Stephen Harper et les élections québécoises

2014/02/28 | Par Pierre Dubuc

Il se peut que l’avenir du mouvement syndical au Canada et au Québec se joue actuellement dans l’affrontement en cours entre le gouvernement de Stephen Harper et l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) et les élections québécoises constitueront un moment charnière dans cette épreuve de force.

Qui remportera l’élection, du Parti Québécois ou du Parti Libéral, aura un impact considérable dans la partie de bras de fer entre la droite et le mouvement syndical au Québec et à l’échelle du pays.

Présentement, le gouvernement conservateur teste la résistance syndicale de ses fonctionnaires. S’il réussit à « traverser » l’AFPC et ses 180 000 membres, la guerre s’intensifiera de façon exponentielle contre l’ensemble du mouvement syndical. Dans ce but, Ottawa se dote d’un arsenal législatif impressionnant.

Le projet de loi C-525 aura pour effet de complexifier énormément le processus de syndicalisation des travailleurs sous juridiction fédérale et de faciliter grandement la désaccréditation d’un syndicat.

Des dispositions incluses dans le projet de loi C-4 modifient unilatéralement les règles du jeu en matière de négociation collective dans la fonction publique fédérale en permettant au gouvernement de s’arroger le droit de décréter unilatéralement les postes qui doivent être considérés comme essentiels. Il peut ainsi limiter considérablement, voire révoquer complètement, le droit de grève des employés fédéraux.

C-4 permet aussi de remplacer les négociations par un arbitrage obligatoire, balisé par des dispositions aussi restrictives que « la situation économique du Canada ». C-4 accorde aussi à la ministre du Travail l'autorité de rejeter unilatéralement tout refus de travail par un employé jugeant une tâche dangereuse.

C-377 obligerait les syndicats à fournir à l’Agence du revenu du Canada (ARC), pour publication sur son site Internet, les détails des déboursés de plus de 5 000 $ pour les activités d’organisation, de négociations, d’éducation, de formation, et les activités politiques et de lobbying, en plus des salaires des dirigeants syndicaux, des employés et des contractuels.

Le budget 2014 annonce une consultation publique sur le régime fiscal des organismes à but non lucratif (OBNL) dans le but explicite de limiter leur action politique, et la rumeur veut qu’une prochaine étape soit l’abolition des déductions d’impôts pour les cotisations syndicales des travailleurs.

La mesure massue, que le gouvernement tient cachée derrière son dos, est l’abolition de la formule Rand qui autorise le prélèvement obligatoire à la source des cotisations syndicales pour l’ensemble des salariés d’une unité d’accréditation.

Certaines de ces législations ne touchent que les syndicats régis par le Code du travail fédéral – ce qui représente tout de même 10% de la main-d’œuvre au Québec –, mais elles risquent de faire tache d’huile dans les législations provinciales.

En Ontario, le Parti conservateur de Tim Hudak veut transformer la province en « right to work state ». Il est à égalité dans les sondages avec les libéraux et les néo-démocrates.

L’objectif général de toutes ces législations est clair : bâillonner les syndicats sur le plan social et politique, confiner leur action au terrain de la négociation collective et, encore là, comme on le voit dans le cas de la fonction publique fédérale, en les dégriffant et les édentant.

L’ampleur de la menace que fait peser le gouvernement Harper sur la société canadienne dépasse la remise en question des droits syndicaux. Dans le livre Science, on coupe ! (Boréal), Chris Turner décrit pendant des dizaines et des dizaines de pages comment ce gouvernement « musèle ses scientifiques, démantèle ses laboratoires de recherche et place les plus beaux fleurons de la recherche scientifique au service de l’entreprise ».

À travers l’action de tous les ministères, de la Politique étrangère aux services postaux, ce gouvernement cherche à transformer de fond en comble la société canadienne et, en s’érigeant en « ingénieur de l’âme », les valeurs de ses habitants.

Dans un important discours prononcé, deux ans avant son élection, devant la Civitas Society, un groupe d’extrême-droite, Stephen Harper a décrit sa philosophie et sa stratégie.

Il rappelle l’existence de deux courants de pensée fondamentaux du XIXe siècle, le libéralisme économique classique tel que défini par Adam Smith, et le conservatisme social classique élaboré par Edmund Burke. Ces deux courants, explique-t-il, ont fusionné au XXe siècle pour combattre le socialisme.

Aujourd’hui, se félicitait Harper devant la Civitas Society, avec la chute du Mur de Berlin et les révolutions de Thatcher et Reagan, les idées de droite au plan économique ont gagné. Même les partis de gauche ont abandonné les idées de planification économique et l’idéal socialiste, et s’en remettent au marché.

(L’exemple le plus récent est le NPD qui, à son dernier congrès, a laissé tomber toute référence au socialisme dans son programme.)

Cette victoire désormais acquise pour la droite au plan des idées économiques, la lutte doit maintenant, selon Harper, être portée sur le terrain des valeurs sociales.

« La première valeur du conservatisme est l’ordre social, déclarait-il. Il implique le respect des coutumes et des traditions – les traditions religieuses avant tout – l’association volontaire, et l’autocontrôle renforcé par des sanctions morales et légales du comportement. Les néo-conservateurs favorisent l’entreprise privée, un gouvernement réduit et font confiance à la société civile plutôt qu’à l’État pour résoudre les problèmes sociaux. »

Harper se réfère à Edmund Burke, un philosophe britannique du XVIIIe siècle, connu pour son opposition à la Révolution française, et considéré comme le père du conservatisme anglo-américain.

Burke rejette le contrat social de Rousseau. Il est contre l’égalité et juge impératif de préserver la hiérarchie sociale, de modérer la participation politique et de se conformer à la tradition.

C’est en s’inspirant de Burke, que Harper veut revaloriser la famille, le mariage (sauf le mariage gai!), la femme au foyer (avec le fractionnement de l’impôt), mettre l’accent sur la sécurité, la loi et l’ordre, en faisant montre de plus de sévérité envers les jeunes contrevenants, en gardant les détenus plus longtemps en prison.

Dans son discours devant la Civitas Society, Harper avertissait ses partisans qu’il fallait bien choisir le terrain des luttes à venir en s’assurant de ne pas diviser les rangs des conservateurs. « L’important, disait-il, c’est d’aller dans la bonne direction, même si c’est lentement ».

C’est exactement ce qu’il fait. Il fait déposer par des députés d’arrière-ban des projets de loi privés sur des sujets controversés (lois antisyndicales, avortement) et il prend la température sociale. S’il n’y a pas trop de réaction négative, il va de l’avant.

Pour stopper Harper, la résistance sur le terrain syndical ne suffira pas. L’action doit se transporter sur le terrain politique. Le Parti Conservateur ne détient que 5 sièges au Québec, mais ses stratèges espèrent en conquérir 5 autres dans un axe qui part du Lac Saint-Jean jusqu’en Beauce.

Ils misent sur la déconfiture du Bloc en spéculant qu’une bonne partie des 20% des suffrages que les sondages lui accordent présentement constituent un électorat conservateur que le Parti Conservateur pourrait espérer conquérir.

Mais l’avenir du Bloc dépend de l’élection québécoise. Une défaite du Parti Québécois lui couperait les jambes. Par contre, une victoire péquiste montrerait à nouveau sa pertinence.

Plus fondamentalement, un gouvernement majoritaire du Parti Québécois provoquerait une onde de choc à l’échelle du Canada qui bouleverserait l’agenda politique à Ottawa. Le gouvernement Harper hésiterait à mener la guerre sur deux fronts, national et syndical.

À Québec, le gouvernement péquiste ne pourrait se passer de l’appui des principales organisations de la société civile que sont les syndicats, dans son affrontement avec le gouvernement fédéral.

Pour stopper Harper, le choix est clair : il faut élire au Québec un gouvernement péquiste majoritaire.