasante. Les États-Unis se sont ensuite « portés au secours » de la « résistance » afghane. C’était à l’époque de la présidence de Jimmy Carter.

Pourtant, le conseiller de Carter en matière de sécurité nationale, Zbigniew Brzezinski, confirme que ce sont les États-Unis qui ont déclenché la guerre et non l’Union soviétique.

Dans une interview au Nouvel Observateur au mois de novembre 1998, Zbigniew Brzezinski déclarait 0 « Selon la version officielle, la CIA aurait commencé à fournir de l’aide aux moudjahidines en 1980, c’est-à-dire après l’invasion de l’Afghanistan par l’armée soviétique le 24 décembre 1979. Mais la réalité, gardée secrète jusqu’à maintenant, est bien différente. En effet, c’est le 3 juillet 1979 que le président Carter a signé le premier décret tendant à apporter une aide secrète aux opposants du régime prosoviétique de Kaboul. Ce jour-là, j’ai adressé une note au président pour lui expliquer que, à mon avis, cette aide allait entraîner une intervention militaire soviétique… »

Autrement dit, la guerre soviéto-afghane a été déclenchée sous la houlette du président Carter, lauréat en 2002 du Prix Nobel de la paix.

Non seulement Jimmy Carter a joué un rôle-clé dans le lancement de cette guerre (qui dure depuis 23 ans), mais il a aussi été l’artisan de l’aide apportée en sous-main par la CIA au terrorisme islamiste. En fait, il s’avère que le principal suspect dans les attentats du 11 septembre, le Saoudien Oussama ben Laden, a été recruté au cours de cette période « ironiquement sous les auspices de la CIA, pour lutter contre l’envahisseur soviétique ».

Tel que confirmé par Projet afghan qui a recueilli des centaines de documents, de câbles et de notes de service émanant de la CIA et du Département d’État, la CIA « a établi des contacts » au cours de 1979 avec un certain nombre d’organisations terroristes islamistes [c’est-à-dire qu’elle leur a apporté du soutien]. L’objectif n’était pas seulement de déstabiliser le gouvernement prosoviétique du Parti démocratique populaire afghan (PDPA) mais aussi d’entraîner l’Union soviétique dans une guerre.

Entre-temps, en avril 1979, Zulfilcar Ali Bhutto, premier ministre élu du Pakistan, était renversé par un coup d’État militaire et condamné à mort sous l’ordre du général Zia ul-Haq. Non seulement l’administration Carter a-t-elle appuyé les nouveaux dirigeants militaires du Pakistan mais elle les a utilisés pour mener la guerre clandestine de la CIA en Afghanistan.

Selon Diego Cordovez et Selig Harrison dans leur livre Out of Afghanistan 0 The Inside Story of the Soviet Withdrawal, « [entamées sous l’administration Carter] les relations entre la CIA et l’ISI [le Service de renseignements militaires du Pakistan] se sont réchauffées après le remplacement de Bhutto par [le général] Zia et la mise en place du régime militaire... Durant presque toute la guerre en Afghanistan, le Pakistan s’est montré encore plus farouchement anti-soviétique que les États-Unis. Peu après l’invasion militaire soviétique en Afghanistan, en 1980, Zia a confié au chef de l’ISI le soin de déstabiliser les États soviétiques d’Asie centrale. La CIA n’a avalisé ce plan qu’en octobre 1984.... la CIA s’est montrée plus prudente que les Pakistanais. Le Pakistan et les États-Unis ont de concert trompé l’Afghanistan en prétendant publiquement vouloir négocier une solution alors que, privément, ils s’accordaient sur l’escalade militaire comme meilleur moyen d’action. »

L’entraînement à la guérilla sous le parrainage de la CIA était par ailleurs intégré aux enseignements de l’Islam. Des madrasas ont été ouvertes grâce au financement des fondamentalistes wahhabites d’Arabie saoudite. D’après l’Association révolutionnaire des femmes afghanes (RAWA), « [C’]est le gouvernement des États-Unis qui a soutenu le dictateur pakistanais, le général Zia-ul Haq, en créant des milliers d’écoles religieuses qui ont donné naissance aux Talibans. »

Instaurée sous l’administration Carter, l’aide américaine aux moudjahidines a permis d’injecter « des milliards de dollars dans la cause afghane et des milliers d’intégristes islamiques ont pu recevoir un entraînement spécial aux États-Unis et en Grande-Bretagne », écrit John Cooley dans Unholy Wars – Afghanistan, America and International Terrorism.

Cooley ajoute0 « Aux États-Unis, ils ont suivi des cours d’endurance, de maniement des armes, de sabotage et de techniques de mise à mort, et acquis diverses compétences, notamment en communications. Ils devaient transmettre leur savoir-faire à la multitude de combattants placés au cœur et à la base de la pyramide de la guerre sainte. »

Le général Zia ul-Haq a été le protégé de l’administration Carter et de celle de Reagan. Son gouvernement a joué un rôle essentiel dans le recrutement et l’entraînement des moudjahidines.

Dans « Afghanistan, the CIA, bin Laden, and the Taliban », (International Socialist Review, novembre-décembre 2001), Phil Gasper écrit 0 « La CIA est devenue la grande coordonnatrice 0 elle a acheté ou fait fabriquer des armes de style soviétique entre autres en Égypte, en Chine, en Pologne et en Israël ou bien elle a fourni les siennes ; elle a pris les dispositions pour que des Américains, des Égyptiens, des Chinois et des Iraniens procurent un entraînement militaire ; elle a sollicité l’aide financière de pays du Moyen-Orient, notamment de l’Arabie saoudite qui a versé chaque année des centaines de millions de dollars dont la somme a probablement dépassé le milliard ; elle a usé de pressions et de chantage auprès du Pakistan – avec lequel les relations américaines avaient été assez tièdes jusque-là –- afin qu’il serve de base militaire et de refuge ; elle a inscrit le directeur pakistanais des opérations militaires, le brigadier Mian Mohammad Afzal, sur la liste de paie de la CIA pour s’assurer de la coopération militaire du Pakistan. »

Le cadre de l’aide clandestine de la CIA tel que fixé sous l’administration Carter a été maintenu sous la présidence de Reagan. Il n’existait pas de désaccord fondamental entre démocrates et républicains touchant la conduite de la guerre soviéto-afghane.

Phil Gasper poursuit 0 « Quand Ronald Reagan a accédé à la présidence en 1981, le Congrès à majorité démocrate était impatient d’accroître les dépenses pour la guerre en Afghanistan. Un fonctionnaire du Congrès a confié à un journaliste que c’était la manne [pour la nouvelle administration]. Après toute l’opposition aux activités clandestines menées en Amérique centrale, voilà que le Congrès est d’accord pour débloquer des fonds. L’argent leur tombe dans les mains et ils se disent ’Qui sommes-nous pour le refuser ? ’ »

Le décret de Carter du 3 juillet 1979

Après le décret signé par le président Carter le 3 juillet 1979, l’aide américaine aux divers groupes de rebelles s’est transformée en la plus vaste opération en sous-main de l’histoire de la CIA. Selon les mots du conseiller de Carter en matière de sécurité nationale Zbigniew Brzezinski 0

« Cette opération secrète [d’appui aux fondamentalistes islamiques] était une excellente idée. Les Russes sont tombés dans le piège en Afghanistan et vous voudriez que je le regrette ? Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j’ai écrit au président Carter 0 L’occasion nous est maintenant donnée d’offrir à l’URSS sa guerre du Vietnam. En effet, pendant presque dix ans, Moscou a dû livrer une guerre que le gouvernement ne pouvait pas soutenir, un conflit qui a fini par démoraliser l’empire soviétique et provoquer son démembrement. »

Le journaliste du Nouvel Observateur termine son interview avec Zbigniew Brzezinski en lui posant la question suivante 0

Vous ne regrettez pas non plus d’avoir soutenu l’intégrisme islamiste et d’avoir procuré armes et conseils à de futurs terroristes ?

Ce à quoi Brzezinski rétorque 0

Qu’est-ce qui compte le plus du point de vue de l’histoire ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? L’excitation de quelques musulmans ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ?

Dans la foulée du 11 septembre

Dans un éditorial incisif publié quelques jours après la tragédie du 11 septembre, le critique pacifiste Tom Burghardt évoque les racines historiques d’al-Qaïda et la complicité des administrations américaines successives depuis la présidence de Jimmy Carter 0

« À mesure que les faits montrent que les agresseurs [du 11 septembre] étaient liés à l’organisation al-Qaïda (« La base ») d’Oussama ben Laden, il est crucial également de révéler les racines vénéneuses de ce groupe 0 la CIA, la dynastie saoudite corrompue et le Service de renseignements militaires du Pakistan. La classe dirigeante américaine se moquait éperdument que deux millions d’Afghans aient été tués au cours de la « djihad » menée par les États-Unis contre l’Union soviétique. Carter, Reagan, Bush, Brzezinski, Casey... retenez bien ces noms... ils méritent d’être retenus – et maudits – dans les jours qui viennent… S’il y a des comptes à rendre pour le massacre de mardi dernier [le 11 septembre 2001] – et si les agresseurs doivent être poursuivis devant les tribunaux -– la justice exige que soit mis en accusation l’architecte de la « résistance » afghane [c’est-à-dire la « base militante islamique »]… » (Antifa Bulletin 133, 16 septembre 2001)

L’histoire de la politique étrangère américaine en Asie centrale laisse entendre que tout en soutenant en paroles la paix et les droits de la personne, la présidence de Carter (1976-1981) a servi d’instrument au déclenchement de la guerre et, à bien des égards, jeté les bases de la présente « guerre au terrorisme » de l’administration Bush.

Cette continuité de la politique étrangère américaine depuis l’administration Carter n’est pas en soi le résultat d’un consensus entre républicains et démocrates. Elle témoigne plutôt d’une crise de la politique civile. C’est-à-dire que l’appareil militaire et du renseignement a pris les rênes de la politique étrangère en étroite consultation avec Wall Street, les conglomérats pétroliers du Texas et le complexe militaro-industriel. Du fait que les décisions cruciales sont prises à huis clos par la CIA et le Pentagone, les institutions politiques civiles, y compris le président et le Congrès, jouent de plus en plus un rôle de façade.

Autrement dit, la politique étrangère américaine n’émane pas des institutions du gouvernement civil (assemblée législative et pouvoir exécutif). Elle est le fait de l’appareil militaire et des services de renseignement - ainsi que des instances dont ils dépendent - qui tendent à supplanter les institutions du gouvernement civil dans la mise en place du programme d’action militaire et diplomatique.

Dans le cadre de ce processus qui a atteint un nouveau stade sous l’administration de G. W. Bush, le commandant en chef suit les directives de ses proches conseillers. Alors qu’aux yeux de la population il semble régner une démocratie fonctionnelle, le président des États-Unis est devenu une simple figure de proue des relations publiques, manifestement peu au fait des grands enjeux de la politique étrangère.

Parmi les autres lauréats de renom du « Prix Nobel de la guerre », mentionnons 0

1973, Henry A. Kissinger, secrétaire d’État sous l’administration Nixon.

1993, Frederik Willem de Klerk, président de la République sud-africaine sous le régime de l’apartheid.

1994, Shimon Peres, ministre des Affaires étrangères d’Israël.

Justice pour Monaghan, Connolly et McCauley

Le 11 août 2001 trois Irlandais, Jim Monaghan, Niall Connolly et Martin McCauley, sont arrêtés en Colombie et accusés d’être membres de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) et d’avoir formé les guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Les manchettes partout dans le monde ont parlé d’un réseau terroriste international; le gouvernement colombien a réclamé plus de soutien militaire de la part des États-Unis; et les unionistes en Irlande du Nord ont réclamé l’expulsion du Sinn Fein (parti nationaliste, proche de l’IRA) du gouvernement d’Irlande du Nord.

Depuis, les trois ont été incarcérés dans des conditions épouvantables, leurs avocats ont reçu des menaces de mort et des politiciens colombiens ont fait des déclarations dans les médias rendant un procès juste impossible. Les trois ont admis avoir visité le territoire contrôlé par les FARC mais, selon eux, leur but était de comparer le processus de paix en Colombie (maintenant interrompu) avec celui d’Irlande.

En dépit d’un manque de preuves contre eux, les trois seront jugés par un juge sans jury dans un pays en état d’urgence. Une campagne de soutien, appuyée même par le gouvernement d’Irlande, réclame la libération immédiate des trois, mais pour le moment leur incarcération est utilisée à des fins politiques par le gouvernement colombien, aussi bien que par les unionistes d’Irlande du Nord, et par les faucons du gouvernement américain.

Au Québec, la Coalition pour la paix en Irlande lance un appel en faveur du rapatriement de ces trois victimes d’une magouille politique et cherche à sensibiliser la population québécoise à cette situation.

En Irlande du Nord, le gouvernement britannique a suspendu pour la troisième fois le parlement local suite aux menaces des partis unionistes de se retirer si le Sinn Fein n’était pas exclu du gouvernement, même si le Sinn Fein est le plus grand parti nationaliste. Les unionistes réclament la dissolution de l’IRA alors que celle-ci maintient toujours son cessez-le-feu depuis 1997, tandis que les paramilitaires loyalistes continuent d’attaquer la population nationaliste sur une base presque quotidienne.

Les unionistes de David Trimble prétendent toujours appuyer le processus de paix mais leurs actions indiquent qu’ils entendent saboter le parlement d’Irlande du Nord afin de ne pas avoir à partager le pouvoir avec les nationalistes irlandais et empêcher ainsi l’unification de l’Irlande. -Kevin Callahan

Traduction l’aut’journal|214| 
932|Paix linguistique et anglicisation tranquille|Mario Beaulieu| Il semble y avoir toujours eu, autour du débat linguistique au Québec, quelque chose de paradoxal et d’irrationnel, quelque chose qui porte à dénier la réalité. Le psychanalyste Camille Laurin considérait que, pour échapper à leur insécurité, les « peuples déshérités » se créent des mythes, qui « sont souvent présentés comme des postulats évidents qu’il serait sacrilège d’oser même soumettre à une analyse critique... Ainsi, selon certains, une collectivité française serait inassimilable... ».

Dans les années 1960, plusieurs intervenants refusaient d’admettre l’existence de quelques problèmes que ce soit, même si l’avenir du français au Québec était clairement menacé par l’anglicisation massive des allophones et que les francophones subissaient des iniquités socio-économiques flagrantes, En 1965, Jean Lesage maintenait que cette tendance à l’anglicisation s’était renversée, et que « parler de désintégration de la langue et de la culture françaises, c’était faire preuve de défaitisme et d’un complexe d’infériorité ».

Malgré cela, selon l’historien Marc V. Levine, une partie de plus en plus importante de l’élite francophone montante (qui avait succédé au clergé), rejetait l’idée répandue d’un peuple « né pour un petit pain », et prenait conscience que « le déclin de la proportion de francophones à Montréal menaçait l’avenir et le dynamisme de la langue et de la culture françaises dans l’ensemble du Québec ». La mobilisation populaire et la revendication des droits linguistiques collectifs ont donné lieu à l’adoption de trois lois linguistiques entre 1969 et 1977. La loi 101 a d’abord symbolisé une libération et un affranchissement, c’était le contraire du défaitisme et du complexe d’infériorité invoqué par Lesage.

Quel consensus ?

Plusieurs auteurs affirment que l’établissement de la loi 101 a fait l’objet d’un large consensus et a suscité une paix ou une sécurité linguistiques. Cependant, ladite paix linguistique ne semble avoir été ressentie que du côté francophone.

Dans les médias anglophones, la question linguistique n’a cessé d’être omniprésente, la communauté anglophone y étant généralement décrite comme une minorité maltraitée. Les groupes de pression anglophones ont travaillé sans relâche à l’affaiblissement de la Charte de la langue française. À la fin du dernier régime du gouvernement libéral du Québec, la loi 101 avait subi plus de 200 amendements qui l’ont affaiblie dans la plupart de ses secteurs d’application. Comme l’a démontré récemment Normand Lester, la presse du Canada anglais se livre à une campagne intense de dénigrement systématique du Québec français. Tout mouvement de défense ou de promotion du français fait l’objet de constantes accusations de xénophobie, voire de racisme.

Un tabou dans les médias

Il semble que, sous l’effet de telles accusations, la question linguistique soit devenue un véritable tabou dans la plupart des grands médias francophones. Toute remise en question de la prétendue « sécurité » ou de la dite « paix » linguistique est promptement éludée. On veut à tout prix éviter d’ouvrir « la marmite linguistique ». Le constat de la situation réelle du français au Québec est ainsi largement occulté et, de ce fait, l’ensemble de la population québécoise demeure privé d’une information vitale pour son avenir.

Il est difficile de ne pas reconnaître ici une résurgence du fameux « complexe du colonisé » ou de ce que Camille Laurin associait à une forme d’identification masochiste à l’agresseur. Ainsi tout comme une personne abusée pendant longtemps qui tente de se défendre peut craindre d’être comme son agresseur, le geste d’affirmation d’établir la loi 101 aurait provoqué une forme d’impression de culpabilité. Pour paraphraser ce que la sociopsychologue Susanne Labrie observait en 1993, c’est comme si les Québécois francophones se sentaient coupables d’exister. En fait le contraire aurait été surprenant. On peut difficilement penser que la collectivité francophone se soit libérée en quelques années des séquelles de décennies, et en fait de plusieurs siècles de colonisation et de domination anglo-saxonne.

Le déclin du français

L’analyse des travaux de la Commission Larose effectuée par Charles Castonguay dans l’aut’journal a amplement démontré une tendance à systématiquement minimiser l’importance du déclin du français comme langue d’usage à la maison en ayant recours à un concept de langue d’usage public défini et mesuré de façon ambiguë. En fait, le pouvoir d’attraction du français ne s’est pas accru suffisamment auprès des allophones et des nouveaux arrivants pour contrer la défrancisation de Montréal et assurer l’avenir de la langue française à plus long terme dans l’ensemble du Québec. Selon à peu près tout les indicateurs linguistiques, y compris le très contestable indicateur de la langue d’usage public de l’ancien CLF, on observe que la situation du français est en stagnation ou en recul depuis les années 80.

De plus, les auteurs du rapport de la Commission Larose justifient le déni des enjeux démolinguistiques en invoquant des motifs idéologiques. Ils soutiennent qu’examiner les données sur les transferts linguistiques comporterait « des dérives sociales majeures, tel le cloisonnement de la société québécoise en trois catégories 0 les francophones, les anglophones et les allophones ». C’est un peu comme si une commission sur la condition féminine considérait qu’il ne faut plus comparer les conditions salariales des hommes et des femmes parce qu’on créerait ainsi des catégories de citoyens. .

Récemment, le philosophe Serge Cantin considérait « que non seulement nous ne sommes pas encore sortis de la survivance (contrairement à ce que certains voudraient bien nous faire croire), mais que nous sommes peut-être en train d’oublier les raison mêmes pour lesquelles nous avions conçu le projet révolutionnaire-tranquille d’en sortir. Cet oubli manifeste une crise de la mémoire collective, crise où se jouent l’identité et l’avenir de la nation. »

Pourtant, les lois linguistiques existent partout dans le monde, soit dans plus de 190 États et 110 pays. Assurer la survie et l’épanouissement de la langue et la culture d’un peuple est un fondement du droit à l’auto-détermination de la Charte de l’ONU et du principe de la diversité culturelle dans le contexte de la mondialisation.

Lorsqu’on la compare aux législations linguistiques qui ont démontré une réelle efficacité pour assurer la survie et l’épanouissement de plusieurs langues dans un même pays, comme par exemple en Belgique ou en Suisse, on constate que la loi 101 a, dès le départ, comporté des concessions majeures.

Faire le vrai débat de fond

Comme le mentionnne Marc Termote (1999) de l’INRS-Urbanisation 0 « La plupart des pays connaissent en matière linguistique ce qu’il est convenu d’appeler la loi du sol, c’est-à-dire que, sur un territoire donné, une seule langue est utilisée dans le domaine public… » Ce chercheur précise que l’absence de loi ou le libre choix permet aussi le libre jeu du rapport des forces et que le Québec, dernière société majoritairement francophone en Amérique du Nord, constitue une très petite minorité proche de 300 millions d’anglophones. Des droits égaux accordés à des groupes inégaux aboutiront forcément à des résultats inégalitaires. Comme le disait Lacordaire 0 « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit ».

La langue commune et officielle d’un État constitue un facteur essentiel à la cohésion sociale et à l’inclusion de tous les citoyens dans la même sphère de droits et de devoirs, dans un même espace public. Pour en arriver à établir un véritable équilibre linguistique et à sortir définitivement de l’idéologie de survivance et de repli sur soi, il faut d’abord évaluer la situation de façon réaliste et faire le vrai débat de fond avec tous les citoyens, pour enfin prendre les mesures qui s’imposent.|214| 
933|Le pouls de la shoppe|Marc Laviolette|* Le 26 août dernier, après huit ans d’absence, je réintégrais mon poste d’opérateur chez Expro-Tec à St-Timothée. Plusieurs citoyens, militantes et militants m’ont demandé pourquoi. Plusieurs s’informaient aussi à savoir comment je trouvais l’adaptation à ma nouvelle situation après huit ans à l’exécutif de la CSN dont trois comme président de la centrale.

Bien entendu, j’aurais pu exercer la fonction de conseiller syndical à la CSN, faire un travail connexe à l’extérieur de la CSN ou prendre ma retraite. Ce n’est pas le choix que j’ai exercé. Comme je l’ai indiqué au Congrès, je suis un militant ouvrier et pour moi continuer à militer comme dirigeant syndical élu était ce qu’il y avait de plus important, lorsqu’on a eu le privilège, comme président de la CSN, de représenter le monde ordinaire, les travailleuses et travailleurs, de s’assurer qu’ils sont respectés par le patronat et les gouvernements.

Je n’ai pas hésité à retourner à mon syndicat de base, le Syndicat national des Produits chimiques de Valleyfield, à travailler au quotidien avec ceux et celles avec lesquels j’ai milité seize ans avant d’être élu à l’exécutif de la CSN en 1994. Mes contributions syndicales se poursuivront donc au niveau de l’exécutif de mon syndicat, en santé-sécurité et dans la lutte contre la mondialisation néolibérale avec le Conseil central de la Montérégie (CSN) et au niveau national, en matière politique de santé, comme représentant de la population dans le conseil d’administration du CHUM (Centre hospitalier universitaire de l’Université de Montréal). J’ai aussi l’intention de contribuer au débat sur la relance de la course aux armements et de la mondialisation de l’industrie militaire dans le contexte actuel.

Les débats à la salle à manger de l’usine

Souvent, comme dirigeant syndical, j’ai eu l’occasion de discuter, lors de tournées où je rencontrais les membres de la base, des préoccupations et débats politiques de l’heure. Hélas, trop souvent, je manquais de temps pour aller en profondeur dans ces discussions.

Aujourd’hui, avec mon retour à l’usine, je peux prendre le temps qu’il faut pour écouter et débattre sur le fond.

Principal constat 0 Passer du national au local, c’est certes un changement de point de vue, mais la réalité, elle, ne change pas. Les débats politiques entre ouvriers à la salle à manger de l’usine sont de trois ordres 0

1) La crise boursière et les rendements négatifs des fonds de pension et des REER. Quels en seront les impacts sur la retraite et la qualité de vie à la retraite ?

2) La perte de crédibilité du PQ et du PLQ comme partis politiques et l’ADQ comme alternative de changement.

3) La menace de guerre entre « l’empire américain » et l’Irak. Bush osera-t-il ?

Ces trois thèmes traversent les conversations avec plus ou moins d’intensité selon l’actualité, et prennent la couleur que les médias donnent aux événements qui composent la conjoncture.

Ces trois thèmes interpellent le mouvement syndical dans ses responsabilités d’éducation économique et politique de ses membres. Les syndicats doivent aussi intensifier, en lien avec les forces progressistes, leur lutte contre la mondialisation néolibérale et pour une mondialisation où l’économie sert le social. Ce qui signifie que nous devons aussi nous opposer de toutes nos forces aux objectifs et plans de guerre de « l’empire américain ».

Des réponses rapidement

Car, dans ce contexte de mondialisation, plusieurs rapports rendus publics aux États-Unis par des experts (dont Mme C. Rice, conseillère à la Sécurité nationale du président Bush) considèrent qu’une atteinte aux systèmes globaux financiers, commerciaux et aux ressources énergétiques serait une menace contre les intérêts nationaux des États-Unis. Ce qui signifie qu’une telle menace est passible d’une intervention militaire pour protéger les intérêts économiques au même titre qu’une attaque avec des armes de destruction massive.

Cette approche est renforcie depuis le 11 septembre 2001 par la mise en place d’un Bureau de la sécurité nationale, dont le budget est de 37,5 milliards de dollars dans le budget 2003 et dont la mission est d’intégrer l’industrie de la sécurité et de la défense.

Que faire avec la baisse de capitalisation de nos fonds de pension et à la veille de la sortie massive des baby-boomers du marché du travail ? Quelle sera la stratégie syndicale pour contrer les demandes de concessions que le patronat et l’État ne manqueront sûrement pas de nous demander aux tables de négociations ?

Avec l’absence d’alternative politique ayant une influence réelle et les déclarations de Mario Dumont affirmant que « ce n’est pas les syndicats qui vont diriger le Québec », quel sera le rôle des syndicats et des forces progressistes dans la pré-campagne et, par la suite, la campagne électorale, le printemps prochain ?

Est-ce que le mouvement pacifiste va reprendre le combat au Québec ? Les organisations syndicales y seront-elles présentes ?

Ces questions doivent trouver des réponses rapidement. C’est de notre devoir de militants et militantes d’en débattre avec nos membres. Le temps presse, l’hiver néolibéral, que nous croyions sur son déclin avec les mobilisations du Forum social mondial et le Sommet des Peuples, ne semble pas vouloir se terminer.

*Militant syndical|214| 
934|Gréviste de la honte|L'aut'journal| À la suite de l'intervention de Pierre Dubuc sur la grève à la fonderie Horne à Rouyn-Noranda sur les ondes de Radio-Canada à l'émission de Joël Le Bigot, Samedi et rien d'autre du 12 octobre, un gréviste a fait parvenir cette lettre que nous reproduisons avec son accord.

Je voudrais vous remercier pour l'exposé de votre journaliste sur le conflit que nous vivons à la Horne. Ses dires étaient exacts. Ce n'est pas une grève, mais un lock-out déguisé. Ils ont menacé de toucher à la séniorité pour nous obliger à sortir d'la shop.

C'est un conflit de travail qui est sale, car la Noranda contrôle l'information, les journalistes régionaux, les banques, la police. On en est rendu à devoir faire du piquetage devant les maisons des boss, car on nous a enlevé le droit de faire un piquetage honorable because l'injonction.

C'est une grève sale. Il y a un jeune cadre qui s'est fait arracher la jambe à partir de la hanche. Un jeune qui n'avait jamais travaillé comme serre-frein sur des wagons en marche. Son nom 0 Stéphane Robert, 35 ans. Il commence à réaliser que c'est pas la Noranda qui va tondre sa pelouse. En plus, c'était un scab.

Une grève sale pour donner à la Noranda le droit d'envoyer dans le ciel pendant une autre année 1000 tonnes métriques de SO2 dans l'atmosphère par jour, parce qu'ils aiment mieux produire que de respecter des promesses qui faisaient la une des quotidiens.

Une grève sale, car imaginez-vous qu'ils ont fait venir de Montréal l'escouade qui s'appelle Avant-garde. Une gang de molosses pour nous intimider, hi hi hi hi, nous autres, du monde qui défie la mort à toutes les fois qu'on entre dans le smelter à sniffer du bérélium, de l'arsenic, pis du plomb.

Une grève sale avec le chef comptable de la Horne qui trône à la Chambre de commerce avec les directeurs de banque véreux qui négocient avec les grévistes pour majorer leurs cartes de crédit pour pouvoir payer l'hypothèque de la maison au lieu de reporter les paiements comme le fait si bien la Caisse populaire qui est la seule à nous soutenir.

J'aimerais savoir c'est qui le journaliste qui a mentionné notre conflit et si c'est possible d'avoir l'enregistrement de l'émission, car j'en ai manqué un bout. J'étais à corder mon bois, car icitte quand le vent tourne au nord, c'est pas long qu'on se fait baiser par lui.

Je vous remercie encore et mon Abitibi vous gratifie.

Daniel Guimond

Rouyn-Noranda|214| 
935|Non à la polygamie !|François Parenteau| Dans le journal Le Devoir du 15 octobre, Jean-Claude Leclerc faisait état de la problématique de la polygamie au Canada. Eh oui, il y a des polygames au Canada; pas des courailleux ou des infidèles, mais de vrais polygames. Officiellement, la polygamie est pourtant illégale ici. Mais le Globe and Mail a récemment révélé que s’est installée à Bountiful, une bourgade de Colombie-Britannique, une communauté apparentée aux Mormons américains. À la suite d’un imbroglio administratif à l’immigration, on y retrouve un homme avec ses trois épouses. Et plusieurs demandes pour reconnaître d’autres unions polygames.

C’est un exemple classique des débats de société de cette merveilleuse époque de charte des droits et libertés que nous vivons. Aux moins deux droits s’opposent ici0 le droit à la liberté religieuse et l’égalité des hommes et des femmes. En plus, comme si ce n’était pas assez complexe comme ça, il y a les valeurs et les normes culturelles des Canadiens dont doivent tenir compte les législateurs.

C’est d’ailleurs selon ces normes qu’Ottawa refuse toujours de reconnaître le mariage homosexuel. Advenant qu’on accepte les unions polygames existantes au Canada, c’est sûr que les gais vont être très fâchés. Moi, je leur conseillerais de se partir une religion, ça a l’air de marcher...

Un triplex amoureux

Mais même s’il est de mon devoir de chroniqueux d’au moins faire semblant d’avoir une opinion sur tout, j’avoue que je ne sais trop quoi penser du mariage homosexuel. J’ai même toujours rêvé de me trouver deux charmantes complices pour former un beau petit triplex amoureux et réclamer ensemble que les gouvernements reconnaissent notre union pour voir le bordel que ça ferait... OK, c’est pas SEULEMENT pour voir le bordel que ça ferait. N’empêche...

Les gais m’accuseraient de vouloir ridiculiser leur cause, les féministes y verraient une démonstration flagrante d’iniquité entre hommes et femmes, les évêques dénonceraient cette décadence affichée et ce mépris du caractère sacré de l’union de deux âmes (je leur rétorquerais que notre Dieu est bien une trinité et qu’il nous a créés à son image...), les gars seraient tous jaloux, mais ne pourraient pas le dire à leur blonde. Et, moi et mes deux femmes, au coeur de ce tumulte, envers et contre tous, nous serions heureux, la plénitude de notre amour comblant amplement notre vide juridique...

Mais bon, merde, je me suis fait scooper par un mormon.

Conserver les marges

J’appuie la démarche des homosexuels parce qu’ils ont l’air d’y tenir et que je ne vois pas en quoi ça pourrait me déranger mais, vraiment, je ne sais pas si c’est une si grande avancée pour l’humanité. Il me semble qu’une société a besoin de marges et que c’est précisément dans le traitement qu’on réserve à ceux qui vivent dans la marge qu’on mesure la seule ouverture qui compte vraiment, celle des gens ordinaires qui côtoient les marginaux. Et puis, souvent, il y a plus de fun dans la marge...

Mais peut-être qu’il faut d’abord une reconnaissance juridique pour que les marginaux sortent de la peur et que les gens autour s’habituent. Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c’est que le droit à la liberté religieuse commence à en mener large. Je ne pensais jamais défendre l’intégrité de la GRC, mais il me semble que des Polices montées avec des turbans, ça fait dur. Et des voiles dans les cours d’éducation physique aussi. Et qu’on n’ait pas le droit de se promener en bédaine dans certains parcs d’Outremont à cause des pressions de la communauté juive n’a pas de sens non plus. Sous une apparence de société tolérante, tout ça finit par faire en sorte que chaque communauté reste dans son coin avec ses petits droits spéciaux. À long terme, ça mène inévitablement aux ghettos et aux tensions.

On ne peut pas toujours continuer de refuser de se définir comme société. Sinon, d’autres le feront pour nous. Et ça risque fort d’être des groupes religieux puisqu’ils sont les seuls à vouloir baliser et qu’ils n’y vont pas de main morte. Commençons donc par refuser le mariage polygame du néo-mormon de Colombie-Britannique. Un homme avec deux femmes, c’est inacceptable !

Texte lu à l’émission Samedi et rien d’autre, 1ère chaîne de Radio-Canada, le 26 octobre 2002.|214| 
936|Du nouveau à l’aut’journal|Pierre Dubuc| Nous sommes très heureux de présenter à nos lectrices et lecteurs deux nouveaux chroniqueurs réguliers qui s’ajoutent à notre équipe 0 Marc Laviolette, militant syndical et ancien président de la CSN, et Mario Beaulieu qui était jusqu’à tout récemment président de la région Montréal-Centre du Parti québécois. Marc nous annonce une chronique qui traitera des sujets qui préoccupent les ouvriers de son usine et qui, par le fait même, intéresseront – nous en sommes convaincus – l’ensemble des travailleuses et des travailleurs. Quant à Mario, il touchera plus particulièrement à la question linguistique, qu’il connaît fort bien.

De plus, nous sommes fiers d’annoncer la parution de Not’journal Lanaudois, un supplément régional de l’aut’journal pour la région de Lanaudière. Depuis plusieurs années, nous cherchons à susciter la création de suppléments régionaux encartés dans l’aut’journal. Le phénomène de la concentration des médias régionaux, contrôlés essentiellement par Quebecor et Transcontinental, n’est pas souvent débattu, mais c’est une réalité à laquelle se butent celles et ceux qui veulent faire de l’action politique.

Comme il est difficile de créer un nouveau journal régional, nous avons proposé à plusieurs groupes de commencer par la publication d’un supplément à l’aut’journal comme première étape vers la création d’une véritable presse régionale. Un groupe de militantes et militants de Lanaudière ont décidé de relever le défi. Nous publions ci-dessous l’éditiorial de leur premier numéro.

Longue vie à Not’journal Lanaudois !

Le monde a changé . « Voici venu le temps d`un monde fini », titre le livre d’Albert Jacquard. À la fin du siècle qui vient à peine de se terminer, les sciences nous ont appris les limites de notre petite planète. Nous n’avons qu’à penser à Kyoto, au débat sur l’eau, à la croissance démographique.

Nos médias, eux, n’ont pas changé, ne changent pas, même discours et pire encore. Ils sont néolibéraux, alors que le néolibéralisme n’est en réalité rien d`autre que l’accélération d’un vieux plan économique désuet et qui, de plus, ne satisfait qu’une minorité d’individus déjà très à l’aise, sans oublier, nous l’avons encore vu à Johannesburg, leur mépris pour l’environnement.

Notre monde est maintenant gouverné par des instances non élues, antidémocratiques. Leurs prédécesseurs avaient comme prétexte le communisme (l’empire du mal), la drogue et aujourd’hui le terrorisme avec l’axe du mal, pour faire la guerre. Tout cela, avec l’objectif inavoué d’éliminer toutes résistances, afin de mieux piller les ressources du monde.

Au siècle dernier, pendant les années de crise, l’Église s’était imposée comme « modératrice » au système capitaliste. Aujourd’hui, ses fidèles ne cotisant plus suffisamment, elle s’est mise à la bourse et est devenue muette ou presque. Elle espère des profits.

Nos médias, en espérant eux aussi des profits, remplissent les espaces vides entre les publicités. Leur but 0 le ca$h, Think Big, think Transcontinental. Eh voilà, consommons !

D’un côté, on encourage l’endettement personnel pour faire rouler l’économie, et de l’autre, on rejette l’endettement collectif (déficit zéro). Quelle est la différence ? Cinq personnes doivent ensemble cinq cent dollars, cinq individus doivent chacun cent dollars ; la dette est la même. On veut nous faire croire que les individus, séparément, peuvent s’endetter à coups de milliards pour des véhicules quatre roues, des bateaux, des autos et que cela est acceptable, mais que solidairement nous empruntions pour nous offrir un bon système de santé, d’éducation devient inacceptable… Pour qui nous prend-on ?

Not’journal naît du besoin d’une alternative au néolibéralisme. Il se veut le porte-étendard des résistances à l`idéologie dominante. Not’journal sera avant tout notre journal, celui de la vie, du respect des peuples, des familles, des travailleuses, des travailleurs avant les profits.

Dans Lanaudière, quels sont les effets de leur mondialisation sur nos système de santé et d’éducation, sur l`environnement, sur la justice, la démocratie, notre droit de savoir ? Nous devons connaître, comprendre et contrer les effets négatifs de cette mondialisation

Un changement s’impose

Pas n’importe lequel. Les générations qui nous ont précédés ont obtenu des acquis sociaux d’importance tels que l’universalité et l’accessibilité aux programmes sociaux. Ils firent de notre société « une société modèle »

Depuis un certain temps, sous la pression du capital financier, FMI, Banque mondiale, G8, etc., nos gouvernements ont commencé le démantèlement de nos acquis sociaux, entre autres, par de nombreuses privatisations. Pour ces raisons, aux dernières élections partielles de 2002, le peuple québécois a majoritairement rejeté les partis traditionnels. Toutefois les votes de protestation se sont dirigés vers l’Action démocratique du Québec (ADQ), un parti qui prône un démantèlement accéléré de l`État et de ses services.

Alors dans ce contexte actuel, Not’journal encourage l’entrée de l`Union des forces progressistes (UFP) dans l’arène politique, puisque l’UFP propose la protection de l’environnement, l’avènement d’une société plus juste et viable pour les générations futures, une réelle démocratie, la revalorisation des travailleurs et travailleuses et une meilleure redistribution de la richesse.

Not’journal reconnaît la nation Attikameck et nous souhaitons lui accorder la place qui lui revient.

Nous sommes une presse libre et indépendante qui souhaite dénoncer, critiquer et expliquer. Nous remercions l’aut’journal qui est, depuis dix-huit ans, un média alternatif – progressiste et qui nous appuie solidairement dans cette régionalisation d`une nouvelle information.

L’équipe de Not`journal|214| 
937|Suspendu au-dessus de la chute et à la décision du gouvernement|André Bouthillier|

À Trois-Pistoles



Mikael en a plein l’dos et décide d’occuper le site en se suspendant, au moyen de cordes d’escalade, à 60 pieds au-dessus de la rivière. « La démocratie n’existe plus ici », dit-il. « Le député Mario Dumont reste muet. Des audiences publiques n’ont pas été tenues. Le conseil municipal n’a pas consulté les citoyens avant de signer le bail. Le ministère de l’Environnement agit avec un mépris inqualifiable, tout comme Hydro-Québec qui a signé un contrat secret. Le promoteur a débuté des travaux illégalement. Le dossier est devant le Tribunal administratif, les autorisations n’ont pas toutes été obtenues. Bref, il y a assez de raisons pour dire 0 assez, c’est assez ! »

D’autres citoyens manifestent sur la route 132, empêchent le constructeur de commencer les travaux, replantent des arbres détruits par le promoteur. 2 000 personnes signent une pétition contre la construction du barrage, alors que dans la municipalité immédiate vivent 1 300 citoyens et citoyennes.

Comment en arrive-t-on à ce genre de situation?

Un coup fourré

C’est sous le voile du silence que le maire-préfet, juge et partie, signe un bail et un protocole d’entente d’une durée de 50 ans, sans appel d’offres et sans étude de rentabilité. À ce jour, il refuse de dévoiler les termes de ce contrat et de tenir des auditions publiques sur la pertinence du projet de construction de ce barrage hydroélectrique qui inondera minimalement 48 500 m2 de terrains publics.

Pour le comité de citoyens Les Ami(e)s de la rivière des Trois-Pistoles0 « Ce projet détruirait trois des quatre chutes de la rivière et altérerait à jamais la beauté du magnifique territoire municipal de 168 acres appartenant aux citoyens, à la collectivité ».

Pourtant le site est identifié au schéma d’aménagement, il représente un des éléments esthétiques, historiques, écologiques et uniques des paysages de la région des Basques. Le potentiel extraordinaire de ce territoire rassembleur, à deux pas d’un circuit touristique attenant à l’Île aux Basques et au Parc Marin, est mis en péril.

Connivence ?

C’est en constatant toutes les irrégularités civiques que les citoyens et citoyennes se sont indignés du processus choisi par la mairie. Même la Commission de protection du territoire agricole a approuvé le projet sans quorum, nous disent les Ami(e)s de la rivière. « Le conseil d’administration de la CPTAQ doit réunir trois commissaires pour avoir quorum. En audience, ils n’étaient que deux et ils n’ont pas tenu compte du fait que, lors de la signature du protocole d’entente entre la municipalité et le promoteur en 1997, l’annexe A, qui localise le terrain, ne s’y trouvait pas. »

« J’ai écrit des lettres, laissé des messages, envoyé des courriels et je n’ai jamais eu de réponse en retour du ministère de l’Environnement, pas même un accusé de réception. Ils ont autorisé la construction sans nous prévenir », s’indigne André Ouellet. Le projet du promoteur stipule que le réservoir ne dépassera pas 50 000 mètres carrés. Au-delà, il devrait le soumettre à des audiences publiques. « Sur le plan, il y a des zones quadrillées de chaque côté des rives. Ce sont des terrains acquis par le promoteur pour les servitudes d’inondation et d’érosion. S’il les a achetés, j’imagine que l’eau se rendra jusque-là et ça dépassera les 100 000 mètres carrés »

Les profits pour qui ?

« Entre des intérêts privés, des politiciens en mal de visibilité et des élus municipaux en manque de budgets, un joli mensonge est en train de se tisser »

Paul Piché se questionne « Est-ce que c’est payant ? Pour un promoteur privé, oui, comme à chaque fois qu’on permet à des individus d’accaparer les richesses collectives avec l’appui financier de l’État. C’est d’ailleurs la seule façon de rentabiliser ces petits désastres.

« De son côté, poursuit Piché, Hydro-Québec a abandonné de tels projets depuis longtemps et la rumeur veut que plusieurs à la société d’État soient mal à l’aise avec le fait que celle-ci soit forcée d’acheter l’électricité à un prix plus élevé qu’à son propre prix de revient. Avec des garanties d’achat sur de trop longues périodes, on se demande d’ailleurs où est le risque si valorisé de l’entrepreneur privé ? La philosophie économique qui justifie souvent les privatisations relève de la présomption que le privé puisse soulager le public. Il est clair, ici, que c’est le public qui soulage le privé.

« En revanche, ajoute Piché, sans même tenir compte de l’énorme perte sur le plan patrimonial ou la qualité de vie, les gains pour les municipalités sont risibles. À Notre-Dame-des-Neiges, par exemple, en échange de leur petit coin de paradis sur la Trois-Pistoles, le promoteur donnera 50 000 $ la première année et 25 000 $ par la suite. Par tête d’habitant, ça vous laisse 39 piastres en partant et 19 piastres par année pour les prochains 25 ans. C’est combien déjà une caisse de bière ? »

De son côté, Gaétan Breton, professeur de sciences comptables, trouve malhabile l’attitude des municipalités qui acceptent ce genre d’entente. « À la longue, elles y perdront car le gouvernement provincial, lorsque viendra le temps de la péréquation entre les régions du Québec, déduira des besoins financiers de la région ce financement autonome du budget total. »

Pour André Desjardins 0 « On essaie de faire croire à la population que ce projet est mis de l’avant pour le bien du milieu , mais il est clair que la majeure partie des profits s’en iront ailleurs. Allons-nous sacrifier nos rivières pour allumer un sapin de Noël sur une tour à bureaux quelque part entre New York et Boston ? »

Des porteurs et porteuses d’eau

Le comité de citoyens n’est pas seul. Paul Piché, chansonnier, Catherine Mousseau et Raymond Cloutier, ont annoncé leur appui, et Pauline Martin raconte 0 « Étant née près d’un fleuve à Trois-Pistoles, ayant grandi près de la rivière Saguenay, l’eau m’est essentielle, au corps et à l’âme. Je l’aime et je la respecte. Vitale pour nous tous, elle est hélas menacée par certains qui n’en reconnaissent ni la préciosité ni la précarité. Jamais je n’accepterai que ce bien collectif soit assujetti aux intérêts de quelques-uns. Qu’elle soit puissante dans sa chute, agitée dans sa rivière, calme dans son lac, je me battrai pour qu’elle reste libre. »

D’autres Porteurs et Porteuses d’eau de la Coalition Eau Secours! se sont joints à eux pour sauver les chutes. L’homme de théâtre Jean-Claude Germain a adopté la rivière pour inciter la population à en faire autant, recueillant ainsi des fonds pour mener la lutte. Dans ce cadre, les citoyens informatisés peuvent se rendre au www.eausecours et obtenir le formulaire d’adoption de la rivière, les autres en téléphonant au 514-353-3001 ou 418-648-2104

L’Opération « Adoptez une rivière » mise de l’avant à l’initiative de la Coalition Eau Secours! comprend Aventure Écotourisme Québec, la Fédération québécoise du canot et du kayak, la Société pour la nature et les parcs du Canada et l’Union québécoise pour la conservation de la nature. Cette opération permet aux comités de citoyens de compter sur un soutien indispensable dans ce genre de situation.

Pis après ?

Tous sont en attente d’une importante décision du Tribunal administratif du Québec et surtout de la décision politique de mettre fin au projet, qui tarde à venir. Malheureusement cette lutte à Trois-Pistoles est à l’image de ce qui se passe et se passera si le gouvernement du Québec ne met pas fin à son programme de développement de l’industrie privée hydroélectrique. Plusieurs croyaient que nous avions nationalisé la production de l’électricité en 1963 !

Les rivières arnaquées

Lettre d’opinion

À Manon Blanchet députée provinciale du comté de Crémazie. Nous sommes des jeunes de 9 à 11 ans du club Mond’Ami. Nous sommes inquiets au sujet des rivières du Québec. Nous aussi aimerions faire du canot quand nous serons grands, et nous avons peur qu’il n’y ait plus de rivières sauvages. Nous aimerions admirer des chutes plutôt que de voir des barrages partout. Les petits barrages privés ou autres, ce n’est pas très bon. Nous n’en avons pas besoin 0 ils ne produisent presque pas d’électricité. Ils détruisent les paysages alors que plein de gens y vont. De toute façon, nous gaspillons beaucoup d’énergie 0 il suffirait de moins gaspiller. Nous avons plutôt besoin de faire du sport. C’est la meilleure façon de dépenser de l’énergie.Nous pensions peut-être faire une grève pour les plages. Nous avons plutôt décidé d’adopter la rivière Rouge car elle est tout près, et nous pourrons aller la voir, mais nous voulons que toutes les rivières soient protégées. Votre gouvernement veut les harnacher. Nous avions compris « arnaquer »... et nous avions bien compris !

Louis Gaudette, neuf ans, et al Montréal, le 18 octobre 2002

Note au lecteur 0 Afin de faciliter la lecture, chacune des références précises n’apparaît pas dans le texte. Elles proviennent du BAPE, de la commission Nicolet, de la commission Doyon, des Ami(e)s de la rivière des Trois-Pistoles et du site de référence d’Eau Secours! - La Coalition québécoise pour une gestion responsable de l’eau à 0 www.eausecours|214| 
938|La plus grande menterie|Jean-Claude Germain|À beau mentir qui vient de loin, les vérités du patelin n’en trompent pas moins. Tous les ans, un des temps forts du Festival des contes de Trois-Pistoles est incontestablement le concours de La plus grande menterie. Cette année, la plus grande des plus grandes était hors concours puisqu’elle avait déjà fait l’objet d’une contestation, d’une pétition et de diverses manifestations des Pistolois pour tenter d’établir si la plus grande des menteries était une vérité du cru ou un mensonge éhonté qui vient de loin. Je vous la raconte comme elle aurait pu être présentée au Rendez-vous des grandes gueules.

L’histoire se passe dans une petite municipalité érigée à l’embouchure d’une rivière qui donne sur le Saint-Laurent, comme une bonne partie des paroisses du Bas-du-Fleuve. Un jour, un margoulin beau parleur eut l’idée de construire un barrage de demi-vérités et de demi-mensonges le long de la dite rivière et, sur-le-champ, le projet eut l’heur d’intéresser le margoulin beau menteur qui présidait aux destinées de la petite municipalité.

Cupide, c’était le nom du beau parleur, avait imaginé une centrale au fil de l’eau comme on dit au fil du temps ou au fil des songes, qui produirait comme au temps de la ruée vers l’or, des pépites, qui sont des petites boules d’énergie, des petits poussins lumineux très en demande sur le marché américain à certaines périodes de l’année, entre autres dans le temps des Fêtes pour illuminer les immenses sapins de Noël qu’on dresse dans les grandes villes de l’est états-unien comme New York ou Boston.

À ceux qui s’étaient aussitôt inquiétés de la disparition de l’eau des chutes au profit des pépites, Avide, c’était le nom du beau menteur, avait rétorqué avec un certain agacement devant le lenteur d’esprit de ses commettants qu’au contraire d’une catastrophe, c’était plutôt une bénédiction, voire même un bienfait. Qui pouvait s’opposer à la réduction saisonnière du débit de la rivière si le dit assèchement permettait de remplacer des rapides somme toute modestes par un son et lumière absolument fabuleux recréant l’effet des chutes à partir d’images spectaculaires filmées à Montmorency, Niagara, Shawinigan, Churchill, Gersoppa, Wollomombi et Yosemite ? Qui peut s’opposer au mieux au nom du moins ?

Il faut admettre que, dans la défense de leur projet, les deux margoulins ont mis le paquet pour faire oublier la réalité du barrage 0 à toutes les heures du jour sur le site, on représenterait divers exploits par la magie du virtuel, des sauts en baril, des bonds de saumon, des plongeons acrobatiques d’Esther Williams dans une chorégraphie aquatique de naïades à la Busby Berkeley, des filles toutes nues qui dansent aux roches plates et à la tombée du jour, un duel au pistolet sur fil de fer où, après avoir fait feu, les deux protagonistes et l’arbitre laisseraient tomber leurs armes dans la rivière aux Trois-Pistoles, ce qui déclencherait un feu d’artifices qui se terminerait par une pluie de pistoles.

Inutile de préciser que les revenus engendrés par la vente des poussins lumineux et des pépites d’énergie sur le marché états-unien sont insuffisants pour financer le son et lumière. Fort heureusement, a-t-on appris, il existe un programme gouvernemental dont le but est de remplacer les chutes, les églises, les quartiers historiques, les villes fermées, bref tous les trésors disparus du patrimoine par un spectacle virtuel qui les restitue dans toute leur intégralité. On parle même de reboiser virtuellement des grandes parties du territoire québécois. C’est un projet à haute teneur écologique qui rencontre toutes les exigences du protocole de Kyoto.

Il va sans dire que les projets dits de revitalisation du patrimoine culturel doivent être inscrits au programme avant que la disparition de leur objet ne soit un fait accompli. La reconstitution à partir d’un inventaire photographique exhaustif des lieux et des édifices tels qu’ils existaient avant leur destruction demeure moins coûteuse à réaliser qu’à partir de témoignages et de documents visuels. Cela tombe sous le sens.

En ce sens, la mise en chantier illégale du barrage de la rivière des Trois-Pistoles effectuée cet automne par Avide et Cupide ne peut que compromettre la virtualisation préalable du site, laquelle sera une exigence et une des composantes majeures de la nouvelle politique du ministère de l’Environnement sur la protection du patrimoine. Reste à déterminer laquelle des deux menteries est la plus plausible 0 les pépites d’énergie et les poussins lumineux ou la virtualisation préalable ?|214| 
939|Débat sur la prostitution|Vivian Barbot, Élaine Audet et Micheline Carrier| Personne n’a rien arraché à personne !

C’est avec grand étonnement, voire avec stupeur, que la Fédération des femmes du Québec prenait connaissance de cet article, écrit par deux femmes qui n’étaient pas présentes à notre assemblée générale du 22 septembre, et qui, à notre avis, reflète très mal la réalité.

En effet, à l’issue de la discussion sur la prostitution et le travail du sexe, plusieurs membres ont témoigné à l’assemblée de leur grande satisfaction d’avoir pu participer à un débat aussi déchirant dans le plus grand respect de tous les points de vue. Dire que le consensus sur la décriminalisation des pratiques exercées par les prostituées a été obtenu à l’arraché tient de la fabulation. Le vote était très majoritaire, puisqu’il ne s’agissait pas de légaliser la prostitution, un enjeux sur lequel l’assemblée à décidé de poursuivre sa réflexion, mais bien de protéger des femmes des discriminations et violences dont elles sont victimes. Demandez aux membres ! !

S’il est vrai que les femmes qui défendent les droits des travailleuses du sexe et qui exercent ce métier ont donné leur point de vue sans ambages et ont témoigné de la difficulté de vivre certaines situations, notamment de violence, de harcèlement policier, etc., sachez que toutes les personnes qui ont voulu s’exprimer sur le sujet ont également été entendues, sans aucune intimidation de la part de nos membres. Les membres ont ainsi voté après avoir entendu autant d’arguments en faveur que contre la décriminalisation des pratiques exercées par les prostituées et travailleuses du sexe. En outre vos affirmations selon lesquelles nos membres n’étaient pas préparées au débat sont totalement erronées puisqu’elles ont toutes été invitées à participer à la tournée québécoise sur le travail du sexe et la prostitution l’année précédente et ont pu suivre de près les travaux du comité de réflexion sur la prostitution et le travail du sexe par le biais de nos publications.

Cette tournée de formation/débat sur la question, où bon nombre de nos membres ont été rencontrées, visait à donner un aperçu de la situation actuelle de la prostitution et de toute autre forme de travail du sexe, puis de discuter, en fonction des différentes perspectives, des enjeux, tenants et aboutissants de la problématique. Pour plusieurs, il s’agissait d’une première réflexion, et le but n’était nullement de prendre une position ferme mais bien de faire avancer la pensée des militantes sur le sujet, dans un sens ou dans l’autre. Les participantes se sont d’ailleurs montrées extrêmement satisfaites, autant de l’exercice en soi que de l’impartialité de l’animatrice. Elles ont aussi manifesté un désir certain de poursuivre la réflexion.

Le climat du débat sur la prostitution et le travail du sexe au Québec, très animé et émotif, rappellera à certaines et à certains celui qui prévalait au moment où les lesbiennes revendiquaient que le mouvement des femmes les entende et les appuie. À cette époque aussi, on a accusé ces groupes de femmes de mener un lobby indu et d’intimider les membres par le seul fait de dire haut et fort qu’elles étaient lesbiennes et qu’elles vivaient des discriminations.

Autre chose 0 si les propositions comme telles ne sont pas disponibles sur notre site Web, c’est simplement que le procès-verbal de l’AG (qui contient ces propositions) ne sera adopté qu’à l’assemblée des membres en juin 2003 (comme à tous les ans), et que seules les propositions ainsi entérinées sont de nature publique. Cependant, toutes les membres en recevront copie dans le prochain bulletin interne de la FFQ, comme à l’habitude.

La Fédération est consciente que la décision de ses membres de ne pas prendre position pour ou contre la prostitution ne plaît pas à toutes et à tous, qu’on soit abolitionniste ou non. Mais la démocratie en a décidé ainsi et la FFQ respectera la voix de ses membres.

Enfin, nous nous interrogeons sur l’origine de vos sources puisque personne à la FFQ n’a été contactée pour répondre à vos questions, et que ni l’une ni l’autre des auteures n’était présente lors du débat.

Vivian Barbot, présidente de la FFQ, 17 octobre 2002

Les opinions diffèrent

18 octobre 2002,

Extraits de la réponse d’Élaine Audet et Micheline Carrier à Vivian Barbot

(…)

Rien ne nous empêchait, cependant, de mener notre propre enquête sur le déroulement de cette assemblée. Nous n’avions pas à privilégier la seule opinion officielle qui s’est exprimée par voie de communiqué. Les personnes qui nous ont donné les renseignements à la base de notre article sont membres de la FFQ. Certaines ont participé à tout le processus de réflexion sur le sujet, et toutes étaient présentes à l’AGA. Manifestement, elles ont eu du déroulement des débats une perception quelque peu différente de ce qui ressortait du communiqué émis par la FFQ au lendemain de cette rencontre. Le contexte même des débats, qu’elles ont décrit, justifie qu’elles aient réclamé l’anonymat, ce qui n’invalide en rien leurs témoignages.

(…)

Ce n’est pas « le consensus sur la décriminalisation des pratiques exercées par les prostituées » qui a été obtenu à l’arraché, mais la formulation de « travailleuses du sexe », qui indique la reconnaissance de la prostitution comme un moyen économique de gagner sa vie, plutôt qu’une mise en marché des femmes par des proxénètes pour des acheteurs-consommateurs, avec tout ce que cela implique quant au respect de la liberté et de l’autonomie des femmes (comme certains groupes le pensent). Nous approuvons la décriminalisation des femmes prostituées. Élaine Audet a écrit son appui sur cet aspect de la question à Michèle Busque et à Nicole Nepton, de Stella, ainsi que dans son article « Droits des femmes ou droit aux femmes ». Micheline Carrier a pris la même position dans son article « Bientôt des proxénètes et des bordels subventionnés ? » On peut lire ces deux textes sur le site.

On peut questionner le fait que la plus importante organisation de femmes au Québec ne discute pas du problème fondamental lié à la prostitution, à savoir le rôle des proxénètes et des clients dans la mise en marché du corps et de la sexualité des femmes. Le statu quo à cet égard annonce-t-il une concession aux groupes qui réclament la décriminalisation des clients et des proxénètes ? Comment peut-on vouloir protéger les femmes dans la prostitution sans aborder ce volet de la question ? Comment peut-on voter des résolutions pour protéger les femmes prostituées contre diverses formes de violence sans une analyse des causes de la prostitution et de ses conséquences pour l’ensemble des femmes ? Sans débattre du fait que la prostitution est en soi une forme de violence ? L’assemblée et la tournée de formation ont peut-être fait cette analyse, mais cela ne ressort pas dans le communiqué de la FFQ, ni dans le rapport de Françoise David.

(…)

Demander la décriminalisation et la protection contre les violences pour les femmes engagées dans « l’industrie du sexe » est une chose. C’en est une autre de chercher à imposer la reconnaissance de la prostitution comme une activité légitime pour atteindre l’autonomie économique, ainsi que le proxénétisme comme un entrepreneurship légitime, quand en réalité un très grand nombre de femmes considèrent qu’il s’agit plutôt d’une forme d’exploitation, voire d’esclavage.

Lire le texte intégral à 0 http0//sisyphe.levillage.org/article.php3?id_article=128

Ajout de Vivian Barbot à sa réponse

Il nous semble enfin important de remettre les choses en perspective 0 l’enjeu principal de cette assemblée n’était pas de se demander s’il fallait garder les deux appellations « prostituées/travailleuses du sexe »mais bien de se prononcer sur des résolutions du C.A. On a gardé les deux appellations, non par consensus, d’ailleurs, mais par un vote majoritaire qui signifiait tout simplement que les débats n’étaient pas terminés. Le plus important a été l’adoption des résolutions qui avaient pour but de lutter contre la violence et la discriminalisation envers les prostituées. Et surtout, celle qui portait sur la décriminalisation de la sollicitation exercée par les prostituées/travailleuses du sexe. La plupart des mouvements féministes a travers le monde ont déjà adopté cette position, il était temps que le Québec les rejoigne ! ! !

Nouvelle pièce à verser au débat sur la prostitution

Des failles dans le processus de réflexion amorcé au sein de la FFQ

Lettre ouverte aux membres du C.A. de la FFQ

MARDI 22 OCTOBRE 2002

Yolande Geadah

Chercheuse connue, auteure d’un essai sur la prostitution à paraître prochainement chez VLB, Yolande Geadah, qui a participé à l’AGA et au débat depuis le début, démontre que le processus de réflexion de la FFQ sur la prostitution a comporté des failles à toutes ses étapes, de 1999 jusqu’à l’AGA de septembre dernier. Elle conclut que ce processus a favorisé la position pro-prostitution au détriment de celle qui refuse de voir dans la prostitution un travail comme un autre.

Pour lire ce texte, consulter le site Sisyphe 0 http0//sisyphe.levillage.org/article.php3?id_article=165